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13/03/2019 | FRANCE | N°16/09319

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 2-4, 13 mars 2019, 16/09319


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE


Chambre 2-4





ARRÊT AU FOND


DU 13 MARS 2019


A.L G.


N° 2019/86




















Rôle N° 16/09319 - N° Portalis DBVB-V-B7A-6UNJ











P... I... G... F...








C/





A... W... F...


O... N... F...


J... B... Y... F...

























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Copie exécutoire délivrée


le :


à :





SCP ERMENEUX-ARNAUD- CAUCHI & ASSOCIES








SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON




















Décision déférée à la Cour :





Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 17 Mai 2016 enregistré au répertoire général sous le n° 13/06232.








APPELANT





Monsieur P.....

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-4

ARRÊT AU FOND

DU 13 MARS 2019

A.L G.

N° 2019/86

Rôle N° 16/09319 - N° Portalis DBVB-V-B7A-6UNJ

P... I... G... F...

C/

A... W... F...

O... N... F...

J... B... Y... F...

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

SCP ERMENEUX-ARNAUD- CAUCHI & ASSOCIES

SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 17 Mai 2016 enregistré au répertoire général sous le n° 13/06232.

APPELANT

Monsieur P... I... G... F...

né le [...] à MARSEILLE,

demeurant [...]

représenté par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE, assisté par Me Hélène POIVEY-LECLERCQ, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Stéphane VALORY, avocat au barreau de PARIS, plaidant.

INTIMES

Monsieur A... W... F...

né le [...] à MARSEILLE,

demeurant [...]

représenté par Me Agnès ERMENEUX-CHAMPLY de la SCP ERMENEUX-ARNAUD- CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté par Me Sybille PECHENART, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant.

Monsieur O... N... F...

né le [...] à MARSEILLE,

demeurant [...]

représenté par Me Agnès ERMENEUX-CHAMPLY de la SCP ERMENEUX-ARNAUD- CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté par Me Sybille PECHENART, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant.

Monsieur J... B... Y... F...

né le [...] à CAVAILLON,

demeurant [...]

représenté par Me Agnès ERMENEUX-CHAMPLY de la SCP ERMENEUX-ARNAUD- CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté par Me Sybille PECHENART, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant.

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 09 Janvier 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Mme Annaick LE GOFF, Conseiller , a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

M. Jean-Baptiste COLOMBANI, Premier président de chambre

Mme Annie RENOU, Conseiller

Mme Annaick LE GOFF, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Mars 2019.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Mars 2019,

Signé par M. Jean-Baptiste COLOMBANI, Premier président de chambre et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

L... F... est décédé le [...] , laissant pour lui succéder ses deux fils, MM. J... et P... F..., ainsi que Mme K... F..., son conjoint survivant.

Par testament authentique en date du 17 juin 1992, le défunt a institué son fils P... légataire universel de la quotité disponible de tous ses biens et droits immobiliers.

Par actes en date des 29 mars 2005 et 6 juin 2006, M. P... F... et Mme K... F... ont renoncé à la succession en raison de son caractère déficitaire, dû à des dettes fiscales du défunt.

Par acte en date du 2 mai 2005, M. J... F... a accepté la succession de son père sous bénéfice d'inventaire.

Selon exploit d'huissier en date du 4 janvier 2007, M. P... F... a fait assigner M. J... F... aux fins de voir ordonner le partage et la liquidation d'un bien immobilier dénommé '[...]', situé [...] , celui-ci leur ayant été transmis par leur père dans le cadre d'une donation-partage en date du 21 décembre 1978.

Par jugement en date du 9 décembre 2008, le tribunal de grande instance de Marseille a ordonné le partage de l'indivision et désigné un expert aux fins d'évaluer le bien immobilier indivis. L'expert a déposé son rapport le 25 mars 2010.

Selon exploit d'huissier délivré le 25 novembre 2010, M. P... F... a attrait à la procédure MM. A... et O... F..., les deux fils de M. J... F..., bénéficiaires en cours de procédure d'une donation de la nue-propriété de la moitié indivise du bien immobilier en cause.

Selon nouvel exploit d'huissier en date du 22 mai 2013, M. J... F... a, en présence de ses fils, O... et A... F..., fait assigner M. P... F... devant le tribunal de grande instance de Marseille aux fins de voir ordonner le rapport à la succession de L... F... de donations déguisées consenties à son frère pour un montant de 3.852.175,53 €, le condamner à titre provisionnel au paiement de cette somme, outre à celle de 150.000 € à titre de dommages et intérêts, convertir l'hypothèque judiciaire provisoire sur la part indivise détenue en pleine propriété par M. P... F... sur le bien 'villa Morgane', enregistrée le 22 avril 2013 au SPF de Marseille. En réplique, M. P... F... s'est opposé à ces demandes, a sollicité la vente aux enchères publiques du bien immobilier indivis en cause et que soit ordonnée la mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire enregistrée le 22 avril 2013 au SPF de Marseille.

Par jugement en date du 17 mai 2016, le tribunal de grande instance de Marseille :

- s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes aux fins de conversion et de mainlevée de l'hypothèque judiciaire portant sur le bien immobilier sis [...] ,

- dit n'y avoir lieu à constater la prescrition de l'action introduite par J... F...,

- dit que les agissements de P... F... constituent un recel successoral portant sur la somme de 3.779.000 €,

En conséquence,

- dit que la somme de 3.779.000 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'ouverture de la succession, doit être rapportée à la succession de L... F...,

- dit que P... F..., nonobstant sa renonciation à la succession de L... F... en date du 29 mars 2005, est réputé accepter purement et simplement ladite succession,

- dit que P... F... ne peut prétendre à aucune part dans la somme recelée de 3.779.000€,

- débouté J... F... de sa demande aux fins de voir constater le recel successoral ou de voir ordonner le rapport à la succession de la somme de 73.175,53 € correspondant à un crédit immobilier souscrit par P... F...,

- condamné P... F... à verser à J... F... la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts,

- condamné P... F... à verser à J..., A... et O... F... la somme de 4.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné P... F... aux dépens.

S'agissant de la prescription soulevée, le tribunal a constaté que la succession en cause, ouverte antérieurement à la loi du 23 juin 2006, relevait des dispositions de droit commun prévues par l'ancien article 789 du code civil relatif à la prescription trentenaire de l'action successorale et qu'en tout état de cause, le délai de 10 ans pour exercer l'option successorale, prévu par l'article 780 du même code, issu de la loi du 23 juin 2006, n'était pas écoulé au 22 mai 2013, jour de la délivrance de l'assignation sur le fondement du recel successoral.

Sur le fond, le tribunal a constaté qu'il résultait des pièces produites que, sur ordre téléphonique du 28 novembre 2003, peu avant le décès de L... F..., tous les avoirs détenus par celui-ci au Crédit Suisse avaient été transférés sur un compte ouvert auprès de cette même banque au nom de son fils, P... F.... Le tribunal a déduit d'attestations de dépôt émis par le Crédit Suisse que la somme de 3.779.000 € avait été déposée sur le compte du de cujus peu avant son décès. Il a considéré que le comportement de M. P... F... était constitutif du recel successoral.

Etait en revanche rejetée la demande formée au titre du recel successoral par M. J... F... à l'encontre de M. P... F... s'agissant de sommes prêtées à celui-ci par son père et qui ont en réalité été remboursées.

Quant aux demandes relatives à l'hypothèque judiciaire provisoire, le tribunal a relevé qu'en vertu des dispositions de l'article L213-6 du code de l'organisation judiciaire, seul le juge de l'exécution était compétent pour en connaître.

Suivant acte reçu au greffe le 20 mai 2016, M. P... F... a formé appel de ce jugement.

Suivant dernières conclusions signifiées par voie électronique le 15 mai 2018, M. P... F... demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Marseille le 17 mai 2016, sauf en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes aux fins de conversion et de mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire portant sur le bien immobilier sis [...] , dit n'y avoir lieu à constater la prescription de l'action introduite par J... F... et débouté celui-ci de sa demande aux fins de voir constater le recel successoral ou de voir ordonner le rapport à la succession de la somme de 73.175,53 € correspondant à un crédit immobilier souscrit par P... F... ;

Statuant à nouveau, il demande à la cour de :

- dire qu'il n'a bénéficié d'aucune donation rapportable ou réductible à la succession de L... F... au titre de la somme de 3.779.000 € issue du trust Palexpo,

- dire qu'aucun recel successoral ne peut être invoqué à son encontre,

- constater qu'il a renoncé à la succession de L... F... par acte du 29 mars 2005,

- débouter MM. J..., A... et O... F... de leur demande de rapport à succession de la somme de 3.779.000 €,

- les débouter de l'ensemble de leurs demandes et les déclarer mal fondés,

- les débouter de leur demande de dommages et intérêts,

- les condamner à lui verser la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts,

- ordonner la licitation du bien immobilier sis [...] ,

- condamner MM. J..., A... et O... F... à lui payer la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux entiers dépens.

M. P... F... conteste l'existence d'un recel successoral en ce qu'il n'aurait bénéficié d'aucune donation rapportable ou réductible, les sommes virées sur son compte auprès du Crédit Suisse à partir du compte ouvert au nom de son père auprès de la même banque, lui appartenant à l'origine. M. P... F... invoque le fait que son père, banquier de profession et doté d'une forte personnalité, s'était ingéré dans ses affaires, ce qui viendrait expliquer que les fonds en cause aient transité par le compte du défunt.

Il indique qu'une partie de ces fonds a pour origine des parts sociales qu'il détenait dans une entreprise familiale, la société Midi Oxygène, à la suite d'une donation-partage consentie par sa mère. Cette somme aurait fructifié et se serait accrue d'une nouvelle donation d'un montant de 960.000 dollars, soit 858.298 €, dont il aurait bénéficié en 1999 de la part de son père, à l'instar de son son frère.

Le 11 octobre 1993, M. P... F... a ouvert un trust auprès de l'établissement Merrill Lynch, étant le seul propriétaire des fonds investis, son père apparaissant comme le bénéficiaire subsidiaire en cas de prédécès de son fils. Le 11 octobre 1993, il a signé une lettre de desiderata par laquelle il émettait des souhaits concernant la gestion de ses fonds, ceux-ci ayant été déposés sur le compte principal n° [...] et le compte secondaire n° [...] ouverts auprès de Merrill Lynch au nom de Palexpo Ltd. Merrill Lynch aurait d'ailleurs toujours indiqué que le seul bénéficiaire des actifs détenus par le trust en cause était M. P... F... même si c'était L... F... qui en assurait la gestion.

Si l'ordre de virement des fonds détenus par ce trust a été signé par L... F..., c'est bien M. P... F... qui, pour Merrill Lynch, serait mentionné comme ayant ordonné ce transfert. C'est par commodité et en raison de la confiance qui l'unissait à son père que celui-ci a décidé de transférer les fonds sur son propre compte, la situation ayant été régularisée ultérieurement. Deux lettres de Merril Lynch viendraient d'ailleurs établir que les fonds appartenant à M. P... F... et investis dans le trust Palexpo sont les mêmes que ceux qui ont été portés au crédit du compte n° [...] ouvert au Crédit Suisse au nom de L... F....

Le transfert des fonds litigieux du compte de L... F... sur le compte de M. P... F... aurait été validé par un jugement définitif du tribunal de première instance de Genève

du 21 juillet 2016.

S'agissant de la donation indirecte d'un montant de 858.298 € dont il a, par ailleurs, bénéficié de la part de son père, l'appelant indique que dernier, titulaire d'un compte auprès de la banque Pictet, du 10 août 1999 au 21 novembre 1999, l'a institué ayant droit économique des avoirs qui y ont été déposés à hauteur de 960.000 dollars le 25 août 1999, avant de renoncer à la titularité de ce compte à son profit.

L'élément matériel du recel ferait, en l'espèce, défaut dans la mesure où M. J... F... était informé de cette donation consentie le 25 août 1999, d'autant qu'il aurait lui-même bénéficié de libéralités provenant de la même source dès 1996, pour un montant supérieur. Au décès de L... F..., le [...] , la valeur des placements ayant bénéficié à M. J... F... était de 461.981,06 dollars et, au 26 mai 2008, de 438.248 dollars.

M. P... F... soutient que son frère J... a bénéficié de la part de L... F... d'une donation indirecte d'un montant de 2.3ll.981,06 dollars, versée en deux fois :

- 1.850.000 dollars le 18 décembre 1996 ;

- 461.981,06 dollars au décès de leur père.

Etant à l'origine de la décision de L... F... de dissoudre la fondation ayant permis de consentir les donations indirectes en cause à ses deux fils, M. J... F... ne pouvait ignorer que son père avait l'intention de gratifier son frère du même montant.

Au soutien de sa demande de dommages et intérêts, M. P... F... fait valoir l'intention de nuire de son frère à son égard.

Enfin, l'appelant considère que la motivation des premiers juges au titre du rejet de la demande de licitation du bien immobilier dénommé [...], en ce que le maintien du bien dans l'indivision constituerait une garantie, n'a plus lieu d'être, dans la mesure où il n'est débiteur d'aucune somme à l'égard de la succession.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 26 avril 2018, MM. J..., A... et O... F... demandent à la cour, en application des articles 913 et 778 du code civil, de :

- confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués,

- débouter M. P... F... de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

En conséquence,

- dire que les agissements de M. P... F... constituent un recel successoral,

- dire que le montant des libéralités et donations déguisées devant être rapportées par M. P... F... à la masse active de la succession de L... F... s'élève à la somme de 3.779.000€ a minima, sachant que des investigations pénales sont en cours pour déterminer l'existence et la consistance d'autres comptes bancaires dissimulés,

- condamner M. P... F... au paiement à titre provisionnel, et sous réserve de la découverte d'autres fonds dissimulés et de tous autres dus supplémentaires, de la somme de 3.779.000 € avec intérêts légaux à compter de l'ouverture de la succession,

- condamner M. P... F..., eu égard au détournement à son profit de la totalité du patrimoine financier de L... F..., à payer à M. J... F... la somme de 150.000€ à titre de dommages et intérêts,

- condamner M. P... F... à la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. P... F... aux entiers dépens, en ce compris les frais d'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire, ainsi qu'aux frais d'expertise de M. T..., conformément à l'article 696 du code de procédure civile avec distraction au profit de la SCP Monneret Missirli.

MM. J..., A... et O... F... s'opposent à la demande de vente sur licitation formulée par M. P... F..., dans la mesure où, comme relevé par les premiers juges, M. J... F... est créancier vis-à-vis de son frère bien au-delà de sa moitié indivise sur le bien ainsi évalué, et qu'il ne peut rien revenir à l'appelant à ce titre.

S'agissant du recel successoral, M. J... F... indique avoir informé Maître C..., notaire chargé du règlement de la succession, de l'existence de comptes bancaires dont L... F... était titulaire et non communiqués à la succession. Interrogé par le notaire suivant courrier du 14 octobre 2004, M. P... F... répondait, par mail du 15 octobre 2004, lui avoir transmis tous les documents en sa possession et qu'il ne disposait pas d'informations supplémentaires.

Les investigations bancaires personnellement diligentées par M. J... F... auprès de plusieurs établissements financiers lui ont permis de retrouver la trace de sommes importantes détenues par le défunt (Crédit Suisse, Merill Lynch, Dexia, ABN, Pictet, Banque Cantonale Vaudoise ') et notamment d'établir que L... F... avait déposé auprès du Crédit Suisse à Genève des valeur et avoirs en euros et US Dollars pour des montants élevés (2.205.000€ et 2.070.000 $), l'intégralité de ces avoirs ayant été transférée sur un compte numérique du Crédit Suisse n°[...].

Sur saisine de M. J... F..., le tribunal de première instance du Canton de Genève a, par ordonnance en date du 24 Janvier 2007, enjoint au Crédit Suisse de communiquer au requérant tout renseignement attestant des dates de transfert du compte [...] au profit du compte n°[...], des montants transférés et de l'identité du ou des bénéficiaires de ces transferts. En exécution de cette ordonnance, le Crédit Suisse a, suivant courrier en date du 12 février 2007, informé M. J... F... de ce que l'intégralité des avoirs de L... F... avait été transférée de la relation numérique n°[...] sur la relation numérique n°[...] dont le titulaire était M. P... F..., ce transfert ayant été ordonné par téléphone la veille de l'hospitalisation de L... F... et peu de temps avant son décès.

Les intimés considèrent qu'en aucune manière, la traçabilité financière entre la vente des parts de M. P... F... dans Midi Oxygène en 1988 et la constitution du Trust Palexpo en 1993 ne serait prouvée. Il y aurait, en outre, une forte disparité entre le solde de la vente de Midi Oxygène, soit 990.000 €, et les sommes retrouvées sur le compte Crédit Suisse, soit 2.250.000 € et 2.070.000 dollars.

Par ailleurs, dans le cadre de la procédure civile diligentée en Suisse par M. J... F... à l'encontre du Crédit Suisse, le témoignage de Mme Joséphine E... , gestionnaire au sein du l'établissement bancaire, des notes d'entretien ainsi qu'un formulaire de demande de création d'un trust au nom de Petalo Trust viendraient démontrer que les fonds litigieux appartenaient à L... F....

Enfin, M. J... F... conteste avoir bénéficié de donations indirectes comme soutenu par son frère. Il fait valoir, en toute hypothèse, que celui-ci, ayant renoncé à la succession de son père et n'ayant donc plus le statut d'héritier, ne pourrait arguer de la qualification de recel successoral à son encontre.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 mai 2018.

MM. J..., A... et O... F... ont signifié de nouvelles conclusions le 22 novembre 2018, postérieurement à l'ordonnance de clôture.

Sur ce,

- Sur la demande de rabat de l'ordonnance de clôture :

Suivant conclusions signifiées le 22 novembre 2018, MM. J..., A... et O... F... sollicitent la révocation de l'ordonnance de clôture rendue le 16 mai 2018 aux motifs que les dernières conclusions de l'appelant ont été déposées la veille de la clôture, que M. P... F... ne serait pas domicilié [...] , comme il le soutient,

que les sommes sollicitées au titre du recel successoral doivent être converties et, enfin, que les demandes des intimés ont été modifiées.

En application des dispositions de l'article 784 du code de procédure civile, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue ; la constitution d'avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation.

Les dispositions précitées exigent que la cause, de nature à justifier la révocation de l'ordonnance de clôture, se soit révélée postérieurement à celle-ci. Dès lors, l'argument tiré de l'absence de conversion des sommes demandées dans les précédentes écritures des intimés ainsi que l'existence de demandes nouvelles, toutes fondées sur des éléments déjà connus avant l'ordonnance de clôture du 16 mai 2018, ne sauraient permettre de caractériser la cause grave révélée postérieurement à la clôture.

Quant au fait que M. P... F... ne serait pas domicilié [...] , non seulement cette affirmation est en contradiction avec la mention relevée dans la sommation interpellative diligentée par les intimés le 19 octobre 2018, aux termes de laquelle il est indiqué, sans aucune ambiguïté, que M. P... F... est bien domicilié à cette adresse, mais encore cette circonstance ne saurait constituer un motif de révocation de l'ordonnance de clôture, mais uniquement une cause d'irrecevabilité des conclusions en vertu des articles 960 et 961 du code de procédure civile.

Il convient toutefois de rechercher si les conclusions déposées par M. P... F... la veille de l'ordonnance de clôture sont susceptibles de porter atteinte au principe du contradictoire. Or, leur examen et celui des conclusions antérieures, signifiées le 5 avril 2018, révèlent que ces écritures ne contiennent aucun élément nouveau et ne sont que la reprise des demandes initiales, accompagnées de réponses aux conclusions prises par les intimés le 26 avril 2018. Par ailleurs, il convient de relever que maître Missirli-Monneret, alors conseil de MM. J..., A... et O... F..., a, le 17 mai 2018, formé une demande de renvoi de l'affaire, initialement fixée à l'audience de plaidoiries du 23 mai 2018, sans formuler aucune demande de rabat de l'ordonnance de clôture en dépit des conclusions déposées le 15 mai 2018 par l'appelant.

Dès lors, la demande tendant à la révocation de l'ordonnance de clôture n'étant pas justifiée, elle sera rejetée.

- Sur le recel successoral :

L... F... étant décédé le [...] , en application de l'article 47-II de la loi n°2006-1805 du 23 juin 2006, ce sont les dispositions antérieures à la réforme des successions qui sont applicables en l'espèce.

Il ressort de l'ancien article 792 du code civil, applicable à la présente espèce, que les héritiers qui auraient diverti ou recelé des effets d'une succession, sont déchus de la faculté d'y renoncer: ils demeurent héritiers purs et simples, nonobstant leur renonciation, sans pouvoir prétendre aucune part dans les objets divertis ou recelés.

Le recel successoral est la fraude ou l'omission commise intentionnellement par l'héritier pour rompre l'égalité du partage, par la dissimulation d'effets de la succession. Il y a recel, en outre, en cas de dissimulation par un héritier d'une donation.

Le recel est également constitué d'un élément moral. Est receleur l'héritier qui, dans une intention frauduleuse, a voulu s'assurer un avantage à l'encontre de ses cohéritiers. De plus, la fraude ne résulte pas du seul fait de la dissimulation. Il faut, en outre, établir un acte positif constitutif de la mauvaise foi, tel qu'un mensonge ou même une réticence ou encore des manoeuvres dolosives. La charge de la preuve du recel successoral incombe à la partie qui l'invoque.

Les avis de dépôt émanant du Crédit Suisse de Lausanne, produits aux débats, permettent d'établir qu'ont été transférées sur le compte n° [...], ouvert au nom de L... F... auprès de cette banque, les sommes de 2.070.000 USD et de 2.295.000 €, les 15 et 18 août 2003, outre celle de 63.012 USD, le 24 décembre 2003. Il résulte, par ailleurs, d'un courrier du Crédit Suisse à M. J... F..., le 6 novembre 2006, que les fonds portés au crédit du compte de son père ont été transférés sur le compte n° [...] de son frère, ouvert auprès de cette même banque, sur ordre téléphonique de L... F..., le 28 novembre 2003.

Afin de démontrer que ces fonds lui appartenaient, M. P... F... produit un contrat de 'fiducie', conclu avec Merrill Lynch Bank Company Limited, située aux Iles Caïmans, le 22 octobre 1993, par lequel a été constitué un trust au bénéfice de l'appelant, avec comme bénéficiaire subsidiaire L... F... et comme bénéficiaires finaux sa femme et son fils, Danièle et Hubert F.... Est également produite une 'lettre de desiderata' signée de P... F..., le 11 octobre 1993, relative à la gestion des fonds et à leurs bénéficiaires. L'appelant verse également aux débats un courrier du 8 août 2013 de Merrill Lynch Bank confirmant que le trust en cause, dénommé Palexpo, était constitué du seul P... F..., également unique bénéficiaire de l'ensemble des actifs détenus. Il était précisé que L... F... n'avait, quant à lui, jamais été bénéficiaire des actifs du trust et n'était titulaire d'aucune procuration, l'instruction du transfert des fonds vers la Suisse ayant été donnée le 11 août 2003 par M. P... F.... Il ressort toutefois de l'audition de M. X... U..., gestionnaire chez Merrill Lynch, dans le cadre de la procédure diligentée en Suisse par M. J... F..., que c'était en réalité L... F..., et non son fils P..., qui avait pris en main la gestion du trust, ce qui revient à remettre en cause la position officielle de l'établissement bancaire.

En regard de l'ensemble des éléments produits aux débats, il n'est pas contestable que les fonds transférés à destination du Crédit Suisse proviennent du trust Palexpo ouvert au nom de M. P... F.... Il convient toutefois de s'intéresser, en amont, à l'origine de ces fonds afin de déterminer si ceux-ci proviennent ou non d'une donation consentie par L... F... à son fils P..., comme l'affirment les intimés.

L'appelant prétend, pour sa part, que les fonds litigieux ont, pour partie, pour origine la vente de parts sociales qu'il détenait dans une entreprise familiale, dénommée 'Midi Oxygène', à la suite d'une donation-partage consentie par sa mère, Mme K... F..., à ses deux fils, le 2 juillet 1986.

Il produit, par ailleurs, un protocole d'accord en date du 24 octobre 1988 par lequel il a cédé les 3.000 parts qu'il possédait dans la SARL 'Midi Oxygène' à la société 'VitalAire', moyennant le prix de 7.499.700 Frs, soit 1.143.320 €. Les bordereaux de remise de chèques communiqués par l'appelant confirment que celui-ci a bien encaissé cette somme en plusieurs versements courant décembre 1988.

Toutefois, aucun élément des débats ne permet de faire le lien entre les fonds transférés en Suisse fin 2003 et le produit de la vente des parts de la SARL 'Midi Oxygène' fin 1988, soit 15 ans auparavant.

Il ressort, en revanche, de l'audition de Mme Joséphine E... , conseillère en placements auprès du Crédit Suisse, réalisée dans le cadre de la procédure diligentée auprès du tribunal civil de Genève, que M. P... F... lui a déclaré avoir menti sur l'origine des fonds transférés sur le compte de son père, à propos desquels il avait, dans un premier temps, expliqué qu'ils provenaient d'un héritage maternel au titre d'une société 'Oxygène'. Il devait finalement indiquer à sa conseillère, lors d'une réunion en date du 1er mars 2007, en présence d'un fiscaliste français, que les avoirs transférés étaient en réalité des fonds que son père lui avait donnés plusieurs années auparavant, sans que cette donation ait jamais été déclarée en France. Le compte-rendu écrit de cet entretien, mené avec M. P... F... le 1er mars 2007, communiqué à la justice suisse et versé aux débats, vient confirmer que l'intéressé a fini par déclarer à sa conseillère en placements que les fonds ayant alimenté le trust ouvert à son nom, avant leur transfert au Crédit Suisse, lui avaient été donnés par son père.

Il résulte dès lors de ces éléments, obtenus dans le cadre des investigations diligentées sur le territoire suisse, que les fonds litigieux constituent des libéralités consenties par le défunt à son fils P....

Si l'appelant reconnaît, aux termes de ses dernières écritures, qu'une partie des fonds litigieux lui a été donnée par L... F..., il conteste toutefois toute intention frauduleuse dans la mesure où cette donation, consentie à son profit le 25 août 1999, était, selon lui, parfaitement connue de son frère qui aurait également bénéficié de libéralités dès 1996 pour un montant supérieur, à la suite de la dissolution d'une fondation dénommée 'Coulon-Vaduz'. Au soutien de cette assertion, il produit aux débats un courrier attribué à la main de son père, faisant état de ce que M. J... F... aurait reçu les sommes de 1.000.000 dollars et de 850.000 dollars, le 18 décembre 1996, afin de l'aider à racheter une pharmacie. Ces opérations sont confirmées dans un courrier du 10 avril 1997 adressé au conseil de la fondation Coulon, également attribué par l'appelant à son père. Est jointe une confirmation de sortie de fonds à l'en-tête d'UBS pour un montant de 1.850.000 dollars à la date du 17 décembre 1996. Toutefois, en raison de l'opacité des transferts de fonds opérés à travers cette fondation, il n'est nullement établi que M.J... F... ait perçu la somme de 1.850.000 dollars invoquée par son frère, les seuls documents venant en attester étant les deux pièces précitées, présentées comme étant de la main du défunt, mais difficilement identifiables et ne présentant, pour cette raison, qu'un caractère probant limité.

En toute hypothèse, même si l'on admettait que M. J... F... a reçu des libéralités de son père, cela ne vient nullement établir que celui-ci avait, de ce seul fait, connaissance de celles consenties à son frère plus de deux ans plus tard.

Par courrier en date du 14 octobre 2004, le notaire en charge du règlement de la succession de L... F... communiquait à M. P... F... les interrogations de son frère sur l'éventuelle existence de comptes bancaires non communiqués à la succession, lui demandant de livrer son opinion à ce sujet. Par courriel en date du 15 octobre 2004, l'intéressé devait lui répondre lui avoir adressé une copie de tous les documents en sa possession relatifs aux comptes bancaires de son père et ne pas avoir d'informations supplémentaires à lui apporter dans la mesure où il ne contrôlait pas les dépenses du défunt. Eu égard aux éléments précédemment relevés sur l'origine des fonds transférés au Crédit Suisse, cette déclaration apparaît mensongère.

Enfin, il résulte du témoignage précité de Mme Joséphine E... que les fonds litigieux ont rapidement été transférés de Suisse à Singapour, avant que M. J... F... ne saisisse la justice helvétique d'une demande de séquestre sur les avoirs de son père à Genève. Il ressort, par ailleurs, de l'audition précitée de Mme E... que c'est en raison du refus de M. P... F... de régulariser, auprès des service fiscaux français, la situation des fonds transférés au Crédit Suisse, en ce qu'ils provenaient d'une donation non déclarée, que l'établissement bancaire avait pris la décision de cesser toute relation avec l'intéressé.

Dès lors, il résulte des ces éléments qu'en dissimulant à l'administration française et au notaire en charge de la succession de L... F... l'existence de fonds provenant de libéralités consenties par son père, dans un contexte de mésentente familiale, M. P... F... a manifesté l'intention de rompre l'égalité du partage.

En conséquence, le recel successoral étant établi à l'encontre de M. P... F..., il devra rapporter à la succession de L... F... la somme non contestée de 3.779.000 €, avec intérêts au taux légal à compter de l'ouverture de la succession et devra supporter les sanctions du recel successoral en application des dispositions de l'ancien article 792 du code civil. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

- Sur les demandes de dommages et intérêts :

C'est par une juste appréciation des circonstances de la cause que le premier juge, retenant le comportement fautif de M. P... F..., à l'origine d'un préjudice moral pour J... F..., l'a condamné à payer à celui-ci la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts.

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de M. P... F..., partie succombante.

- Sur la demande de licitation du bien indivis :

S'agissant de la demande de licitation du bien immobilier indivis, ayant fait l'objet d'une donation-partage consentie par L... F... à ses deux fils, par acte du 21 décembre 1978, c'est également à bon droit que le tribunal l'a écartée en considération des sommes dues à la succession par M. P... F....

- Surs les frais irrépétibles et les dépens :

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront également confirmées.

L'équité commande de condamner M. P... F... à payer à MM. J..., A... et O... F... la somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.

Par ces motifs,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture présentée par MM. J..., A... et O... F....

Confirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Marseille le 17 mai 2016 dans toutes ses dispositions.

Condamne M. P... F... à payer à MM. J..., A... et O... F... la somme de QUATRE MILLE EUROS (4.000 €) au titre des frais irrépétibles d'appel.

Le condamne aux entiers dépens, comprenant les frais d'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire et les frais d'expertise de M. T..., avec distraction au profit de l'avocat des intimés, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 2-4
Numéro d'arrêt : 16/09319
Date de la décision : 13/03/2019

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 6D, arrêt n°16/09319 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-03-13;16.09319 ?
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