COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
Chambre 4-2
ARRÊT AU FOND
DU 04 AVRIL 2019
N°2019/
Rôle N° RG 16/10366 - N° Portalis DBVB-V-B7A-6XC7
SAS ICTS MARSEILLE PROVENCE
C/
U... D...
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Catherine BERTHOLET de la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Marc LECOMTE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES - section - en date du 30 Mai 2016, enregistré au répertoire général sous le n° F15/00154.
APPELANTE
SAS ICTS MARSEILLE PROVENCE, demeurant [...]
représentée par Me Catherine BERTHOLET de la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Michèle DUVAL, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
Madame U... D..., demeurant [...]
comparante en personne assistée de Me Marc LECOMTE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 11 Février 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Gwenaelle LEDOIGT, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Marie-Agnès MICHEL, Président
Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller
Mme Gwenaelle LEDOIGT, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Guy MELLE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Avril 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Avril 2019
Signé par Madame Marie-Agnès MICHEL, Président et Monsieur Guy MELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
EXPOSE DU LITIGE :
Mme U... D... a été engagée par la société ASTRIAM C.F. AIRPORT SECURITY, en qualité d'opérateur sûreté qualifié, sur le site de l'aéroport de Marignane, suivant contrat de professionnalisation, à temps partiel pour 130 heures par mois, du 19 mai 2010 au 20 novembre 2010.
Du 22 mars 2011 au 31 août 2011, Mme U... D... a bénéficié d'un contrat de travail à durée déterminée à temps partiel, toujours en qualité d'opérateur de sûreté, en remplacement d'une salariée absente. Puis, le 1er septembre 2011, elle a été embauchée suivant contrat à durée indéterminée à temps partiel de 90 heures mensuelles.
La société par actions simplifiée (SAS) ICTS MARSEILLE PROVENCE, spécialisée dans la sécurité aéroportuaire, ayant repris le marché, elle est devenue le nouvel employeur de Mme U... D... et par avenant à son contrat de travail en date du 1er février 2012, elle a porté la durée de son temps de travail à 130 heures par mois.
Au dernier état de la relation contractuelle, régie par les dispositions de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité, la salariée occupait le poste d'opérateur sûreté qualifié, niveau 4, échelon 1, coefficient 160 et percevait une rémunération brute de 1 590, 55 euros.
Le 1er octobre 2014, Mme U... D... a été convoquée à une entretien préalable fixé au 10 octobre 2014 en vue de son éventuel licenciement, cette convocation étant assortie d'une mise à pied à titre conservatoire à la date d'envoi dudit courrier. Le 15 octobre 2014, elle s'est vu notifier un licenciement pour faute grave libellé dans les termes suivants :
'Nous vous avons convoquée le vendredi 10 octobre 2014 à un entretien préalable dans le cadre d'une procédure de licenciement avec mise à pied à titre conservatoire diligentée à votre encontre le 1er octobre 2014 en application des dispositions de l'article L. 1232-2 du Code du travail,
Vous vous êtes presentée audit entretien accompagnée de Madame B... R..., salariée de notre société.
Dans ce cadre, nous vous avons exposé les griefs particulièrement graves que nous vous reprochons et qui mettent en exergue un comportement fort peu professionnel de votre part tels que nous vous les rappelons ci-après.
Le 17 septembre 2014, vous faisiez fonction de chef de poste (coordinateur) sur le hall 3 et avez rédigé le rapport suivant 'intervention de la PAF car passager désagréable avec les agents + insulte et menace au chef de poste (casser les couilles + on va se retrouver avec une bombe).
Quand la PAF est venue; connaissance avec le passager, et la PAF rigole avec lui. Ils ont donné raison au passager en disant que l'on est des cons parce que on lui faisait enlever les chaussures'
Vous avez remis ce rapport au chef d'équipe, qui se situait au dispatch (halls), qui en a pris connaissance, et après conversation avec ce chef d'équipe, celui-ci a complété le rapport 'passager refusant en amont de sortir les lags. Il a déclenché une alarme : QUOT. Le passager refuse de se soumettre au controle, puis devient insultant. Controle effectué correctement suite a la présence des SCE' .
A la lecture des faits relatés dans votre rapport, a savoir : 'Quand la PAF est venue (...) Ils ont donné raison au passager en disant que l'on est des cons ' nous avons immédiatement remonté ces insultes proférées par des fonctionnaires de police envers nos agents auprès de la Direction du SPAF. Une enquête de police a donc été instruite.
Plusieurs personnes ont été auditionnées, dont vous. Lors de votre audition, et de notre entretien, vous avez affirmé ne pas être à proximité des fonctionnaires lors de l'intervention, et n'avez pas entendu les fonctionnaires de police dire 'on est des cons parce que on lui faisait enlever les chaussures'. Vous avez déclaré que c'était Monsieur Y..., l'agent en position amont, qui avait tout entendu.
Vos explications ne nous ont malheureusement pas permis de modifier notre point de vue a votre égard au vu de l'ensemble des pièces que nous avons dans ce dossier.
Votre comportement fautif ne fait aucun doute en l'espèce. En agissant de la sorte, vous n'avez pas respecté vos obligations contractuelles et notamment le code de déontologie qui régit notre métier (article 7).
De surcroit, vous avez, en relatant des propos mensongers, entaché gravement les relations de confiance que nous entretenions avec vous et qui sont essentielles à l'exécution de vos fonctions au sein de notre société. La nature même de notre activité particulierement sensible, implique une probité sans faille de la part de l'ensemble de notre personnel.
Par ailleurs, vos accusations fallacieuses, qui peuvent être qualifiées de diffamatoires, portent atteinte aux bonnes relations de travail que nous avions avec les services compétents de l'Etat, ainsi qu'à l'image de notre entreprise.
Aussi avons-nous décidé par la présente de vous notifier votre licenciement pour faute grave.'
Le 02 février 2015, Mme U... D... a saisi le conseil de prud'hommes de Martigues, pour contester son licenciement.
Le 30 mai 2016, le conseil de prud'hommes de Martigues, dans sa section activités diverses, a statué comme suit :
- dit et juge que la rupture du contrat de travail de Madame U... D... s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- fixe la moyenne mensuelle des trois derniers mois de salaire à 1 937,75 €,
- condamne de la société ICTS MARSEILLE PROVENCE prise en la personne de son représentant légal en exercice à payer à Madame U... D... les sommes suivantes :
* 734,10 € à titre de salaire pour la période de mise à pied conservatoire,
* 73,41 € à titre d'incidence congés payés sur salaire précité,
* 3 875,50 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
* 387,55 € à titre d'incidence congés payés sur indemnité précitée,
* 1 776,27 € à titre d'indemnité légale de licenciement,
* 11 626,50 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1 300 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- rappelle l'exécution provisoire de droit en application des articles R.1454-14 et R.1454-28 du Code du Travail,
- dit que les sommes produiront intérêts de droit à compter du prononcé du jugement, en application de l'article 1153-1 du Code Civil, avec capitalisation, dans les conditions posées par l'article 1154 du même Code,
- ordonne l'exécution provisoire en application des dispositions de l'article 515 du Code de Procédure Civile,
- déboute la société ICTS MARSEILLE PROVENCE de ses demandes reconventionnelles,
- condamne la société ICTS MARSEILLE PROVENCE aux dépens.
Par déclaration du 03 juin 2016, la SAS ICTS MARSEILLE PROVENCE a relevé appel de cette décision dont elle a reçu notification le 03 juin 2016.
Dans ses conclusions visées par le greffe et soutenues à l'audience par son conseil, la société ICTS MARSEILLE PROVENCE demande à la cour d'appel de :
A titre principal
- réformer le jugement rendu le 30 mai 2016 par le Conseil de prud'hommes de Martigues.
- dire que le licenciement de Madame D... repose sur une faute grave et, a plus forte
raison, sur une cause réelle et sérieuse.
- débouter Mme D... de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
- condamner Madame D... à rembourser a la société ICTS MARSEILLE PROVENCE la somme de 18,658,40 euros correspondant à la somme versée par la société ICTS MARSEILLE PROVENCE au titre de l'exécution provisoire ordonnée par le jugement du conseil de prud'hommes de Martigues du 30 mai 2016.
- condamner Madame D... au paiement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
- la condamner aux entiers dépens.
A titre subsidiaire, ramener sa demande indemnitaire à de plus justes proportions.
Dans ses conclusions visées par le greffe et soutenues à l'audience par son conseil, Mme U... D... demande à la cour d'appel de :
- dire la Société ICTS infondée en son appel et l'en débouter
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit le licenciement de Madame D... dépourvu de cause réelle et sérieuse et lui a alloué les sommes suivantes :
* 734,10 € à titre de salaire pour la période de mise à pied conservatoire,
* 73,41 € à titre d'incidence congés payés sur salaire précité,
* 3 875,50 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
* 387,55 € à titre d'incidence congés payés sur indemnité précitée,
* 1 776,27 € à titre d'indemnité légale de licenciement,
* 1 300,00 € à titre d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'Article 700 du code de procédure civile.
- condamner la Société ICTS au paiement des sommes suivantes :
* 30 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, en application des dispositions de l'Article L.1235-3 du Code du Travail,
* 1 500 € à titre d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'Article 700 du code de procédure civile, du chef des frais irrépétibles exposés à hauteur de Cour.
- la condamner aux dépens .
Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS DE LA DECISION :
Il ne ressort pas des pièces du dossier d'irrecevabilité de l'appel que la cour devrait relever d'office et les parties n'élèvent aucune discussion sur ce point.
1/ sur le licenciement pour faute grave
L'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige. Il incombe à l'employeur d'alléguerdes faits précis sur lesquels il fonde le licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il appartient à l'employeur d'en apporter la preuve.
La SAS ICTS MARSEILLE PROVENCE fait grief au jugement déféré d'avoir dit que la rupture du contrat de travail s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse en retenant que :
- Mme U... D... n'était pas formée pour endosser les responsabilités de chef de poste
- c'était la première fois qu'elle rédigeait un rapport d'incident
- elle n'avait pas connaissance de la procédure applicable
- la salariée n'a commis qu'une erreur d'appréciation entraînant une négligence ne pouvant être constitutive d'une faute grave.
La salariée ajoute qu'elle n'a fait que relater dans son rapport d'incident des propos qui lui ont été rapportés par M.G... Y... et, qu'eu égard à l'absence de formation au poste occupé, à l'absence de reproche antérieur, au caractère isolé de son 'erreur', la sanction décidée par l'employeur est manifestement disproportionnée.
Cependant, la cour observe que :
- il n'est pas contesté que Mme U... D... avait déjà occupé, à plusieurs reprises, les fonctions de chef de poste et que cet emploi recoupait les tâches qui incombaient habituellement aux opérateurs ou agents de sûreté,
- il n'est pas reproché à la salarié une erreur de procédure ou une quelconque incompétence dans l'exécution de sa mission mais d'avoir consigné, dans un rapport d'incident, des propos erronés, ce qui constitue un manquement à l'obligation déontogique de probité et de discernement qui s'impose à toutes les personnes exerçant des activités de sécurité privé,
- la matérialité des faits n'est pas contestée par la salariée qui se contente de dire qu'elle a rapporté des propos qui lui auraient été relatés par M. G... Y... ce que ce dernier a démenti formellement lorsqu'il a été entendu dans le cadre de l'enquête diligentée par la police de l'air et des frontières. Au demeurant, il convient de relever que la relation des faits qui figure dans le rapport d'incident de la salariée ne correspond pas à ce que Mme U... D... a elle-même indiqué avoir entendu de la bouche de M.Y..., lorsqu'elle a été entendue dans le cadre de l'enquête, puisqu'elle a expliqué que son collègue lui avait confié qu'un fonctionnaire de la PAF avait parlé d'une 'procédure à la con' (pièce 11 employeur). Il est donc incontestable que Mme U... D... a mentionné dans un rapport d'incident des propos qu'elle n'avait pas entendus, sans préciser que ces paroles n'étaient que rapportées et qu'elle a, en outre, dénaturé les propos qui ont pu être prononcées, en les prêtant, de surcroît, aux fonctionnaires de la PAF alors que tous les témoins présents attestent qu'ils ont été proférés par le passager véhément,
- le comportement de la salariée a eu pour conséquence d'entraîner une enquête de la police de l'air et des frontières qui s'est traduite par l'audition des personnes concernées et qui a altéré les relations de travail entre la société ICTS MARSEILLE PROVENCE et l'un de ses partenaires institutionnels, ainsi qu'en atteste le courrier adressé à la société par le commissaire de police et chef du SPAFA de l'aéroport de Marseille qui mentionne : 'Le comportement de Mme D... est regrettable, ses affirmations sont diffamatoires et portent atteintes aux bonnes relations de travail entre le SPAFA et ICTS MARSEILLE PROVENCE, ainsi qu'à l'image de votre entreprise' (pièce 15),
- contrairement à ce qui est allégué par la salariée, elle n'était pas exempte de tout reproche de la part de son employeur, puisque, antérieurement à ces faits, elle avait déjà fait l'objet de pas moins de huit procédures disciplinaires sous la forme de rappel à l'ordre, d'avertissements et de mises à pied disciplinaires pour des absences injustifiées, des manquements professionnels et la falsification d'une feuille de présence pour masquer une absence injustifiée, aucune de ces sanctions n'ayant été contestée par Mme U... D....
En l'état de ces éléments, il est établi que Mme U... D... a manqué à son obligation de probité et de discernement en prêtant, dans un rapport d'incident destiné à sa hiérarchie, à des fonctionnaires de police des propos injurieux qu'elle n'avait pas entendus et qui n'ont jamais été tenus. Ces faits sont constitutifs d'une faute grave et ne permettaient pas le maintien de la salariée dans l'entreprise eu égard au caractère diffamatoire des accusations portées à l'encontre d'un des partenaires habituels de la société. En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a dit que la rupture du contrat de travail de Mme U... D... s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a condamné la SAS ICTS MARSEILLE PROVENCE à payer à la salariée un rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire ainsi qu'une indemnité compensatrice de préavis et leurs congés payés afférents, une indemnité légale de licenciement et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
2/ sur les autres demandes
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure d'appel.
La SAS ICTS MARSEILLE PROVENCE demande à ce que Mme U... D... soit condamnée au remboursement des sommes qu'elle a perçues dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement du conseil de prud'hommes de Martigues
Mais les dispositions de l'article L.111-10 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution consacre la restitution de plein droit des sommes versées en vertu d'une décision de première instance faisant l'objet d'une réformation puisque l'arrêt infirmatif constitue un titre exécutoire permettant le recouvrement des sommes versées en vertu de la décision de première instance.
Mme U... D..., partie succombante, supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Dit que le licenciement est bien fondé sur une faute grave,
Déboute Mme U... D... de l'ensemble de ses demandes,
Déboute la SAS ICTS MARSEILLE PROVENCE du surplus de ses demandes,
Rappelle que le présent arrêt dans ses dispositions infirmant la décision déférée constitue un titre exécutoire permettant le recouvrement des sommes versées en vertu de la décision de première instance sans qu'une mention expresse en ce sens soit nécessaire,
Condamne Mme U... D... aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffier, Le président,