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22/02/2019 | FRANCE | N°17/04227

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 22 février 2019, 17/04227


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 22 FEVRIER 2019



N°2019/ 62



RG 17/04227

N° Portalis DBVB-V-B7B-BAEKA







[Y] [V]





C/



SA SOPRO





































Copie exécutoire délivrée

le :



à :



-Me Jean-paul GUEYDON, avocat au barreau de MARSEILLE



- Me Ro

main CHERFILS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE









Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 10 Février 2017 enregistré au répertoire général.





APPELANTE



Madame [Y] [V], demeurant [Adresse 2]



comparante en personne, représentée par M...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 22 FEVRIER 2019

N°2019/ 62

RG 17/04227

N° Portalis DBVB-V-B7B-BAEKA

[Y] [V]

C/

SA SOPRO

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

-Me Jean-paul GUEYDON, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Romain CHERFILS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 10 Février 2017 enregistré au répertoire général.

APPELANTE

Madame [Y] [V], demeurant [Adresse 2]

comparante en personne, représentée par Me Jean-paul GUEYDON, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

SA SOPRO, demeurant [Adresse 5]

représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et Me Jérôme FEUFEU, avocat au barreau de BORDEAUX

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 785 et 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Janvier 2019 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Catherine LE LAY, Président de Chambre, et Madame Hélène FILLIOL, Conseiller, chargées du rapport.

Madame Hélène FILLIOL, Conseiller, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine LE LAY, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Hélène FILLIOL, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Février 2019.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Février 2019.

Signé par Madame Catherine LE LAY, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * * * *

PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Madame [Y] [V] est régulièrement appelante d'un jugement rendu le 10 février 2017 par le conseil de prud'hommes de Marseille qui notamment :

- l'a déboutée 'de ses différentes demandes de dommages et intérêts au titre du chef d'un harcèlement moral dont les éléments ne sont pas réunis en l'espèce',

- a 'constaté la validité de la clause de mobilité acceptée en son temps .. constitutive en la circonstance d'un simple changement de ses conditions de travail',

- a écarté la faute grave et retenu une faute simple constitutive d'un motif réel et sérieux de licenciement,

- a condamné la SA SOPRO à lui payer les sommes de 18.949.98€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 1894.99€ au titre des congés payés y afférents, 42.290.02€ à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, outre les intérêts au taux légal à compter de la demande en justice,

- a retenu un salaire brut mensuel moyen de 3158.33€,

- a débouté de sa demande de dommages et intérêts liée au caractère abusif de la rupture,

- a condamné la SA SOPRO à lui payer la somme de 1000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- a mis les éventuels dépens à la charge de la SA SOPRO.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 décembre 2018;

A l'audience collégiale du 8 janvier 2019, Madame [Y] [V] sollicite le bénéfice de ses conclusions du 5 Mai 2017 et demande à la cour :

' Vu le contrat de travail de 2007 et son avenant sur la durée du travail,

Vu les articles': L1235-5, L 1222-6 et L 1242-1 du Code du travail, L 1152-1 et 4, L1234-5, L1234-9, L 1331-1 du Code du travail,

Vu les articles 4, 8, 27 et 29 de la Convention Collective Nationale des Ingénieurs et Cadres de la métallurgie,

Vu les articles 696 et 700 du Code de procédure civile,

Vu la jurisprudence constante de la Cour de Cassation,

Après avoir constaté que le licenciement de la salariée est sans cause et sérieuse, qu'elle a fait l'objet de harcèlement et de man'uvres dolosives de la part de son employeur';

- Vu le jugement prud'homal qui a considéré que le licenciement ne pouvait intervenir pour faute grave et qui a condamné l'employeur au paiement des sommes de':

- 18.949,98 € bruts à titre d'indemnité de préavis';

- 1.894,99 € bruts à titre d'indemnité de congés payés sur le préavis';

- 42.290,02 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement';

Par conséquent'de:

- infirmer le jugement et dire et juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse'et condamner pour la somme de 75.000,00 € de dommages et intérêts sur le fondement des articles L 1235-3 et 1331-1 du Code du Travail';

- dire et juger que la salariée a été victime de man'uvres vexatoires et de harcèlement et de condamner la société SOPRO à la somme de 30.000,00 € de dommages et intérêts, sur le fondement combiné des articles 1116 du code civil et L 1152-1 et L 1252-4 du Code du travail;

- condamner la société SOPRO à la somme de 3.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile et de' CONFIRMER le jugement prud'homal qui l'a condamnée à la somme de 1.000,00€ sur ce même fondement';

- condamner la société SOPRO aux entiers dépens de première instance et d'appel, y incluant les éventuels frais d'exécution forcée.'

La SA SOPRO sollicite le bénéfice de ses conclusions du 7 juin 2017 et demande à la cour:

'- dire et juger que le licenciement de Madame [V] est fondé sur une faute grave.

En conséquence':

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit et jugé que la faute grave n'était pas constituée';

- débouter Madame [V] de ses demandes d'indemnité de préavis, d'indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse';

- ordonner à Madame [V] le remboursement de la somme de 29.569,71 € réglée par la société SOPRO au titre de l'exécution provisoire de droit.

- dire et juger que Madame [V] n'a pas été victime d'un harcèlement moral';

- dire et juger'que la société SOPRO n'a pas commis de manquements à son obligation de sécurité';

- en conséquence, confirmer le jugement entrepris et débouter Madame [V] de ses demandes'indemnitaires de 20.000 € et 10.000 € ;

- condamner Madame [V] aux entiers dépens éventuels';

- la condamner à verser à la société SOPRO une indemnité de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

- la condamner aux entiers dépens d'appel, ces derniers distraits au profit de la SELARL LEXAVOUE AIX EN PROVENCE représentée par Maître Romain CHERFILS, avocat postulant, sur justification d'en avoir fait l'avance.'

MOTIFS DE LA DECISION

Attendu qu'il est établi par les éléments de la cause :

- que Madame [Y] [V] a été embauchée par la SA SOPRO à compter du 7 novembre 1994 en qualité d'assistante de direction ;

- qu'elle a occupé à compter du 1er mars 2006 jusqu'au 31 janvier 2007 les fonctions d'assistante de direction/responsable marketing ;

- qu'à compter du 1er janvier 2007, elle a exercé la fonction de directrice marketing coefficient 100, statut cadre dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée ' pour un cadre autonome en forfait jours réduits' lequel comprenait une clause 5 intitulée ' lieu de travail' ainsi rédigée ' le salarié est engagé pour exercer son activité au siège social de la société [Adresse 5]. Il reconnaît expressément que le lieu de travail n'est pas un élément qu'il juge essentiel dans le cadre de son contrat de travail. Il accepte par avance toute nouvelle affectation et donc tout changement de son lieu de travail rendu nécessaire par les besoins de la société en France ou à l'Etranger sans que cette affectation ne soit considérée comme une modification du présent contrat, imputable à la société';

- qu'elle a exercé à compter du 1er juin 2011 les fonctions de directrice de communication ;

- que les relations contractuelles étaient soumises à la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie ;

- que par courrier électronique du 3 juillet 2015 Madame [Y] [V] a écrit à son employeur ce qui suit :

' Bonjour,

Deux solutions :

Je prends des conges du 6 au 31/07 : 18 jours - il reste encore 29.5 jours j'ai déjà pris tous le mois d'août sur les CP 2014

Je prends tout septembre 22 jours

reste 7.5 jours à prendre ponctuellement avant la fin de l'année

Je prends les congés du 6 au 31/07 : 18 jours - il reste encore 29.5 jours j'ai déjà pris le mois d'août sur les CP2014

Vous me payez 22 jours de septembre et je reprends le travail le 31/08

Rets 7.5 jours à prendre ponctuellement avant la fin de l'année

J'ai mis [L] en CC car selon votre décision, l'activité sera impactée';

- que par courrier électronique daté du même jour son employeur lui a répondu ' [Y] Solution 1" ;

- par courrier électronique du 28 septembre 2015 Madame [Y] [V] a écrit à la SA SOPRO en ces termes :

'Bonjour je reprends le travail le 1er octobre au terme de presque 3 mois de vacances forcées. Pourrait on convenir d'une réunion de travail le 1er afin de m'informer des dossiers en cours et du travail à réaliser. Si une telle réunion est impossible à cette date, un entretien téléphonique serait souhaitable' ;

- que par courrier du 9 décembre 2015 la SA SOPRO a écrit à Madame [Y] [V] ce qui suit: ' Madame, nous vous confirmons par la présente que nous vous dispensons de présence et d'activité à compter de ce jour. Pendant cette période votre rémunération vous sera bien entendu intégralement maintenues et versées aux échéances normales de la paye..' ;

- que par courrier du 10 décembre 2015 la SA SOPRO a informé Madame [Y] [V] qu'il avait 'décidé de procéder à sa mutation définitive dans notre établissement situé au [Adresse 1] à [Localité 4].

Votre mutation sera effective le 15 février 2016. Vous exercerez vos fonctions de directrice communication sous la responsabilité hiérarchique de Monsieur [A] [G], Directeur Marketing institutionnel. Compte tenu de la nature des fonctions que vous exercez au sein de notre entreprise nous vous rappelons que votre mutation devra s'accompagner du changement de votre lieu de résidence. Celui-ci devra être situé le plus près possible de votre nouveau lieu de travail.

Nous attirons votre attention sur le fait que votre nouvelle affectation n'entraîne aucune modification de votre contrat de travail dans la mesure où elle est conforme à votre clause de mobilité et ne s'accompagne pas d'un changement notable de vos fonctions. Nous vous informons qu'à défaut de vous y conformer, vous vous exposez donc à un licenciement. ..';

- que par courrier du 18 décembre 2015 Madame [Y] [V], rappelant qu'elle travaillait au sein de l'entreprise depuis 25 ans, qu'elle exerçait actuellement la fonction de directrice communication et évènementiels, et qu'elle était l'épouse de [C] [V], ancien directeur général de SOPRO' remercié en mars 2015 lorsque la nouvelle présidente a pris ses fonctions', a informé l'inspection du travail de sa situation depuis juillet 2015 en ces termes:

' - Mise en congé d'office pendant 3 mois (juillet à septembre ) sans explications avec mon remplacement par une intérimaire (titularisée depuis);

- Lors de mon retour le 1er octobre, Mme [B] responsable RH de Sopro tient des propos déplacés à mon égard à une tierce personne, sur le fait que mes jours de présence sont désormais comptés chez Acteon,

- La personne qui me remplaçait et qui a été titularisée au sein du service marketing communication aurait du être sous ma responsabilité, elle a été placée sous l'autorité d'une autre personne.'

- qu'elle a été absente de l'entreprise pour cause de maladie à compter du 5 janvier 2016 ;

- que par courrier du 6 janvier 2016 l'employeur a informé Madame [Y] [V] que sa mutation sur le site de [Localité 4] était due à la centralisation de la direction marketing institutionnel sur ce site, que l'exercice de son activité ne pouvait s'effectuer qu'au sein de cette direction et que c'était la raison pour laquelle elle avait été mise en dispense d'activité jusqu'à sa prise de poste le 15 février 2016 conformément au délai de prévenance prévu par la convention collective, et que dans le cadre de sa mutation seraient pris en charge notamment les frais justifiés de déménagement ;

- que par courrier du 4 février 2016, elle a écrit à son employeur ce qui suit: ' Monsieur, Suite aux pressions dont j'ai fait l'objet, je suis actuellement en congé maladie et vous informe qu'à son terme je ne me rendrai pas à [Localité 4] et reprendrai mon poste à [Localité 3]. Les diverses embauches marketing récemment opérées dans le groupe, tant à [Localité 3] qu'à [Localité 4] montrent en effet que cette mutation n'est en rien stratégique mais vise en réalité à m'évincer du groupe ' ;

Attendu qu'il est également établi :

- qu'elle a été convoquée à un entretien préalable fixé le 24 février 2016 par courrier recommandé du 12 février 2016 puis licenciée par courrier du 8 mars 2016 pour faute grave au motif que ' votre refus réitéré et sans aucune justification légitime de rejoindre sa nouvelle affectation rend impossible le maintien de votre contrat de travail. Le refus d'une simple modification de vos conditions de travail est donc constitutif d'une faute grave ' ;

- que par courrier du 15 mars 2016, par l'intermédiaire de son avocat, Madame [Y] [V] a interrogé son employeur sur la question de savoir si 'une solution transactionnelle était envisageable avant de saisir la juridiction compétente' ;

- que contestant le bien fondé de son licenciement elle a saisi le 5 avril 2016 le conseil de prud'hommes de Marseille ;

- que c'est dans ces circonstances qu'a été rendu le jugement du 10 février 2017 ;

- que par courrier du 25 avril 2017 Madame [Y] [V], en réponse à un courrier de son employeur du 13 avril 2017 lui demandant de respecter l'article 10 de son contrat de travail relatif au 'secret professionnel' a écrit à ce dernier : ' ...en main votre courrier de menaces du 13 avril qui ne manque pas de m'étonner .. Si ces agissements de harcèlement, reposant uniquement sur le fait que je collaborerais avec une autre société après mon licenciement abusif d ACTEON venaient à perdurer, je déposerai une plainte pénale et saisirai l'autorité régulatrice de la concurrence et la Direccte' ;

Sur le harcèlement moral

Attendu qu'à l'appui de sa demande de dommage et intérêts d'un montant de 20.000€ la salariée invoque des faits de harcèlement moral ;

Attendu qu'aux termes de l'article L-1152-1 du code du travail 'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ' ;

Que l'article L 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Attendu en l'espèce que Madame [Y] [V] expose qu'elle a été victime comme de nombreux autres salariés et cadres de l'entreprise de 'la nouvelle politique sociale appliquée depuis le changement de direction, qui visiblement ne souhaite pas conserver dans son effectif les anciens responsables, outre l'handicap supplémentaire, d'être le conjoint de l'ancien D.G' ;

Qu'elle invoque des 'man'uvres répétées de la part de sa direction ayant fortement dégradé ses conditions de travail et affecté sa santé ainsi que sa situation professionnelle' ;

Qu'elle fait état :

- de 'sa mise en congé imposée par l'employeur entre les mois juillet et septembre 2015, sous peine de les perdre, (lui) faisant ainsi comprendre que sa présence n'était plus désirée au sein de l'entreprise' ;

- de son remplacement par une intérimaire, Mme [O], qui 'devait par la suite dépendre d'elle' 'mais a finalement placé sous l'autorité d'une autre personne de la société, contribuant au fait que la demanderesse se sente mise à l'écart et dévalorisée' .

- des 'propos (qui lui ont été) rapportés .. dès son retour de maladie concernant les dires de la responsable RH de la société SOPRO, qui aurait tenu des propos déplacés à son égard, avançant que ses jours de présence étaient comptés au sein de la structure, (la) conduisant à contacter son Directeur Général, lequel lui confirmant que son maintien dans la société était "malsain" et que si elle souhaitait négocier son départ "la porte était ouverte"' ;

- d'un courrier de la direction du 9 décembre 2015 qu'elle qualifie 'd'assignation à résidence' et de'mise au placard', la dispensant de présence et d'activité au sein de la société et 'ce à compter du jour même, sans aucune autre forme d'explication, l'employeur manquant ainsi à une obligation contractuelle essentielle qui est celle de fournir du travail.

- de sa mutation définitive à [Localité 4] le 10 décembre 2015, 'sans que ne lui soit indiqué le motif de son changement d'affectation ni de date butoir pour donner une réponse à cette mutation à environ 700 km de son bassin de vie, perturbant fortement cette dernière';

Qu'elle invoque en outre :

- son licenciement 'durant son arrêt maladie causé par les man'uvres dont elle a fait l'objet' ;

- une mutation dans un établissement imaginaire et une modification de 'ses fonctions et responsabilités sans respecter la loi' ;

Attendu que pour étayer ses allégations, Madame [Y] [V] produit :

- son courrier électronique du 3 juillet 2015, les courriers de l'employeur du 9 et 10 décembre 2015, et son courrier à l'inspection du travail du 18 décembre 2015 susvisés ;

- sa lettre de refus de mutation du 4 février 2016, la lettre de convocation à entretien préalable et de licenciement du 12 et 8 mars 2016 précitées ;

- une attestation du 5 août 2016 de Mme [O] salariée de l'entreprise ainsi rédigée : ' J'ai commencé à travailler à Sopro le 13 octobre 2014 en tant qu'interimaire dans le service marketing communication sous la responsabilité de Mme [Y] [V]. ..pendant la période du 6 juillet au 30 septembre 2015 j'ai été rappelé par l'agence d'intérim pour remplacer Mme [Y] [V] à son poste de responsable de communication. Sur mon contrat il était écrit ' remplacement de Mme [Y] [V] par glissement de poste'. A l'issu de ce contrat j'avais prévu des vacances et j'ai fait savoir à Mme [Z] responsable des ressources humaines de Sopro qu'à mon retour début novembre , je serai disponible pour continuer à travailler à Sopro comme assistante marketing si l'entreprise le nécessitait . A cela elle m'a répondu que l'on voudrait bien me garder dans l'entreprise car elle avait eu beaucoup de retour positif à mon sujet mais que cela ne serait pas possible tant que Mme [V] ferait partie des effectifs. Elle a ajouté que le but était de la faire craquer afin qu'elle quitte rapidement l'entreprise, qu'elle avait un salaire de ministre, et elle m'a demandé si Mme [V] travaillait reéllement. Mme [Z] cherchait réellement à me faire dire des choses négatives sur le travail et les compétences de Mme [V] sur son poste. Lors de cette conversation Mme [Z] a également critiqué Monsieur [C] [V] ancien directeur de Sopro et mari de [Y] [V].... A mon retour de vacances l'agence d'intérim m'a rappelé pour un nouveau contrat qui a finalement abouti le 1er décembre 2015 sur un CDI. J'ai constaté sur ce contrat que Mme [V] n'était plus ma responsable alors qu'elle l'avait toujours été jusqu'à présent. .. Monsieur [L] était désormais mon responsable ...' ;

Attendu qu'elle produit également :

- son avis d'arrêt de travail initial du 5 janvier 2016,

- un certificat médical du Docteur [J] en date du 16 août 2016 ainsi rédigé ' je certifie avoir examiné Madame [Y] [V] à plusieurs reprises entre juin 2015 et mars 2016 suite à ses problèmes professionnels . Je l'ai arrêtée plusieurs fois pour un syndrome anxiodépressif réactionnel. Elle ne va pas bien ce jour suite à ce conflit';

Attendu que Madame [Y] [V] établit ainsi l'existence matérielle de faits précis et concordants, qui, pris dans leur ensemble, pourraient permettre de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre ;

Attendu que la SA SOPRO qui sollicite la confirmation du jugement de ce chef, réfute les allégations de Madame [Y] [V] et soutient que la preuve du moindre agissement qui caractériserait un harcèlement moral n'est pas rapportée ;

Attendu s'agissant de la mise en congé imposée par l'employeur entre les mois de juillet et septembre 2015, que l'employeur fait état d'un courrier électronique du 22 juin 2015 adressé par Madame [Y] [V] à Madame [Z], responsable des ressources humaines, aux termes duquel Madame [V] indiquait qu'en 2014 elle avait dépassé de 47,5 jours le plafond de son forfait, courrier non produit aux débats par la salariée, contrairement aux allégations de l'employeur qui vise une 'pièce adverse n° 6" mais dont la réalité n'est pas contestée par cette dernière ;

Attendu que c'est à bon droit que la SA SOPRO relève, se prévalant du courrier électronique du 3 juillet 2015 dont le contenu est ci-dessus rappelé, que Madame [Y] [V] a elle même proposé au directeur général, deux solutions pour «'récupérer'» ses congés payés non pris, que ce dernier a donné son accord pour la 1ère solution ( congés du 8 juillet au 30 septembre 2015) de sorte qu'il ne peut être soutenu que lesdits congés lui ont pas été imposés, ayant au surplus été pris aux dates qu'elle souhaitait ;

Attendu que c'est encore à bon droit qu'il fait valoir que la salariée ne produit aucun élément démontrant que son employeur lui aurait fait comprendre que'«'sa présence n'était plus désirée au sein de l'entreprise'»';

Attendu s'agissant des propos déplacés tenus à son encontre par la responsable RH et le directeur général lors de son retour de congés, qu'il produit les attestations des intéressés, Monsieur [H] et Madame [Z] lesquels contestent avoir tenus de tels propos à l'encontre de Madame [Y] [V] ; qu'ainsi Monsieur [H], directeur financier déclare ' je n'ai jamais dit à Madame [Y] [V] que son maintien dans la société était malsain et que si elle souhaitait négocier son départ la porte était ouverte', que Mme [Z], RRH atteste en ces termes 'en aucune façon je n'ai dit à qui que ce soit de la société SOPRO que les jours de [Y] [V] étaient comptés... Je ne me suis pas rendue compte que [Y] [V] souffrait d'un malaise s'apparentant à un harcèlement moral. Je n'ai rien constaté à ce sujet. Après trois mois de congés, elle est revenue chez SOPRO toujours aussi souriante, détendue et bronzée. Elle ne semblait pas débordée et stressée par son travail.. ;

Attendu que c'est à bon droit que la SA SOPRO conteste la valeur probante de l'attestation de Madame [O] précitée au regard des éléments qu'il produits permettant de douter de la véracité des faits rapportés par le témoin, à savoir:

- une attestation de Mme [Z] qui fait état de la détérioration des relations professionnelles avec Mme [O] et de la rédaction d'un avertissement à son encontre à la demande de son supérieur hiérarchique, lequel a été suivi d'un arrêt de travail pour cause de maladie (' ... je pense sincèrement que Madame [Y] [V] a manipulé son ancienne assistante markéting E. [O], et a ainsi récupéré un témoignage erroné de sa part') ;

- l'avertissement notifié à Mme [O] en date 19 mai 2016,

- les avis d'arrêt de travail de l'intéressée à compter du mois de mai 2016 ;

Attendu que ces pièces n'ont fait l'objet d'aucun commentaire de la part de la salariée ;

Attendu toutefois s'agissant de l' «assignation à résidence» de Madame [V] que c'est vainement que l'employeur fait valoir qu'il ne s'agit pas 'd'une assignation à résidence' mais d'une dispense d'activité rémunérée, décidée dans l'attente de sa mutation alors qu'il ressort de ce qui précède qu'il l'a dispensée d'activité sans explication par courrier du 9 décembre 2015 et ce faisant a manqué à son obligation première de fournir du travail à cette salariée puis lui a annoncé le lendemain par courrier du 10 décembre 2015, encore sans explication, sa mutation définitive à 700 km de son domicile sans au surplus lui donner de délai pour répondre ;

Attendu que c'est inutilement que l'employeur, sans expliquer les raisons du remplacement de Mme [V] dès le 1er décembre 2015 par Mme [O] placée dès cette date sous l'autorité d'une autre personne, souligne que Mme [O] a travaillé sous la responsabilité de Monsieur [R] de juillet à septembre 2015, lorsque Madame [V] était absente de l'entreprise pour cause de congés payés ce qui n'est pas discuté par cette dernière et produit une attestation de la DRH ('Madame [Y] [V] faisant l'objet d'une proposition de mutation professionnelle décidée par la DG, [X] est venue travailler en interim chez SOPRO et a signé un CDI le 9 décembre 2015") ;

Attendu enfin, s'agissant de l'état de santé de la salariée que les éléments médicaux précités établissent un lien entre son arrêt de travail du 5 janvier 2016, son état dépressif et son environnement professionnel ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que l'employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par Madame [V] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement de sorte que le harcèlement moral est établi ; que l'employeur doit être condamné à payer à Madame [V] la somme de 4000€ à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi; que le jugement est infirmé sur ce point ;

Sur l'obligation de sécurité

Attendu que la salariée réclame la somme de 10.000€ sur le fondement de l'article L.1152-4 du code du travail ('l'employeur prend les mesures nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral') pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité en invoquant son courrier du 26 avril 2017 ;

Attendu que c'est à bon droit qu'elle fait valoir que l'employeur tenu à une obligation de sécurité notamment en matière de harcèlement moral doit prendre toutes les mesures immédiates propres à faire cesser le harcèlement dès qu'il a été informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral ;

Attendu toutefois en l'espèce qu'il n'est pas soutenu que l'employeur ait été averti par la salariée d'une situation de harcèlement moral avant la rupture du contrat de travail de sorte que le grief n'est pas fondé ;

Qu'il y a donc lieu, en confirmant le jugement, de la débouter de cette demande ;

Sur le licenciement

Attendu que pour conclure au caractère abusif du licenciement, Madame [Y] [V] invoque la nullité de la clause de mobilité ;

*

Attendu que le contrat de travail contient une clause de mobilité dont le contenu est ci-dessus rappelé ;

*

Attendu que c'est à bon droit que la salariée fait valoir notamment que pour être valable une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application de façon à ce que le salarié qui la signe sache précisément à quoi il s'engage et qu'elle ne confère pas à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée ;

Attendu que force est de constater que la clause de mobilité du contrat de travail ne remplit pas ces conditions ;

Attendu en effet qu'en prévoyant que Madame [Y] [V] 'accepte par avance toute nouvelle affectation et donc tout changement de son lieu de travail rendu nécessaire par les besoins de la société en France ou à l'Etranger' sans autre précision, alors qu'il n'est pas soutenu, ni justifié que la nature des fonctions de Madame [Y] [V] impliquait une telle mobilité, la clause de mobilité ne fixe aucune limite géographique à la mobilité du salarié et ce faisant confère à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée ;

Attendu que cette clause de mobilité étant nulle, le refus de mutation de Madame [Y] [V] à [Localité 4] ([Localité 4]) en application de la dite clause ne pouvait justifier son licenciement pour faute grave, lequel est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Attendu que l'appelante justifie avoir été admise au bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi à compter du 29 mars 2016 et avoir perçu les dites allocations jusqu'au 9 novembre 2016 ;

Qu'en considération de ces éléments, de son âge (Elle est née en 1961) de son ancienneté de 21 ans dans son emploi et de son salaire mensuel brut lors de son licenciement de 3158.33€, il y a lieu en application de l'article L.1235-3 du code du travail et compte tenu du préjudice subi, de lui allouer la somme de 63.000€ à titre de dommages et intérêts ;

Attendu qu'il y a en outre lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives à l'indemnité de préavis (6 mois de salaire conformément à l'article 27 de la convention collective) et aux congés payés y afférents, non sérieusement discutées par l'employeur ;

Attendu au regard du décompte figurant page 16 des conclusions de la salariée auxquelles la cour se référe, établi sur le fondement de l'article 29 de la convention collective, décompte qui n'a fait l'objet d'aucune contestation sérieuse de la part de l'employeur, c'est à bon droit que les premiers juges ont condamné la SA SOPRO à payer à Madame [Y] [V] la somme de 42.290.02€ au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ; que le jugement est confirmé sur ce point ;

Sur le remboursement des allocations chômage

Attendu qu'il y a lieu d'ordonner d'office à l'employeur sur le fondement de l'article L.1235-4 du code du travail, le remboursement aux organismes concernés des allocations chômage versées à Madame [Y] [V] du jour de son licenciement au jour du jugement dans la limite de 6 mois ;

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Attendu que le jugement doit être confirmé en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

Attendu qu'il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la salariée en cause d'appel les frais irrépétibles non compris dans les dépens ; que la SA SOPRO doit être condamnée à lui payer la somme supplémentaire de 1500€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

Attendu que la SA SOPRO qui succombe doit être condamnée aux dépens d'appel ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Confirme le licenciement sauf :

- en ce qu'il a débouté Madame [Y] [V] de sa demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral ;

- en ce qu'il a constaté la validité de la clause de mobilité,

- en ce qu'il a retenu une faute simple constitutive d'un motif réel et sérieux de licenciement,

- en ce qu'il a débouté Madame [Y] [V] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau sur ces seules dispositions infirmées :

Condamne la SA SOPRO à payer à Madame [V] la somme de 4000€ à titre de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral subi,

Constate la nullité de la clause de mobilité,

Dit que le licenciement de Madame [Y] [V] est sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la SA SOPRO à payer à Madame [Y] [V] la somme de 63.000€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Y ajoutant :

Ordonne à la SA SOPRO le remboursement aux organismes concernés des allocations chômage versées à la salariée licenciée du jour de son licenciement au jour du jugement dans la limite de 6 mois ;

Condamne la SA SOPRO à payer à Madame [Y] [V] la somme supplémentaire de 1500€ en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 17/04227
Date de la décision : 22/02/2019

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 9C, arrêt n°17/04227 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-02-22;17.04227 ?
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