COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
6e Chambre D
ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION
DU 21 NOVEMBRE 2018
A.R.
N°2018/213
Rôle N°17/20382 -
N° Portalis DBVB-V-B7B-BBO6R
X..., Catherine, Michelette Y...
C/
Louis Z...
Copie exécutoire délivrée le :
à :
A...
Me Alexandra B...
Sur saisine de la cour suite à l'arrêt n° 1017 F-P+B rendu par la Cour de Cassation en date du 27 septembre 2017 enregistré au répertoire général sous le n° H 16-22.150 lequel a cassé et annulé l'arrêt n° 300 rendu le 25 mai 2016 par la chambre civile A de la cour d'appel de BASTIA (RG 12/00708) à l'encontre du jugement rendu le 10 novembre 2005 par le tribunal de grande instance de BASTIA.
DEMANDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI
Madame X..., Catherine, Michelette Y... Veuve Z...
née le [...] à BASTIA (20),
demeurant [...]
représentée par Me C... D... de la A..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Julie E..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, ayant pour avocat Me Alexandra K... RETALI & ASSOCIES, avocat au barreau de BASTIA.
DEFENDEUR DEVANT LA COUR DE RENVOI
Monsieur Louis Z...,
né le [...] à PRUNELLI DI FIUMMORBO (Haute Corse)
demeurant [...]
représenté par Me Alexandra B..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, ayant pour avocat Me Sophie F..., avocat au barreau de BASTIA.
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785 et 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Septembre 2018 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Jean-Baptiste COLOMBANI, Premier président de chambre, et Mme Annie RENOU, Conseiller, chargés du rapport.
Mme Annie RENOU, Conseiller, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de:
M. Jean-Baptiste COLOMBANI, Premier président de chambre
Mme Annie RENOU, Conseiller
Mme Annaick LE GOFF, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Novembre 2018.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Novembre 2018.
Signé par M. Jean-Baptiste COLOMBANI, Premier président de chambre et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Monsieur Emile Z... et madame X... Y... se sont mariés en secondes noces le
17 juillet 1976 , sous le régime légal de la communauté de biens réduite aux acquêts , à défaut de contrat de mariage.
Monsieur Z... est décédé le [...] , laissant pour recueillir sa succession :
- madame X... Y... , son conjoint survivant ;
- monsieur Louis Z... , son fils né d'une première union .
Monsieur Emile Z... a pris les dispositions testamentaires suivantes :
- deux testaments olographes , respectivement du 30 avril 1995 et du 28 mars 2000 , léguant à son épouse X... Y... , aux termes du premier testament, le capital décès d'un contrat d'assurance , aux termes du second , une rente annuelle de 60 000 Frs , son contrat d'assurance étant devenu caduc ;
- un testament olographe du 8 mars 2002 , aux termes duquel il déclare révoquer toutes dispositions antérieures , priver son conjoint de tout droit , y compris l'usufruit légal , et dit que son fils sera son unique héritier pour le tout.
Contestant la validité du testament olographe du 8 mars 2002 , par acte d'huissier du 2 avril 2003, madame Y... veuve Z... a assigné monsieur Louis Z... devant le tribunal de grande instance de Bastia en vue d'obtenir la nullité de ce testament , la liquidation et le partage de la communauté ayant existé entre elle et son époux , ainsi que de la succession de ce dernier.
Par jugement du 10 novembre 2005 , le tribunal a :
- débouté madame Y... de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de l'acte rédigé le 8 mars 2002 par Emile Z... ;
- débouté monsieur Louis Z... de sa demande de dommages-intérêts ;
- condamné madame X... Y... veuve Z... à régler à monsieur Louis Z... la somme de 1 300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par déclaration reçue le 9 décembre 2005 , madame Y... a relevé appel du jugement.
Par ordonnance du 6 juillet 2006 , le conseiller de la mise en état , faisant droit à la demande de madame Y... veuve Z... , a ordonné une expertise médicale confiée au docteur Laurent G... , neurologue.
Le 23 janvier 2007 , l'expert judiciaire a déposé son rapport au greffe de la cour d'appel , aux termes duquel il conclut que 'quelques jours avant sa mort , monsieur Emile Z... était atteint d'une maladie d'Alzheimer ayant atteint le stade démentiel. Depuis le 5 novembre 2001 , et a fortiori au 8 mars 2002 , monsieur Emile Z... n'était plus sain d'esprit'.
Par arrêt mixte du 21 mai 2008 , la cour d'appel a :
- rejeté le moyen tiré de la nullité du rapport d'expertise ;
- infirmé le jugement déféré ;
- statuant à nouveau au visa du rapport de l'expert :
- dit que le testament olographe du 8 mars 2002 était nul et qu'il ne pouvait recevoir exécution;
- ordonné compte liquidation et partage de la communauté ayant existé entre monsieur Emile Z... et madame X... Y... veuve Z... , ainsi que de la succession de feu monsieur Emile Z... , compte tenu des dispositions testamentaires de ce dernier du 28 mars 2000 ;
- commis pour y procéder le président de la chambre des notaires de Haute Corse , avec faculté de délégation ;
- préalablement aux opérations de partage et pour y parvenir , commis en qualité d'expert monsieur Alain H... , pour les missions et selon les modalités précisées dans le disposititif , et ce aux frais avancés de madame Y... ;
- condamné monsieur Louis Z... à payer à madame Y... la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
- renvoyé l'affaire à la conférence de la mise en état du 29 octobre 2008 ;
- réservé les dépens.
Par arrêt du 17 juin 2009 , la cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par monsieur Z....
Le 30 janvier 2011 , l'expert judiciaire , monsieur H... , a déposé son rapport en l'état.
Par deux ordonnances respectivement du 22 mars 2011 et du 22 novembre 2011 , le conseiller de la mise en état a ordonné une nouvelle expertise complémentaire confiée à monsieur H... avec pour mission d'interroger le fichier FICOBA afin d'identifier respectivement les comptes bancaires des époux Y... Z... ainsi que les comptes de monsieur Emile Z....
Puis , par ordonnance du 27 mars 2013 , le conseiller de la mise en état a de nouveau commis monsieur H... en l'état des nouveaux éléments produits par les parties .
Le 30 décembre 2014 , monsieur H... a déposé son rapport définitif.
Les parties ont de nouveau conclu au fond , et , par arrêt du 25 mai 2016 , la cour d'appel de BASTIA a :
- ordonné la rectification de l'acte de notoriété après décès de monsieur Emile Z... , dressé le [...] , par maître François GRIMALDI , notaire associé , en ce qu'il devra porter madame X... Y... veuve Z... en qualité d'héritière de monsieur Emile Z... , son épouse commune en biens et légataire suivant testament olographe du 28 mars 2000 ;
- ordonné la rectification de l'acte d'attestation immobilière après décès de monsieur Emile Z..., dressé le [...] , par maître François GRIMALDI , notaire associé , en ce qu'il devra porter madame X... Y... veuve Z... en qualité d'héritière de monsieur Emile Z..., son épouse commune en biens et légataire suivant testament olographe du 28 mars 2000;
- ordonné la rectification de l'acte de partage entre les consorts Z... , reçu les 29 juin et
19 octobre 2006 par maître François GRIMALDI , notaire associé , en ce qu'il devra porter madame X... Y... veuve Z... en qualité d'héritière de monsieur Emile Z... , son épouse commune en biens et légataire suivant testament olographe du 28 mars 2000 et , en conséquence, en tenir compte .
- dit que les actes rectificatifs de l'attestation immobilière et de l'acte de partage susvisés seront publiés au service foncier compétent par le notaire instrumentaire ;
- dit que les fonds détenus tant par monsieur Emile Z... que par madame X... Y... au décès de monsieur Z... sont des actifs de communauté ;
- dit que sur les 88 parts sociales détenues par monsieur Emile Z... à son décès dans la SARL SOCODIMAT , les 8 parts sociales attribuées à ce dernier lors de la création de la société sont des biens propres et les 80 parts sociales acquises par augmentation du capital social sont des biens communs ;
- dit que les 105 parts sociales détenues par monsieur Emile Z... dans la I... sont des biens communs ;
- dit que les 245 parts sociales détenues par monsieur Emile Z... dans la SCI Marine de Solaro sont des biens propres ;
- débouté madame Y... de ses demandes au titre du recl successoral contre monsieur Louis Z... ;
- débouté madame X... Y... de ses autres demandes ;
- dit que madame X... Y... a recelé le solde au décès de monsieur Emile Z... des fonds placés sur un compte livret A n° [...] ouvert à la caisse d'Epargne , agence de Bastia , transformé le 1° janvier 2002 et clôturé le 4 juin 2003 ;
en conséquence :
- dit que madame X... Y... veuve Z... ne peut prétendre à aucune part dans les fonds recelés , dont le montant n'est pas connu , faute d'avoir été communiqué par cette dernière;
- condamné madame X... Y... à payer à monsieur Louis Z... la somme de 50 000 euros de dommages-intérêts ;
- débouté les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties de tous autres chefs de demande ;
- dit que chacune des parties supportera ses entiers dépens de première instance et d'appel.
Sur pourvoi de monsieur Louis Z... , la cour de cassation a , par arrêt du 27 septembre 2017:
- rejeté le pourvoi incident ;
- cassé et annulé mais seulement en ce que l'arrêt dit que madame Y... a recelé le solde, au décès d'Emile Z... , des fonds placés sur le livret A n° [...] , ouvert à la caisse d'épargne , agence de Bastia , transformé le 1° janvier 2002 et clôturé le 4 juin 2003 , et en conséquence qu'elle ne peut prétendre à aucune part dans les fonds recelés , dont le montant n'est pas connu , faute d'avoir été communiqué par cette dernière ; remet en conséquence sur ce point la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt , et pour être fait droit , les renvoie devant la cour d'appel d'Aix en Provence ;
- condamné monsieur Z... aux dépens ;
- vu l'article 700 du code de procédure civile , rejeté les demandes.
La cour d'appel d'Aix en Provence a été saisie le 13 novembre 2017.
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 9 mars 2018 , madame X... Y... veuve Z... demande à la cour de :
sur l'étendue de la saisine :
- constater , et au besoin dire et juger que la cour est saisie de la question du recel imputé à madame Y... veuve Z... portant sur le solde , au décès de monsieur Emile Z... , des fonds placés sur le compte sur livret A n° [...] ouvert à la caisse d'Epargne , agence de Bastia transformé le 1° janvier 2002 et clôturé le 4 juin 2003 ;
- constater et au besoin dire et juger que les effets de la cassation partielle prononcée sur la question du recel successoral imputé à madame Y... s'étendent nécessairement aux condamnations prononcées par la décision cassée au titre des dommages-intérêts à hauteur de
50 000 euros ainsi que des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile ;
- constater et en tant que de besoin dire et juger que le pourvoi incident de monsieur Z... faisant grief à l'arrêt attaqué d'avoir limité le recel commis par madame Y... au solde , au décès de monsieur Emile Z... , des fonds placés sur le compte sur livret A n° [...] ouvert à la caisse d'Epargne , agence de Bastia transformé le 1° janvier 2002 et clôturé le 4 juin 2003 , a été rejeté ;
sur le recel de communauté imputé à madame Y... :
- constater et au besoin dire et juger que la sanction prévue à l'article 792 du code civil n'est pas applicable au conjoint survivant qui prélève des sommes au préjudice de l'indivision post communautaire , celui-ci étant débiteur des sommes correspondantes envers cette seule indivision, non en sa qualité d'héritière mais en sa seule qualité d'indivisaire tenu au rapport de ce qu'il a prélevé dans l'indivision avant le partage ;
- constater et au besoin dire et juger qu'il résulte de la pièce 24 communiquée par la concluante le 4 mars 2013 que le solde du compte sur livret A n° [...] ouvert à la caisse d'Epargne, agence de Bastia transformé le 1° janvier 2002 et clôturé le 4 juin 2003 , présentait une somme de 14,72 euros au décès de monsieur Emile Z... , intérêts compris ;
- constater et au besoin dire et juger que la caisse d'épargne confirme que la seule opération sur ce compte , du 1° janvier 2002 au 31 décembre 2002 , a été la capitalisation des intérêts et le solde du compte après opération de 14,72 euros ;
- constater et au besoin dire et juger que madame Y... a versé aux débats toutes les pièces réclamées et a déféré aux injonctions contrairement à monsieur Z... ;
- constater et au besoin dire et juger que l'intention frauduleuse du recel n'est pas caractérisée ;
- dire que le recel n'est pas caractérisé ;
- rejeter en conséquence les demandes de monsieur Z... visant à dire qu'elle a intentionnellement recelé des actifs de communauté la privant de tous droits dans la succession de monsieur Z... et la voir condamner au paiement de la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts , outre 10 000 euros au titre de l'article 700 et les dépens ;
- rejeter également les demandes de monsieur Z... visant à voir dire et juger que madame Y... a commis au détriment de l'indivision un recel des 5 comptes bancaires , la voir privée de ses droits sur la somme de 51 048,05 euros et la voir condamner au paiement de la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts outre l'article 700 et les dépens ;
très subsidiairement , si la cour retenait le recel :
- dire que la sanction du recel est toujours à la mesure des biens dissimulés , ni plus , ni moins , et que madame Y... ne saurait être privée de tous droits dans l'indivision ;
- dire que la demande subsidiaire visant à la voir privée de la somme de 51 048,05 euros n'est pas non plus fondée ;
- dire que madame Y... n'a fait preuve d'aucune réticence ;
- rejeter les demandes de monsieur Z... ;
- infiniment subsidiairement , fixer la somme à titre de dommages-intérêts à 1 euro symbolique .
Sur l'imputation du legs consenti à madame Y... :
- dire et juger que le de cujus a incontestablement entendu faire bénéficier son épouse de la libéralité en plus de son usufruit légal ;
- dire que cette libéralité s'ajoute à l'usufruit légal ;
- constater que , dans le cas contraire , le conjoint survivant dispose d'une option et que madame Y... se réserve le droit de renoncer ultérieurement à son usufruit légal dans le cadre des opérations de liquidation de la succession ;
dans tous les cas :
- renvoyer le dossier devant le conseiller chargé des expertises de la cour d'appel de Bastia désigné par arrêt du 21 mai 2008 ;
- renvoyer les parties devant maître PIERI , notaire , pour poursuivre les opérations de compte liquidation partage ;
- condamner monsieur Z... au paiement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais des expertises judiciaires de monsieur G... et de monsieur H....
Par dernières conclusions du 15 mars 2018 , monsieur Z... demande à la cour :
- de dire et juger que les effets de la cassation partielle sur la question du recel successoral ne s'étendent nullement à la condamnation prononcée par la décision cassée au titre des dommages-intérêts à hauteur de 50 000 euros , ce chef de condamnation étant aujourd'hui définitif ;
à titre principal :
- de dire et juger que madame Y... a intentionnellement recelé les actifs de communauté dont le montant est indéterminé la privant de tous droits dans l'indivision communautaire ;
- de condamner celle-ci au paiement de la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts;
à titre subsidiaire :
- de dire et juger que madame X... Y... a commis au détriment de l'indivision un recel des biens ci-après :
* BNP compte courant n° [...] : 22 180,68 euros ;
* BNP livret [...] : 98,36 euros ;
* BNP PEL [...] : 11 838,40 euros ;
* BNP PEA [...] : 16 915,89 euros ;
* caisse d'épargne livret A [...] : 14,72 euros ;
- de dire et juger en conséquence que madame X... Y... sera privée avant partage de la communauté de ses droits sur la somme de 51 048,05 euros outre intérêts légaux à compter du 13 mars 2002 ;
en toute hypothèse :
- d'ordonner l'imputation du legs consenti à madame X... Y... par disposition testamentaire en date du 28 mars 2000 sur le droit légal d'usufruit de cette dernière conformément aux dispositions de l'article 767 ancien du code civil ;
- de condamner madame X... Y... au paiement de la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La clôture a été fixée au 19 septembre 2018.
La cour se rapporte aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des faits et de leurs moyens.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'étendue de la saisine de la présente cour ;
Attendu qu'il ressort de la lecture de l'arrêt de la cour d'appel de Bastia du 25 mai 2016 que monsieur Z... reprochait à madame Y... un recel successoral portant sur une dissimulation d'actifs ; qu'il évoquait les 7 comptes retrouvés après consultation du fichier FICOBA , dont 6 ouverts à la BNP au nom de madame Y... et un autre ouvert au nom de celle-ci à la caisse d'épargne livret A n° [...] ;
Attendu que la cour de Bastia a retenu le recel successoral dans ses motifs , en ce que madame Y... a 'intentionnellement refusé de communiquer les actifs de la communauté de biens ayant existé entre elle et son époux , et ce au détriment de la succession de ce dernier' ;
Attendu que , dans le dispositif , elle a retenu uniquement le recel successoral concernant le livret caisse d'épargne ;
Attendu qu'elle a aussi condamné madame Y... à payer à monsieur Louis Z... la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts ; que la cour de Bastia a , dans les motifs de l'arrêt , expliqué que madame Y... , en dissimulant des actifs de communauté , avait commis une faute causant un préjudice à monsieur Z... ;
Attendu que , dans son arrêt du 27 septembre 2017 , la cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la cour de Bastia 'mais seulement en ce qu'il dit que madame Y... a recelé le solde , au décès d'Emile Z... , des fonds placés sur le livret A n° [...] ouvert à la caisse d'épargne agence de Bastia , transformé le 1° janvier 2002 et clôturé le 4 juin 2003 , et en conséquence qu'elle ne peut prétendre à aucune part dans les fonds recelés , dont le montant n'est pas connu , faute d'avoir été communiqué par cette dernière' ;
Attendu que madame Y... , au vu de ce dispositif , soutient que l'arrêt a été cassé à la fois sur le recel successoral et sur la condamnation à dommages-intérêts qui en est l'accessoire car motivée par la faute liée à ce recel ;
Attendu que monsieur Louis Z... prétend quant à lui que seul le recel est visé par la cassation, à l'exclusion de l'octroi en sa faveur de dommages-intérêts qui est définitif selon lui ;
Qu'il reprend son argumentation de recel concernant l'intégralité des comptes , qui faisait l'objet de son pourvoi incident , et qui a été rejeté par la cour de cassation ; que madame Y... déduit quant à elle de ce rejet que le problème du recel visant les comptes autres que celui de la caisse d'épargne n'est plus dans le débat devant la cour de renvoi ;
Attendu que l'article 623 du code de procédure civile dispose que 'la cassation peut être totale ou partielle. Elle est partielle lorsqu'elle n'atteint que certains chefs dissociables des autres' ; que l'article 624 du même code dispose quant à lui que 'la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire' ;
Attendu qu'en l'espèce , il est constant que la cassation est partielle et porte sur la qualification de recel successoral concernant le livret de caisse d'épargne ; que la cour de cassation casse l'arrêt qui lui est soumis au motif que le recel litigieux serait non un recel successoral mais un recel de communauté ;
Attendu que la faute retenue à l'encontre de madame Y... , et ayant entraîné sa condamnation au paiement de dommages-intérêts , consiste dans le fait qu'en dissimulant des actifs, elle a causé à monsieur Z... un préjudice ; que cette condamnation a un lien de dépendance nécessaire avec le recel , et doit donc également être considéré comme faisant partie de la saisine de la cour de renvoi ;
Qu'il en va de même de l'ensemble des éléments du recel , puisque si le pourvoi incident a été rejeté , c'est que le recel invoqué portait sur le recel successoral , alors que le moyen du pourvoi principal portait sur la qualification même dudit recel au motif que seul un recel communautaire pouvait être retenu ; que la cour de cassation ayant retenu la qualification de recel communautaire concernant le compte caisse d'épargne , elle n'avait plus à examiner un éventuel recel successoral concernant les autres comptes ; qu'il n'en demeure pas moins que le recel des autres comptes est toujours dans le débat devant la cour de renvoi , comme présentant un lien d'indivisibilité avec la notion de recel communautaire désormais invoquée ;
Attendu qu'il sera précisé qu'après dépôt du rapport définitif de l'expert , le dossier aurait dû être renvoyé directement devant le tribunal , ce qui n'a pas été le cas ; que la présente cour , en l'absence de décision de première instance sur le recel , et dans l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de confirmer ou d'infirmer un précédent arrêt d'appel , se contentera de statuer dans les limites de la cassation tel que présentement définie ;
Sur l'existence du recel de communauté ;
Attendu que les comptes litigieux sont des comptes qui étaient ouverts au moment du décès de monsieur Emile Z... au nom de son épouse , madame Y... ; que les fonds s'y trouvant bénéficient donc de la présomption de communauté et doivent a priori rentrer dans l'actif commun avant le règlement de la succession ;
Que , s'ils sont détournés , il s'agit d'un recel de communauté ;
Attendu que l'article 1477 premier alinéa dans sa rédaction antérieure à la loi du 12 mai 2009 dispose que 'celui des époux qui aurait diverti ou recelé quelques effets de la communauté est privé de sa portion dans lesdits effets ';
Attendu que monsieur Z... prétend que madame Y... aurait recelé 5 comptes :
- un compte épargne livret A n° [...] présentant un solde de 14,72 euros au décès de son père ;
- un compte courant BNP n° [...] présentant un solde de 22 180,68 euros au décès de son père ;
- un livret BNP n° [...] présentant un solde de 98,36 euros au décès de son père ;
- un PEL BNP n° [...] présentant un solde de 11 833,40 euros au décès de son père ;
- un compte BNP PEA n° [...] présentant un solde de 16 915,69 euros au décès de son père.
Attendu que le recel de communauté suppose l'existence d'un élément matériel qui consiste dans la soustraction d'un bien de la masse commune , qui peut être commis avant ou après la dissolution de la communauté jusqu'au jour du partage ; qu'il suppose également l'existence d'un élément intentionnel , à savoir l'intention de porter atteinte à l'égalité du partage ;
Attendu qu'il ressort du rapport d'expertise en l'état déposé par monsieur H... le 24 janvier 2011 que le relevé BNP au nom de Y... figurait dans la liste des pièces fournies par maître RETALI , avocate de madame Y... , le 14 janvier 2009 ; que ce compte correspond au compte courant BNP de cette dernière , portant le n° 301916 comportant un solde de 19 644,48 euros au 13 mars 2002 (de 22 180,68 euros selon les conclusions de monsieur Z...) ;
Attendu qu'il ressort de cette production volontaire que madame Y... n'a pas entendu divertir au receler ce compte dans le cadre du partage ;
Attendu en revanche , concernant les autres comptes , qu'il a fallu une ordonnance du conseiller de la mise en état du 22 mars 2011 , étendant la mission de monsieur H... à l'interrogation du fichier FICOBA et une injonction de communiquer adressée à l'avocat de madame Y... en date du 20 février 2012 pour qu'enfin , le 25 novembre 2013 , madame Y... fournisse les pièces en sa possession , qui ne comprenaient d'ailleurs toujours pas le compte caisse d'épargne ;
Attendu que madame Y... ne pouvait ignorer qu'elle était titulaire de ces comptes qu'elle a mis plus de 5 ans à communiquer à l'expert après la désignation de celui-ci le 21 mai 2008 ; que l'élément matériel du recel est caractérisé ;
Que le courrier adressé par maître RETALI à l'expert le 11 septembre 2014 révèle par ailleurs l'intention de madame Y... de dissimuler ces comptes , hors le compte courant BNP , puisqu'il est écrit que les comptes ouverts à son nom lui sont personnels et qu'en aucun cas , elle ne peut en être redevable à la succession , et ce au mépris de la présomption de communauté les affectant ;
Attendu qu'il en ressort que le recel de communauté est constitué en ce qu'il concerne les comptes suivants : le livret BNP n° [...] présentant un solde de 98,36 euros au décès de monsieur Emile Z... ; le PEL BNP n° [...] présentant un solde de 11 833,40 euros à la même période ; le compte BNP PEA n° [...] présentant un solde de 16 915,89 euros au décès du de cujus et le compte livret A caisse d'épargne présentant un solde de 14,72 euros ;
Attendu qu'il en résulte que le recel porte sur une somme de 28 867,37 euros ; que madame Y... sera donc privée de tout droit dans cette somme , outre intérêts légaux à compter du 13 mars 2002 , laquelle sera dévolue entièrement à monsieur Louis Z... ;
Qu'en revanche , la privation de tout droit dans la communauté , tel que demandée par monsieur Z... , n'est pas justifiée ;
Sur les dommages-intérêts
Attendu qu'il est de jurisprudence constante qu'au-delà de la privation de droit sur les biens, le recel peut aussi donner lieu à des dommages-intérêts pour la réparation du préjudice distinct du détournement lui-même ;
Attendu qu'en l'état du dossier, monsieur Z... ne justifie pas du préjudice distinct du détournement qu'il prétend subir , alors même que l'étude du dossier révèle que les deux parties ont reçu des injonctions de communiquer et sont à l'origine du retard pris par le règlement de la communauté et de la succession ;
Qu'il sera donc débouté de sa demande de dommages-intérêts tant à hauteur de 50 000 euros que de 100 000 euros.
Sur l'existence d'une libéralité
Attendu que madame Y... soutient que le legs dont elle a bénéficié de la part de son mari s'analyse en une libéralité en sus de son usufruit légal et demande à la cour de dire et juger que cette libéralité s'ajoute à son usufruit légal ;
Attendu que cette demande , certes tardive , ne peut être considérée comme nouvelle en cause d'appel puisque les parties étant , en matière de partage , respectivement demanderesses et défenderesses , quant à l'établissement de l'actif et du passif , toute demande doit être considérée comme une défense à une prétention adverse ;
Attendu que monsieur Z... demande que le legs de madame Y... s'impute sur l'usufruit légal de cette dernière ;
Attendu que le legs est ainsi rédigé :
'Je soussigné Z... Emile J... déclare prendre les dispositions testamentaires suivantes :
J'avais souscrit , du temps où j'étais gérant de société une assurance d'invalidité au profit de mon épouse Y... X...-Catherine. Ce contrat est maintenant caduc. C'est pourquoi je lègue à mon épouse afin d'assurer sa subsistance et d'éviter tout litige avec mon fils une rente annuelle de 60 000 Frs qui sera payable sans retenue mensuellement à partir du jour de mon décès.
Telles sont mes volontés.
Fait à Bastia le 28 mars 2000" ;
Attendu que l'article 767 ancien du code civil applicable aux faits de la cause compte tenu de la date de décès de monsieur Z... dispose que
'Le conjoint survivant non divorcé , qui ne succède pas à la pleine propriété , et contre lequel n'existe pas de jugement de séparation de corps passé en force de chose jugée a , sur la succession du prédécédé , un droit d'usufruit qui est :
- d'un quart , si le défunt laisse un ou plusieurs enfants soit légitimes , issus ou non du mariage;
- de moitié , si le défunt laisse des frères et soeurs , des descendants de frères et soeurs, des ascendants ou des enfants naturels conçus pendant le mariage ;
Le calcul sera opéré sur une masse faite de tous les biens existants au décès du de cujus , auxquels seront réunis fictivement ceux dont il aurait disposé soit par acte entre vifs soit par acte testamentaire , au profit de successibles sans dispense de rapport ;
Mais l'époux survivant ne pourra exercer son droit que sur les biens dont le prédécédé n'aura disposé ni par acte entre vifs ni par acte testamentaire , et sans préjudicier aux droits de réserve ni aux droits de retour.
Il cessera de l'exercer dans le cas où il aura reçu du défunt des libéralités , même faites par préciput et hors part , dont le montant atteindrait celui des droits que la présente loi lui attribue et , si , ce montant était inférieur , il ne pourrait réclamer que le montant de son usufruit.
Jusqu'au partage définitif , les héritiers peuvent exiger , moyennant sûretés suffisantes , et garantie de maintien de l'équivalence initiale , que l'usufruit de l'époux survivant soit converti en une rente viagère équivalente. S'ils sont en désaccord , la conversion sera facultative pour les tribunaux' ;
Attendu que le texte en cause dans le présent litige est l'alinéa 6 de l'article susvisé ;
Attendu que madame Y... fait valoir que , par un précédent testament en date du 30 avril 1995 , monsieur Emile Z... indiquait qu'il était titulaire d'un contrat d'assurance 'd'un montant à ce jour de 465 480 Frs souscrit au bénéfice de son épouse qui touchera le montant total à son décès' ; qu'il ajoutait 'qu'aucune attestation que ce soit ne pourra annuler cette assurance qui ne pourra sous aucun prétexte être transférée sur une autre tête avant le décès de ma femme. J'ajoute qu'un quelconque papier écrit de ma main ne pourrait avoir été rédigé que sous la contrainte ou si j'étais atteint d'une maladie cérébrale sénilité ou alzheimer' ;
Qu'elle ajoute que , le contrat étant caduc , le défunt a pris de nouvelles dispositions testamentaires le 28 mars 2000 , lui léguant la rente viagère de 60 000 Frs par an , correspondant aux 5 000 Frs par mois qu'il lui versait chaque mois de son vivant ;
Qu'elle en déduit qu'en lui consentant par deux fois une libéralité d'abord par le versement d'un contrat d'assurance d'un montant de 465 480 Frs , puis , ce contrat étant caduc , par le versement d'une rente mensuelle de 5 000 Frs , son conjoint a incontestablement entendu la faire bénéficier de ces libéralités en sus de son usufruit légal ;
Attendu que le testament du 28 mars 2000 a tiré les conséquences de la caducité du contrat d'assurance-vie n° 895 520 013 dont la bénéficiaire était madame Y... et qui figurait dans le legs de monsieur Emile Z... du 30 avril 1995 pour un montant de 465 480 Frs ;
Qu'en insérant ledit contrat dans le testament de 1995 , il apparaît que monsieur Z... n'a pas entendu le rendre imputable sur le droit d'usufruit de son conjoint ; que même s'il serait en effet possible de penser que cette clause du testament de 1995 n'a en effet d'intérêt que dans l'optique de rendre imputable la somme de 465 480 Frs sur le droit en usufruit de madame Y... , puisque , sinon , par principe , un contrat d'assurance-vie échappe à la succession de celui que le souscrit , la suite du testament permet de dire que tel n'a pas été la volonté du de cujus ; qu'il a surtout souhaité faire en sorte que , par une modification du nom du bénéficiaire qui pourrait lui échapper , cette somme de 465 480 Frs revienne en tout état de cause de manière pleine et entière à madame Y... ;
Attendu que ce contrat étant caduc , ce qui privait son épouse de cette somme , monsieur Emile Z... a pris les dispositions testamentaires objet du présent litige ;
Attendu qu'en indiquant que la somme de 60 000 Frs avait pour objet d'assurer la subsistance de madame Y... après son décès , monsieur Z... a entendu qu'elle puisse en bénéficier même si son droit d'usufruit d'un quart lui était inférieur ; que le fait qu'il ait entendu assurer sa subsistance pour éviter tout litige avec son fils va également dans ce sens ; qu'il est donc possible de dire qu'il a entendu gratifier sa conjointe au-delà de son droit légal ;
Qu'il y a donc lieu de dire que la libéralité qui lui a été consentie s'ajoute à son usufruit légal ;
Sur les autres demandes
Attendu qu'il y a lieu de dire que les frais des expertises de monsieur H... seront partagés entre les parties et utilisés en frais privilégiés de partage ;
Attendu que le rapport d'expertise définitif de celui-ci ayant été déposé , il n'y a pas lieu de renvoyer le dossier devant le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Bastia ;
Attendu en revanche qu'il convient de renvoyer les parties devant le notaire désigné pour régler les opérations de compte liquidation et partage de la communauté et de la succession conformément à l'arrêt du 21 mai 2008 ;
Attendu qu'il y a lieu de dire que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens et de ses propres frais irrépétibles afférents à la présente procédure après cassation ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR , statuant publiquement , contradictoirement et en dernier ressort :
DIT que l'étendue de la cassation implique qu'il soit statué à nouveau à la fois sur le recel de l'ensemble des comptes , caisse d'épargne et BNP , et sur les dommages-intérêts ;
DIT que le recel de communauté imputable à madame Y... X... est constitué en ce qu'il concerne les comptes suivants : le livret BNP n° [...] présentant un solde de 98,36 euros au décès de monsieur Emile Z... ; le PEL BNP n° [...] présentant un solde de
11 833,40 euros à la même période ; le compte BNP PEA n° [...] présentant un solde de 16 915,89 euros au décès du de cujus et le compte livret A caisse d'épargne présentant un solde de 14,72 euros ;
DIT qu'il porte sur la somme de 28 867,37 euros et que madame X... Y... sera privée de tout droit dans cette somme , outre intérêts légaux à compter du 13 mars 2002 , laquelle sera dévolue entièrement à monsieur Louis Z... ;
DEBOUTE monsieur Louis Z... de sa demande de dommages-intérêts complémentaires à cette sanction ;
DIT que le legs consenti à madame X... Y... le 28 mars 2000 doit se cumuler avec son droit légal en usufruit ;
DIT que les frais des expertises de monsieur H... seront partagés entre les parties et employés en frais privilégiés de partage ;
DIT n'y avoir lieu de renvoyer le dossier devant le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Bastia chargé du contrôle des expertises ;
RENVOIE les parties devant le notaire désigné pour régler les opérations de compte liquidation et partage de la communauté et de la succession conformément à l'arrêt du 21 mai 2008 ;
DIT que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens et de ses propres frais irrépétibles afférents à la présente procédure après cassation .
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT