COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-1
ARRÊT AU FOND
DU 14 JUIN 2019
N° 2019/248
Rôle N° RG 17/03043 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BABFX
SAS VETIR
C/
[V] [J] épouse [T]
Copie exécutoire délivrée
le : 14 JUIN 2019
à :
Me Dominique CHABAS de la SCP CHABAS & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Me Odile-marie LA SADE de la SCP LA SADE CLUSAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 19 Janvier 2017 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F16/00582.
APPELANTE
SAS VETIR, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Dominique CHABAS de la SCP CHABAS & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE (postulant),
et Me Aurélien TOUZET, avocat au barreau d'ANGERS (plaidant)
INTIMEE
Madame [V] [J] épouse [T]
née le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 1], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Odile-marie LA SADE de la SCP LA SADE CLUSAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE (postulant),
et Me Betty KHADIR-CHERBONEL, avocat au barreau de MARSEILLE (plaidant)
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785 et 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Mars 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président
Mme Nathalie FRENOY, Conseiller
Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Juin 2019.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Juin 2019
Signé par Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Madame [V] [T] a été engagée au sein du groupe ERAM GEMO, suivant contrat de travail du 1er février 1992 en qualité de Vendeuse Caissière dans le magasin GEMO de [Localité 2].
Elle a été mutée dans différents magasins et a obtenu diverses promotions.
Au dernier état de la relation contractuelle, elle a été nommée le 1er juillet 2004 aux fonctions d'Adjointe du Directeur du magasin GEMO de [Localité 3], étant précisé que le Directeur de ce magasin était son époux, Monsieur [T].
En septembre 2012, une procédure de licenciement pour faute grave a été engagée à l'encontre de Monsieur [T] et Madame [T] a été placée en arrêt de travail pour cause de maladie à compter du 26 septembre 2012.
Suivant lettre du 10 octobre 2012, Monsieur [T] a été licencié pour faute grave.
Sollicitant la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, Madame [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille qui, par jugement du 19 janvier 2017, a :
- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [T] aux torts de l'employeur,
- condamné la société VETIR à payer à Madame [T] les sommes suivantes :
* 14 833,33 € bruts au titre de l'indemnité de licenciement,
* 6 675,69 € bruts au titre de l'indemnité de préavis,
* 667,57 € bruts au titre des congés payés y afférents,
* 11 316 € nets à titre de dommages-intérêts,
- remettre à Madame [T] les documents validant son licenciement : lettre de licenciement, certificat de travail, bulletin de paie pour préavis et indemnité légale de licenciement, l'attestation Pôle Emploi,
- débouté Madame [T] de ses autres demandes,
- débouté la société VETIR de sa demande reconventionnelle,
- condamné la société VETIR à payer à Madame [T] une indemnité de procédure de 1 200€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société VETIR aux entiers dépens.
La société VETIR a interjeté appel de ce jugement.
Suivant conclusions signifiées par voie électronique le 12 avril 2017, elle demande à la cour d'infirmer le jugement, de débouter en conséquence Madame [T] de l'intégralité de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Suivant conclusions signifiées par voie électronique le 6 juillet 2017, Madame [T] demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il lui a alloué les sommes de 14 833,33 € bruts au titre de l'indemnité de licenciement, 6 675,69 € bruts à titre d'indemnité de préavis, 667,57 € bruts au titre des congés payés y afférents, 11 316 € nets à titre de dommages-intérêts et en ce qu'il a condamné la société VETIR à lui remettre les documents validant son licenciement : lettre de licenciement, certificat de travail, bulletin de paie pour préavis et indemnité légale de licenciement, l'attestation Pôle Emploi,
- réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de préjudice moral et lui allouer la somme de 15 000 € en réparation de ce préjudice avéré,
- confirmer le jugement en ce qu'il a alloué la somme de 1 200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société VETIR à payer la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- laisser les dépens à la charge de la société VETIR.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 mars 2019.
MOTIFS DE LA DECISION
La société VETIR soutient que l'article 7, inséré au contrat de travail de Madame [T] selon lequel 'il est formellement convenu que le licenciement de l'un des conjoints entraînera le licenciement de l'autre' et invoqué par Madame [T] pour solliciter la résiliation judiciaire du contrat de travail, ne peut justifier le licenciement de Madame [T] dès lors que la poursuite de son contrat de travail n'est pas rendue impossible par la rupture du contrat de travail de son époux et que la rupture de son contrat ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse.
Madame [T] fait valoir que la société VETIR n'a toujours pas réglé sa situation professionnelle après le licenciement de son époux; que les circonstances dans lesquelles son époux a été licencié l'ont profondément affectée et l'attitude de l'employeur l'a également blessée; que celui-ci n'a fait aucune proposition de rupture conventionnelle du contrat de travail; que la société VETIR qui plaide l'illicéité de la clause d'indivisibilité, n'a pas hésité à insérer cette clause dans les contrats de travail et à gérer les carrières de ses salariés en fonction de cette clause et des magasins dans lesquels les Directeurs et les Directeurs Adjoints étaient affectés; qu'étant en maladie depuis 2012, elle n'a cessé d'interroger son employeur sur son sort; que formant un 'binôme' avec son époux, elle ne pouvait pas prendre seule la direction du magasin de [Localité 3] et a donc été amenée à saisir le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire compte-tenu de l'abstention de l'employeur à revoir sa position suite à l'évolution de la situation de son époux et à la maintenir dans une situation sans perspective d'avenir puisqu'elle est dans l'incapacité de reprendre une activité professionnelle.
***
Par application des articles 1224 et 1227 du code civil, le salarié est admis à demander la résiliation judiciaire du contrat de travail en cas d'inexécution par l'employeur des obligations découlant du contrat.
Les manquements de l'employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être établis par le salarié et d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
Un salarié ne peut, par avance, renoncer à se prévaloir des règles du licenciement et si le contrat de travail d'un salarié contient une clause d'indivisibilité, il appartient au juge d'apprécier si cette clause était justifiée par la nature du travail à accomplir et proportionnée au but poursuivi et si la poursuite du second contrat de travail était rendue impossible par la rupture du premier.
De plus, une clause de résiliation d'un contrat de travail ne dispense pas le juge de rechercher si la rupture a une cause réelle et sérieuse.
En l'espèce, il ressort du contrat de travail produit au débat qu'à compter du 1er juillet 2004 Madame [T] a été nommée aux fonctions d'Adjointe Directeur du magasin GEMO à [Localité 3]. Le contrat de travail comporte une clause n°7 selon laquelle : 'du fait même de son engagement par la société pour aider le Gérant-Directeur, la présence de l'Adjointe du Gérant Directeur est liée à celle de son conjoint dans la société. Il est formellement convenu en conséquence, que le départ de l'un des conjoints de la Société, entraînera la démission de l'autre.
De même, il est formellement convenu que le licenciement de l'un des conjoints, entraînera le licenciement de l'autre'.
Le contrat de travail de Monsieur [T] ne comporte pas clause identique.
Il ressort du courrier que la société VETIR a adressé à Monsieur et Madame [T] le 20 mai 2011 que 'vous nous indiquez être disponibles pour prendre la direction de plusieurs magasins, avec la possibilité que chacun prenne la responsabilité d'une succursale, même éloignées géographiquement.
Cette hypothèse ne nous semble pas envisageable.
Nous estimons en effet que les compétences que vous avez acquises dans l'entreprise depuis plusieurs années, l'un et l'autre, sont complémentaires et nous ne souhaitons pas les dissocier.
En clair, nous n'envisageons pas à court terme ou moyen terme de vous faire travailler séparément.
Nous vous avons fait évoluer dans l'entreprise en couple, et c'est en couple que nous souhaitons vous voir poursuivre votre activité'.
A l'aune de ce courrier, la justification de la clause donnée par l'employeur résulte dans les compétences acquises en commun par le couple [T] au cours des nombreuses années travaillées dans plusieurs magasins du groupe. Cette clause paraît donc justifiée par la nature du travail à accomplir et est proportionnée au but poursuivi.
Cependant, dès lors que la société VETIR justifie également que Madame [T] a déjà été amenée à travailler au sein de magasins dirigés par un Directeur qui n'était pas son époux, notamment en 2003 et 2004 en qualité de Chef de rayon, la seule circonstance que le licenciement de son époux l'a profondément affectée - ce qui a justifié son arrêt de travail pour cause de maladie - est insuffisante à caractériser le fait que la rupture du contrat de travail de Monsieur [T] rend impossible la poursuite du contrat de travail de Madame [T]. Ainsi, si Madame [T] ne pouvait pas prendre seule la direction du magasin de [Localité 3] comme elle le prétend, elle pouvait travailler sous les ordres d'un autre Directeur au sein d'autres magasins.
De plus, en l'état des explications des parties, la rupture du contrat de travail de Madame [T] ne présente aucune cause réelle et sérieuse susceptible de la justifier.
Dans ces conditions, la société VETIR n'a pas commis de manquement en refusant de mettre en oeuvre l'article 7 du contrat de travail de Madame [T] et en ne procédant pas au licenciement de la salariée.
De même, il ne peut être reproché à la société VETIR, nonobstant les circonstances de fait, de ne pas procéder à la rupture du contrat de travail, notamment par voie conventionnelle.
Enfin, Madame [T] étant en arrêt de travail pour cause de maladie, il appartient aux parties d'appliquer les règles du droit du travail prévues dans l'hypothèse d'une inaptitude de la salariée à reprendre son poste dès lors qu'elle serait constatée par le médecin du travail. En l'état de la visite médicale de pré-reprise du 17 février 2015, le médecin du travail a conclu uniquement qu'une reprise d'activité n'était pas envisageable pour l'instant, la salariée relevant d'un parcours de soins.
Il en résulte que la demande de Madame [T] en résiliation judiciaire du contrat de travail n'est pas justifiée.
A défaut de faute de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail, la demande de Madame [T] présentée au titre d'un préjudice moral sera également rejetée.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront infirmées. Il est équitable de laisser à la charge de la société VETIR les frais qu'elle a engagés tant en première instance qu'en cause d'appel.
Les dépens de première instance et d'appel seront à la charge de Madame [T], partie succombante par application de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Infirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute Madame [V] [T] de l'intégralité de ses demandes,
Déboute la société VETIR de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Madame [V] [T] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Ghislaine POIRINE faisant fonction