COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-4
ARRÊT AU FOND
DU 04 AVRIL 2019
N° 2019/118
N° RG 16/15187
N° Portalis DBVB-V-B7A-7DX5
[Y] [N]
C/
[T] [K]
[V] [K]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me E. ABELA
Me C. DRUJON D'ASTROS
DÉCISION DÉFÉRÉE À LA COUR :
Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN-PROVENCE en date du 3 mai 2016 enregistré au répertoire général sous le n° 14/02501.
APPELANT
Monsieur [Y] [N]
né le [Date naissance 1] 1935 à [Localité 1]
demeurant [Adresse 1]S (France)
représenté et plaidant par Me Edgard ABELA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
INTIMÉS
Monsieur [T] [K]
né le [Date naissance 2] 1947 à [Localité 2],
demeurant [Adresse 2]
Madame [V] [K]
née le [Date naissance 3] 1956 à [Localité 3],
demeurant [Adresse 2]
représentés et plaidant par Me Constance DRUJON D'ASTROS de la SCP DRUJON D'ASTROS & ASSOCIES, avocate au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 13 février 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Sophie LEYDIER, conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La cour était composée de :
Monsieur Jean-François BANCAL, président
Madame Patricia TOURNIER, conseillère
Madame Sophie LEYDIER, conseillère (rédactrice)
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Caroline BURON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 avril 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 avril 2019,
Signé par M. Jean-François BANCAL, Président et Mme Josiane BOMEA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Exposé du litige :
Le 8 août 2009, un contrat d'architecte prévoyant la construction à [Localité 4] d'une maison principale et d'un enclos piscine pour une surface habitable de 530 m2 environ et une surface non habitable de 250 m2 environ, était conclu entre [T] [K] et [Y] [N], architecte.
Ce contrat stipulait notamment que l'architecte évaluait le coût prévisionnel des travaux à 1 500 000 euros HT, soit 1 794 000 euros TTC, les honoraires de l'architecte étant fixés à 10% du montant final HT des travaux.
La construction a été édifiée et un litige est né concernant le solde des honoraires dûs par le maître d'ouvrage à [Y] [N], le montant des travaux ayant été augmenté par rapport à l'enveloppe financière initialement prévue.
Par acte du 16 avril 2014, [Y] [N] a assigné [T] [K] et [V] [K] devant le Tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence afin principalement d'obtenir le paiement du solde de ses honoraires et des dommages et intérêts pour résistance abusive.
Par jugement du 3 mai 2016, le Tribunal de grande instance d'AIX-EN-PROVENCE a :
- condamné Monsieur et Madame [K] à payer à Monsieur [N] :
12 170,30 euros avec intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2014 au titre de ses honoraires d'architecte,
3 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
3 000 euros du chef de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit Monsieur et Madame [K] infondés en leur prétentions au titre des frais irrépétibles,
- condamné Monsieur et Madame [K] aux dépens,
- ordonné l'exécution provisoire.
Le 16 août 2016, [Y] [N] a interjeté appel.
Par dernières conclusions notifiées par le RPVA le 4 mars 2017, l'appelant demande à la cour :
- de déclarer recevable et justifié quant au fond son appel,
- de réformer partiellement le jugement déféré,
Vu les articles 1147 du code civil, 1134 et suivants,
- de constater qu'il résulte des procès-verbaux de réunion, de l'évolution des surfaces construites par rapport au projet initial, comme de l'approbation des travaux supplémentaires, de l'évolution qualitative d'un grand nombre de postes, qu'il y a eu novation des intentions préalables de forfaitisation du montant initial des travaux et donc de celui des honoraires de l'architecte,
- de constater que le montant total du coût final de travaux s'élève à la somme de 1 771 895,30 euros HT et qu'il est donc dû à l'architecte un montant d'honoraires global de 177 189 euros en application de l'article P7.1. ' rémunération au pourcentage',
- de lui donner acte de ce qu'il a perçu la somme de 141 500 euros,
- de fixer, en conséquence, le différentiel en principal dû par le maître d'ouvrage à 35 689,53 euros,
- de condamner Monsieur et Madame [K] à payer ladite somme avec intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 3 décembre 2012 sous déduction de la somme arrêtée par le tribunal concernant les honoraires et qui a été réglée,
- de condamner les requis à payer la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
- de les condamner aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées par le RPVA le 26 juillet 2017, [T] et [V] [K] demandent à la cour :
- de dire et juger Monsieur [N] mal fondé en son appel et l'en débouter.
- de confirmer le jugement entrepris en ce que le premier juge a fixé à la somme de 12 170,30 euros le solde des honoraires d'architecte de Monsieur [N],
- de le réformer pour le surplus,
- de dire n'y avoir lieu à condamnation à dommages et intérêts pour résistance abusive ni condamnation à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouter Monsieur [N] de ces chefs,
- de condamner Monsieur [N] à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure qu'il a engagée devant la cour d'appel,
- de condamner Monsieur [N] aux dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 janvier 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande en paiement d'honoraires:
En relevant :
- que l'article P5 du contrat d'architecte signé le 08/08/2009 posait pour principes que le coût final des travaux ne devra pas dépasser le seuil de 1 500 000 euros HT en ce non compris les honoraires de l'architecte, et que le respect du plafond de 1 500 000 euros HT est impératif et constitue une obligation essentielle de l'architecte,
- que l'article P6.2 devait donc être interprété en ce sens que les honoraires de l'architecte de 10% du montant final des travaux seront plafonnés à 150 000 euros,
- que par courrier du 12/05/2010, [T] [K] avait rappelé à [Y] [N] cet engagement conventionnel en lui indiquant que s'il n'entendait pas pénaliser le non-respect de son engagement budgétaire, ce dernier ne saurait se traduire par une augmentation du montant de ses honoraires qui restera plafonné à hauteur de 150 000 euros HT quelque soit le montant final des travaux,
- que [Y] [N] n'étant pas assujetti à la TVA, le maître de l'ouvrage lui avait ainsi signifié, dès le début du chantier, que quelque soit le montant final des travaux, ses honoraires resteraient fixés à 150 000 euros,
- qu'alors que les travaux étaient en cours, [Y] [N] avait attendu le 06/06/2011, soit plus d'une année, pour répondre au courrier précité du 12/05/2010 en exprimant son désaccord sur une forfaitisation de ses honoraires et sur la nécessité d'appliquer l'article P.6.2 du contrat fixant une rémunération au pourcentage sur le montant final des travaux,
- que la construction de surfaces habitables supplémentaires n'était pas significative puisque le projet prévoyait 780 m2, le permis de construire mentionnait 941 m2 et le décompte final mentionnait 839 m2, ce qui correspondait à environ 50 m2 de création d'une surface habitable par transformation du vide sanitaire en remise que les maîtres d'ouvrage admettaient avoir sollicitée et acceptaient de rémunérer à hauteur de 1 130 euros,
- que l'ordre de service n°2 signé par M. [K] se référait formellement au devis du 25/01/2011 et qu'aucun élément ne permettait de le rattacher à des travaux supplémentaires,
- qu'à l'exception de l'ordre de service n°12 qui se rapportait à un devis pour des travaux supplémentaires s'élevant à 25 403 euros, aucun des autres ordres de service signés par le maître d'ouvrage ne validait des travaux non intégrés dans le devis de base,
et en en déduisant que [Y] [N] était fondé à réclamer la seule somme de 2 540,30 euros au titre des travaux supplémentaires demandés et acceptés par les maîtres d'ouvrage, outre les sommes de 8 500 euros et 1 130 euros que les maîtres d'ouvrage reconnaissaient lui devoir au titre du solde de ses honoraires,
le premier juge a fait une juste analyse des faits de la cause, appliqué à l'espèce les règles de droit qui s'imposaient et pertinemment répondu aux moyens des parties pour la plupart repris en appel.
À ces justes motifs que la cour adopte, il convient seulement d'ajouter :
- que l'article P5 du contrat d'architecte signé le 08/08/2009 précité stipule en gras 'par dérogation à l'article G.3.2.2 du CCG, les parties conviennent que le coût final des travaux ne devra pas dépasser le seuil de 1 500 000 euros HT en ce non compris les honoraires de l'architecte. Le respect du plafond haut de cette enveloppe est impératif et constitue une obligation essentielle de l'architecte' (mention figurant en gras dans le contrat),
- que l'article G.3.2.2 du CCG concerne les études d'avant projet définitif incombant à l'architecte et stipule notamment 'l'architecte établit l'estimation définitive du coût prévisionnel des travaux, dans la limite d'une variation de 10% en monnaie constante' (pièce 1 de l'appelant),
- que l'article G.5.1 du CCG intitulé 'mode de rémunération' stipule notamment 'pour la mission qui lui est confiée, l'architecte est rémunéré, exclusivement par le maître d'ouvrage, sous la forme d'honoraires qui sont fonction du contenu et de l'étendue de la mission, de la complexité de l'opération, soit du temps passé découlant des deux points précédents, soit du montant final des travaux constitué par le décompte général définitif des travaux établi par l'architecte' (....) et distingue une rémunération forfaitaire calculée 'au temps à passer', une rémunération 'au pourcentage' et une rémunération 'au déboursé' ou à 'la vacation',
- que l'article G.5.7 du CCG c intitulé 'modification du contrat - prestations ou charges supplémentaires' stipule notamment 'toute augmentation de la mission, toute remise en cause du programme ou du calendrier de réalisation, toute modification des documents approuvés, demandée par le maître d'ouvrage ou imposée par un tiers (...) toute prestation supplémentaire consécutive à la défaillance d'une entreprise donne lieu à l'établissement d'un avenant et emporte une augmentation des honoraires à proportion des études ou autres prestations supplémentaires indispensables à sa satisfaction',
- que par mail du 08/02/2010 doublé d'un courrier du même jour, [Y] [N] écrivait à [T] [K] 'je tiens à vous rappeler que je suis limité par un budget que vous m'avez défini. J'aimerais pour ma part rentrer tous les ouvrages que vous indiquez avec de meilleures prestations mais cela m'obligerait à dépasser le buget fixé (....)
Je vous rappelle que toutes les modifications que vous avez demandées jusqu'à présent sont de nature à augmenter le prix et non à le diminuer (....)' (pièces 2 et 3 de l'appelant),
- que les devis adressés au maître d'ouvrage entre début février 2010 et le 07/05/2010 pour l'ensemble des travaux à effectuer par corps d'état séparés font ressortir un montant total HT arrondi à la somme de 1 827 782 euros (pièces 4 à 14 des intimés),
- que par courrier du 12/05/2010 adressé à [Y] [N], [T] [K] lui indiquait notamment 'il ressort aujourd'hui des divers devis d'entreprises qui m'ont été remis, que le projet que vous avez conçu ne peut être réalisé dans le respect du coût fixé par le contrat qui sera largement dépassé. Je le déplore fortement. Néanmoins, je reste très soucieux de faire avancer au plus vite cette opération et ai en conséquence décidé de consentir un nouvel effort financier pour ne pas la stopper à nouveau et pour tenter de faire réaliser les travaux en dépit de ce net dépassement de notre budget.
Je tiens en revanche à vous préciser que le fait que je sois contraint d'accepter la réalisation d'un montant supérieur à celui de l'enveloppe financière qui leur était affectée, ne saurait en rien s'interpréter à un quelconque moment comme une acceptation pure et simple de l'augmentation du coût des travaux modifiant les termes de notre contrat.
Ainsi, il va de soi, que si, par souci du bon déroulement ultérieur de nos relations contractuelles, je n'entends pas pénaliser le non respect de votre engagement budgétaire, ce dernier ne saurait en toute logique se traduire par une augmentation du montant de vos honoraires qui restera lui plafonné à hauteur de 150 000 euros HT quel que soit le montant final des travaux (pièce 13 des intimés),
- que les devis acceptés et signés par le maître d'ouvrage entre mai et décembre 2010 pour l'ensemble des travaux à effectuer par corps d'état séparés font ressortir un montant total HT arrondi à la somme de 1 723 303 euros (pièces 14 à 23 des intimés),
- que la facture définitive établie par [Y] [N] le 04/07/2013 mentionne un montant total des travaux, y compris supplémentaires, de 1 771 895,30 euros HT, un montant de 10% d'honoraires de 177 189,53 euros, et des acomptes reçus de 141 500 euros, soit un solde restant dû de 35 689,53 euros (pièce 29 des intimés).
Contrairement à ce que soutient l'appelant en page 8 de ses écritures, il n'est nullement établi que postérieurement au démarrage des travaux et pendant la réalisation de ces derniers les époux [K] ont décidé de faire des travaux plus importants en volume et en quantité, puisque si l'estimation initiale du coût global des travaux était de 1 500 000 euros HT en 2009, le montant total des devis proposés avant mai 2010 s'élevait à 1 827 782 euros HT avant le démarrage des travaux, le coût global facturé ayant été de 1 771 895,30 euros HT après leur réalisation.
Si les maîtres d'ouvrage ont effectivement accepté de dépasser le budget initialement prévu de 1 500 000 euros HT pour l'ensemble des travaux en mai 2010, [T] [K] a clairement indiqué à l'architecte que ce dépassement ne saurait entraîner une augmentation de ses honoraires qui resteraient plafonnés à 150 000 euros, avant le démarrage du chantier par courrier du 12/05/2010 précité.
Alors d'une part, que [Y] [N] ne conteste pas avoir reçu ce courrier avant le démarrage des travaux sans y apporter une réponse, sans manifester une quelconque opposition au plafonnement de ses honoraires, et en poursuivant sa mission, et, d'autre part, qu'aucun avenant au contrat d'architecte n'a été établi pour tenir compte du dépassement significatif du montant global des travaux au contrat d'architecte, comme l'a exactement rappelé le représentant de l'Ordre des Architectes dans son avis du 10/12/2013, il n'est pas fondé à soutenir que sa rémunération doit être calculée à hauteur de 10% du montant total effectivement réglé par le maître d'ouvrage.
En conséquence, le jugement déféré doit être ici confirmé.
Sur les dommages et intérêts :
Compte tenu de l'importance du chantier, des échanges de courriers entre les parties, des procès-verbaux de réception des travaux intervenus en juin et juillet 2012, de la reconnaissance d'un solde à devoir par les maîtres d'ouvrage d'au moins 8 500 euros compte tenu des sommes versées à hauteur de 141 500 euros suite à leur dernier paiement intervenu le 26/01/2012 (pièce 31), c'est à juste titre que le premier juge a estimé que les époux [K] avaient abusivement résisté à l'exécution de leur obligation contractuelle de paiement.
Contrairement à ce que soutiennent les intimés, le désaccord intervenu entre les parties sur le calcul des honoraires ne pouvait justifier qu'ils retiennent le solde qu'ils reconnaissaient encore devoir depuis 2012, alors que l'architecte a poursuivi l'exécution de sa mission jusqu'à son terme, même après avoir manifesté son souhait de voir appliquer son pourcentage de rémunération sur l'ensemble des travaux effectivement réalisés par courrier du 14 juin 2011 (pièce 7).
En conséquence, le jugement déféré doit être ici confirmé.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
En première instance, les époux [K] ont principalement succombé de sorte que c'est à juste titre que le premier juge les a condamné aux dépens, et à payer à [Y] [N] une indemnité de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En revanche, alors qu'il succombe principalement en appel, [Y] [N] supportera les dépens.
Cependant, aucune considération d'équité ne commande d'allouer aux époux [K] une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR :
Statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement déféré,
Y AJOUTANT,
DÉBOUTE [T] [K] et [V] [K] de leur demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE [Y] [N] aux dépens d'appel et en ordonne la distraction en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT