COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
17e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 06 DECEMBRE 2018
N° 2018/589
MS
RG N° 17/00287 N° Portalis DBVB-V-B7B-72GJ
SARL EPR
C/
[V] [W]
Copie exécutoire délivrée
le : 6/12/2018
à :
- Jean-Michel RENUCCI de la SELARL ACTANCE MEDITERRANEE, avocat au barreau de NICE
- Me Sarah GHASEM JUPPEAUX, avocat au barreau de GRASSE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de GRASSE en date du 16 Décembre 2016 enregistré au répertoire général sous le n° 14/00160.
APPELANTE
SARL EPR, dont le siège social est sis [Adresse 1]
Comparante en la personne de sa co-gérante Mme [O] [N], assistée de Me Jean-Michel RENUCCI de la SELARL ACTANCE MEDITERRANEE, avocat au barreau de NICE
INTIME
Monsieur [V] [W], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Sarah GHASEM-JUPPEAUX, avocat au barreau de GRASSE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785 et 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Octobre 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre
Monsieur Thierry LAURENT, Conseiller
Madame Mariane ALVARADE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Pascale ROCK.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Décembre 2018.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Décembre 2018
Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Pascale ROCK, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCEDURE
Monsieur [V] [W] a été engagé par la SARL EPR en qualité de technicien, à compter du 21 octobre 2006, suivant contrat à durée indéterminée, moyennant un salaire brut moyen mensuel qui était en dernier lieu de 1.900 euros.
Le 30 mars 2013, M. [W] a déposé plainte pour violences volontaires commises la veille par M. [I] [N] dirigeant de la société [N] dans le bureau de Mme [O] [N] épouse [S], gérante de la SARL EPR son employeur. Le même jour M. [W] a été placé en arrêt de travail par son médecin généraliste jusqu'au 2 avril 2013 pour «contusion de la joue gauche et hématome thoracique gauche. Etat de stress post-agression sur le lieu de travail», arrêt de travail prolongé jusqu'au 28 mai 2013 par son médecin psychiatre pour dépression post traumatique.
Le caractère professionnel de cet accident a été reconnu par la Caisse primaire d'assurance maladie, le 4 juillet 2013. La SARL EPR indique avoir saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'un recours, le 10 octobre 2013, l'instance serait toujours en cours.
Le 26 septembre 2013 à l'issue d'une seconde visite de reprise M. [W] a été déclaré inapte à tous postes. Apte dans une autre entreprise.
L'élection des délégués du personnel organisée au sein de la SARL EPR courant octobre 2013 a donné lieu a l'établissement d'un procès verbal de carence le 13 novembre 2013 communiqué à l'inspection du travail. La précédente élection avait été organisée en 2006 et avait aussi donné lieu à un PV de carence, que la société n'avait pas adressé à l'inspection du travail.
Le 5 décembre 2013, l'employeur a formulé deux offres de reclassement que M. [W] a refusées.
Le 16 décembre 2013, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, M. [W] a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement fixé au 6 janvier 2014, et par lettre du 9 janvier 2014, adressée sous la même forme, il a été licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.
M. [W] a saisi le la juridiction prud'homale le 11 février 2014 afin d'obtenir la condamnation de la SARL EPR solidairement avec la SAS [N] au paiement de dommages-intérêts.
Par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 22 janvier 2016, chambre correctionnelle, [I] [N] a été renvoyé des fins de la poursuite dirigée contre lui du chef de violence n'ayant entraîné aucune incapacité de travail.
Par jugement rendu le 16 décembre 2016, après réouverture des débats, le conseil de prud'hommes de Grasse statuant en sa formation de départage a :
- rejeté l'exception d'incompétence de la juridiction prud'homale (relative à la mise en cause de la SAS [N]),
- débouté M. [W] de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la SAS [N],
-déclaré le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
-condamné la SARL EPR à payer à M. [W] :
-35.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L1226-10 du code du travail,
-5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SARL EPR aux dépens,
- ordonné l'exécution provisoire,
- rejeté toutes les autres demandes.
Pour se déterminer ainsi, les premiers juges ont estimé que le lien de subordination entre M. [W] et la SAS [N] n'était pas établi et que celle-ci devait être mise hors de cause, que la juridiction était (seulement) saisie de la rupture d'un contrat de travail relativement à l'absence de consultation des délégués du personnel et au non respect de l'obligation de reclassement, que la SARL EPR avait organisé l'élection des délégués du personnel dans le seul but de formaliser le licenciement pour inaptitude de M. [W], sans respecter le code du travail, et en procédant à de véritables manoeuvres frauduleuses de nature à vicier le procès verbal de carence de ces élections et par voie de conséquence le licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle.
La SARL EPR a interjeté appel de cette décision dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas critiquées.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures transmises par la voie électronique le 1er septembre 2017, la SARL EPR, appelante soutient :
-qu'à défaut d'appel, les dispositions du jugement qui concernent la SAS [N], et la mettant hors de cause, sont définitives,
-que la relaxe de [I] [N] s'impose au juge prud'homal et que cette relaxe remet en cause la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident du 30 mars 2013,
-que la SARL EPR n'a pas manqué à son obligation de sécurité de résultat, que M. [W] a faussement allégué une agression physique sur son lieu de travail,
-qu'une élection des délégués du personnel avait été organisée en 2006 dont la transmission du PV de carence à l'inspection du travail a été omise, que l'élection des délégués du personnel a été organisée en 2013, prévoyant un premier tour le 30 octobre et un second tour le 13 novembre mais a donné lieu à un procès verbal de carence,
- que le reproche fait à l'employeur par la décision critiquée de n'avoir pas permis à M. [W] de voter par correspondance n'est pas sérieux dès lors qu'aucune candidature ne s'est présentée et qu'aucune élection n'était donc organisée, et que de surcroît, M. [W] avait été à sa demande déclaré définitivement inapte à son poste dans l'entreprise,
- que seul un recours devant le tribunal d'instance aurait permis de juger de la régularité des élections, que cette irrégularité n'a pas d'effet sur le bien-fondé du licenciement
- que M. [W] ne subit aucun préjudice puisqu'il a perçu l'intégralité de son salaire à partir du 27 octobre 2013, soit à l'expiration d'un délai d'iun mois après reconnaissance de son inaptitude,
-que le licenciement n'a pas été précipité.
La SARL EPR demande en conséquence de réformer le jugement dans toutes ses dispositions, de constater que l'arrêt rendu le 22 janvier 2016 qui s'impose dans ses conclusions au juge prud'homal a définitivement renvoyé M. [W] des fins de la poursuite pénale, de constater qu'elle a exécuté le contrat de travail de bonne foi, de constater qu'elle n'a pas manqué à ses obligations légales envers M. [W] et qu'elle justifie d'un procès verbal de carence régulier avant engagement de la procédure de reclassement puis de la procédure de licenciement, de déclarer que c'est en raison de son inaptitude doublée d'une impossibilité de reclassement qu'elle a licencié M. [W], en conséquence, de débouter M. [W] de ses demandes, de le condamner à rembourser l'intégralité des sommes perçues en exécution du jugement de condamner M. [W] au paiement d'une somme de 10.000 euros pour procédure abusive et celle de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux dépens.
Aux termes de ses dernières écritures transmises par la voie électronique le 29 mai 2017, M. [W], intimé fait valoir :
- qu'il existe des liens familiaux et économiques unissant la SARL EPR et la SAS [N],
- que le caractère professionnel de l'accident ayant été reconnu par la CPAM le 4 juillet 2013, il existe bien un lien entre l'agression et son arrêt de travail et qu'aucun recours contre la décision d'inaptitude n'a été formé par la SARL EPR,
-que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en vertu du principe selon lequel la fraude corrompt tout, compte tenu des manoeuvres entreprises par la SARL EPR pour organiser précipitamment l'élection des délégués du personnel dès connaissance de l'inaptitude du salarié, et établir un procès verbal de carence, sans tenir informé le salarié, qu'en raison de la violation par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat,
-que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse du fait du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement pour n'avoir consulté aucune entreprise du groupe et n'avoir formulé aucune offre sérieuse de reclassement,
- que le licenciement est brutal et vexatoire, accompagné de violences physiques et d'injures commises sur le lieu de travail.
M. [W] demande en conséquence de confirmer le jugement, de débouter la SARL EPR de ses demandes et de la condamner, en outre à lui payer une somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 septembre 2018.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties et au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DECISION
En l'état de l'appel interjeté par la SARL EPR les dispositions du jugement concernant la SAS [N] sont désormais définitives.
Par arrêt de la 7ème chambre correctionnelle B de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 22 janvier 2016 [I] [N] a été renvoyé des fins de la poursuite dirigée contre lui du chef de violence n'ayant entraîné aucune incapacité de travail. La cour d'appel a énoncé (page 3 de l'arrêt) qu'il y avait bien eu une altercation le 29 mars 2013 entre M. [N] et M. [W] mais que la preuve de la réalité des faits (objets de la prévention) n'était pas rapportée.
Cette décision ne prive pas le juge prud'homal de son pouvoir d'appréciation du bien-fondé du licenciement découlant non des mêmes faits mais de l'inaptitude physique du salarié avec impossibilité de le reclasser.
D'autre part, les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié ou les réserves affectant son aptitude, quel que soit le moment où elle est constatée et invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur a connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
La protection offerte n'est pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d'assurance maladie du lien de causalité entre l'accident du travail et l'inaptitude.
L'introduction d'un recours pendant devant le tribunal des affaires de sécurité sociale est donc sans incidence sur le présent litige.
Lorsque l'inaptitude est d'origine professionnelle, la proposition de reclassement formulée par l'employeur doit prendre en compte, après avis des délégués du personnel les conclusions écrites du médecin du travail (L. 1226-10) et doit, lorsque le reclassement est impossible, faire connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement (L. 1226-12). De plus, le salarié perçoit une indemnité compensatrice de préavis d'un montant égal à celui prévu par l'article L.1234-5 ainsi qu'une indemnité spéciale de licenciement qui est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L.1234-9 ( L. 1226-15).
La consultation des délégués du personnel dans le cadre des dispositions de l'article L1226-10 du code du travail constitue une formalité substantielle.
L'employeur ne peut se soustraire à l'obligation de recueillir l'avis des délégués du personnel au motif de l'absence de délégués du personnel dans l'entreprise dès lors que leur mise en place est obligatoire et qu'aucun constat de carence n'a été établi.
Invité à en justifier par le conseil de prud'hommes, par décision avant-dire droit, la SARL EPR démontre avoir organisé l'élection des délégués du personnel courant octobre 2013 et dressé procès verbal de carence le 13 novembre 2013.
L'appréciation de la validité de la consultation des délégués du personnel en ce compris l'appréciation de la régularité du procès verbal de carence dressé par l'employeur ensuite de ces élections entre bien dans les pouvoirs du juge prud'homal et non du seul juge d'instance juge du contentieux de l'élection professionnelle.
Au cas d'espèce, ainsi que l'a exactement relevé la décision critiquée l'employeur ne peut valablement exciper d'un procès verbal de carence dressé au terme d'une élection professionnelle dont M. [W] n'était pas informé.
La privation du droit qu'avait M. [W] qui appartenait toujours à l'entreprise bien que son contrat soit suspendu, de la possibilité de faire acte de candidature, sinon de voter prive de cause réelle et sérieuse le licenciement ainsi obtenu par fraude.
C'est par des motifs pertinents que le conseil de prud'hommes , dont la décision sera confirmée, a alloué au salarié l' indemnité de licenciement prévue par l'article L. 1226-15 du code du travail.
Sera également confirmée en son principe et son montant la somme allouée en sus à M. [W] à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par lui du fait des circonstances particulièrement brutales et vexatoires de son licenciement.
Sur les dommages-intérêts pour procédure abusive :
Eu égard à l'issue du litige une faute de nature à faire dégénérer en abus le droit d'agir en justice n'est pas caractérisée à l'encontre de M. [W] ; il ne sera pas fait droit à la demande de dommages-intérêts formée à ce titre.
Sur les dépens et les frais non-répétibles:
La SARL EPR, qui succombe pour l'essentiel de ses prétentions, doit supporter les dépens et il y a lieu de la condamner à payer à M. [W] une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 1.800 euros, en sus de celle qui lui a été allouée en première instance; la SARL EPR doit être déboutée de cette même demande.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud'homale,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Déboute la SARL EPR de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive,
Condamne la SARL EPR à payer à M. [W] une somme de 1.800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la SARL EPR de sa demande d'indemnité de procédure,
Condamne la SARL EPR aux dépens.
LE GREFFIERLE PRESIDENT