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25/04/2019 | FRANCE | N°18/04307

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-6, 25 avril 2019, 18/04307


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6



ARRÊT AU FOND

DU 25 AVRIL 2019



N° 2019/160

N° RG 18/04307 -

N° Portalis DBVB-V-B7C-BCCXW







[F] [A]





C/



Organisme FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES DE TERRORIS ME ET D'AUTRES INFRACTIONS





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Marie-Anne COLLING



Me Alain TUILLIER









Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 13 Février 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 16/11478.





APPELANT



Monsieur [F] [A]

né le [Date naissance 1] 1983 à [Localité 1]

de nationalité Française, ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6

ARRÊT AU FOND

DU 25 AVRIL 2019

N° 2019/160

N° RG 18/04307 -

N° Portalis DBVB-V-B7C-BCCXW

[F] [A]

C/

Organisme FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES DE TERRORIS ME ET D'AUTRES INFRACTIONS

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Marie-Anne COLLING

Me Alain TUILLIER

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 13 Février 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 16/11478.

APPELANT

Monsieur [F] [A]

né le [Date naissance 1] 1983 à [Localité 1]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représenté et plaidant par Me Marie-Anne COLLING de la SELARL LSCM & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIME

FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Alain TUILLIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 26 Février 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Anne VELLA, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Olivier GOURSAUD, Président

Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller

Madame Anne VELLA, Conseiller rapporteur

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Jocelyne MOREL.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Avril 2019.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Avril 2019,

Signé par Monsieur Olivier GOURSAUD, Président et Madame Jocelyne MOREL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Exposé des faits et procédure

Par jugement du 11 mai 2005, le tribunal correctionnel de Marseille a condamné M. [B] [I] et M. [F] [A] pour des faits de violence commis le 2 juillet 2003 sur la personne de M. [J] [Y].

Saisi par M. [Y] de l'indemnisation de ses préjudices, le président de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions pénales (Civi) de Marseille lui a alloué une provision de 5000€ à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice et une expertise a été confiée au docteur [E] pour évaluer les conséquences médico-légales de l'agression.

M. [Y] n'ayant pas déféré aux convocations, par ordonnance du 3 juin 2009, le président de la Civi a de nouveau désigné le docteur [E] qui a déposé son rapport définitif le 20 septembre 2009.

Aux termes d'une décision du 5 juillet 2011, la Civi a alloué à M. [Y] une indemnité de 403'237,20€ en réparation de son préjudice corporel.

Par actes des 23 et 27 juillet 2015, et au visa de l'article 706-11 du code de procédure pénale le Fonds de garantie a fait assigner M. [A] et M. [I] devant le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence, pour obtenir leur condamnation in solidum au versement de la somme de 409'037,20€ en remboursement de celles versées à M. [Y] en réparation de son préjudice corporel.

M. [A] ayant soulevé l'incompétence territoriale de cette juridiction, par jugement du 25 août 2015, le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence s'est déclaré incompétent pour connaître de l'affaire en renvoyant la cause et les parties devant le tribunal de grande instance de Marseille.

M. [A] a soutenu que le Fonds de garantie qui a saisi le tribunal dans un délai supérieur à trois ans sans respecter le délai prévu par l'article 706-5 du code de procédure pénale est prescrit, et il a fait valoir que l'état antérieur de M. [Y] n'a pas été pris en compte et qu'une nouvelle expertise s'impose pour le déterminer.

M. [I] n'a pas comparu.

Selon jugement du 13 février 2018, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a :

- rejeté l'exception de prescription ;

- rejeté la demande de nouvelle expertise ;

- condamné in solidum M. [I] et M. [A] à verser au Fonds de garantie, subrogé dans les droits de M. [Y], avec intérêts au taux légal à compter du jugement la somme de 409'037,20€ versée en réparation de son préjudice corporel ;

- condamné in solidum M. [I] et M. [A] à payer au Fonds de garantie la somme de 1000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction.

Il a jugé que le délai de trois ans prévu par l'article 706-5 du code de procédure pénale s'applique à la victime mais non pas à l'action récursoire engagée par le Fonds de garantie, soumise à la prescription prévue par l'article 2226 du code civil instaurant un délai de dix ans à compter de la date de consolidation, soit en l'espèce à compter du 18 mai 2006 de telle sorte que l'action engagée par assignation des 23 et 27 juillet 2015 par le Fonds de garantie n'est pas prescrite.

En rappelant que les responsables de dommage doivent être condamnés à le réparer en totalité à la condition que les différents faits générateurs de responsabilité soient indissociables ou qu'ils aient produit un dommage unique et indivisible, le tribunal a considéré que les éléments de l'enquête ne permettent pas de caractériser des faits distincts ayant occasionné un préjudice divisible dont il serait possible d'attribuer chaque partie à leur auteur s'agissant de violences commises en réunion qui ont contribué par les fautes respectives des deux protagonistes à occasionner l'entier dommage, et il a donc jugé que M. [A] et M. [I] sont tenus in solidum au paiement de la réparation du préjudice corporel subi par M. [Y].

Il a estimé qu'il ne pouvait être reproché à l'expert d'avoir omis de tenir compte de séquelles antérieures dont la réalité ne résulte d'aucun élément objectif.

Après avoir relaté qu'à l'occasion de l'agression M. [Y] a présenté un traumatisme crânien grave avec un coma d'une semaine, un hématome sous dural fronto pariétal gauche, une contusion cérébrale avec 'dème, une hémorragie méningée, des fractures des os propres du nez et des contusions, le tribunal a estimé que les indemnisations devaient être évaluées à la somme de 408'237,20€ outre une somme de 800€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile soit au total la somme de 409'037,20€ que M. [A] et M. [I] ont été condamnés à verser in solidum au Fonds de garantie.

Par déclaration du 8 mars 2018, uniquement dirigée à l'encontre du Fonds de garantie, dont la régularité et la recevabilité, ne sont pas contestées, M. [A] a relevé appel de ce jugement dans l'ensemble de ces dispositions en ce qu'il a :

- rejeté l'exception de prescription ;

- rejeté la demande de nouvelle expertise ;

- condamné in solidum M. [I] et M. [A] à verser au Fonds de garantie, subrogé dans les droits de M. [Y], avec intérêts au taux légal à compter du jugement la somme de 409'037,20€ versée en réparation de son préjudice corporel ;

- condamné in solidum M. [I] et M. [A] à payer au Fonds de garantie la somme de 1000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction,

et rejeté la demande subsidiaire tendant à l'octroi de délais de règlement.

Prétentions et moyens des parties

Selon ses conclusions du 7 juin 2018, M. [A] demande à la cour de :

' juger que le lien de causalité entre l'état de la victime et les faits du 2 juillet 2003 n'est pas établi ;

' réformer le jugement ;

à titre subsidiaire, vu la causalité incertaine et le fait de la victime,

' réduire dans de notables proportions sa condamnation ;

à titre subsidiaire encore,

' juger que sa faute n'est que partiellement à l'origine du préjudice subi ;

' réduire en conséquence dans de notables proportions les sommes revenant au Fonds de garantie ;

' dire n'y avoir lieu à application de l'article 700 au bénéfice du Fonds de garantie ;

' le condamner au paiement d'une indemnité de 2500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il soutient qu'il n'y a pas de lien de causalité entre les faits reprochés et l'état de la victime, en soulignant qu'un délai de plus de six ans s'est écoulé entre l'agression et l'examen par l'expert médical, qui a indiqué dans son rapport qu'auparavant, M. [Y] était quasi SDF, toxicomane, alcoolique et désociabilisé et en définissant son état antérieur comme une trajectoire 'apocalyptique'. L'appelant fait état de plusieurs procédures dans lesquelles le nom de M. [Y] a été cité entre le 24 décembre 1997 et le 6 mars 2001 notamment pour des faits d'agression physique. Il signale par ailleurs que dans son expertise, l'expert indique que M. [Y] a été victime de nouvelles agressions en février 2004, avril 2004 et mai 2007, dont l'une a engendré un traumatisme crânien, et pour lesquelles il a été expertisé par un médecin légiste en mai 2007. En raison du mode de vie atypique et des agressions à répétition, il estime qu'il y a une rupture de la chaîne causale entre l'état constaté par le docteur [E] et les événements du mois de juillet 2003.

Il soutient par ailleurs que le mode de vie de la victime a participé à son dommage puisqu'il présente un profil toxicologique et alcoolique aigu depuis des années, qui entre nécessairement en ligne de compte dans son état de santé. Ce mode de vie est au moins partiellement à l'origine de son état de délabrement moteur et psychologique.

À titre subsidiaire, il fait valoir que M. [Y] a participé à la réalisation de son dommage puisque la dispute trouve son origine dans le comportement répréhensible qu'il a adopté en injuriant sa compagne qui est également la s'ur de M. [I]. Il soutient qu'il résulte de l'ensemble des circonstances de la bagarre que les premiers coups de poing qu'il a portés à M. [Y] ne peuvent être la cause de l'incapacité dont il demeure atteint à ce jour. En effet ces coups n'ont pas engendré de coma. En revanche, il est avéré que par la suite il a chuté violemment sur le sol ou il a été roué de coups. Les séquelles dont il demeure atteint ne sont pas en lien avec les coups que lui-même a portés.

Par conclusions du 11 juillet 2018, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions demande à la cour, de :

' écarter des débats par application des articles 16 et 135 du code de procédure civile, toutes les pièces qui n'ont pas été effectivement communiquées sous bordereau devant la cour ;

' juger que le lien de causalité entre les séquelles décrites par le professeur [E] et les violences commises par messieurs [A] et [I] est parfaitement établi au regard notamment du certificat initial de l'unité de médecine légale, mais aussi du certificat délivré ultérieurement par le centre de rééducation Valmant, et par les constatations et conclusions de l'expert médical ;

' constater qu'il n'est pas justifié que les agressions bénignes dont M. [Y] aurait été victime ultérieurement aient eu la moindre incidence sur son état séquellaire, alors notamment que l'une d'elles n'a entraîné qu'une incapacité de deux jours ;

' juger que la preuve n'est pas rapportée que la consommation d'alcool et de cannabis de la victime soit à l'origine de tout ou partie des séquelles décrites par l'expert ;

' constater que M. [A] ne rapporte pas la preuve d'une faute qui aurait été commise par la victime et qui ait pour effet, dans ses rapports avec le Fonds de garantie, légalement subrogé, de limiter ou d'exclure son droit à indemnisation ;

' constater qu'il ressort des propres déclarations de M. [A] aux enquêteurs qu'il avait même craint d'avoir tué M. [Y] tellement les coups qu'il lui a portés étaient violents ;

' confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et condamner M. [A] à lui verser la somme supplémentaire de 1500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Il fait valoir que le mode de vie antérieur de M. [Y] est sans la moindre incidence sur le lien de causalité entre les coups portés par M. [A] et les séquelles dont il demeure atteint.

L'expertise du professeur [E] ne présente aucune lacune et au contraire son rapport particulièrement précis et circonstancié démontre qu'il a tenu compte de tous les éléments invoqués aujourd'hui par M. [A] qui perd totalement de vue les éléments contenus dans le certificat de première constatation des blessures. Sept mois après le traumatisme, le médecin du centre de réadaptation fonctionnelle a indiqué que M. [Y] présentait des troubles cognitifs et des troubles du comportement en rapport avec le traumatisme crânien. En revanche les agressions ultérieures n'ont entraîné aucune séquelle réelle.

Du bout des lèvres, M. [A] avance que M. [Y] aurait commis une faute à l'origine de son dommage, mais sans la démontrer.

D'autre part, il tente de minimiser sa participation alors qu'il est parfaitement établi à la lecture des procès-verbaux qu'il avait conscience de la gravité des coups portés à M. [Y] et qu'il est particulièrement malvenu d'affirmer aujourd'hui qu'il n'aurait asséné que trois coups de poing après lesquels la victime se serait portée comme un charme.

Il n'y a pas le moindre élément objectif prouvant que l'état séquellaire de M. [Y] puisse avoir une autre origine que les violences commises par M. [A] et M. [I].

L'arrêt est contradictoire, conformément à l'article 467 du code de procédure civile.

Motifs de la décision

En vertu de l'article 706-11 du code de procédure pénale le fonds est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction ou tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle le remboursement de l'indemnité ou de la provision versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge desdites personnes.

La Civi fixe la créance de la victime à l'égard du Fonds de garantie mais non la créance qu'il détient à l'égard du tiers responsable. L'indemnité fixée par la Civi n'étant pas opposable à l'auteur des faits délictueux, puisqu'il n'était pas partie à cette instance, M. [A] reste en droit d'opposer au Fonds de garantie les moyens de défense qu'il aurait été en mesure d'opposer à la victime subrogeante et, notamment, de discuter dans le cadre de la présente action récursoire l'existence d'un état antérieur de M. [Y], l'incidence des agressions dont il aurait été victime depuis les faits du 2 juillet 2003, son comportement fautif à l'occasion de ces faits ainsi que l'évaluation des postes d'indemnisation allouée en réparation des préjudices subis.

Sur l'état antérieur et la chaîne causale

M. [A] soutient que M. [Y] présentait un état antérieur à l'agression du 2 juillet 2003, et qu'il ne peut être tenu responsable de l'état actuel de la victime.

Le docteur [T] [E], neurochirurgien a examiné M. [Y] le 18 mars 2009, en présence de M. [U], mandataire judiciaire désigné à ses intérêts par le juge des tutelles, après qu'il ait été défaillant à deux convocations antérieures en septembre 2006 et septembre 2008. L'expert a consigné en préambule de son rapport que M. [Y] aurait été victime en 2001 d'une agression avec traumatisme crânien et hématomes droit et gauche, et de nouveau victime d'agressions les 24 février 2004, 2 avril 2004 et 20 mai 2007.

S'agissant des conséquences des violences dont M. [Y] a été victime le 2 juillet 2003, l'expert a retenu :

- la fiche de transport et la fiche d'admission aux urgences selon lesquelles, il a présenté un impact temporo-pariétal gauche, des traces de coups au niveau de la face et en particulier de l'arcade droite et des plaies, alors que le Glasgow, indicateur de l'état de conscience était à 3 ce qui correspond à un coma profond sur cette échelle qui compte jusqu'à 15. A son arrivée M. [Y] a été admis en service de déchoquage,

- le scanner du 2 juillet 2003, dont le compte rendu précise la présence d'un hématome sous dural fronto-pariétal gauche, une hémorragie méningée frontale droite, un gonflement cérébral, sans fracture de la voûte cérébrale et une intégrité du rachis cervical et des parties molles adjacentes et qui conclut à la présence d'un hématome sous-cutané significatif, petit hématome (contusion suffusion hémorragique) frontal droit, hématome sous dural aigu de 5mm d'épaisseur en région frontale droite jusque dans la région pariétale,

- le compte rendu du séjour en centre de rééducation à [Localité 2] du 21 juillet au 25 août 2003 du docteur [D] qui rappelle les éléments des investigations initiales en ajoutant que M. [Y] présentait alors une hémiplégie gauche, un hématome sous dural fronto-pariétal gauche minime et que lors de l'hospitalisation, une réévaluation neurologique montrait un score à 8 du glasgow, ce qui a permis d'extuber le patient. A la fin de la semaine le galsgow était à 14 avec comme seul problème signalé une agitation. En synthèse au 30 juillet 2003 ce médecin a noté une persistance de l'hémiparésie gauche plutôt flasque, une motricité analytique faible, sur le plan des fonctions supérieures le patient restant ralenti avec des troubles de la mémoire et antérograde une expression lente mais un sujet cohérent,

- le compte rendu du 24 février 2004 du docteur [D] qui retient un traumatisme crânien grave avec coma d'une semaine, un hématome sous dural fronto pariétal gauche, une contusion cérébrale avec oedème, une hémorragie méningée, une fracture des os propres du nez, et une confusion avec désorientation temporo spatiale (DTS),

- le rapport du docteur [B] du 3 septembre 2004 dans le cadre d'une expertise ordonnée au cours de l'instruction pénale sur les faits du 2 juillet 2003 dans lequel il décrit :

* les séquelles neurologiques à savoir un léger déficit moteur du membre supérieur gauche, séquelle de l'hémiparésie apparue dans les suites du traumatisme crânien subi au moment de l'agression,

* les séquelles psychiques à savoir des troubles de la mémoire, troubles de l'attention et de la concentration et un ralentissement idéo-moteur,

et il conclut que :

* les lésions présentées sont compatibles en ce qui concerne l'agression du 2 juillet 2003 avec de violents coups portés avec les poings ou avec les pieds, voire avec des objets contondants.

Le docteur [B] ajoute que les autres agressions n'ont pas laissé de séquelles sur le plan physique : le 24 février 2004 il se fera examiner au service des urgences de l'hôpital [Établissement 1] et rentrera chez lui et que pour les deux autres agressions des 2 avril 2004 et 20 mai 2004, il n'y a eu aucune constatation médicale.

Le docteur [E] va mentionner intégralement les comptes-rendus et bilans pratiqués à l'UREOS.

Il évoque également la notion d'une agression en 2001 en retenant qu'il n'y a pas de réelle certitude et que le frère de la victime a précisé sa biographie, dans laquelle l'expert indique qu'il ne semble pas y avoir de place pour un accident grave.

En conclusions, le docteur [E] a retenu qu'avant les faits, il s'agissait d'un quasi SDF toxicomane, alcoolique, désocialisé et qu'après les faits il s'agit du même individu qui n'a plus ou en tout cas beaucoup moins d'initiative personnelle. Il s'agit d'un trauma crânien avec un score de Glasgow à 3 avec amélioration progressive à 14. Le scanner post traumatique immédiat ne montre pas de lésion encéphalitique grave. Ceci veut dire de façon formelle qu'il n'y en avait pas d'antérieure aux faits qui nous occupent. Un hématome sous dural fronto pariétal gauche ; hémorragie méningée (frontale droite) gonflement cérébral. Contusion frontale antérieure droite et pariétale.... S'il est certain que l'état antérieur de M. [Y] était une trajectoire que l'on a pu qualifier... d'apocalyptique, cette trajectoire aussi atypique qu'elle fut a été brisée par l'agression et le traumatisme crânien du 2 juillet 2003.

La lecture de cette expertise dense en informations médicales, psychologiques et sociologiques, détermine les antécédents de M. [Y], parmi lesquels le docteur [E] n'a pas retrouvé de traumatisme grave en lien avec une agression en 2001. Quant aux agressions de février, avril et mai 2004, il a été répondu par le docteur [B], que la première n'a eu aucune conséquence sérieuse, M. [Y] étant rentré chez lui après un examen au service des urgences et que les deux autres n'ont donné lieu à aucune constatation médicale. La lecture de l'enquête de police révèle que ces trois derniers faits d'agression ont impliqué M. [A] et/ou M. [I], ce qui ne manque pas de témoigner d'un certain aplomb de la part de l'appelant et qu'en outre par jugement du tribunal correctionnel M. [A] a été condamné pour des violences commises le 24 février 2004 sur M. [Y] n'ayant pas entraîné une ITT supérieure à huit jours, avec cette circonstance que les faits ont été commis sur la victime en raison d'une dénonciation, de sa plainte ou de sa déposition.

C'est donc après avoir pris en compte la totalité du contexte personnel de M. [Y] ainsi que les faits dont il a été victime le 2 juillet 2003, que le docteur [E] a conclu en lien direct avec ces faits à la persistance de troubles des fonctions supérieures à savoir des troubles cognitifs de la mémoire, de l'attention, un syndrome dysexécutif, des troubles du comportement avec aboulie, et déficit de motivation et une hémi parésie gauche en fixant un déficit fonctionnel permanent à hauteur de 40%.

En conséquence M. [A] est mal fondé à venir soutenir que la chaîne causale a été rompue entre l'état constaté de la victime et les événements du mois de juillet 2003, ou encore que l'origine de son ébranlement moteur et psychologique serait en lien au moins partiellement avec son mode de vie, l'expertise, qui détermine les séquelles directement imputables aux faits du 2 juillet 2003, répondant de manière précise et circonstanciée à chacun des griefs qu'il a formulés.

Sur le comportement fautif de M. [Y]

La lecture de l'enquête de police apprend que M. [Y] a été retrouvé inconscient au sol devant une station service AGIP à [Localité 1] et conduit aux urgences hospitalières. Les enquêteurs se sont basés sur la déposition de plainte faite par M. [Y] en février 2004 qui les a orientés vers un dénommé [B] [I], connu pour avoir été mis en cause précédemment pour des faits de violences volontaires commis le 23 mars 2002, et un certain [F], identifié plus tard pour être [F] [A], qui auraient été les auteurs des coups qui lui ont été portés.

Interpellé le 2 juin 2004, M. [A] a déclaré qu'il avait un petit compte à régler avec un dénommé '[Y]' qui se révélera être M. [Y], en expliquant que quelques jours avant le 2 juillet 2003, [K] [I] qui était sa petite amie à l'époque lui avait rapporté qu'elle se promenait dans le quartier lorsqu'elle a été accostée par [Y] et un copain à lui, qui la traitent de pute et qui veulent la frapper. Un patron de bar du quartier s'est interposé et '[Y]' et son copain ont quitté les lieux. Le patron du bar l'a informé par téléphone de l'incident et M. [A] a indiqué avoir fait le tour du quartier pour retrouver '[Y]' mais sans succès et il a laissé tomber.

En sortant de son travail de serveur et vers deux heures du matin le 2 juillet 2003, M. [A] s'est arrêté au niveau du Mac Donald [Établissement 2] devant lequel se trouvaient plusieurs jeunes qu'il connaissait et avec qui il dit avoir bu une dizaine de 'Smirnoff', boisson composée de vodka et d'eau gazeuse. Puis comme ils faisaient du bruit, des policiers de la BAC sont intervenus, et ils se sont déplacés sur le parking de la station AGIP. C'est alors qu'il relate avoir vu arriver '[Y]' à la rencontre de qui il est allé, et qui s'est confondu en excuses en précisant qu'il ne savait pas qui était [K] et il a laissé tomber. Puis après un moment il a entendu que le ton montait entre '[Y]' et un des jeunes qui disait : Parle bien de [F] sinon je vais te défoncer. M. [A] a expliqué qu'il s'est alors énervé en voulant sauter sur '[Y]' qui a pris la fuite mais il l'a rattrapé en le frappant à mains nues, puis en lui assénant plusieurs coups de poing en le frappant au visage et sur toutes les parties du corps. Lorsque '[Y]' a chuté estimant que les comptes étaient réglés, il a quitté les lieux. Pris de remords il a dit avoir parlé à sa mère, car a-t-il expliqué aux policiers : j'ai frappé fort et j'ai peur car je crois que je l'ai tué. Sur question il a dit d'abord ne pas se souvenir de la présence de M. [I] sur les lieux, puis lors d'une confrontation il a fini par l'admettre.

Dans sa déposition du 2 juin 2004, M. [Y] a expliqué qu'il sortait de la station AGIP lorsqu'il a été pris à parti par trois jeunes dont M. [A] et M. [I] qu'il connaît de vue, qui se sont approchés de lui et l'ont immédiatement frappé simultanément sans lui parler. Il a pris des coups il est tombé au sol et alors qu'il était déjà sonné, il a reçu un coup de pied dans la tête qui lui a fait perdre connaissance.

M. [I] a reconnu dans son audition/confrontation du 2 juin 2004 qu'il avait poussé '[Y]' qui était tombé en heurtant violemment le sol ce qui lui a fait craindre qu'il soit mort car il était inconscient, puis il s'est échappé. Il a expliqué son attitude en raison du comportement de '[Y]' avec sa soeur [K] qu'il avait branchée puis insultée en raison de son refus.

[K] [I] a été entendue le 21 juin 2004 en expliquant qu'elle était un peu au coeur du problème car M. [Y] lui avait fait plusieurs menaces... au début il m'insultait en me traitant de connasse et autres dit-elle c'est un alcoolique qui traîne dans le quartier et est toujours saoul. Mais ces insultes sont devenues des menaces de viols car il me disait 'je vais te violer. Je vais en profiter pour aller chercher des menottes, il y a le commissariat juste à côté'. J'en ai parlé à [F]... et je sais que c'est arrivé aux oreilles d'[B].

Interrogé sur les motifs à l'origine de son agression, M. [Y] a dit : Je crois qu'[K] a raconté des bêtises. D'ailleurs après mon hospitalisation lorsque nous nous sommes croisés, elle m'a toujours dit bonjour.

Aucune certitude ne se dégage sur la réalité du comportement de M. [Y] à l'égard d'[K]. Aucun témoignage objectif ne vient le confirmer. Alors que cette dernière a maintenu devant les services de police la réalité des agressions verbales dont elle aurait été l'objet, M. [Y] ne les a pas reconnues et M. [A] de son côté a indiqué dans sa déposition en avoir parlé à M. [Y] le 2 juillet 2003 et que celui-ci s'est confondu en excuses en précisant qu'il ne savait pas qui était [K].

Ce comportement de M. [Y], s'il est avéré ce qui ne s'impose pas en l'espèce, qui peut être qualifié d'irraisonné, de déplacé ou d'imprudent ne peut être retenu comme fautif au sens de l'article 706-3 du code de procédure pénale car il ne peut être rattaché à des conséquences aussi imprévisibles et dramatiques que celles imputables à l'auteur des faits, à défaut de lien de causalité direct avec le dommage. A aucun moment M. [Y] ne s'était montré agressif et n'a exercé de violence à l'égard de M. [A] ou de M. [I] lorsqu'il les a rencontrés le 2 juillet 2003. Il ne pouvait avoir conscience du risque encouru, un tabassage au lieu d'une franche explication qui au demeurant aurait bien eu lieu.

Sur la participation de M. [A]

M. [A] soutient que s'il s'est bien rendu coupable de violences volontaires, les coups qu'il a portés à M. [Y] ne sont pas à l'origine des séquelles dont il demeure atteint.

Cependant, par jugement du 11 mai 2005, M. [A] a été retenu dans les liens de la prévention pour avoir notamment le 2 juillet 2003 commis des violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours en l'espèce soixante jours sur la personne de M. [Y], avec cette circonstance que les faits ont été commis en réunion avec M. [I] et condamné à la peine de trois ans d'emprisonnement dont un an avec sursis.

Chacun des co-auteurs d'un même dommage, conséquence de leurs fautes respectives, doit être condamné in solidum à la réparation de l'entier dommage, chacune de ces fautes ayant concouru à le causer tout entier, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité entre les co-auteurs, lequel n'affecte que les rapports réciproques de ces derniers, mais non le caractère et l'étendue de leur obligation à l'égard de la victime du dommage. En conséquence aucune réduction de la part imputable à M. [A] ne peut être opposé au Fonds de garantie, subrogé dans les droits de cette victime.

Le droit à indemnisation de M. [Y] est entier et sa réparation incombe à M. [Y].

Sur l'évaluation du préjudice corporel

M. [A] conclut à la minoration des montants indemnitaires alloués à la victime, sans plus de précision sur chacun des postes de dommages.

L'expert a conclu de la façon suivante :

- consolidation au 18 mai 2006

- déficit fonctionnel permanent 40%

- souffrances endurées 4,5/7

- préjudice esthétique permanent 1/7

- aide humaine : 2 heures par jour

- pas de préjudice d'égrènement

- pas de préjudice sexuel.

- assistance par tierce personne

La Civi a retenu un besoin en aide humaine à compter de la consolidation du 18 mai 2006 sur une base horaire de 13€ soit :

- pour la période échue du 18 mai 2006 au 10 mai 2011 la somme de 47.242€

- pour la période échue sur une base annuelle de 10.400€, calculée sur 400 jours par an, en fonction d'un euro de rente viagère issu de la Gazette du Palais du 9 novembre 2004, la somme de 240.895,20€ (10.400€ x 23,163),

sommes qui ne justifient aucune minoration, et qu'il convient donc de confirmer pour un montant total de 288.137,20€.

- Déficit fonctionnel temporaire

L'expert n'a retenu aucun déficit fonctionnel temporaire qu'il soit total ou partiel. M. [Y] ne sollicite pas d'indemnisation de ce chef.

- Souffrances endurées

Pour un posté évalué à 4,5/7 par l'expert en raison de l'importance des traumatismes subis, de la période d'hospitalisation et de rééducation fonctionnelle, la Civi a fixé l'indemnisation à 17.000€, somme qui là encore ne justifie aucune minoration et qu'il convient de confirmer.

- Déficit fonctionnel permanent

La Civi a retenu que M. [Y] était âgé de 29 ans à la consolidation et elle a fixé l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent chiffré à 40% à la somme de 101.600€, qui ne justifie aucune minoration.

- Préjudice esthétique

Qualifié de 1/7 par l'expert, la Civi a alloué à la victime une somme de 1.500€ qu'il convient de retenir.

Le préjudice corporel global subi par M. [Y] s'établit ainsi à la somme de 408.237,20€

La Civi a alloué une somme de 800€ à M. [Y] au titre des frais qu'il a exposés devant elle.

Le Fonds de garantie a acquitté auprès de M. [Y] une somme de 409.037,20€.

En conséquence, le jugement du 13 février 2018, qui a condamné M. [A] à payer au Fonds de garantie, subrogé dans les droits de M. [Y] la somme de 409.037,20€ est confirmé.

Sur les demandes annexes

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles alloués au Fonds de garantie sont confirmées.

M. [A] qui succombe dans ses prétentions supportera la charge des entiers dépens d'appel. L'équité ne justifie pas de lui allouer une somme sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande d'allouer au Fonds de garantie une indemnité de 1200€ au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

Par ces motifs

La Cour,

- Confirme le jugement,

et y ajoutant,

- Condamne M. [A] à payer au Fonds de garantie la somme de 1200€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel ;

- Déboute M. [A] de sa demande au titre de ses propres frais irrépétibles exposés en appel ;

- Condamne M. [A] aux entiers dépens d'appel.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-6
Numéro d'arrêt : 18/04307
Date de la décision : 25/04/2019

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 10, arrêt n°18/04307 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-04-25;18.04307 ?
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