COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-5
ARRÊT AU FOND
DU 23 MAI 2019
N° 2019/
MA
Rôle N° RG 17/04441 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BAE3U
D... N...
C/
V... Q...
SARL GOLD PROPERTIES
Copie exécutoire délivrée
le : 23/05/2019
à :
Me Emilie VOIRON de la SELARL HARMONIA JURIS, avocat au barreau de GRASSE
Me Alain BERDAH, avocat au barreau de NICE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Section E Formation paritaire de CANNES en date du 10 Février 2017 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 16/00110.
APPELANTE
Madame D... N..., demeurant [...]
représentée par Me Emilie VOIRON de la SELARL HARMONIA JURIS, avocat au barreau de GRASSE
INTIMES
Monsieur V... Q... agissant ès qualités de liquidateur amiable de la SARL GOLD PROPERTIES,
demeurant [...]
représenté par Me Alain BERDAH, avocat au barreau de NICE
SARL GOLD PROPERTIES, demeurant [...]
représentée par Me Alain BERDAH, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785 et 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Janvier 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Mariane ALVARADE, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre
Monsieur Thierry LAURENT, Conseiller
Madame Mariane ALVARADE, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Caroline LOGIEST.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 mars 2019, prorogé au 04 avril 2019, au 2 mai 2019 puis au 23 mai 2019
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 mai 2019
Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Madame Caroline LOGIEST, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
La société à responsabilité limitée (SARL) GOLD PROPERTIES a été constituée entre Mr V... Q... et Mme D... N..., respectivement titulaires de 70% et 30% des parts sociales, avec pour objet social l'activité d'agence immobilière, Mr Q... avait la qualité de gérant.
Madame N... expose qu'elle était responsable du service location-gestion au sein de l'agence internationale de commercialisation immobilière depuis 12 ans lorsqu'elle a été approchée par Mr Q... qui lui a proposé une association au sein de la SARL GOLD PROPERTIES qu'elle a acceptée, qu'elle a donc rejoint ladite société après avoir démissionné de son poste le 4 avril 2011, qu'elle travaillait sous la totale dépendance de Mr Q... , qui tantôt lui accordait la signature bancaire, tantôt la lui retirait, qu'elle a même été victime de violences physiques de la part de ce dernier, qu'elle n'a jamais reçu le moindre salaire pour le travail effectué sur la période du 5 avril 2011 au 31 décembre 2012, date à laquelle elle quittait la société pour exercer sous le statut d'auto-entrepreneur en qualité d'agent commercial à compter du 1er janvier 2013, suivant les conseils de Mr Q... .
Au motif qu'elle a été salariée de la SARL GOLD PROPERTIES, Mme N... saisi la juridiction prud'homale le 29 février 2016, afin d'obtenir sa condamnation au paiement de diverses sommes.
Par jugement rendu le 10 février 2017, le conseil de prud'hommes de Cannes a:
*condamné la SARL GOLD PROPERTIES à payer à Mme N... le solde de salaires dus durant la période où elle a exercé en tant qu'auto entrepreneur du 1er janvier au 31 mai 2013, soit la somme de 3700,69 euros,
*condamné la SARL GOLD PROPERTIES à payer à Mme N... la somme de 1812,50 euros au titre des congés payés,
*condamné la SARL GOLD PROPERTIES a payé à Mme N... la somme de 3625 euros au titre de l'indemnité de préavis,
*condamné la SARL GOLD PROPERTIES au paiement de la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens,
*débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Mme N... a interjeté appel de cette décision dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas critiquées.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures transmises par la voie électronique le 2 août 2017, Mme N..., appelante, en conséquence de
-réformer le jugement,
-dire qu'il existait un contrat de travail la liant à la société GOLD PROPERTIES pour la période allant du 5 avril 2011 au 31 août 2013,
-dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-condamner la SARL GOLD PROPERTIES au paiement de la somme de 114 972,82 euros au titre de rappels de salaire pour la période allant du 5 avril 2011 au 31 août 2013,
-condamner la SARL GOLD PROPERTIES au paiement de la somme de 11 497,28 euros au titre des congés payés y afférents,
-condamner la SARL GOLD PROPERTIES au paiement de la somme de 21 750 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
-condamner la SARL GOLD PROPERTIES au paiement de la somme de 18 000 euros au titre des dommages et intérêts pour le préjudice moral et physique subi,
-condamner la SARL GOLD PROPERTIES au paiement de la somme de 3 625 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
-condamner la SARL GOLD PROPERTIES au paiement de la somme de 10 875 euros au titre du préavis,
-condamner la SARL GOLD PROPERTIES au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens.
Aux termes de ses dernières écritures transmises par la voie électronique le 19 juin 2017, la SARL GOLD PROPERTIES, intimée,demande en conséquence de:
-confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme N... de toutes ses demandes pour la période du 5 avril 2011 au 31 décembre 2012.
-voir infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a considéré que pour la période allant du 1er janvier 2013 au 31 mai 2013 les parties étaient dans les liens d'une relation salariale,
Et statuant à nouveau,
-dire que Mme N... ne rapporte pas la preuve de ce que le statut d'auto-entrepreneur par elle revendiqué aurait dégénéré en une relation salariale,
-débouter en conséquence Mme N... de toutes ses demandes au titre de ladite période,
-condamner en tous les cas Mme N... à lui payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure et appel abusifs, ainsi que la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
-condamner Mme N... aux entiers dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 10 janvier 2019.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties et au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les conditions d'existence d'un contrat de travail
En application de l'article L1221-1 du Code du travail, le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun. Il peut être établi selon les formes que les parties contractantes décident d'adopter.
Trois éléments caractérisent le contrat de travail : la fourniture d'un travail, le paiement d'une rémunération et l'existence d'un lien de subordination juridique.
L'existence d'une relation salariée repose sur un lien de subordination caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Elle ne dépend par ailleurs ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leurs conventions, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle.
En l'absence d'apparence d'un contrat de travail, c'est à celui qui invoque son existence d'en établir la preuve. revanche, en présence d'un contrat de travail écrit ou apparent, c'est à celui qui entend en contester l'existence de démontrer son caractère fictif.
Par ailleurs, un mandat social n'est pas incompatible avec un contrat de travail. Toutefois, pour que le cumul soit possible, le contrat de travail doit correspondre à un emploi effectif s'entendant de fonctions techniques distinctes de celles de direction, donnant lieu en principe à rémunération distincte, exercées dans le cadre d'un lien de subordination vis à vis de la société et dans des conditions exclusives de toute fraude à la loi.
Ces règles sont applicables aux fonctions de dirigeant, le lien de subordination étant caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Il appartient également à celui qui détient un mandat social qui se prévaut d'un contrat de travail d'en apporter la preuve.
Mme N... fait grief au conseil de prud'hommes d'avoir dénié l'existence d'un lien de subordination, alors qu'il résulte de la centaine de mails produits contenant de véritables instructions qu'elle était placée sous la subordination de la SARL GOLD PROPERTIES,
qu'en lui accordant des sommes à titre de rappel de salaire et d'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité de licenciement ne lui ayant pas été versée en raison de son ancienneté inférieure à un an, la juridiction prud'homale a implicitement reconnu la relation de travail salariée,
que la décision du conseil est incohérente dès lors qu'il a refusé de requalifier le mandat social en contrat de travail, mais a reconnu que des salaires lui étaient dus à compter du 1er janvier 2013, date de son installation en qualité d'auto-entrepreneur jusqu'au 31 mai 2013, sans pour autant requalifier la relation en contrat de travail et a considéré qu'à dater du 1er juin 2013, date à laquelle elle avait créé sa propre structure, plus aucun salaire ne lui était dû, sans rechercher si la SARL GOLD PROPERTIES était sa seule cliente.
Elle reproche encore au conseil de ne pas avoir statué sur ses demandes au titre du travail dissimulé, du harcèlement moral et de dommages et intérêts en découlant.
Sur la relation entre les parties sur la période du 5 avril 2011 au 31 décembre 2012
Mme N... fait valoir qu'elle avait en charge la gestion des biens personnels de Mr Q... , que celui-ci refusait de s'acquitter des honoraires de gestion auprès de la SARL GOLD PROPERTIES et de la rémunérer pour le travail effectué, qu'il a profité de son statut d'associé pour échapper au paiement des cotisations sociales en sa qualité d'employeur, qu'elle était tenue de suivre ses instructions et était soumise à son contrôle ,
que les informations lui étaient parfois transmises par le personnel extérieur sur autorisation de Mr Q... ,
que lui seul était en relation avec les fournisseurs et réglait les litiges avec les locataires, leur adressant les lettres de relance,
qu'elle ne s'est jamais auto rémunérée en 2013, comme prétendu, les sommes perçues correspondant au paiement de ses prestations en qualité d'auto-entrepreneur, lesdits paiements ayant été validés par le service comptable,
que Mr Q... reconnaissait qu'elle n'avait aucun pouvoir au sein de la société (Mail du 13/09/2013), de sorte qu'elle ne saurait être qualifiée de gérant de fait.
Elle ajoute que les associés non gérants travaillant dans la société contre rémunération peuvent être assujettis au régime général à condition de ne pas s'immiscer dans la gestion de la société,
qu'elle n'a jamais reconnu exercer bénévolement la fonction de syndic, que le syndic bénévole doit en tout état de cause, être propriétaire de lot, que lesdites fonctions étaient au demeurant occupées par la SCI LAVICO, qui appartient également à Mr Q... ,
qu'elle n'a jamais bénéficié d'aucune indépendance ni d'aucune autonomie de sorte que le lien de subordination est manifeste et le mandat social devra être requalifié en contrat de travail.
Elle produit sa carte professionnelle établie le 30 septembre 2011 qui mentionne sa qualité de directrice ainsi que de nombreux courriels échangés avec Mr Q... , notamment les :
-13 septembre 2011 « je te prie de m'envoyer la copie de la lettre que j'ai envoyée à ... Et non leur répondre»
-29 septembre 2011 «s'il ne t'appelle pas merci d'appeler son bureau..»,
-22 novembre 2011 «je vous envoie e-mail envoyé à.... Si vous pouvez la contrôler et me l'envoyer correcte...»,
-05/04/2012 de Mme N... : « Cher V..., ce matin j'étais à la résidence la California' Il propose de payer par deux mois d'avance. Le prix est de 5 000 euros charges incluses. J'attends tes instructions.»
-En réponse aux mails du 17/04/2012 et du 24/04/2012 :
« Cher V..., (') Concernant les travaux à faire sur la terrasse du 304,.... J'attends tes instructions.»
- courriel du 09/11/2012 : « Dear U..., je souhaite que vous preniez soin des questions suivantes (') Je m'attends à recevoir une réponse sur ces points. »
-Mail du 10/11/2012 : « Chère U..., je réponds à réponse d'hier (') Je m'attends à recevoir une réponse sur ces points ».
-Réponse de Mme N... : « Bonjour V..., j'ai pris note de tes instructions pour tous les points 1 ' 2 ' 3 ' 4 ' 5 ' 6 je ferai le nécessaire lundi. Pour le point 7, M... est en vacances jusqu'à dimanche. Concernant le point 8, la SCI LAVICO présente un solde débiteur de 9 153,50 euros (') LAVICO se doit de payer ses charges. »
-courriel du 15/08/2011 : « Bonjour R..., je t'autorise soit à délivrer la copie de tous les budgets annuels de la SARL GOLD PROPERTIES à D... N... soit aux attestations qu'elle t'a envoyées »,
La SARL GOLD PROPERTIES conteste l'existence d'un contrat de travail la liant à Mme N....
Elle fait valoir que les écrits par Mr Q... concernent des envois de pièces, des demandes d'information ou de documents, des demandes ponctuelles d'effectuer des démarches ou formalités et prises de contact,
que Mme N... n'a jamais bénéficié d'un mandat social et par conséquent, aucune requalification ne peut être envisagée,
que Mme N... a profité des liens privilégiés qui existaient à l'époque avec le gérant pour solliciter et obtenir 30 % des parts de la société avant de démissionner, dans le dessein, non, d'en devenir salariée, mais de gérer la société,
qu'elle s'est comportée en réalité tel un gérant de fait, qui s'est auto rémunérée, divers chèques ont ainsi été émis pour son propre compte entre le 26/09/2011 et le 22/10/2013), pour un montant total de 26.775,13 euros, des virements ont été effectués entre le 8 mars 2011 et le 13 mai 2013, à partir du compte BRE de la société pour un montant total de 16.114,21 euros, outre plusieurs retraits espèces, entre le 27 avril 2012 et le 8 août 2013, à hauteur de 6.700 euros.
qu'en première instance, elle a opportunément affirmé avoir été incitée par Mr Q... à s'installer en tant qu'auto-entrepreneur, aux fins de revendiquer un rappel de salaire du 1er janvier au 31 août 2013,
qu'elle ne s'est jamais préoccupée de ce statut de salariée, ni n'a effectué de démarches auprès de la SARL GOLD PROPERTIES pour continuer à bénéficier d'une couverture d'assurance maladie et/ou d'une continuité de son régime de retraite, ou adressé de réclamation à son prétendu employeur,
qu'elle a déposé une plainte à l'encontre de la salariée pour escroquerie et abus de biens sociaux le 23 février 2015, qui s'inscrit dans un contexte de détournement de fonds au préjudice de la SCI LAVICO, qui la met en cause, dans le cadre d'une plainte avec constitution de partie civile déposée le 9 octobre 2014,
que Mme N... bénéficiait encore d'un véhicule appartenant à la société gracieusement mis à sa disposition, qui n'a été restitué que sous la menace de plainte pénale,
qu'elle a par ailleurs continué, après son départ, à utiliser le chéquier et la carte de crédit de la société.
La cour relève à titre liminaire que Mme N..., associée minoritaire, ne peut solliciter la requalification d'un «mandat social», dont elle n'est pas titulaire, en contrat de travail, qu'en réalité, sa demande vise à requalifier la relation existante entre les parties en contrat de travail, ledit contrat devant répondre aux exigences ci-dessus rappelées,
que la SARL GOLD PROPERTIES, pour sa part, ne peut non plus prétendre, au regard des éléments du dossier, que Mme N... a endossé la qualité de gérant de fait, lequel exerce les mêmes missions que le gérant de droit, dès lors qu'en la personne de son gérant, elle lui déniait en avoir les pouvoirs et reconnaissant même prendre toutes les décisions essentielles liées à la vie de la société.
La cour relève encore qu'à l'examen des nombreux courriels versés aux débats par Mme N..., il n'est pas discutable qu'elle avait coutume d'en référer au gérant, que s'il n'est pas surprenant que les actions au bénéfice de la société ne soient engagées qu'après avoir obtenu l'aval de son dirigeant, force est de constater que ce mode de fonctionnement visant à donner des instructions de façon quasi systématique en toute matière, induisant de fait un contrôle de l'activité et une absence totale d'autonomie, s'inscrit dans le cadre de relations allant bien au-delà de simples échanges entre un dirigeant et son associée,
qu'outre le fait que la SARL GOLD PROPERTIES déterminait unilatéralement les conditions d'exécution du travail, Mme N... était maintenue de façon permanente à sa disposition,
que ces éléments constituent un faisceau d'indices caractérisant l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives et d'en contrôler l'exécution.
Le jugement du conseil de prud'hommes sera en conséquence infirmé en ce qu'il a dit que la relation de travail sur la période considérée n'était pas établie et a débouté Mme N... de sa demande de requalification.
Il conviendra en conséquence de requalifier la relation entre les parties sur la période du avril 2011 au 31 décembre 2012 en contrat de travail salarié.
Mme N... précise qu'en vertu de la convention collective applicable, elle pouvait prétendre, en qualité de directrice d'agence, statut cadre, coefficient X, à un salaire mensuel brut de 3 625 euros.
Elle réclame une somme de 75520,75 euros, outre les congés payés y afférents, selon le détail suivant :
Du 5 avril au 30 avril 2011 : 3625 ÷ 30 = 120,83 euros par jour. 120,83 x 25 jours = 3020,75 euros
- Du 1er mai au 31 décembre 2011 : 3 625 x 8 = 29 000 euros
- Du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2012 : 12 x 3 625 = 43 500 euros.
La SARL GOLD PROPERTIES soutient, sans le démontrer, que Mme N... s'est octroyée entre 2011 et 2013 une somme de 49 589,34 euros en sa qualité de gérante de fait, et qu'elle s'est auto-rémunérée en 2013.
Elle prétend en outre avoir été victime d'escroquerie et abus de biens sociaux et avoir déposé plainte contre Mme N... en 2015, dans un contexte de détournement de fonds au préjudice de la SCI LAVICO. Elle ne justifie toutefois aucunement des suites qui ont été réservées aux plaintes en cause, l'objet de ces plaintes n'ayant au demeurant aucun lien avec la demande de requalification en contrat de travail salarié.
Il sera octroyé à Mme N... la somme réclamée de 75520,75 euros à titre de rappel de salaire au titre de la période considérée.
Sur le statut d'auto-entrepreneur
Selon l'article L.8221-6 du Code du travail, dans sa version applicable au litige :
« Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu immatriculation ou inscription :
1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales ;
2° Les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l'article L.213-11 du Code de l'éducation ou de transport à la demande conformément à l'article 29 de la loi N°82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs ;
3° Les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés;
4° Les personnes physiques relevant de l'article L. 123-1-1 du Code de commerce ou du V de l'article 19 de la loi N°96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat.
II. - L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.
Dans ce cas, la dissimulation d'emploi salarié est établie si le donneur d'ordre s'est soustrait intentionnellement par ce moyen à l'accomplissement des obligations incombant à l'employeur mentionnées à l'article L. 8221-5.
Le donneur d'ordre qui a fait l'objet d'une condamnation pénale pour travail dissimulé en application du présent II est tenu au paiement des cotisations et contributions sociales à la charge des employeurs, calculées sur les sommes versées aux personnes mentionnées au I au titre de la période pour laquelle la dissimulation d'emploi salarié a été établie. »
Mme N... fait valoir que sous le couvert du statut d'auto-entrepreneur, elle exerçait en réalité une activité salariale, qu'elle s'est inscrite en cette qualité à la demande de Mr Q... , qu'elle a toujours été salariée de la SARL GOLD PROPERTIES, qu'aucun contrat de prestation de services n'a été signé et la SARL GOLD PROPERTIES était son seul client, dont elle était tenue de suivre ses directives.
Elle réclame une somme de 29 000 euros, outre les congés payés sur la période du 1er janvier au 31 août 2013.
Il résulte des éléments du dossier que la relation entre les parties s'est poursuivie dans les mêmes conditions que sur la période précédente, que du reste, aucun contrat de prestation de services n'a été régularisé entre les parties, que Mme N... travaillait en outre exclusivement pour le compte de la SARL GOLD PROPERTIES et a perçu en contrepartie une rémunération en contrepartie du travail fourni.
L'ensemble de ces éléments établit l'existence d'un lien de subordination juridique permanent entre Mme N... et la SARL GOLD PROPERTIES, pendant la période en cause, ainsi que l'existence d'une rémunération, qui permet de détruire la présomption légale de non salariée résultant de la déclaration d'auto-entrepreneur de Mme N... et de qualifier le travail ainsi accompli au profit de la SARL GOLD PROPERTIES, en travail salarié, et ce, indépendamment de la qualification donnée par les deux parties.
Mme N... a créé une société à compter du 1er juin 2013, expliquant qu'elle a dû quitter la SARL GOLD PROPERTIES, dans la mesure où elle peinait à lui régler un salaire pour le travail effectué.
Il lui sera en conséquence alloué la somme de 3700,69 euros à titre de rappel de salaire, comme déterminé par le conseil de prud'homme ( salaires dus du 1er janvier au 31 mai 2013 : 18 125 :euros - sommes perçues : 14 424,31 euros), outre les congés payés y afférents à hauteur de 1812,50 euros.
Mme N... sollicite une somme de 3625 euros à titre d'indemnité légale de licenciement.
Compte tenu de ce qui précède, la rupture de la relation de travail, résultant des manquements de l'employeur, produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il sera en conséquence fait droit à la demande et la SARL GOLD PROPERTIES condamnée au paiement de la somme de 3625 euros.
Mme N... peut également prétendre à un préavis correspondant à trois mois de salaires, soit 10 875 euros.
Sur le travail dissimulé
L'article L 8223-1 du Code du travail dispose : « En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire. »
Mme N... soutient que la SARL GOLD PROPERTIES a dissimulé son emploi au sein de l'agence GOLD PROPERTIES dans le but d'échapper au paiement des charges sociales, qu'elle a de fait travaillé en totale illégalité, ce qui justifie l'octroi de l'indemnité précitée.
il est établi au vu des pièces de la procédure que la SARL GOLD PROPERTIES s'est intentionnellement soustraite à ses obligations d'employeur à l'égard des organismes sociaux en recourant aux services de Mme N... pour effectuer un travail, d'une part, puis en lui versant des honoraires sous couvert du statut d'auto entrepreneur, d'autre part, alors que celle-ci était dans un lien de subordination juridique, soit à l'égard d'un employeur, soit d'un donneur d'ordre, ce qui a justifié la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail sur l'ensemble de la période.
Dès lors, et sur le fondement de l'article L.8223-1 précité, Mme N... est fondé à solliciter l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé égale à six mois de salaire.
La SARL GOLD PROPERTIES est condamnée à payer à Mme N... la somme de 21 750 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé.
Le jugement déféré est infirmé en ce qu'il a rejeté la demande.
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L1152-1 du Code du travail : «Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel».
Selon l'article L1154-1 du Code du travail alors applicable, le salarié présente des faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
La seule obligation du salarié est donc de faire état de faits précis et concordants, à charge pour le juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.
Le harcèlement moral ne saurait par ailleurs se déduire de la seule altération de la santé du salarié.
Mme N... fait valoir qu'elle était sous l'emprise permanente de Mr Q... , y compris le dimanche et les jours fériés,
que ce dernier a exercé des violences physiques à son encontre,
qu'il a menacé les clients qui s'adressaient à elle leur indiquant qu'elle n'avait aucun pouvoir dans la société,
qu'il a tenté de l'intimider après qu'elle a saisi le Conseil de prud'hommes le 1er août 2014, déposant par suite plainte contre elle pour abus de confiance le 6 octobre 2014.
Elle indique que les faits se sont poursuivis après son départ de l'agence.
Elle produit aux débats :
-une photographie montrant son visage tuméfié,
-une attestation de Mr Y... datée du 12 avril 2014, déclarant «le 12 juillet 2011, Mme N... m'a téléphoné en pleurs et en panique suite à l'agression physique qu'elle venait de subir par Mr Q... . Je me suis rendu à son domicile...Mr Q... , toujours présent sur les lieux. Je lui ai conseillé de se rendre immédiatement au commissariat pour déposer plainte mais par peur de représailles, elle n'a pas voulu effectuer de plainte. J'ai néanmoins pris une photo afin de prouver la violence de l'agression.
...le 13 avril 2013, ...Mme N... m'attendait dans son véhicule, côté conducteur vitre ouverte, Mr Q... à 'extérieur côté conducteur. C'est alors que j'ai vu Mr Q... vouloir frapper violemment du poing Mme N..., mais heureusement que celle-ci a eu le réflexe de remonter la vitre...»,
-une attestation conjointe établie le 10 avril 2014 par Mr et Mme B..., voisins de Mme N..., relatant des faits qui se seraient déroulés en avril et mai 2013, «un homme est arrivé...et a tout de suite commencé à donner des ordres à Mme N..., de manière autoritaire, voire menaçante (celui-ci s'exprimait avec un léger accent italien la critiquant ouvertement sur sa négligence, en particulier sur la propreté d'une voiture...et lui a demandé durement de la laver entièrement...Mme N... s'est exécutée prestement, pendant ce temps, l'homme la houspillait à haute voix, disant que s'il n'était pas là tout irait à vau-l'eau ..» «suite à plusieurs appels téléphoniques...Mme N... nous a demandé notre présence, car Mr Q... voulait absolument coucher chez elle et non à l'hôtel, elle avait alors prétexté la présence de ses parents, ce qui était faux, pour lui refuser l'hébergement. Mais craignant une riposte violente suite aux propos autoritaires et exigeants entendus, mon mari et moi sommes restés très vigilants tout le week-end...».
La SARL GOLD PROPERTIES fait valoir qu'aucune plainte n'a été déposée à l'encontre du gérant pour les faits répréhensibles qui lui sont reprochés, qu'aucune preuve ou offre de preuve d'un ou plusieurs faits précis susceptibles de caractériser le délit de violences volontaires n'est rapportée.
Aux termes de l'article 1152-1 précité, les agissements de harcèlement moral doivent avoir pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Les faits allégués postérieurs au départ de la salariée de l'entreprise, en particulier les tentatives d'intimidation à compter d'août 2014, ne sauraient être retenus et fonder une demande de dommages et intérêts, de même que les faits de menaces qui ne la visent pas personnellement, mais«les clients qui s'adressaient à elle».
Pour étayer les faits de violences physiques et pressions morales exercées, il est produit deux attestations d'un ami et de voisins. Les déclarations de Mr et Mme B... ne permettent pas d'identifier une situation de harcèlement moral et celles de Mr Y..., qui mettent en cause Mr Q... , qui conteste en être l'auteur, ne sont corroborées par aucun élément objectif. Au demeurant, aucune plainte n'a été déposée et aucun certificat médical n'est produit.
Les éléments décrits par la salariée ne permettent pas de caractériser une situation de harcèlement moral, de sorte que sa demande de dommages et intérêts sera rejetée.
Sur la réparation du préjudice physique et moral
Mme N... fait valoir qu'elle a travaillé assidument pour la SARL GOLD PROPERTIES, sans jamais percevoir la moindre rémunération, qu'elle a toujours fait preuve d'une totale loyauté envers la société, qu'elle s'est retrouvée démunie, sans aucun revenu et sans logement, qu'elle a subi un préjudice financier du fait de cette situation.
Elle sollicite également réparation pour les violences physiques répétées qu'elle a subies.
Elle chiffre son préjudice à la somme de 18 000 euros.
Mme N... n'établissant pas que Mr Q... est à l'origine des faits de violences dénoncés, le préjudice économique subsistant sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 10 000 euros.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a écarté la demande de ce chef.
Sur les dépens et les frais non-répétibles:
La SARL GOLD PROPERTIES qui succombe dans la présente instance, doit supporter les dépens et il y a lieu de la condamner à payer à Mme N... une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 1000 euros, en sus de celle qui lui a été allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud'homale,
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a
- alloué à Mme N... les sommes de 3 700,69 euros au titre du solde de salaire et de 1812,50 euros au titre des congés payés y afférents
- condamné la SARL GOLD PROPERTIES à payer à Mme N... la somme de 700 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamné la SARL GOLD PROPERTIES aux dépens,
et statuant à nouveau sur le surplus,
requalifie la relation entre les parties sur la période du 5 avril 2011 au 31 décembre 2012 en relation de travail salariée,
requalifie le contrat d'auto-entrepreneur en contrat de travail sur la période du 1er janvier au 31 mai 2013,
Condamne la SARL GOLD PROPERTIES à payer à Mme N... les sommes suivantes:
-75 520,75 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 5 avril 2011 au 31 décembre 2012,
-7 552,07 euros au titre des congés payés y afférents,
- 3 625 euros à titre d'indemnité légale de licenciement.
-10 875 euros à titre de préavis,
-21 750 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé
-10 000 euros au titre du préjudice économique
Y ajoutant,
Condamne la SARL GOLD PROPERTIES à payer à Mme N... une somme de 1000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne la SARL GOLD PROPERTIES aux dépens d'appel,
Déboute les parties du surplus de leurs prétentions.
LE GREFFIER LE PRESIDENT