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14/03/2019 | FRANCE | N°16/09821

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-2, 14 mars 2019, 16/09821


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-2



ARRÊT AU FOND

DU 14 MARS 2019



N° 2019/





Rôle N° RG 16/09821 - N° Portalis DBVB-V-B7A-6VYR





[P] [T]





C/





SA NAPHTACHIMIE































Copie exécutoire délivrée



le : 14/03/19

à :



Me Michel PIERCHON, avocat au barreau de MONTPELLIER



Me Camille GARNIER

, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND









Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES - section E - en date du 13 Avril 2011, enregistré au répertoire général sous le n° 10/621.





APPELANT



Monsieur [P] [T], demeurant [Adresse 2]


...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-2

ARRÊT AU FOND

DU 14 MARS 2019

N° 2019/

Rôle N° RG 16/09821 - N° Portalis DBVB-V-B7A-6VYR

[P] [T]

C/

SA NAPHTACHIMIE

Copie exécutoire délivrée

le : 14/03/19

à :

Me Michel PIERCHON, avocat au barreau de MONTPELLIER

Me Camille GARNIER, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES - section E - en date du 13 Avril 2011, enregistré au répertoire général sous le n° 10/621.

APPELANT

Monsieur [P] [T], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Michel PIERCHON, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me Claire TURC-BRUEL, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE

SA NAPHTACHIMIE, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Camille GARNIER, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 16 Janvier 2019 en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Marie-Agnès MICHEL, Président

Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller

Mme Gwenaelle LEDOIGT, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Harmonie VIDAL.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2019.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2019.

Signé par Madame Marie-Agnès MICHEL, Président et Madame Harmonie VIDAL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

La SA NAPHTACHIMIE a institué en 1950 un régime de retraite supplémentaire collectif, dénommé « régime de pensions complémentaires Naphtachimie » (RPCN), instituant le versement, entièrement financé par l'employeur, d'une allocation différentielle de vieillesse révisable annuellement en fonction de l'évolution générale des rémunérations venant s'ajouter aux pensions acquises dans les régimes légaux obligatoires. En 1979, ce régime a été dénoncé par l'employeur et il a été institué un nouveau régime dit « RSN » applicable à compter du 1er janvier 1998 tant aux anciens salariés qu'au personnel actif.

M. [P] [T] a travaillé pour la SA NAPHTACHIMIE, en qualité d'ingénieur service régulation, du 1er octobre 1961 au 31 mars 1986, date à laquelle il a fait l'objet d'un licenciement pour motif économique et il a accepté d'adhérer à un plan de préretraite, en l'espèce un plan FNE.

Le 1er octobre 1990, à l'âge de 60 ans, le salarié a fait valoir ses droits à la retraite et l'employeur a commencé à lui verser trimestriellement des allocations « RPCN ».

Soutenant que la pension qui lui était versée n'était pas conforme au RPCN, M. [P] [T] a saisi le 28 juin 2010 le conseil de prud'hommes de Martigues, section encadrement, lequel, par jugement rendu le 13 avril 2011 :

a dit qu'il s'agit d'un conflit collectif ;

s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance du siège de la société et a invité le demandeur à saisir celui-ci ;

a dit que les dépens seront partagés à parts égales entre les parties.

Par déclaration motivée reçue au greffe du conseil de prud'hommes de Martigues le 26 avril 2011, M. [P] [T] a formé contredit à ce jugement. Les parties ont été convoquées à l'audience du 16 novembre 2011, date à laquelle le dossier a été renvoyé l'audience collégiale du 13 juin 2012 puis au 13 mars 2013 dans l'attente de l'issue de la requête en récusation pour cause de suspicion légitime présentée par l'employeur à l'encontre de la chambre, laquelle a été rejetée par arrêt de la Cour de cassation du 20 septembre 2012.

Après un appel à l'audience du 21 mai 2014, le dossier a été retiré du rôle à la demande des parties par arrêt du 30 mai 2014 et remis au rôle à la demande du salarié par conclusions déposées le 20 mai 2016. Le dossier a été rappelé à l'audience collégiale du 16 novembre 2016 en invitant l'appelant à conclure pour le 16 août 2016 et l'intimée pour le 17 octobre 2016. À l'audience du 16 novembre 2016, les parties entendues et ne formulant pas de demande de renvoi, la cour a :

écarté des débats les conclusions n° 3 communiquées le 15 novembre 2016 par le salarié ainsi que la pièce n° 30 de son bordereau ;

écarté des débats les conclusions du 10 novembre 2016 de l'employeur, au regard du respect du calendrier de procédure et du principe du contradictoire.

Un arrêt mixte de ce siège en date du 27 janvier 2017 a :

infirmé le jugement entrepris en l'ensemble de ses dispositions ;

rejeté l'exception d'incompétence soulevée par l'employeur ;

dit le conseil de prud'hommes de Martigues compétent pour connaître du litige ;

rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action soulevée par l'employeur ;

ordonné une expertise confiée à Mme [X] [I] expert-comptable, avec pour mission principalement de fournir à la cour tous éléments permettant de déterminer le montant de la pension totale au sens du titre 1 du règlement RPCN, et le montant de l'allocation complémentaire due en application de l'article 24 après déduction des prestations énoncées à l'article 25, depuis le 1er octobre 1990 ;

sursis à statuer sur le surplus des demandes ;

renvoyé l'affaire à une audience ultérieure.

Cet arrêt a été frappé d'un pourvoi en cassation par l'employeur, rejeté par arrêt du 21 juin 2018. L'expert a déposé son rapport le 8 février 2018.

Vu les écritures déposées à l'audience et soutenues par son conseil aux termes desquelles M. [P] [T] demande à la cour de :

dire ses demandes relatives à rappel de pension de retraite à compter du 1er octobre 1990 non-prescrites ;

condamner l'employeur à lui verser la somme de 221 625,48 € avec intérêts au taux légal à compter du 1er octobre 1990, en réparation du préjudice subi résultant des retenus indûment effectuées sur 1'allocation complémentaire verser au titre du régime dit RPCN ;

dire que sa pension est de 1 611,14 € ;

condamner l' employeur à lui verser la somme de 40 000 € au titre de l'inflation et celle de 5 000 € au titre des frais irrépétibles.

Vu les écritures déposées à l'audience et reprises par son conseil selon lesquelles la SA NAPHTACHIMIE demande à la cour de :

qualifier les demandes de M. [T] de rappels de pension ;

dire que les demandes de M. [T] ne peuvent porter que sur les rappels de pension depuis le 23 juin 2005 ;

à titre principal,

dire M. [T] mal fondé en ses demandes en paiement et l'en débouter ;

à titre subsidiaire,

débouter M. [T] de ses demandes sauf à les ramener à plus juste proportion à savoir la somme de 540,74 € (premier calcul) au titre des rappels de pension sur la période ;

rejeter toute demande adverse plus ample ou contraire ;

en tout état de cause,

fixer le point de départ des intérêts à compter du présent arrêt par application des dispositions de l'article 1153-1 du code civil ;

dire par application de l'article 700 du code de procédure civile qu'il n'y a pas lieu de prononcer une condamnation aux frais irrépétibles ;

dire par application de l'article 696 du code de procédure civile que les dépens seront partagés par moitié.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur la prescription des demandes

Aux termes de l'arrêt mixte précité la cour de céans s'est prononcée ainsi :

« 3. Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription,

Soutenant que les demandes de M. [T] s'analysent en une action en paiement de rappel de retraite complémentaire et non en une action en réparation d'un préjudice, la société Naphtachimie soulève, au visa de l'article 2224 du code civil, la prescription quinquennale de l'action et au moins des demandes antérieures au 23 juin 2005.

M. [T] réplique que sa demande ne constitue pas une demande en paiement d'arrérages de pension de retraite complémentaire mais une demande de réparation du préjudice subi en raison des retenues indues effectuées par la société Naphtachimie, de sorte que c'est la prescription trentenaire qui doit s'appliquer quand bien même la loi du 17 juin 2008 a réduit sa durée.

Au fond, M. [T] conteste le montant de l'allocation versée trimestriellement au titre du régime RPCN soutenant que la société Naphtachimie a procédé à des déductions non prévues par l'article 25 du règlement. Il soutient qu'à tort, elle a cru pouvoir systématiquement déduire pour les salariés ayant bénéficié de pré-retraite à partir de 1985, des sommes correspondant à une fraction de points acquis après leur départ de l'entreprise, et acquises par l'attribution de points gratuits, sans participation de la société Naphtachimie. Il réclame en conséquence, le différentiel entre la somme versée et celle due après intégration des déductions indues.

En cet état, c'est à juste titre que la société Naphtachimie soutient que l'action de M. [T] a la nature d'une action en rappel de pension de retraite complémentaire, ce dont il résulte que la prescription quinquennale, telle qu'elle résulte de l'article 2224 du code civil, s'agissant d'une action introduite postérieurement au 19 juin 2008, laquelle au demeurant n'a pas modifié le délai de prescription de ce type d'action, est applicable. Il est relevé que devant les premiers juges comme dans ses premières conclusions devant la cour, M. [T] avait qualifié sa demande ainsi.

Selon l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

L'action de M. [T] a pour objet la contestation du mode de détermination de la pension de retraite supplémentaire, le point de départ du délai de prescription applicable à sa demande est donc unique et se situe au moment où celui-ci a été en mesure de connaître ses droits et non à chaque échéance de la pension de retraite.

Alors que le règlement RNPC était en possession de M. [T], que sur le fond, il convient de déterminer s'il faut déduire au titre des points acquis pendant le temps de présence à Naphtachimie « en fonction des seules cotisations incombant à l'employeur » la période du Fonds national pour l'emploi dont le salarié a bénéficié et qui comportait une attribution de points gratuits ainsi que l'attribution auparavant de points gratuits pour services passés pendant le temps de présence dans l'entreprise au regard de l'article 25 du RPCN, M. [T] ne peut valablement soutenir que la créance litigieuse dépend d'éléments qui ne lui seraient pas connus de sorte que la prescription quinquennale ne pourrait trouver application, d'autant que les calculs auxquels il procède démontrent qu'il a connaissance de ces éléments.

Sur le point de départ de la prescription, M. [T] fait valoir qu'il n'a été informé de la violation de ses droits qu'à partir de fin 2009, début 2010 par des discussions avec d'anciens salariés et ajoute que la société Naphtachimie ne saurait se prévaloir d'un arrêt de la Cour de cassation du 3 juin 1997, fut-il publié. La société Naphtachimie réplique que les déductions litigieuses ont été opérées dès le premier versement de retraite, soit en1990, de sorte que dès cette date, M. [T] était en mesure de connaître les faits sur lesquels reposent son action.

Toutefois, la cour relève que la pension versée au titre du régime complémentaire n'a jamais été accompagnée d'un détail des déductions opérées, étant observé que le litige n'a rien à voir avec la présence d'enfants, qui constitue une majoration et non une déduction, que la société Naphtachimie soutient vainement que M. [T] « a lui-même procédé au calcul sur une feuille sans avoir recours à un expert », alors que cette pièce (n° 22 de M. [T]) concerne un autre salarié, qu'enfin, aucun décompte détaillé n'a jamais été fourni au salarié.

Par ailleurs, il ne peut être contesté que ces déductions supposent des calculs de type financier (cf. pages 19 bis et 20 du règlement RPCN), à tel point que les juridictions saisies ont toutes ordonné une expertise, sollicitée d'ailleurs à titre subsidiaire par la société Naphtachimie, qu'à supposer que l'arrêt invoqué puisse utilement être opposé à M. [T], il n'a statué que sur une partie des difficultés liées à l'application de l'article 25 du RPCN, qu'au vu des pièces versées au dossier, c'est au plus tôt en octobre 2007 (annexe pièce 4) qu'il a eu connaissance des faits sur lesquels son action est fondée. En outre, la publication de l'arrêt de la Cour de cassation du 3 juin 1997, ne peut utilement être opposé à M. [T], ingénieur chimiste à la retraite, d'autant qu'il n'a réglé qu'une partie des difficultés liées à l'interprétation du dit article.

Enfin la société Naphtachimie invoque vainement les dispositions de l'article 24 alinéa 2 du règlement RPCN alors qu'aucun manquement de M. [T] n'est établi quant aux « démarches nécessaires pour obtenir en temps voulu la liquidation de leurs droits aux différentes prestations déductibles ».

Il s'ensuit que l'action de M. [T] ayant été introduite le 28 juin 2010, elle n'est pas atteinte par la prescription quinquennale. La fin de non-recevoir soulevée par la société Naphtachimie sera en conséquence rejetée. »

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cette décision aux motifs suivants :

« Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de rejeter sa fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action du salarié alors, selon le moyen :

1°/ que la prescription quinquennale ne court pas lorsque la créance, même périodique, dépend d'éléments qui ne sont pas connus du créancier et doivent résulter de déclarations que le débiteur est tenu de faire ; qu'en relevant que « le règlement RNPC était en possession de M. [T] » et que « M. [T] ne peut valablement soutenir que la créance litigieuse dépend d'éléments qui ne lui seraient pas connus ['] d'autant que les calculs auxquels il procède démontrent qu'il a connaissance de ces éléments », mais en jugeant néanmoins que l'action de M. [T] ayant été introduite le 28 juin 2010, elle n'est pas atteinte par la prescription quinquennale, aux motifs que « la pension versée au titre du régime complémentaire n'a jamais été accompagnée d'un détail des déductions opérées », qu'« aucun décompte détaillé n'a jamais été fourni au salarié », qu'il « ne peut être contesté que ces déductions supposent des calculs de type financiers ['] à tel point que les juridictions saisies ont toutes ordonné une expertise », « qu'au vu des pièces versées au dossier, c'est au plus tôt en octobre 2007 qu'il a eu connaissance des faits sur lesquels son action est fondée » et que l'arrêt de la Cour de cassation du 3 juin 1997 qui portait déjà sur l'interprétation de l'article 25 du RPCN « ne peut être utilement opposé à M. [T], ingénieur chimiste à la retraite, d'autant qu'il n'a réglé qu'une partie des difficultés liées à l'interprétation dudit article », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, desquelles il résultait qu'il n'existait aucune impossibilité d'agir pour M. [T], la créance litigieuse ne dépendant pas d'éléments dont il n'aurait pas eu connaissance, violant ainsi les articles 2224 du code civil et 2277 dans sa rédaction applicable à la cause ;

2°/ que la pièce sur laquelle la cour d'appel s'est fondée pour juger qu'« au vu des pièces versées au dossier, c'est au plus tôt en octobre 2007 qu'il a eu connaissance des faits sur lesquels son action est fondée » est un courrier de la société Médéric du 30 octobre 2007 répondant uniquement à une demande de M. [T] sur le détail du calcul de ses droits acquis au titre de son activité à la société Naphtachimie ; qu'en jugeant que, jusqu'à la réponse à cette demande de M. [T], celui-ci était dans l'impossibilité d'agir, la cour d'appel a violé les articles 2224 du code civil et 2277 du même code dans sa rédaction applicable à la cause ;

3°/ qu'en jugeant dans le même temps, d'une part, que « le règlement RNPC était en possession de M. [T] » et que « M. [T] ne peut valablement soutenir que la créance litigieuse dépend d'éléments qui ne lui seraient pas connus », et, d'autre part, qu'« au vu des pièces versées au dossier, c'est au plus tôt en octobre 2007 (annexe pièce 4) qu'il a eu connaissance des faits sur lesquels son action est fondée », la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant constaté sans contradiction que si le règlement RPCN était en possession du salarié depuis 1990, ce seul élément ne lui avait pas permis de connaître ses droits avant d'introduire sa demande en justice, dès lors que la pension versée n'avait jamais été accompagnée d'un détail des déductions opérées qui supposaient des calculs détaillés que seul un expert pouvait réaliser et qu'aucun décompte ne lui avait jamais été fourni, que le salarié n'avait eu connaissance qu'en octobre 2007 des faits sur lesquels il fondait son action, la cour d'appel a souverainement estimé que cette date constituait le point de départ de l'action, en sorte que celle-ci, introduite le 28 juin 2010, n'était pas atteinte par la prescription quinquennale ; que le moyen n'est pas fondé ; »

Il sera tout d'abord relevé qu'aux termes de ces deux décisions, il a été définitivement jugé que l'action n'est pas indemnitaire mais qu'elle vise à obtenir des rappels de pension de retraite complémentaire, qu'elle se prescrit en conséquence par cinq ans et non par trente ans, que ce délai de prescription de l'action n'a couru qu'à compter d'octobre 2007 et ainsi que l'action n'était pas prescrite au 28 juin 2010, date de l'introduction de l'instance devant le conseil de prud'hommes.

L'employeur invoque cette fois la prescription quinquennale comme défense au fond et non comme fin de non-recevoir pour soutenir que le salarié ne peut demander le paiement des arriérés échus plus de cinq ans avant la date de sa demande, soit avant le 23 juin 2005.

M. [T] soutient qu'il est fondé à réclamer les sommes dues à compter du 1er octobre 1990, au motif que la cour de céans a jugé que le point de départ du délai de prescription applicable à sa demande est unique et se situe au moment où il a été en mesure de connaître ses droits et non à chaque échéance de la pension de retraite.

Il convient de relever que l'affirmation précédente ne peut être extraite de son contexte et qu'elle n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée dès lors qu'elle ne figure que dans les motifs et non dans le dispositif de l'arrêt mixte précité, que de plus elle n'a été posée que dans le cadre d'une discussion concernant la prescription de l'action elle-même et non l'étendue des demandes qui pouvaient être formées par M. [T].

L'article 2224 du code civil disposait au temps de la saisine du conseil de prud'hommes que les actions personnelles ou mobilières se prescrivaient par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit avait connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Si un créancier dispose bien, comme en l'espèce, d'une action qui n'est pas prescrite concernant le paiement de sommes payables à termes périodiques, il ne peut, en vertu du texte précité, obtenir le recouvrement des arriérés échus depuis plus de cinq ans à compter de sa demande en justice. En effet, ce délai de prescription vise tout à la fois à éviter la ruine du débiteur par l'accumulation des échéances de la dette et à inciter le créancier à la vigilance, voire à sanctionner sa négligence. Il ressort de ce double fondement de la prescription, que les droits du créancier sont limités au 5 années précédant sa demande en justice. En conséquence, M. [T] ne peut solliciter des rappels de pension complémentaires qu'à compter du 23 juin 2005, date proposée par l'employeur.

2/ Sur le montant de la rémunération à retenir

M. [T] soutient que sa rémunération de 1986 doit être revalorisée jusqu'au 1er octobre 1990, date de son départ à la retraite. L'employeur s'oppose à cette demande en précisant qu'aucun avenant au RPCN n'est venu indiquer que pour les personnes parties en préretraite dans des plans FNE, leur dernier salaire d'activité (précédent leur départ en préretraite) serait revalorisé jusqu'à la date de liquidation de leur retraite comme si elles étaient restées inscrites à l'effectif de la société. L'expert indique « Nous pensons donc, sauf preuve contraires que Naphtachimie ne nous a pas apporté, qu'elle a appliqué cette revalorisation pour le calcul du RPCN de M. [T] ».

La cour retient que l'employeur ne justifie pas des calculs qui ont présidé à la liquidation des droits de M. [T] mais que le montant de ces derniers permet de retenir qu'une certaine revalorisation a bien été prise en compte. En conséquence, le montant de la rémunération à retenir est celui du dernier salaire d'activité revalorisé à la date de liquidation des droits à pension de retraite.

3/ Sur l'ancienneté

Le salarié a travaillé pour l'employeur du 1er octobre 1961 au 31 mars 1986, soit une ancienneté de 24,5 ans. En tenant compte de la période de pré-retraite, cette ancienneté s'élève à 29 ans. L'expert indique que ; « s'agissant de l'ancienneté, l'article 4 dudit règlement précise que la retraite normale intervient à 65 ans. L'article 2 du même règlement RPCN précise que l'ancienneté est celle acquise à Naphtachimie. Par application stricte de cet article, l'ancienneté de M. [T] était de 24,5 ans (1er octobre 1961 ' 31 mars 1986). Cependant, l'adhésion à la convention FNE emportait pour les préretraites et pour Naphtachimie, comme il a été vu supra (cf. la note RH d'avril 1984 (en page 15 dudit rapport), la liquidation de la retraite au taux acquis à 60 ans (et donc le 1er octobre 1990 pour M. [T]). Il en résultait donc, tant pour le préretraité que pour l'employeur, une dérogation d'ancienneté pour le calcul de la garantie de pension totale avec prise en compte de la période FNE (1er avril 1986 ' 30 septembre 1990). L'ancienneté à retenir pour M. [T] est donc de 29 ans (1er octobre 1961 ' 1er octobre 1990) avec conséquemment l'application d'un taux barème de 49,3 % pour la détermination de la pension totale de garantie. » Dans ses dernières conclusions, l'employeur ne conteste pas que l'ancienneté à retenir soit de 29 ans, chiffre qui sera retenu par la cour.

4/ Sur la déduction de la pension de la sécurité sociale

Le salarié soutient qu'en application de l'article 25 du RPCN, une pension de retraite n'est déductible que pour la seule fraction acquise pendant le temps de présence dans l'entreprise et correspondant aux seules cotisations patronales, qu'ainsi l'ancienneté à prendre en compte dans le calcul de la déduction de pension de sécurité sociale est de 24,5 ans et non de 29 ans, dès lors que sur la période FNE, l'employeur n'a pas cotisé.

Mais la cour retient, validant en cela la position de l'expert, qu'elle ne saurait accueillir, dans un même calcul liquidatif, une ancienneté de 29 ans au bénéfice d'une fiction juridique pour établir le montant de la pension brut de déduction et une ancienneté de 24,5 ans pour le calcul des déductions alors même que l'économie du dispositif de retraite complémentaire vise uniquement à une garantie de revenu et non à l'obtention d'avantages supplémentaires.

5/ Sur la déduction des pensions complémentaires et les demandes d'exclusion d'une telle déduction

Le salarié soutient que doivent être déduits, au motif qu'ils n'ont pas donné lieu à cotisation par l'employeur :

' les 1 290 points gratuits ARRCO de la période FNE ;

' les 7 659 points gratuits AGIRC ' tranche B de la période FNE ;

' les 3 790 points « services passés » attribués au 1er janvier 1976 par l'ARRCO ;

' les 1 803 points AGIRC ' tranche C, résultat de la conversion des points IRCASUP gratuitement attribués lors de l'adhésion au régime IRCASUP,

' les 2 267 points acquis au régime AGIRC ' tranche B sur la période de présence dans l'entreprise (1er octobre 1961 ' 31 mars 1986).

L'employeur répond que l'article 25 du RPCN ne distingue pas entre les différentes catégories de points et que lorsqu'il indique « en fonction des seules cotisations de l'employeur », la précision ne s'applique qu'à la partie de la formule de calcul « t/t' » où « t » correspond au taux de cotisation de l'employeur et « t' » au taux de cotisation global.

La cour retient que le RPCN, s'il doit bien accueillir en son interprétation la part de fiction juridique qui a été retenue aux points 3 et 4, ne permet pas, au vu de la rédaction, sur ce point dénuée d'ambiguïté, de son article 25 d'étendre la déductibilité aux points acquis pendant la période de préretraite. Ainsi, les points FNE doivent-ils être exclus de déduction, selon la terminologie de l'expert.

Par contre, concernant les points acquis durant la présence dans l'entreprise, l'employeur fait justement valoir qu'il n'existe pas en tant que tels de points qui seraient acquis sur la base des seules cotisations patronales et que la dissociation selon la nature des points de retraite (gratuits ou pas) acquis au cours d'une carrière dans l'entreprise n'est d'aucune utilité pour l'application de l'article 25 du RPCN qui ne prévoit pas une telle distinction laquelle serait contraire à son objet même qui ne consiste qu'à compléter les droits acquis dans les régimes de sécurité sociale et ARRCO-AGIRC.

6/ Sur le montant du rappel de pension

Au vu des motifs précédents, il convient de retenir que la pension de sécurité sociale à déduire se monte à la somme de (3 679,49 Frs × 12) × 29/44 × 2,20/12,9 = 18 498,58 Frs et de valider les calculs effectués par l'expert sous la rubrique « cas 1 » lesquels ne sont pas contestés dans forme algébrique par les parties.

Ainsi, les pensions issues de points gratuits accordés par les caisses ARRCO (1 290 points) et AGIRC (7 659 points), de préretraite (dite période FNE) étant seules exclues de déduction de la garantie de pension totale, le RPCN annuel doit être porté à 78 315,71 € et aboutir à un versement mensuel (au 31 octobre 1990) de 6 526,31 Frs. Après réévaluation de ce RPCN de départ par application des augmentations appliquées au personnel de l'entreprise, le montant insuffisant des allocations complémentaires de retraite s'élève à la somme de 34 972,14 € sur la période du 23 juin 2005 au 31 décembre 2017.

M. [T] demande encore à la cour de dire que le montant mensuel de sa pension complémentaire est de 1 611,14 € mais sans préciser la date de cette évaluation. La cour retient que le montant de la pension doit être fixé au vu des éléments déterminés précédemment sans que les données produites par les parties, ni le rapport d'expertise, permettent de fixer le montant des mensualités à ce jour et non au 31 décembre 2017.

7/ Sur la demande formée au titre de l'inflation

M. [T] soutient que les calculs de l'expert ne prennent pas en compte l'inflation et il sollicite la somme de 40 000 € à titre de dommages et intérêts de ce chef.

Mais l'employeur fait justement valoir qu'il a valablement dénoncé en 1996 le RPCN et y a substitué par voie d'accord collectif un nouveau régime, le RSN, à effet du 1er janvier 1998, l'accord collectif du 19 décembre 1997 s'appliquant, conformément à son article 2, tant au personnel actif qu'au personnel préretraité et retraité et prévoyant que l'allocation RPCN est servie à échéance périodique depuis la liquidation des droits dans le cadre de l'exécution du régime RPCN puis du régime RSN selon les modalités de l'article 4-1 intitulé « modalité d'application du RSN aux retraités bénéficiaires du RPCN au 10/01/1998 » prévoyant que :

' tant que l'allocation RPCN servie reste d'un montant supérieur à celui estimé de manière théorique de l'allocation RSN, la pension RPCN reste dans son quantum « figée » (les modalités de réévaluation de pensions prévues antérieurement étant supprimées) ;

' dès que l'allocation RPCN devient égale au montant théorique de l'allocation RSN, la pension RPCN est à nouveau réévaluée selon les paramètres prévus par l'accord collectif du RSN.

Les modalités de réévaluations étant ainsi fixées par voie d'accord collectif, M. [T] sera débouté de sa demande formée au titre de l'inflation.

8/ Sur les autres demandes

Les sommes allouées à M. [T] à titre de rappel de retraite complémentaire produiront intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 2010, date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour le montant échu à cette date, puis à compter de chaque échéance pour les sommes postérieures.

Il convient d'allouer à M. [T] la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles de première instance, de contredit et d'appel par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'employeur supportera les dépens de première instance de contredit et d'appel comprenant notamment les frais d'expertise.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Vu l'arrêt de ce siège en date du 27 janvier 2017,

Condamne la SAS NAPHTACHIMIE à payer à M. [P] [T] les sommes suivantes :

34 972,14 € à titre de rappel de pension de retraite complémentaire du 23 juin 2005 au 31 décembre 2017 ;

  1 500,00 € au titre des frais irrépétibles de première instance, de contredit et d'appel.

Dit que le rappel de pension de retraite complémentaire produira intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 2010 pour le montant échu à cette date, puis à compter de chaque échéance pour les sommes postérieures.

Condamne la SAS NAPHTACHIMIE aux dépens de première instance, de contredit et d'appel.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-2
Numéro d'arrêt : 16/09821
Date de la décision : 14/03/2019

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 9B, arrêt n°16/09821 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-03-14;16.09821 ?
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