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21/03/2019 | FRANCE | N°16/06105

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 3-2, 21 mars 2019, 16/06105


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE


Chambre 3-2





ARRÊT AU FOND


DU 21 MARS 2019





N° 2019/135








Rôle N° RG 16/06105 - N° Portalis DBVB-V-B7A-6MDG





SAS CGMF





C/





SA SNCM


SCP D... - C...


SELARL [...]


SCP [...]


URSSAF PACA


AGS-CGEA


COMITE D'ENTREPRISE


DE LA SNCM














Copie exécutoire délivrée

r>le :


à :


Me Pierre-yves IMPERATORE de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,








Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE





Me Michel PEZET de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS MICHEL PEZET ET AS...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-2

ARRÊT AU FOND

DU 21 MARS 2019

N° 2019/135

Rôle N° RG 16/06105 - N° Portalis DBVB-V-B7A-6MDG

SAS CGMF

C/

SA SNCM

SCP D... - C...

SELARL [...]

SCP [...]

URSSAF PACA

AGS-CGEA

COMITE D'ENTREPRISE

DE LA SNCM

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Pierre-yves IMPERATORE de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Me Michel PEZET de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS MICHEL PEZET ET ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Guillaume BORDET de l'ASSOCIATION BORDET - KEUSSEYAN - BONACINA, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance du Juge commissaire de MARSEILLE en date du 24 Mars 2016 enregistré au répertoire général sous le n° 2015M04878.

APPELANTE

SAS COMPAGNIE GENERALE MARITIME ET FINANCIERE (CGMF) dont le siège social est sis, [...], [...] - [...], prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualités audit siège

représentée par Me Pierre-yves IMPERATORE de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assistée par Me Olivier PUNCH du Cabinet Bredin Prat AARPI, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Mathilde SIGEL, avocat au barreau de PARIS, plaidant

et assistée par Me Olivier BILLARD du Cabinet Bredin Prat AARPI avocat au barreau de PARIS substitué par Me Guillaume FABRE, avocat au barreau de PARIS, plaidant

INTIMEES

SOCIETE NATIONALE MARITIME CORSE MEDITERRANEE SNCM, dont le siège social est sis, [...] , prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualités audit siège

représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assistée par Me Rémy GOMEZ, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

SCP D... - C... - S...

représentée par Me K... D..., agissant en sa qualité d'administrateur Judiciaire de la SNCM, suivant jugement du 20 novembre 2015 du Tribunal de Commerce de Marseille

demeurant [...]

représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assistée par Me Rémy GOMEZ, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

SCPAJ L... & N...

représentée par Me F... L..., agissant en sa qualité d'administrateur Judiciaire de la SNCM, suivant jugement du 20 novembre 2015 du Tribunal de Commerce de Marseille

dont le siège social est sis, [...]

représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assistée par Me Rémy GOMEZ, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

SCP [...],

représentée par Me J... X..., agissant en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SNCM

demeurant [...]

représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assistée par Me Rémy GOMEZ, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

URSSAF PACA,

dont le siège social est sis, [...] , prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualités audit siège

représentée par Me Michel PEZET de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS MICHEL PEZET ET ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

AGS-CGEA

dont le siège social est sis, [...], [...] - [...], prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualités audit siège

non représentée

COMITE D'ENTREPRISE DE LA SNCM,

dont le siège social est sis, [...] , prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualités audit siège

représentée par Me Guillaume BORDET de l'ASSOCIATION BORDET - KEUSSEYAN - BONACINA, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 06 Février 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Catherine DURAND, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

M. Bernard MESSIAS, Président de chambre

Madame Catherine DURAND, Conseiller

Madame Anne CHALBOS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Chantal DESSI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Mars 2019.

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Mars 2019,

Signé par M. Bernard MESSIAS, Président de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Par décision du 20 novembre 2013 la Commission européenne a dit que l'apport de capital de 15,81 millions d'euros et les trois nouvelles mesures mises en oeuvre par les autorités françaises en 2006, à savoir la cession de 75 % de la SNCM au prix négatif de 158 millions d'euros, l'augmentation de capital de 8,75 millions d'euros souscrite par la Compagnie Générale Maritime Financière (CGMF) et l'avance en compte courant de 38,5 millions d'euros en faveur des salariés de la SNCM, en violation de l'article 108, paragraphe 3 du TFUE, en faveur de la SNCM constituaient des aides d'Etat, illégales et incompatibles avec le marché intérieur en application de l'article 107 paragraphe 1 du TFUE qui dispose que 'Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.'

Elle a dit que la France était tenue de se faire rembourser par le bénéficiaire les aides susvisées, précisant que les sommes à récupérer produisaient des intérêts à partir de la date à laquelle elles ont été mises à disposition du bénéficiaire jusqu'à leur récupération effective, et que les intérêts étaient calculés sur une base composée, conformément au chapitre V du règlement CE n° 794/2004 et au règlement CE n° 271/2008 modifiant le précédent.

Selon l'article 3 de cette décision la récupération des aides était immédiate et effective, la France veillant à sa mise en oeuvre dans les quatre mois suivant sa notification.

Cette décision est définitive, les recours formés à son encontre par l'Etat français et par la SNCM ayant été rejetés par le Tribunal de l'Union européenne le 6 juillet 2017.

Par jugement du tribunal de commerce de Marseille du 28 novembre 2014 la Société Nationale corse Méditerranée, dite SNCM, a été placée en redressement judiciaire.

La SCP D... C... et la SELARL L... ont été désignées en qualité d'administrateurs judiciaires et la SCP [...].

A la suite de l'arrêté du plan de cession de la SNCM, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire, la SCP [...] étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

La SA Compagnie Générale Maritime et Financière, dite CGMF, a déclaré le 6 février 2015 deux créances au passif de la SNCM :

- la première n° 115 d'un montant de 289.868.063, 03 € à titre chirographaire échu (223.064.198,50 € en principal et 66.803.864,53 € en intérêts arrêtés au 28 novembre 2014) et de 842.368, 55 € à titre chirographaire à échoir au titre des intérêts ayant continué à courir du 29 novembre 2014 au jour de la déclaration de créance ,

- la seconde n° 116 d'un montant de 34.554,72 € à titre échu et 10.041.167,78 € à titre chirographaire à échoir au titre de l'avance de trésorerie de 10 millions d'euros versée en novembre 2013 à la SNCM ayant fait l'objet d'une convention signée le 22 janvier 2014 modifiée par avenant du 1er juillet 2014.

Ces déclarations ont été contestées par le débiteur et par le mandataire judiciaire.

La CGMF ayant maintenu ses déclarations, le juge-commissaire a rendu deux ordonnances en date du 24 mars 2016 rejetant les deux créances déclarées.

Il a considéré que la déclaration de créance au passif d'une société commerciale immatriculée en France était régie par le droit français, a rappelé que la France était condamnée par la Commission européenne au titre d'aides illégales incompatibles avec l'article 108-3° du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qu'en vertu de l'article 38 de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955 modifié par le décret du 23 août 2012, l'Agent judiciaire de l'Etat était seul compétent pour porter devant les juridictions judiciaires toute action tendant à faire déclarer l'Etat créancier pour des causes étrangères à l'impôt et au domaine.

Il a dit que la CGMF ne pouvait être regardée comme étant l'Agent judiciaire de l'Etat, disposant seul d'un monopole de représentation de l'Etat devant les juridictions judiciaires, que l'apport des sommes litigieuses par le biais d'un des associés de la SNCM, la CGMF, SAS de droit privé filiale à 100 % de l'Etat français, ne changeait rien aux dispositions de la loi du 3 avril 1955 modifiée.

Il a déclaré la CGMF sans qualité à agir dans le cadre de la déclaration d'une créance de l'Etat français au passif de la SNCM.

Par déclaration en date du 4 avril 2016 n° RG 16/06105 la SAS Compagnie Générale Maritime et Financière a interjeté appel de l'ordonnance ayant rejeté la créance n° 115.

Par conclusions récapitulatives déposées et notifiées le 23 janvier 2019, tenues pour intégralement reprises, la SAS Compagnie Générale Maritime et Financière demande à la Cour de :

Vu les articles L 622-24 et suivants et L 624-2 du code de commerce,

Vu le Règlement UE 2015/1589 du Conseil portant modalité d'application de l'article 108 du TFUE,

Vu le Règlement CE n° 794/2004 de la Commission concernant la mise en oeuvre du Règlement précité,

Vu la Communication de la Commission Européenne relative à la récupération,

Vu la décision de la Commission européenne du 20 novembre 2013,

Vu les arrêts du Tribunal de l'Union Européenne du 6 juillet 2017,

Vu les deux déclarations de créances de la CGMF du 6 février 2015,

Dire bien fondées les créances déclarées par la CGMF,

Par conséquent,

Infirmer l'ordonnance attaquée ayant rejeté la créance déclarée n° 115,

Admettre au passif de la liquidation judiciaire de la SNCM la créance n° 115 en totalité pour la somme de 223.064.198,50 € en principal, augmenté de 66.803.864,53 € d'intérêts échus au 28 novembre 2014 date du redressement judiciaire, et celle de 842.368,55 € d'intérêts échus entre le 29 novembre 2014 et la date de la déclaration de créance, ainsi que les intérêts arrêtés au 6 février 2015 pour les besoins de la déclaration de créance ayant continué de courir, représentant au 4 juillet 2016 un montant complémentaire de 5.386.369,59 € dont elle est fondée à demander l'admission, outre les intérêts complémentaires continuant à courir,

Rejeter les demandes subsidiaires de la SNCM tenant à la déclaration d'une créance de remboursement d'apport et au montant de la créance de la CGMF,

Dire n'y avoir lieu à surseoir à statuer,

Rejeter l'ensemble des demandes du Comité d'entreprise de la SNCM,

En tout état de cause,

Condamner le liquidateur judiciaire, ès qualités, à lui payer une somme de 30.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Elle soutient que, contrairement à ce qu'a dit le juge-commissaire, le droit de l'Union Européenne commande d'écarter toute disposition de droit interne qui priverait d'effet utile la décision de récupération prononcée par la Commission le 20 novembre 2013.

Elle précise que si l'application du droit procédural national est prévue pour la récupération d'une aide illégale incompatible par l'article 16 du Règlement 2015/1589, il appartient à l'Etat, dans le respect des principes d'équivalence et d'effectivité, de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l'effet utile de la décision de récupération.

Elle rappelle que dans sa communication du 15 novembre 2017 'vers une mise en oeuvre effective des décisions de la Commission enjoignant aux Etats membres de récupérer les aides d'Etat illégales et incompatibles avec le marché' la Commission souligne que l'Etat membre doit faire immédiatement enregistrer ses créances dans le cadre de la procédure de faillite.

Elle en déduit que le juge-commissaire ne pouvait en aucun cas déclarer le droit français seul applicable pour motiver son rejet des créances déclarées.

Elle indique avoir seule apporté les sommes en cause à la société SNCM en sa qualité d'actionnaire de la SNCM, être seule titulaire de ces créances, et soutient que le juge-commissaire a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que les créances en cause étaient celles de l'Etat.

Elle expose que les aides illégales et incompatibles doivent être récupérées par l'entité les ayant versées, que c'est le droit interne qui permet d'identifier la personne titulaire de la créance liée à la récupération de ces aides, et ajoute que le droit européen a une conception large de la notion 'd'organe de l'Etat', considérant qu'une société commerciale peut, à certaines conditions, octroyer des aides d'Etat.

Elle soutient avoir seule qualité à déclarer les créances, en tant qu'actionnaire de la SNCM lui ayant apporté les sommes constitutives d'aides d'Etat illégales et incompatibles, alors que l'Etat personne morale distincte est demeuré étranger aux différents actes juridiques conclus par la CGMF pour octroyer les sommes en cause à la SNCM, et que tiers à son égard, il ne pourrait déclarer des créances qu'elle seule détient.

Elle fait valoir que le fait de la décision de la Commission du 20 novembre 2013 soit adressée à l'Etat et non à la CGMF ne peut avoir pour conséquence de conférer à l'Etat la titularité d'une créance de récupération.

Elle soutient que l'effet contraignant des décisions de récupération d'aides s'étend au-delà de la seule personne morale de l'Etat qui en est destinataire et que de nombreux exemples de récupérations par des personnes autres que l'Etat existent (SNCF, FranceAgrimer...)

Elle ajoute que le juge-commissaire a violé l'article 38 de la loi du 3 avril 1955 en l'appliquant à des créances détenues par la SAS CGMF, société commerciale distincte de l'Etat.

Elle fait valoir être en droit, de par l'effet utile du droit européen, à déclarer une créance de récupération d'aide illégale et incompatible consentie sous forme d'apport en capital, peu important la forme dans laquelle l'aide a été octroyée.

Elle soutient par ailleurs que la primauté du droit européen et l'obligation de réparation effective des aides illégales et incompatibles interdisent d'arrêter le cours des intérêts qui courent jusqu'à sa récupération. (Article 16 Règlement 2015/1589)

Par conclusions déposées et notifiées le 29 août 2016, tenues pour intégralement reprises, la SCP D... C... et la SCP L... ès qualités d'administrateurs judiciaires, la SCP [...], es qualité de liquidateur judiciaire de la SNCM, la SNCM, demandent à la Cour de :

Vu l'article 122 du code de procédure civile,

Vu l'article L 624-2 du code de commerce,

Liminairement,

Mettre hors de cause les co-administrateurs judiciaires la SCP D... C... et la SCP L... qui ne sont plus en fonction,

A titre principal,

Confirmer les ordonnances entreprises en ce qu'elles ont considéré que la CGMF n'avait pas qualité pour agir et a rejeté les créances déclarées par celle-ci,

A tout le moins,

La déclarer irrecevable faute de qualité et d'intérêt à agir,

Subsidiairement,

Rejeter la créance déclarée par la CGMF au titre du remboursement de son apport en capital,

S'agissant des créances de restitution sous forme d'apport en capital et de prise en charge de certains engagements sociaux, arrêter le cours des intérêts au jour du jugement d'ouverture,

S'agissant de la créance déclarée au titre de l'avance d'actionnaire de 35,5 millions, rejeter toute créance d'intérêt,

S'agissant de l'avance en trésorerie consentie par acte du 22 janvier 2014 à hauteur de 10 millions d'euros, arrêter le cours des intérêts au jour du jugement d'ouverture,

Encore plus subsidiairement,

Surseoir à statuer en l'attente de l'issue des contentieux actuellement pendants, en lien avec la créance déclarée,

En tout état de cause,

Condamner l'appelante au paiement d'une somme de 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Ils soutiennent que la SA CGMF, société de droit privée obéissant au code de commerce, qui ne prétend pas agir pour le compte de l'Etat mais demande personnellement à être admise au passif, n'a pas qualité pour déclarer la créance de récupération d'aide d'Etat jugée illégale, seul l'Etat, en tant que puissance publique étant seul partie à la procédure de contrôle des aides d'Etat et destinataire de la décision d'avoir à récupérer l'aide considérée comme illégale par la Commission ayant qualité pour déclarer ces créances.

Ils font valoir que la SA CGMF ne peut revendiquer la qualité de titulaire de cette créance de récupération procédant d'une décision de la Commission qui ne la concerne pas ni directement ni indirectement, et qu'elle ne justifie d'aucun titre l'autorisant selon le droit national à recouvrer l'argent public.

Ils ajoutent qu'elle n'était pas partie à la procédure de contrôle, que la décision de la Commission ne lui a pas été notifiée, qu'elle ne verse pas aux débats de délibération de son associé unique, l'Etat, lui enjoignant de procéder au nom et pour le compte de l'Etat à la récupération des fonds, par définition publics, qualifiés d'aide illégale par la Commission et qu'elle confond la notion d' 'organe de l'Etat' avec celle de 'société contrôlée par l'Etat', alors qu'elle prétend être parfaitement autonome.

Ils rappellent que la procédure de récupération d'une aide jugée illégale doit être réalisée dans le respect des seules dispositions du droit national et dans une logique d'efficacité, or le droit français a mis en place une procédure de récupération des aides, dont le responsable diffère suivant que l'aide a été octroyée par l'Etat ou une personne publique, l'agent judiciaire de l'Etat étant en charge d'émettre un titre de perception exécutoire à l'encontre de la société indûment bénéficiaire conformément au décret 2012-1246 du 7 novembre 2012, peu important de savoir si ces aides ont été apportées par l'intermédiaire d'une société privée détenue par l'Etat ou d'un organisme par la voie duquel elles ont transité.

Ils soutiennent que la créance de récupération d'aide d'Etat illégale est une créance de nature administrative, peu important qu'elle ait été versée par une entité de droit privé, devenant une aide d'Etat soumise au contrôle de sa comptabilité avec les règles du droit de l'Union dès lors qu'elle a été accordée 'au moyen des ressources de l'Etat, sous quelque forme que ce soit'. (article 87 du Traité instituant la Communauté Européenne, devenu l'article 107 du TFUE) et qu'elle est imputable à l'Etat peu important qu'une personne privée ait conféré l'avantage qualifié d'aide d'Etat illégale.

Ils en déduisent que s'agissant d'une créance administrative étrangère à l'impôt, il appartenait bien à l'Etat, représentée par l'Agent judiciaire de l'Etat de procéder, à peine de nullité en application de l'article 38 de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955, à la récupération et de formaliser une déclaration de créance dans les délais légaux et que faute d'y avoir procédé dans les délais légaux, il est désormais forclos.

Ils concluent que la SA CGMF, société de droit privé, fût-elle l'instrument par l'intermédiaire duquel les aides d'Etat ont été attribuées, ne pouvait procéder elle-même au recouvrement d'une créance administrative relevant exclusivement de l'Etat et qu'elle est dépourvue de qualité et d'intérêt pour déclarer la créance de récupération.

Par conclusions déposées et notifiées le 24 août 2016, tenues pour intégralement reprises, le Comité d'Entreprise de la SNCM demande à la Cour de :

Vu la décision de la Commission Européenne du 20 novembre 2013,

Vu l'obligation de récupération des aides illégales pesant sur l'Etat Français,

Vu les déclarations de créances établies par la CGMF le 6 février 2015,

Vu les dispositions de l'article 38 de la loi 55-366 du 3 avril 1955,

Constater que la CGMF en tant qu'entreprise privée intervenant dans un champ concurrentiel du secteur maritime ne peut mener à son bénéfice une procédure de récupération d'aide publique,

Constater qu'elle ne peut récupérer à son bénéfice une aide publique qui ne lui a pas été attribuée au titre de la réglementation des aides d'Etat par une procédure préalablement notifiée et approuvée par la Commission européenne, ou que du moins elle n'en présente pas le titre à la Cour,

Constater qu'elle n'est pas agent judiciaire de l'Etat,

Confirmer les décisions entreprises,

Sous toute réserve.

L'Urssaf PACA, le CGEA AGS du Sud Est, assignés le 16 juin 2016 à personne habilitée, n'ont pas constitué avocat.

L'affaire a été clôturée en l'état le 24 janvier 2019.

MOTIFS

Sur la mise hors de cause des administrateurs judiciaires :

Attendu qu'il convient de mettre hors de cause les administrateurs judiciaires qui ne sont plus en fonction ;

Sur la demande de sursis à statuer présentée par les intimés :

Attendu que la décision de la Commission en date du 20 novembre 2013 est définitive, les recours formés à son encontre par l'Etat français et par la SNCM ayant été rejetés par le Tribunal de l'Union européenne le 6 juillet 2017 ;

Attendu que la demande de sursis à statuer en l'attente de l'intervention de la décision du TUE est dès lors rejetée étant dépourvue d'intérêt ;

Sur la déclaration de créance :

Attendu que la SA Compagnie Générale Maritime et Financière, dite CGMF, est un holding financier détenu à 100 % par l'Etat français qui sert de relais à ce dernier pour toute opération de transport maritime, d'armement et d'affrètement de navires en Méditerranée (décision de la Commission du 20 novembre 2013) ;

Attendu qu'actionnaire de la SNCM cette société a versé à cette dernière, dans le cadre d'opérations de recapitalisation intervenue en 2002, de privatisation en 2006, différentes sommes qualifiées d'aides d'Etat illégales et incompatibles avec le marché intérieur par décision définitive de la Commission en date du 20 novembre 2013, qui a dit que la France était tenue de se faire rembourser par le bénéficiaire les aides visées à l'article 1er et de veiller à ce cette décision soit mise en oeuvre dans les 4 mois suivant sa notification ;

Attendu que la récupération des sommes versées irrégulièrement, ayant pour objet de rétablir la situation qui existait sur le marché avant l'octroi des aides concernées, doit être effectuée sans délai selon les modalités prévues par le droit national, pour autant que ces dernières permettent l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission (article16 3 ) du Règlement (UE) 2015/1589 du 13 juillet 2015) ;

Attendu que pour atteindre cet objectif, les États membres aux quels incombent la responsabilité de mettre en 'uvre la décision de récupération doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l'effet utile de la décision de la Commission ;

Attendu que la déclaration de créance au passif de la procédure collective ouverte à l'égard du bénéficiaire des aides déclarées illégales et incompatibles, satisfait à l'exigence d'exécution immédiate de la décision de récupération de la Commission et à l'obligation de récupération de ces sommes versées irrégulièrement ;

Attendu que pour une entreprise liquidée, la récupération de l'aide illégale s'exécute donc par l'admission à son passif de la créance correspondante, lorsqu'elle est encore possible, selon les règles du droit national relatives à la production des créances ;

Attendu que la SA CGMF a déclaré une créance n° 115 au passif de la SNCM d'un montant de

223.064.198,50 € en principal, augmenté de 66.803.864,53 € d'intérêts échus au 28 novembre 2014, date du redressement judiciaire, de 842.368,55 € au titre des intérêts échus entre le 29 novembre 2014 et la date de la déclaration de créance arrêtés au 6 février 2015 pour les besoins de la déclaration de créance ;

Attendu que le liquidateur judiciaire et la SNCM soutiennent que seul l'Etat pouvait déclarer une créance relative à la récupération de l'aide d'Etat illégale et non la SA CGMF servant de relais à l'Etat français et qu'elle ne dispose d'aucun titre de créance, n'étant pas partie à la décision de la Commission ;

Attendu que si la procédure de contrôle n'est ouverte qu'à l'égard de l'Etat membre, il importe peu que la CGMF ne soit pas partie à la décision de la Commission qui doit être mise à exécution, cette décision adressée à un État membre ayant un effet contraignant au delà de la personne de l'Etat lui-même ; qu'elle est obligatoire pour tous les organes de cet État (Communication relative à la récupération de la Commission en date du 15 novembre 2007) ;

Attendu que les sommes qualifiées d'aides illégales et incompatibles sont habituellement recouvrées par l'autorité les ayant accordées ;

Attendu qu'au regard du droit interne, la SA CGMF, personne morale de droit privée ayant dispensé à la SNCM l'intégralité des aides d'Etat illégales et incompatibles avec le marché intérieur, a qualité pour déclarer la créance de récupération au passif de la procédure collective de la SNCM ;

Attendu que cette déclaration de créance est une mesure assurant la récupération des aides auprès de leur bénéficiaire au sens de l'article 14 3 du Règlement CE 959/1999 du 22 mars 1999 ;

Attendu que l'Etat n'ayant pas lui-même versé ces aides, mais par le relais de la SA CGMF, ne peut procéder directement à leur récupération auprès de leur bénéficiaire ;

Attendu que le moyen selon lequel la déclaration de créance devait, en application de l'article 38 de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955, modifié par le décret du 23 août 2012, émaner de l'Agent judiciaire de l'Etat, au motif qu'il était seul compétent pour porter devant les juridictions judiciaires toute action tendant à faire déclarer l'Etat créancier pour des causes étrangères à l'impôt, est dès lors inopérant ;

Attendu qu'est également sans emport la circonstance que la CGMF soit une entreprise privée intervenant dans un champ concurrentiel du secteur maritime ;

Attendu que l'ordonnance ayant rejeté la déclaration de créance précitée est dès lors infirmée ;

Sur l'admission de la créance déclarée :

Attendu que la créance de récupération résultant de la décision de la Commission du 20 novembre 2013 est antérieure à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la SNCM ;

Attendu que la suppression d'une aide illégale par voie de récupération, conséquence logique de la constatation de son illégalité, ne saurait dépendre de la forme dans laquelle elle a été octroyée (apport en capital, en compte courant...) ;

Attendu que les principes de primauté du droit de l'Union et de récupération immédiate de l'aide illégale et incompatible lorsqu'elle est accordée par un actionnaire sous forme d'apport en capital imposent de déroger au principe de fixité du capital social ;

Attendu par conséquent que la créance n° 115 est admise en totalité à titre chirographaire échu en principal pour la somme de 223.064.198,50 euros correspondant aux apports de capital, à l'augmentation de capital souscrite par la CGMF et à l'avance en compte courant en faveur des salariés de la SNCM pour leur partie déclarée illégale par la Commission ;

Attendu que, s'agissant des intérêts déclarés, les intimés se prévalent des dispositions de l'article L 622-25 du code de commerce qui précisent que la déclaration de créance porte le montant de la créance due au jour du jugement d'ouverture avec indication des sommes à échoir et de celles de l'article L 622-28 du même code qui posent le principe de l'arrêt du cours des intérêts légaux et conventionnels par l'effet du jugement d'ouverture, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à l'exception de ceux résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus pour soutenir que le cours des intérêts de la créance d'avance en trésorerie consentie jusqu'à un premier terme de 6 mois ensuite prorogé pour une durée de moins d'un an, a été arrêté au jour de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la SNCM ;

Attendu que l'appelante fait valoir que les principes de primauté du droit européen et de récupération effective de récupération des aides illégales et incompatibles, et l'article 16 & 2 du Règlement n° 2015/1589 qui dispose que les intérêts de la créance de récupération courent à compter de la date à laquelle l'aide illégale a été mise à disposition jusqu'à sa récupération, interdisent d'arrêter le cours des intérêts au jour du jugement d'ouverture ;

Mais attendu que les créances de récupération d'aides illégales qui doivent être déclarées selon les règles internes spécifiques aux procédures collectives, sont soumises au principe de l'arrêt du cours des intérêts au jour de l'ouverture de la procédure de la procédure collective à l'exception de ceux résultant des contrats de prêts d'une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus, s'appliquent aux créances de récupération, sans que cela n'entre en contradiction avec le principe primauté du droit de l'Union Européenne ;

Attendu que les créances précitées ne sont pas des intérêts résultant de contrats de prêt d'une durée égale ou supérieure à un an ni de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus ; que, dès lors, seuls les intérêts échus au 28 novembre 2014 sont admis à hauteur de la somme de 66.803.864,53 € ;

Attendu que ceux déclarés après le 28 novembre 2014 pour un montant de 842.368,55 € au titre des intérêts échus entre le 29 novembre 2014 et la déclaration de créance arrêtés au 6 février 2015, et ceux réclamés pour un montant complémentaire de 5.386.369,59 € arrêtés au 4 juillet 2016, sont rejetés ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Attendu que les dépens sont dits frais privilégiés de procédure collective ;

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant par mise à disposition au greffe, par décision réputée contradictoire, publiquement,

Met hors de cause la SCP D... C... et la SCP L... ès qualités d'administrateurs judiciaires, qui ne sont plus en fonction,

Rejette la demande de sursis à statuer,

Infirme l'ordonnance attaquée,

Statuant à nouveau,

Dit que la SA CGMF, personne morale dispensatrice des aides illégales versées à la SNCM, a qualité pour déclarer les créances de récupération au passif de la SNCM,

Prononce l'admission au passif de la procédure collective de la SNCM de la créance n° 116, à titre chirographaire échu pour :

- La somme de 223.064.198,50 € en principal,

- La somme de 66.803.864,53 € au titre des intérêts arrêtés au 28 novembre 2014, jour de l'ouverture de la procédure collective de la SNCM,

Rejette les intérêts courus après l'ouverture de la procédure collective en application de l'article L 622-28 du code de commerce,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SCP [...], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SNCM aux dépens,

Dit les dépens frais privilégiés de procédure collective, ceux d'appel étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 3-2
Numéro d'arrêt : 16/06105
Date de la décision : 21/03/2019

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 8A, arrêt n°16/06105 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-03-21;16.06105 ?
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