COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
6e Chambre D
ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION
DU 05 DECEMBRE 2018
A.R.
N° 2018/229
Rôle N° 14/01100 -
N° Portalis DBVB-V-B66-2KNB
[D] [S] épouse [R]
[T] [O]
[Z] [O]
[C] [O]
[X] [A] [O] épouse [K]
[M] [O] épouse [U]
[K] [N] [O] épouse [T]
[U] [O] épouse [Y]
[S] [O] épouse [A]
C/
[H] [O]
[Z] [O] [O]
[L] [O]
[R] [O] épouse [Z]
[V] [O] épouse [E]
[Z] [O] [O]
[H] [O]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON
SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON
Me Julien DUMOLIE
Me Alexandra MASSON BETTATI
Sur saisine de la cour suite à l'arrêt n ° 1035 F-D rendu par la Cour de Cassation en date du 20 juin 2006 enregistré au répertoire général sous le
n° W 04-16.227 lequel a cassé et annulé l'arrêt n° 182 rendu le 8 Mars 2004 par la chambre civile de la cour d'appel de BASTIA à l'encontre du jugement rendu le 22 janvier 2002 par le tribunal de grande instance de BASTIA.
DEMANDEURS DEVANT LA COUR DE RENVOI
Madame [D] [S] épouse [R],
née le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 1]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
agissant en sa qualité d'héritière de sa mère Madame [Y] [O] épouse [S].
Monsieur [T] [O],
né le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 2],
demeurant [Adresse 2]
agissant en sa qualité d'héritier de son père Monsieur [E] [O] décédé le [Date décès 1] 2001.
Monsieur [Z] [O],
né le [Date naissance 3] 1950 à [Localité 2], de nationalité Française,
demeurant [Adresse 3] (CORSE)
agissant en sa qualité d'héritier de son père Monsieur [E] [O] décédé le [Date décès 1] 2001.
Monsieur [C] [O],
né le [Date naissance 4] 1931 à [Localité 1], décédé le [Date décès 2] 2015.
Madame [X] [A] [O] épouse [K],
née le [Date naissance 5] 1937 , de nationalité Française,
demeurant [Adresse 4] (CORSE)
agissant en sa qualité d'héritière de sa mère Madame [Y] [S] née [O]
Madame [M] [O] épouse [U],
née le [Date naissance 6] 1946 à [Localité 2], de nationalité Française, demeurant [Adresse 5]
agissant en sa qualité d'héritière de son père Monsieur [E] [O] décédé le [Date décès 1] 2001
Madame [K] [N] [O] épouse [T],
née le [Date naissance 7] 1944 à [Localité 3],de nationalité Française, demeurant [Adresse 6] (CORSE) , agissant en sa qualité d'héritière de son père Monsieur [E] [O] décédé le [Date décès 1] 2001
Madame [U] [O] épouse [Y],
née le [Date naissance 8] 1954 à [Localité 2], de nationalité Française, demeurant [Adresse 7]
agissant en sa qualité d'héritière de son père Monsieur [E] [O] décédé le [Date décès 1] 2001
Madame [S] [O] épouse [A],
née le [Date naissance 9] 1947 à [Localité 1], de nationalité Française, demeurant [Adresse 8]
agissant en sa qualité d'héritièrer de son père Monsieur [E] [O] décédé le [Date décès 1] 2001
représentés par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON , avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistés par Me François MARCHIANI, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant.
DEFENDEURS DEVANT LA COUR DE RENVOI
Monsieur [H] [O]
né le [Date naissance 10] 1939 à [Localité 1], demeurant [Adresse 9].
représenté par Me Charles TOLLINCHI de la SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Angeline TOMASI, avocat au barreau de BASTIA, plaidant.
Monsieur [Z] [O] [O]
pris en sa qualité d'héritier de Monsieur [Z] [O] décédé le [Date décès 3] 2012, né le [Date naissance 11] 1968 à [Localité 1], demeurant [Adresse 9]
représenté par Me Charles TOLLINCHI de la SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté par Me Angeline TOMASI, avocat au barreau de BASTIA, plaidant.
Monsieur [L] [O]
pris en sa qualité d'héritier de Monsieur [Z] [O] décédé le [Date décès 3] 2012, né le [Date naissance 7] 1971 à [Localité 4], demeurant [Adresse 9]
représenté par Me Charles TOLLINCHI de la SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté par Me Angeline TOMASI, avocat au barreau de BASTIA, plaidant.
Madame [R] [O] épouse [Z]
prise en sa qualité d'héritière de Monsieur [Z] [O] décédé le [Date décès 3] 2012, née le [Date naissance 12] 1970 à [Localité 1] , demeurant [Adresse 9]
représentée et assistée par Me Julien DUMOLIE de la SELARL DEBEAURAIN & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant.
Madame [V] [O] épouse [E]
née le [Date naissance 13] 1926 à [Localité 1],
demeurant [Adresse 10])
représentée par Me Charles TOLLINCHI de la SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté par Me Angeline TOMASI, avocat au barreau de BASTIA, plaidant.
Monsieur [F] [O] pris en sa qualité d'héritier de feu son père [C] [O] décédé le [Date décès 4] 2015, né le [Date naissance 11] 1968 à [Localité 1], demeurant [Adresse 11].
assigné en intervention forcée.
non comparant
Monsieur [H] [O] pris en sa qualité d'héritier de feu son père [C] [O] décédé le [Date décès 4] 2015
né le [Date naissance 14] 1956 à [Localité 4], demeurant [Adresse 12].
assigné en intervention forcée.
représenté par Me Alexandra MASSON BETTATI, avocat au barreau de NICE
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 03 Octobre 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Mme Annie RENOU, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
M. Jean-Baptiste COLOMBANI, Premier président de chambre
Mme Annie RENOU, Conseiller
Mme Annaick LE GOFF, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Décembre 2018.
ARRÊT
Par défaut,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Décembre 2018,
Signé par M. Jean-Baptiste COLOMBANI, Premier président de chambre et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
De l'union de [Z] [O] [O] , décédé le [Date décès 5] 1986 , et de [W] [J] , décédée le [Date décès 6] 1986 , sont nés 7 enfants :
- [Y] ;
- [E] ;
- [V] ;
- [C] ;
- [Z] ;
- [X] ;
- [H].
[X] , [Z] et [H] ont reçu donation par préciput et hors part , la première , par acte notarié du 4 novembre 1969 , d'une parcelle de terre de 50 ares à [Localité 3] cadastrée section E n° [Cadastre 1], les deux autres ensemble , suivant acte de donation du 27 octobre 1976 , de trois parcelles de terre dans le même village cadastrées section ZR n° [Cadastre 2] , [Cadastre 3] et [Cadastre 4]. Les quatre autres enfants , [Y] , [E] , [V] et [C] [O] les ont assignés devant le tribunal de grande instance de Bastia en partage des biens composant la succession de leurs parents et ont demandé qu'il soit jugé que l'acte de donation partage intervenu le 27 octobre 1976 ne reçoive son plein et entier effet que jusqu'à concurrence de la quotité disponible.
Par jugement du 30 mars 1993 , le tribunal de grande instance de Bastia a , pour l'essentiel , dit que l'acte de donation du 27 octobre 2016 était valide , mais que messieurs [H] et [Z] [O] ne pourraient conserver leurs biens que jusqu'à concurrence de la quotité disponible. Il a désigné monsieur [Q] [I] en qualité d'expert , notamment pour évaluer les fruits perçus par certains héritiers , calculer la quotité disponible et établir les lots si le partage en nature était possible. Ce jugement a été confirmé par la cour d'appel de Bastia le 24 octobre 1994.
Par jugement du 22 janvier 2002 , le tribunal de grande instance de Bastia , retenant les conclusions de l'expert [I] , a évalué la masse à partager à 3 121 000 Frs , hors les biens de Piobetta, et constitué deux lots , le premier attribué conjointement à messieurs [Z] et [H] [O] , exploitants de la propriété agricole et bénéficiaires de la donation du 27 octobre 1976 , le second attribué conjointement aux 5 autres enfants , fixant la soulte due par messieurs [Z] et [H] [O] à leurs frères et soeurs à 788 000 Frs.
Par arrêt en date du 8 mars 2004 , la cour d'appel de Bastia , réformant le jugement du 22 janvier 2002 , a ordonné l'attribution préférentielle à messieurs [Z] et [H] [O] des parcelles cadastrées section ZR [Cadastre 2] , [Cadastre 3] et [Cadastre 4] sises à [Adresse 9] , à l'exception de 6 000 m² de la parcelle ZR [Cadastre 2] sur lesquels madame [X] [O] avait édifié sa maison , dit n'y avoir lieu à restitution des fruits perçus par messieurs [Z] et [H] [O] , et dit que, pour le calcul de la quotité disponible , il devait être tenu compte de l'ensemble des biens existants à l'ouverture des successions , de la déduction de la dette de la succession et de la valeur , fixée au jour de l'ouverture des successions , des biens objets des donations d'après leur état à la date de ces donations.
Par arrêt du 20 juin 2006 , la cour de cassation a cassé partiellement la décision du 8 mars 2004, en ce qu'elle avait dit qu'il n'y avait pas lieu à restitution par messieurs [Z] et [H] [O] des fruits provenant des biens qui leur avaient été donnés , objet d'une action en réduction. La cour de cassation a en effet jugé qu'en statuant ainsi , en retenant le caractère modeste des revenus dégagés par l'exploitation agricole et qui constituaient la rémunération de leur travail selon les déclarations faites par les deux donataires à la MSA , sans répondre aux conclusions des autres parties qui contestaient la véracité de ces déclarations en soutenant que les revenus ainsi déclarés étaient incompatibles avec les investissements réalisés , la cour d'appel n'avait pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
Par arrêt en date du 25 septembre 2007 rectifié le 22 mars 2011 , la cour d'appel d'Aix en Provence , désignée comme cour de renvoi , a déclaré sans objet la demande de sursis à statuer formée par messieurs [Z] et [H] [O] , ordonné une mesure de consultation confiée à monsieur [I] aux fins d'évaluer les fruits perçus par ceux-ci ainsi que l'avantage tiré par eux de la poursuite de l'activité agricole de leur père afin qu'il soit statué ultérieurement sur leur rapport , la consultation devant être déposée au greffe de la cour d'appel de Bastia.
Monsieur [I] a été remplacé par monsieur [V] qui a déposé son rapport de consultation à la cour d'appel de Bastia le 18 janvier 2010.
Par arrêt du 18 avril 2012 , la cour d'appel de Bastia , saisie de la suite des opérations de liquidation et partage , a ordonné une nouvelle expertise confiée à monsieur [J] [P], mais a constaté que la question relative à la restitution des fruits ne relevait pas d'elle puisque son arrêt du 8 mars 2004 avait été cassé par la cour de cassation sur ce point le 20 juin 2006.
Suivant placet en date du 13 janvier 2014 , les consorts [R]/[O] à savoir :
- madame [D] [R] , en sa qualité d'héritière de [Y] [O];
- monsieur [T] [O] , monsieur [Z] [O] , madame [M] [O] , madame [K] [N] [O] , madame [U] [O] et madame [S] [O] , en leurs qualités d'héritières de [E] [O] ;
- madame [X] [A] [O] ;
- monsieur [C] [O]
ont demandé le réenrôlement de l'affaire sur la déclaration de saisine du 11 juillet 2006 , à la suite de l'arrêt de cassation du 20 juin 2006.
Ils ont contesté le rapport de monsieur [V] en ce qu'il n'a pas répondu , en substance selon eux , aux questions posées .
Par arrêt du 18 novembre 2015 , la cour d'appel d'Aix en Provence a :
- déclaré la saisine de la cour de céans et les demandes des consorts [R] [O] recevables aux fins de voir statuer sur le sort et la fixation des fruits des biens objets de la donation du 27 octobre 1976 au profit de messieurs [H] et [Z] [O] afin qu'il soit statué ultérieurement sur la restitution de la part excédant la quotité disponible ;
- constaté que monsieur [V] n'a pas répondu à la consultation écrite qui lui avait été confiée par l'arrêt du 25 septembre 2007 ;
- ordonné une nouvelle mesure de consultation écrite confiée à madame [G] [L] aux fins d'évaluer les fruits et avantages reçus par messieurs [H] et [Z] [O] du fait de la donation des parcelles sises à [Localité 3] cadastrées section ZR n° [Cadastre 2], [Cadastre 3] et [Cadastre 4] , entre la date du décès de leurs auteurs , soit décembre 1986 , et le jour le plus proche du partage, en prenant en considération notamment l'ensemble des dépenses , frais d'exploitation , salaires versés et investissements réalisés par les donataires pendant cette période.
Madame [L] a déposé son rapport le 2 mai 2017.
Par dernières conclusions en date du 29 novembre 2017 , les appelants , à savoir madame [D] [R] , monsieur [T] [O] , monsieur [Z] [O] , madame [X] [O] , madame [M] [O] , madame [K] [N] [O] , madame [U] [O] , madame [S] [O] , demandent à la cour :
- d'évaluer le montant des fruits et avantages perçus par [Z] et [H] [O] du 31 décembre 1986 à décembre 2007 à la somme de 4 952 454,14 euros pour que , sur l'arrêt rendu par la cour de céans , il soit statué ultérieurement par le cour de Bastia sur le partage définitif;
- vu l'ancien article 928 et le rapport d'expertise de monsieur [P] , de constater que ces sommes dépassent largement la quotité disponible ;
- à titre subsidiaire , d'ordonner une nouvelle expertise aux mêmes fins que celle précédemment ordonnée aux frais avancés du trésor public ou des défendeurs ;
- de condamner monsieur [H] [O] , madame [V] [O] , monsieur [Z] [O] [O] , monsieur [L] [O] , madame [R] [O] à payer aux concluants la somme de 12 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dans lesquels devront être compris les frais d'expertise et de consultation ;
- d'ordonner l'exécution provisoire.
Par dernières conclusions du 28 décembre 2017 , monsieur [H] [O] , madame [V] [O] et les héritiers de [Z] [O] , savoir [Z] [O] [O], [L] [O] demandent à la cour :
- de dire que les fruits ne peuvent être calculés que sur l'état des biens donnés au jour du décès et non par suite des améliorations du fait des donataires , et après avoir déduit une juste rémunération de leur travail ;
- de dire et juger que [H] et [Z] [O] sont devenus propriétaires dès 1976 des parcelles données et ne peuvent être redevables d'un fermage ;
- de dire et juger que les fruits rapportables ne peuvent provenir que des productions des biens donnés et non de la création a postériori de la donation de productions intégralement financées par les donataires ;
- de dire et juger que la plus-value conférée par les fruits ne saurait bénéficier à la succession et appauvrir les donataires , celle-ci relevant de leur création et de leur investissement personnel;
- de dire et juger que le travail , la prise de risques par les donataires doivent recevoir une juste indemnisation ;
- en conséquence : eu égard aux productions réelles , à la superficie réellement exploitée de dire et juger que le revenu annuel tant pour la vigne que pour la plantation de kiwis de 1986 à 2017 constitue la juste rémunération revenant à chacun des donataires ;
- en conséquence de débouter les appelants de toutes leurs demandes et de les condamner à payer aux concluants le somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
- à titre infiniment subsidiaire ,
* de dire et juger , sur la base du rapport [W] que le revenu moyen annuel pour la période 1987 à 2017 concernant les parcelles objet de la donation s'établit :
. Pour la vigne : à 6 920 euros ;
. Pour les kiwis à 1 476,42 euros
Soit au total un revenu annuel net de 8 396,64 euros ;
* de dire que de ce revenu annuel doit être déduit la juste rémunération des deux donataires;
* de rejeter la demande de nouvelle expertise ;
* en tout état de cause , de la mettre à la charge des demandeurs ;
- de condamner les demandeurs au paiement de la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Dans ses dernières conclusions du 12 janvier 2018 , la dernière héritière de monsieur [Z] [O] qui avant , avait conclu avec ses frères , [R] [O] , demande à la cour :
- de retenir les conclusions de monsieur [W] ;
- de dire et juger que le revenu net moyen annuel actualisé pour la période de 1987 à 2017 s'établit pour la vigne à 6 920,22 euros et pour les kiwis à 1 476,42 euros soit un total de
8 396,64 euros correspondant au revenu net annuel ;
- de dire et juger que ce revenu est inférieur au SMIC ;
- dès lors , de dire n'y avoir lieu à restitution des fruits ;
- de débouter les consorts [R] [O] de leurs demandes ;
- de rejeter la demande d'un nouvel expert ; à défaut , de dire qu'il sera financé par les appelants;
- de condamner les appelants aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise , et au paiement de la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .
[C] [O] , appelant , est décédé le [Date décès 2] 2015. Ses héritiers , [H] [O] et [F] [O] ont été assignés en intervention forcée par les appelants. [F] [O] n'a pas constitué avocat. [H] [O] a constitué avocat en la personne de maître [G] [B] qui n'a pas conclu.
La clôture a été fixée au 12 septembre 2018.
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu que les appelants font valoir que :
- les donataires ont bénéficié d'un avantage en ce qu'ils n'ont pas payé de fermage ; que toutefois, cet avantage a été mal calculé par madame [L] entre les années 1976 (date de la donation) et 1986 (date du décès du de cujus) , alors qu'il aurait dû être calculé à compter de 1986 jusqu'au partage ;
- madame [L] , contrairement à la mission qui lui était confiée , a calculé les revenus des vignes à partir de 1976 , alors qu'elle ne devait le faire qu'à compter de 1986 ; que la somme de 59 927,39 euros est donc à déduire de son compte ; qu'en revanche , elle n'a pas calculé la période entre 1988 et 2008 , se contentant des déclarations fiscales dont il a été dit qu'elles ne représentent pas la réalité ; qu'il y a lieu aussi de rajouter 2017 ; que , selon eux , il y a lieu de calculer la moyenne des fruits calculés au réel de 2008 à 2016 , et de l'appliquer à la période de 1988 à 2008 , en ajoutant par ailleurs 2017 , de sorte que le total des recettes entre 1986 et 2017 s'élèverait à 240 597 euros ;
- le calcul de madame [L] concernant les kiwis se heurte au même écueil , de sorte que, par reconstitution , les recettes afférentes à cette culture de 1996 à 2017 s'élèvent à 3 042 000 euros ;
- que , déduction faite des dépenses , retenues par la consultante à 1 353 630,36 euros et dont le calcul n'est pas contesté sur ce point , et en ajoutant les fermages , le montant des fruits et avantages perçus doit s'élever à 4 952 454,14 euros .
Attendu que les intimés font valoir que :
- ils sont propriétaires du bien depuis la donation ; que le fait que les donataires ne paient pas de fermage ne constitue pas un avantage dont ils peuvent être redevables ;
- la plus-value octroyée aux biens donnés et imputable à la gestion des donataires ne peut constituer les fruits tel que réclamés par les demandeurs ; que l'expert [D], expert des demandeurs , retenait 12 ha de vignes et de vergers au moment de la donation ; que madame [L] retient 10 ha de vignes et 10 ha de kiwis ; que ces 10 ha de kiwis constituent des améliorations faites par les seuls donataires et ne sauraient profiter à la succession puisque ces plantations n'existaient ni au moment de la donation ni au moment du décès ;
- les chiffres retenus par madame [L] sont éminemment contestables ;
a) qu'ainsi , pour les vignes , elle retient 15 tonnes à l' ha et 13 ha ; qu'après arrachage des vignes en 2015 , restaient 10 ha et que la production à l'ha n'est que de 12 tonnes au maximum ; que les charges d'exploitation sont par ailleurs de 5 500 euros l'ha ; que , selon eux , le résultat net actualisé doit être de 4 399 euros par an sur 30 ans ;
b ) que , pour les kiwis , le rendement retenu par madame [L] est largement exagéré en raison des conditions particulières de la Corse : hivers trop doux ; densité de plantations moindre que sur le continent ; taille des exploitations moindre que sur le continent ; qu'au vu d'un tableau qu'elle produit en page 8 , le rendement doit être évalué à 10,53 tonnes par hectare ; qu'au vu de chiffres extraits de documents officiels fournis par l' AGRESTE , le rendement sur 17 ans est de 9,97 tonnes par hectare ; que le rendement retenu aurait donc dû être de 10 tonnes à l'ha ;
que le prix reconnu du kilo de kiwis est de 0,68 euros et non de 0,90 euros ; que madame [L] a tenu compte des prix 'départs station' alors qu'ensuite , il y a des frais de conditionnement importants ; que c'est pour pallier à cette absence de rentabilité que les donataires ont arraché des plantations de kiwis dès 2003 sur des parcelles ne dépendant pas de la succession ;
c) que du matériel acheté pendant la période n'a pas été pris en compte par madame [L];
d) qu'eux-mêmes produisent un rapport privé de monsieur [W] qui fixe justement les fruits en faisant une péréquation entre l'évaluation fiscale et l'évaluation réelle ; que c'est ce rapport qu'il faut prendre en compte ;
Attendu que le présent litige ne se situe pas dans le cadre d'une indivision successorale mais dans celui de l'action en réduction diligentée à l'encontre des deux donataires de la cause , [Z] et [H] [O] , à la suite de la donation par préciput et hors part que leur a faite leurs parents le 27 octobre 1976 ;
Que le texte applicable est l'article 928 ancien du code civil qui dispose que 'le donataire restituera les fruits de ce qui excédera la portion disponible à compter du jour du décès du donateur' ;
Attendu que le tribunal de Bastia a , dans son jugement du 22 janvier 2002 , infirmé par l'arrêt d'appel du 8 mars 2004 , lui-même cassé en ce qu'il avait dit n'y avoir lieu à restitution de fruits compte tenu de leur modicité sans répondre aux conclusions des parties , avait de manière peu claire expliqué que les donataires avaient perçu les fruits et mis en valeur le bien donné en qualité de propriétaires ; qu'il n'en serait donc pas tenu compte dans l'évaluation de la soulte ;
Attendu que , certes la donation de 1976 a rendu messieurs [Z] et [H] [O] propriétaires des parcelles ZR [Cadastre 2] , [Cadastre 3] et [Cadastre 4] , mais que cela ne les dispensait pas de 'restituer les fruits de ce qui excède la portion disponible' ce qui conduit nécessairement , le cas échéant , à augmenter la soulte calculée sur le dépassement de la quotité disponible ;
Que , comme l'a fait la cour de Bastia en 2004 , il y a donc lieu d'infirmer le jugement du 22 janvier 2002 sur le problème des fruits ;
Qu'il n'en demeure pas moins qu'il convient de procéder à une évaluation des fruits perçus depuis le décès des de cujus en 1986 , pour voir s'il y a lieu à restitution desdits fruits dans les limites et conditions de l'article 928 susvisé ;
Attendu , concernant tout d'abord l'avantage lié à l'absence de paiement d'un fermage , qu'il n'a pas à être pris en compte dans l'évaluation des fruits ; qu'il ne peut être question de fermage ou d'avantage lié à l'absence de paiement de fermage, les deux donataires étant propriétaires du bien du fait de la donation ;
Que s'agissant de l'exploitation des kiwis qui n'a été développée que postérieurement au décès des de cujus , il y a lieu de la prendre en compte y compris dans la restitution des fruits visée par l'article susvisé ; qu'en effet , la règle énoncée par les donataires selon laquelle , dans l'évaluation des biens soumis à réduction fictive , il convient d'ignorer les plus-values imputables auxdits donataires, ne s'applique pas à l' évaluation des fruits postérieurs au décès des donataires ;
Attendu qu'il convient de calculer les fruits perçus entre 1986 et la date la plus proche du partage; que la cour , au vu des documents joints au dossier , arrêtera son compte à l'année 2016; qu'il ne lui appartient pas de faire le compte pour l'année 2017 , pour laquelle aucune pièce n'est fournie ; qu'elle fera donc son compte sur 30 années ;
Attendu qu'il était demandé à la consultante , madame [P] [L] , d'évaluer les fruits et avantages reçus par messieurs [Z] et [H] [O] du fait de la donation des parcelles sises à [Localité 3] ZR [Cadastre 2] , [Cadastre 3] et [Cadastre 4] entre la date du décès de leurs auteurs , soit décembre 1986 , et le jour le plus proche du partage , en prenant en considération notamment l'ensemble des dépenses , frais d'exploitation , salaires versés et investissements réalisés par les donataires pendant cette période ;
Attendu que le rapport de madame [L] est plus qu'imparfait en ce qu'il prend en compte , contrairement à la mission qui lui a été confiée , des périodes antérieures à 1986 ;
Qu'il tient compte aussi des avis d'imposition de 1988 à 2008 , qui , pour les revenus , partent d'une évaluation forfaitaire qui a été contestée , ne correspond pas véritablement à la réalité du terrain , et prennent en considération l'ensemble des revenus de [Z] et [H] [O] y compris sur d'autres parcelles étrangères à la donation ;
Attendu que , pour évaluer les revenus bruts au plus près de la réalité , la cour tentera de prendre en compte l'ensemble des pièces fournies , y compris , en partie , le rapport établi par monsieur [W] à la demande de [Z] et [H] [O] qui , certes , n'est pas contradictoire, mais que les parties ont pu librement consulter , qui s'appuie sur des pièces précises et qui apporte une critique constructive au rapport [L] ;
Qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une nouvelle consultation , qui serait la troisième , et dont il est à craindre qu'elle n'apporte pas plus d'éléments que ceux déjà fournis ;
Attendu , sur les vignes , que le rapport de madame [L] prend à tort en considération la période de 1976 à 1984 , antérieure à sa mission puisqu'elle part de la date de la donation et non de la date du jour du décès , pour 59 927,99 euros ;
que toutefois , le rapport de monsieur [W] ne peut pas être pris en considération , car , d'une part , il fait une moyenne entre le revenu fiscal et le revenu réel dépourvu de toute signification , et d'autre part , il fonde son évaluation réelle sur les seules années 2004 et 2012 sans expliquer son choix ; que , dès lors , la cour retiendra l'évaluation au réel de madame [L] , avec déduction des 59 927,39 euros correspondant à l évaluation antérieure à 1986 ; que la somme retenue sera donc de 225 597 euros ; qu'il sera précisé que madame [L] prend justement en compte l'arrachage de 2 ha et les charges de 5 000 euros à l'ha;
Attendu , sur les kiwis , que le rapport de madame [L] est peu précis , voir incohérent; qu'elle retient 20 tonnes à l'ha de 2000 à 2008 et 16 tonnes à l'ha de 2008 à 2016 sans expliquer ces chiffres , alors que , plus haut dans son rapport , elle explique qu'à compter de 1990 le déclin de la filière s'est amorcé , qu'on constate une chute du prix du kiwi et une production à l'ha de 10 tonnes
Attendu par ailleurs que madame [L] tient compte des déclarations fiscales de 1988 à 2008 , mais procède aussi au calcul concernant les kiwis au réel à compter de 2 000 , de sorte que la période de 2000 à 2008 est calculée à deux reprises , dans le revenu fiscal et au réel ;
Attendu que la cour retiendra donc sur le tonnage et le nombre d'hectares les chiffres de monsieur [W] dont il apparaît qu'ils sont plus proches des données réelles ;
Que monsieur [W] prend en compte de 11 à 15 tonnes à l'ha en fonction du caractère plus ou moins récent des plantations et des facteurs climatiques ; qu'il prend en compte un début de récoltes en 1990 pour la ZR [Cadastre 3] , en 1986 pour la parcelle ZR [Cadastre 4] et en 2000 pour la ZR [Cadastre 2] ; qu'il prend en compte un prix moyen au kg de 0,68 euros ; que si madame [L] prend en considération , pour la période de 2000 à 2008 , un prix moyen au kg de 0,90 euros , elle ne justifie pas par les annexes à son rapport de cette estimation ;
Que , dès lors , la cour retiendra un revenu brut de 2 031 432 euros soit 1 009 800 euros sur la parcelle ZR [Cadastre 4] + 777 920 euros sur la parcelle ZR [Cadastre 3] + 243 712 euros sur la parcelle ZR[Cadastre 2] ;
Que monsieur [W] déduit des charges importantes de 10 099 euros sur 15 ha par ha pour une production de 15 t qu'il ramène à 11 t ;
Que toutefois , pour déduire cette somme , il se sert du document d'un organisme professionnel qui inclut dans les charges la main d'oeuvre , déjà retenue par madame [L] ; que , pour ne pas prendre en compte deux fois cette main d'oeuvre , la cour limitera les charges à 2 653 euros par ha correspondant aux engrais et traitements divers sur 15 ha , ramenées à 1 945,53 euros par ha sur 11 ha ;
Que , sur cette base de 1 945,53 euros d'engrais par ha , sont déjà , par suite , à retirer du revenu brut la somme de 508 561,54 euros ;
Attendu , concernant l'ensemble des charges , que , revenant au rapport [L] , la cour retiendra :
- les cotisations MSA de 38 485,18 euros ;
- l'achat de matériel , plantations , entretien concernant la vigne ramenés sur 30 ans à 330 529 euros ;
- le coût de plantation des kiwis postérieurs à 1986 tel que retenu par monsieur [W] alors que madame [L] prend à tort en compte des investissements antérieurs à cette date :
30 536,70 euros ;
- le coût de la main d'oeuvre ramené à 30 années de 379 081 euros ;
- le coût du matériel roulant et réparations avec retrait des dépenses antérieures à 1986 :
49 865 euros ;
- le montant des prêts retenus par monsieur [W] de 185 246,24 euros ; qu'il sera noté sur ce point que le rapport de madame [L] est inexploitable puisque , dans le montant qu'elle retient , de 72 641,95 euros , elle prend en compte certains prêts antérieurs à 1986 à l'exclusion en revanche de certains prêts justifiés postérieurs à cette date ;
- le logement ouvrier de 6 984,03 euros ;
Attendu qu'il en résulte que le montant net des fruits évalués entre 1986 et 2016 s'élève à
727 740.31 euros , ce qui représente par mois des fruits nets toujours positifs de 2021,50 euros compatibles avec les investissements réalisés ;
Attendu que , s'agissant d'une exploitation en nom personnel , les deux exploitants se rémunèrent directement sur les fruits nets ;
Que les fruits nets correspondent donc au résultat net de l'exploitation qui est la base du revenu de l'exploitant ;
Que même si l'article 928 , contrairement à l'article 815-12 du code civil , n'évoque pas la rémunération de la gestion de celui qui doit restitution des fruits de ce qui excède la portion disponible , la situation est radicalement différente et que la comparaison entre les deux textes n'a pas lieu d'être ;
Qu'il convient , dans la restitution des fruits , de prendre en compte le revenu de l'exploitant , comme l'avait justement fait la cour de Bastia ; que , décider autrement reviendrait à opérer une discrimination entre les situations dans lesquelles l'exploitant serait salarié dans son exploitation, dans le cadre d'une société ou d'un GFA par exemple le salaire de l'exploitant lui-même rentrant alors dans les charges à prendre en compte , ou ne le serait pas ;
Attendu de surcroît que l'exploitation d'un fonds agricole comporte des tâches de gestion administrative et financière qui , indépendemment des fruits tités du travail de la terre , doit donner lieu à rémunération ;
Qu'il n'y aura donc pas lieu à restitution de fruits , la somme précédemment évaluée correspondant à la rémunération des deux donataires dont le travail n'a pas été pris en compte dans les calculs précédents ;
Qu'en effet , la somme de 727 740,31 euros sur 30 ans représente des fruits nets sur un mois de 2 021,50 euros ; que cette somme mensuelle correspond à un SMIC pour chacun des deux exploitants ;
Attendu qu'il y a lieu de condamner in solidum les consorts [S] [O] aux entiers dépens de l'instance après cassation , en ce compris le coût des consultations de monsieur [V] et de madame [L] , lesquels seront employés en frais privilégiés de partage;
Attendu qu'il ne paraît pas inéquitable de condamner les consorts [S] [O] à payer à monsieur [H] [O] , madame [V] [O] , monsieur [L] [O] et monsieur [F] [O] la somme globale de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel , et la somme de 1 500 euros sur le même fondement à madame [R] [O] ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR , statuant publiquement , par arrêt par défaut et en premier ressort :
Vu l'arrêt de la cour de cassation du 20 juin 2006 ayant cassé l'arrêt de la cour d'appel de Bastia du 8 mars 2004 sur le problème de la restitution des fruits :
INFIRME le jugement du Tribunal de Grande Instance de Bastia du 22 janvier 2002 en ce qu'il a rejeté le principe de la restitution des fruits ;
STATUANT à nouveau :
DIT que les fruits doivent par principe être restitués dans les limites de l'article 928 du code civil.
EVALUE les fruits perçus par messieurs [H] et [Z] [O] entre 1986 et 2016 à la somme de 727 740,31 euros ;
DIT que cette somme correspondant à la rémunération des deux donataires ;
DIT n'y avoir lieu , par suite , à restitution des fruits ;
CONDAMNE in solidum madame [S] [D] , monsieur [T] [O], monsieur [Z] [O] , agissant en qualité d'héritier de [E] [O] , madame [X] [K] , madame [M] [O] , madame [K] [O] , madame [U] [Y] et madame [S] [O] aux entiers dépens de l'instance après cassation , en ce compris le coût des consultations de monsieur [V] et de madame [L] , et le coût des assignations en intervention forcée de messieurs [F] et [H] [O] pris en leur qualité d'héritiers de [C] [O] , lesdits dépens étant employés en frais privilégiés de partage ;
CONDAMNE in solidum madame [S] [D] , monsieur [T] [O], monsieur [Z] [O] , agissant en qualité d'héritier de [E] [O] , madame [X] [K] , madame [M] [O] , madame [K] [O] , madame [U] [Y] et madame [S] [O] à payer à monsieur [H] [O] , madame [V] [O] , monsieur [L] [O] et monsieur [Z] [O] [O] la somme globale de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
CONDAMNE in solidum madame [S] [D] , monsieur [T] [O], monsieur [Z] [O] , agissant en qualité d'héritier de [E] [O] , madame [X] [K] , madame [M] [O] , madame [K] [O] , madame [U] [Y] et madame [S] [O] à payer à madame [R] [O] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
LAISSE à la charge des appelants leurs propres frais irrépétibles d'appel.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT