COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-1
ARRÊT AU FOND
DU 30 AVRIL 2019
A.D
N° 2019/
Rôle N° RG 17/12243 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BAZHK
[W] [U] [V] [D]
C/
L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Copie exécutoire délivrée
le :
à :Me GUIDI
Me BREU LABESSE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 08 Juin 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 15/09479.
APPELANT
Monsieur [W] [U] [V] [D]
né le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 1]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
représenté et assisté par Me Alain GUIDI de l'ASSOCIATION BGDM ASSOCIATION, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant
INTIME
L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT,
dont le siège social est [Adresse 2]
représenté et assisté par Me Marie-laure BREU-LABESSE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Francois-Xavier GOMBERT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 05 Mars 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Mme DAMPFHOFFER, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Anne VIDAL, Présidente
Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller
Madame Laetitia VIGNON, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Patricia POGGI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 Avril 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Avril 2019,
Signé par Madame Anne VIDAL, Présidente et Madame Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Exposé :
Par jugement du 8 juin 2017, le tribunal de grande instance de Marseille a déclaré recevables les demandes de M. [D] en indemnisation des préjudices liés à la saisie du navire Mistral 2, a rejeté la demande d'annulation fondée sur le fonctionnement défectueux du service de la justice, rejeté la demande d'application de l'article 700 du code de procédure civile et condamné M. [D] à verser à l'agent judiciaire de l'État la somme de 1500 € par application de l'article 700 de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens.
Le tribunal retient essentiellement sur le fond que le reproche du demandeur tient à une appréciation juridique erronée de la prescription des infractions en lien avec la saisie des navires, constatée par le jugement du 16 novembre 2009 et confirmée en appel le 2 février 2011; qu'aucun manquement ne peut être retenu contre le service public de la justice du fait d'une application erronée de la loi alors en outre que la relaxe partielle intervenue sur le fondement de la prescription de certaines infractions n'emporte pas démonstration que l'ensemble des décisions ayant refusé la restitution des navires a fait une application erronée de l'article 99-2 du code de procédure pénale ; que par ailleurs, s'agissant du défaut d'entretien et de gardiennage ainsi que de la vente à un prix inférieur à la valeur réelle, le service des domaines qui était en charge de ces opérations relève du ministère de l'économie et des finances et que le service public de la justice ne peut donc être recherché; qu'en ce qui concerne la période s'étant écoulée entre la date de saisie, le 21 mars 2006, et le 14 juin 2006, M [D] a pris acte qu'il devait répondre à toute injonction qui pouvait être faite par les autorités du port relativement à la sécurité des navires et d'autre part que des gardiens des scellés qui étaient les capitaines et marins des navires avaient été nommés pour répondre aux besoins de sécurité et de maintien à flot des navires ; qu'enfin, les dégradations n'ont été relevées que par des constats d'huissier postérieurs à leur remise au service des domaines de sorte qu'aucune dégradation n' est établie avant le 14 juin 2006.
Appel de cette décision a été relevé par M. [D] qui au terme de ses dernières conclusions du 22 janvier 2019, sollicite la confirmation du jugement qui a déclaré recevables ses demandes et sa réformation pour le surplus en demandant de retenir la faute lourde de l'État et en conséquence, de condamner l'agent judiciaire de l'État à lui payer 1'078'122 € pour le préjudice subi pour la vente des navires et 209'711€ au titre du navire Tramontane, subsidiairement, de condamner l'État du chef de cette seule dernière somme, réclamant la somme de 10'000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur l'agent judiciaire de l'État a conclu, pour sa part, le 15 novembre 2017 en demandant de :
- déclarer l'appelant irrecevable pour ses demandes relativement au navire Mistral 2 pour ne pas justifier de sa qualité de propriétaire,
sur le fond,
- confirmer le jugement, constater l'absence de preuve d'une faute lourde, d'un préjudice réel et certain et d'un lien de causalité et rejeter les demandes de l'appelant,
- condamner l'appelant à lui verser la somme de 5000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens.
L'ordonnance de clôture a été prise le 5 février 2019 .
Motifs
Attendu qu'au cours de la procédure pénale dont M. [D] a été l'objet, le juge d'instruction, saisi le 16 janvier 2006 des chefs notamment d'abus de confiance, blanchiment, association de malfaiteurs, abus de biens sociaux, a procédé, le 21 mars 2006, à la saisie des navires, objets du présent contentieux.
Attendu que cette procédure de saisie a ultérieurement conduit à un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 14 juin 2006, rejetant le recours contre l'ordonnance du juge du 18 avril 2006 ayant refusé leur restitution et ordonné leur vente, puis à un arrêt de la Cour de cassation rejetant le pourvoi, l'ordonnance du 18 avril 2006 ayant décidé de la remise des navires à la direction des domaines et l'arrêt de la chambre de l'instruction ayant notamment spécifié que cette procédure d'aliénation était conforme à l'intérêt des requérants dans l'hypothèse d'un non-lieu, d'une relaxe ou du prononcé de la peine complémentaire de la confiscation.
Attendu que le service des domaines a procédé à l'aliénation de quatre navires entre les mois de juin et juillet 2007 ; que le navire Tramontane n'a pas été vendu.
Attendu que la procédure au fond a, par ailleurs, donné lieu à un arrêt de la même cour du 2 février 2011 qui, infirmant partiellement le jugement du tribunal correctionnel, a condamné l'appelant à deux ans d'emprisonnement dont un an assorti du sursis simple, qui a confirmé le jugement en ce qu'il avait prononcé une interdiction d'exercer l'activité de transport maritime de passagers pendant cinq ans et qui, à titre de peine complémentaire, a confisqué certains navires et ordonné la restitution, en application de l'article 99 -2 du code de procédure pénale, de cinq navires, à savoir, le Pharaon, le Mistral 2, le Tramontane, le Château d'If, et le Ville de Marseille, à leurs propriétaires, le GACM, M. [Y] et M. [D], la Cour de cassation ayant rejeté le pourvoi formé à son encontre le 5 décembre 2012.
***
Sur la qualité à agir de M. [D] en ce qui concerne le navire Mistral 2:
Attendu que l'appelant fait de ce chef état de ce qu'il est administrateur égalitaire du groupement d'intérêt économique dit GACM et qu'en cette qualité il serait propriétaire à 50 % du navire .
Mais attendu qu'il ne démontre pas sa qualité personnelle de propriétaire du navire et que sa qualité d'administrateur égalitaire qui ne lui confère que le pouvoir de représenter le groupement dans ses rapports avec les tiers en application de l'article 8-3 des statuts, ne lui donne précisément pas cette qualité à concurrence de 50% ainsi qu'il le prétend.
Que l'acte de francisation est établi au nom du groupement, que la restitution du navire avait été demandée devant le juge d'instruction par le seul groupement et qu'elle a également été ordonnée par la cour dans un arrêt désormais définitif au même groupement, le courrier de l'administration fiscale et celui du parquet général du 8 juillet 2013 étant inopérants à mettre à néant ces observations ainsi que l'analyse ainsi faite, étant observé qu'il n'est nullement allégué que le GCAM aurait été dissout ou liquidé;
Attendu que M [D] n'est donc pas recevable en la demande formulée pour le navire Mistral 2, étant souligné que dans le dispositif de ses conclusions qui seul lie la cour, il présente ses demandes en paiement, à titre personnel et en son seul nom, pour tous les navires, et qu'il n'y revendique donc nullement l'indemnisation au titre du navire dénommé Mistral 2 en sa qualité de représentant du GACM;
Attendu que le jugement sera de ce chef réformé.
Sur la faute lourde de l'État :
Attendu que M. [D] prétend avoir subi un ensemble de négligences caractérisant la faute lourde, soulignant que la procédure de saisie et de remise aux fins d'aliénation a été validée comme conforme à ses intérêts et que cependant, la réalité a révélé que la procédure avait été contraire à ses intérêts.
Attendu que le premier grief fait par M. [D] relativement au fonctionnement défectueux du service public de la justice consiste à affirmer que les saisies réalisées l'ont été malgré la prescription des infractions alors qu'une simple appréciation juridique aurait permis d'éviter ses conséquences préjudiciables ; que la prescription était avérée en ce qui concerne l'infraction poursuivie, fondement des saisies; qu'il a été à juste titre relaxé par la cour d'appel pour les délits de faux et usage de faux ainsi que d'obtention indue de documents administratifs concernant les navires qui lui ont donc été, à bon droit, restitués ; que la juridiction aurait dû, par précaution, se garder de procéder aux saisies puisque les infractions se sont avérées prescrites; qu'il n'a pu que prendre acte de la saisie et que l'aliénation sans titre définitif est une mesure de dépossession du droit de propriété, droit constitutionnel.
Mais attendu qu'en l'absence d'utilisation des bateaux , il n'est pas contesté que s'ils restaient saisis sans naviguer, ils présentaient un risque de dévaluation; qu'en ce sens la procédure décidée quant à la saisie et à l'aliénation ne peut être critiquée comme non conforme aux intérêts du propriétaire ;
Que s'agissant, par ailleurs, du grief tiré de ce que les saisies ont été pratiquées dans le cadre d'une procédure qui finalement a donné lieu à une relaxe pour prescription, le moyen n'est pas opérant dès lors qu'il relève de la critique des décisions rendues par le juge d'instruction le 18 avril 2006, confirmée par la chambre de l'instruction le 14 juin 2006 et de la décision de rejet de la Cour de Cassation du 23 janvier 2007 , qu'il ne peut être exercé une voie de recours autre contre les décisions ainsi critiquées que celle prévue par les dispositions légales et qu'il n'est, en outre, pas démontré par l'appelant qu'il ait précisément saisi de ce moyen les juridictions qui ont statué à ce sujet ; que les décisions rendues sont particulièrement motivées par rapport aux exigences des articles 99 et suivants du code de procédure pénale, l'ordonnance du juge d'instruction ayant notamment relevé que la restitution pouvait être refusée lorsque la confiscation est prévue par la loi, ce qui est le cas de l'espèce, que les navires étaient exposés à un risque de continuation des malversations et qu'ils étaient nécessaires à la réalisation des infractions visées par l'information ; que la chambre d'instruction a également retenu que la dépréciation ne manquerait pas de se produire en cas de prolongation vraisemblable de la procédure d'instruction et que l'aliénation des navires apparaissait dans ces conditions conforme à l'intérêt des requérants;
Qu'enfin, il ne peut être considéré qu'il y a une atteinte illégitime au droit de propriété dès lors que les saisies et ventes ont été pratiquées en application des textes susvisés .
Attendu que ces moyens seront donc rejetés.
Attendu que le deuxième grief consiste dans le défaut d'entretien et de gardiennage des navires sur la période du 21 mars 2006 au 18 avril 2006.
Que l'appelant souligne à cet égard qu'il n'a désigné les capitaines et marins que pour les besoins du transport des navires et pour le représenter dans les formalités judiciaires et non pas en qualité de gardiens ; que la mention portée au procès-verbal de saisie émane seulement de l'officier de police judiciaire ; que de surcroît, la société ayant été liquidée, ses salariés ont été licenciés et qu'ils ne pouvaient plus effectuer aucune activité pour le compte de qui que ce soit; que son contrôle judiciaire lui interdisait d'exercer toute activité de gestion et qu'il ne pouvait donc garder les navires sous main de justice ; que d'ailleurs, les scellés sous main de justice sont incompatibles avec la désignation d'un gardien privé.
Mais attendu que pour la période de gardiennage expirant à la date de remise au service des domaines en vue de leur aliénation, M. [D] a signé, les 17 et 21 mars 2006, un procès-verbal par lequel les marins et capitaines des navires saisis étaient désignés non seulement pour assurer le pilotage des navires et le représenter dans les formalités judiciaires, mais également en qualité de gardiens des scellés, pour s'assurer du maintien à flot des navires et répondre aux demandes de sécurité des autorités portuaires; que ce procès-verbal était signé tant par M. [D] que par les capitaines et marins désignés ; qu'ainsi, M [D] a bien accepté que ce soient les marins et capitaines des navires concernés qui assurent, ainsi qu'il y est spécifiquement mentionné, le maintien à flot des navires et répondent aux demandes de sécurité des autorités portuaires ; que ceux-ci ont par ailleurs également accepté la mission qui leur était confiée; Attendu que la circonstance de l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société SACM par jugement du 22 mai 2006 est sans incidence sur les obligations ainsi définies lesquelles sont indépendantes du lien de travail ayant pu unir les marins à cette société ; que l'interdiction d'exercer une activité de gestion est également inopérante sur l'obligation qui pesait sur M. [D], mis en examen dans le cadre de cette affaire, et sur les personnes qu'il avait désignées pour exécuter cette obligation.
Que la survenance des dégradations pendant ce laps de temps n'est enfin pas démontrée vu la date des procès verbaux de constat dressés à ce sujet et ce même si le commandant du Port a avisé le juge d'instruction le 1er avril 2006 de ce qu'il déplorait l'absence d'un gardien permanent et qu'il faisait toute réserve sur la préservation des vedettes sans au demeurant en imputer le grief au service public de la Justice.
Attendu que pour la période postérieure, la responsabilité du service public de la Justice qui a transféré la garde des navires au service des Domaines en les lui remettant pour aliénation ne peut être recherchée, étant à cet égard observé que le service des Domaines n'exerce nullement sa mission sous le contrôle de l'autorité judiciaire, mais de façon indépendante de celle-ci ; qu'il est donc seul responsable de l'exécution de la mission qui lui a été ainsi confiée, le fait que l'ordonnance le désignant mentionne qu'il doit être rendu compte au juge d'instruction s'entendant, non pas de l'exécution de la mission devant conduire à l'aliénation qui s'exerce sous sa seule responsabilité, mais de son seul résultat, la confiscation judiciaire ayant pour effet de déplacer le gage constitué par la saisie des bateaux sur le prix résultant de leur aliénation; que le service public de la Justice ne peut, dans ces conditions, s'immiscer dans la vente des navires et la garde qui l'a précédée; qu'enfin, dès lors que le service des Domaines est légalement investi d'une telle mission, par ailleurs donnée en application des textes du code de procédure pénale, aucun grief ne peut, non plus, être fait relativement à la décison de remettre les navires à ce service sans s'assurer qu'il était en mesure de les surveiller correctement jusqu'à la date de leur cession et sans s'assurer qu'il était en capacité de céder les biens pour un prix correspondant à leur valeur telle que prétendue.
Que la question de la compétence judiciaire pour apprécier de la responsabilité du service des Domaines n'a pas à interférer avec celle de détermination des responsabilités en cas de faute reprochée aux Domaine et commise dans l'exécution d'une mission, même si elle lui a été confiée par une décision du service public de la Justice.
Attendu par suite, qu'aucun dysfonctionnement ne pouvant être retenu quant aux décisions juridictionnelles et qu'aucune faute ne pouvant être considérée comme susceptible de constituer une faute lourde imputable au fonctionnement défectueux du service de la Justice postérieurement à la décision du juge d'instruction confiant les navires pour aliénation au service des Domaines, l'appelant sera débouté des fins de son recours et que le jugement sera confirmé, sauf en ce qui concerne sa recevabilité à agir relativement au bateau dénommé
Mistral 2 .
Vu les articles 696 et suivants du code de procédure civile.
Par ces motifs
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
Rejette les demandes de M. [D] et confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne sa recevabilité à agir relativement au bateau dénommé Mistral 2 et statuant à nouveau de ce chef :
Le déclare irrecevable en sa demande relative audit bateau,
y ajoutant :
Condamne M. [D] par application de l'article 700 du code de procédure civile à verser à l'agent judiciaire de l'État à la somme de 1500 €,
Condamne M [D] aux dépens et en ordonne la distraction en application de l'article 699 du Code de Procédure Civile .
LE GREFFIER LE PRESIDENT