COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
17e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 11 OCTOBRE 2018
N° 2018/
SP
Rôle N° RG 17/20310 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BBOXN
Association FESTIVAL INTERNATIONAL D'ART LYRIQUE ET L'ACADEMIE EUROPEENNE DE MUSIQUE D'AIX EN PROVENCE
C/
Jean-Marc Z...
Copie exécutoire délivrée
le :11 OCTOBRE 2018
à :
Me Sophie A..., avocat au barreau de PARIS
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX EN PROVENCE - en date du 25 Février 2014, enregistré au répertoire général sous le n° F13/00848.
APPELANTE
Association FESTIVAL INTERNATIONAL D'ART LYRIQUE ET L'ACADEMIE EUROPEENNE DE MUSIQUE D'AIX EN PROVENCE agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié [...]
représentée par Me Sophie A..., avocat au barreau de PARIS
INTIME
Monsieur Jean-Marc Z..., demeurant [...]
représenté par Me Sophie B..., avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
Me Sophie B..., avocat au barreau de MARSEILLE
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 03 Juillet 2018 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller
Madame Sophie PISTRE, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Monsieur Guy MELLE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Octobre 2018..
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 Octobre 2018.
Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Madame Caroline LOGIEST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Monsieur Jean-Marc Z... a été engagé en qualité de chef menuisier par l'association pour le Festival International d'art lyrique et l'Académie européenne de musique d'Aix en provence dans le cadre de contrats à durée déterminée successifs dits « d'usage » (environ 80), conclus entre le 8 mars 1999 et le 12 juillet 2011. Il a suivi une formation du 5 septembre 2011 au 30 juin 2012 (sculpture dorure sur bois). À l'issue de cette formation, Monsieur Z... a informé l'association de sa disponibilité et de son souhait de continuer à travailler avec elle, demande à laquelle l'association n'a pas donné suite.
Sollicitant la requalification des contrats à durée déterminée d'usage en contrat à durée indéterminée, Monsieur Z... a saisi le 26 juin 2013 le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence, lequel par jugement du 25 février 2014 a requalifié les contrats à durée déterminée de Monsieur Z... en contrat à durée indéterminée, et a condamné l'association pour le Festival International d'art lyrique d'Aix en Provence à lui régler les sommes suivantes :
' 5793,68 euros d'indemnité de requalification
' 14484,20 euros d'indemnité compensatrice de préavis outre 1448,22 euros de congés payés afférents
' 17863,85 euros d'indemnité conventionnelle de licencier
' 28900 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle
' 1000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le conseil de prud'hommes a assorti ces condamnations de l'exécution provisoire à hauteur de 30000 euros et des intérêts légaux pour les sommes accordées, à compter du prononcé du jugement pour les dommages-intérêts, et à compter de la demande en justice pour le surplus, a débouté les parties du surplus de leurs demandes et a condamné le Festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence aux dépens de l'instance.
Sur appel formé par l'association pour le Festival International d'art lyrique et l'Académie européenne de musique d'Aix en Provence, la cour d'appel, autrement composée, a par arrêt du 8 janvier 2016 infirmé le jugement rendu par le conseil de prud'hommes, et statuant à nouveau, a débouté Monsieur Jean-Marc Z... de l'ensemble de ses demandes, débouté l'association de sa demande concernant les frais irrépétibles, et condamné Monsieur Z... aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Sur pourvoir formé par Monsieur Z..., la Cour de cassation, par arrêt du 20 septembre 2017, a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 8 janvier 2016, et a remis en conséquence la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette décision, et les a renvoyées devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.
L'association pour le Festival International d'art lyrique et l'Académie européenne de musique d'Aix en provence a procédé à une déclaration de saisine de la cour de renvoi le 9 novembre 2017 par voie électronique, dans des conditions de forme et de délais qui ne sont pas critiquées.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
L'association pour le Festival International d'art lyrique et l'Académie européenne de musique d'Aix en provence demande à la cour de renvoi de la recevoir dans ses écritures, et en conséquence, de constater l'irrecevabilité des demandes formées par Monsieur Z... en ce qui concerne les dommages-intérêts pour violation de la convention collective, les dommages-intérêts pour violation de l'accord d'entreprise du 16 juin 2010, et l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé. En tout état de cause, l'association demande à la cour de renvoi de réformer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a requalifié les CDD d'usage en CDI, et en ce qu'il a condamné l'association à régler différentes sommes, de débouter l'appelant à titre incident de ses demandes nouvelles, et par conséquent, de débouter Monsieur Z... de toutes ses demandes, de le condamner à payer à l'association la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
À cet effet, l'association pour le Festival International d'art lyrique et l'Académie européenne de musique d'Aix en Provence soutient que par conclusions du 3 mars 2018, Monsieur Z... a formé appel incident comportant trois demandes nouvelles qui n'avaient pas été formulées devant le conseil de prud'hommes, ni même devant la cour d'appel avant le pourvoi en cassation ; que la procédure d'appel a été réformée par le décret du 6 mai 2017 dont les dispositions sont applicables aux appels formés à compter du 1er septembre 2017 ; qu'en l'espèce la cour d'appel a été saisie le 9 novembre 2017 ; que dès lors l'intimé ne peut plus former de demandes nouvelles devant la cour depuis le 1er septembre 2017. L'association soutient en outre que ces demandes nouvelles ne portent pas sur le contrat de travail ni sur sa rupture mais sur l'application de textes légaux pendant le déroulement de la relation contractuelle ; que ces prétentions ne sont ni l'accessoire ni la conséquence ou le complément nécessaire des autres prétentions et tendent à des fins différentes. Sur le fond, l'association soutient que les conditions d'application des dispositions revendiquées de l'article V.15.1 de la convention collective ne sont pas réunies, qu'il est produit un récapitulatif de toutes les heures travaillées par Monsieur Z... qui montre que la moyenne travaillée annuellement entre 1999 et 2011 était de 62,35 % d'un temps plein et n'a jamais atteint 75 % d'un temps plein (sauf en 2010) contrairement à ce qu'affirme le salarié; que celui-ci n'apporte aucune preuve des heures alléguées et ne fournit aucun calcul si ce n'est un calcul succinct mentionné dans ses écritures et modifié par nouvelles conclusions du 14 juin 2018 ; qu'il n'apporte aucun élément qui permettrait de penser que les primes perçues venaient en fait rémunérer des heures supplémentaires et ne produit aucun calcul quant aux heures qu'il aurait réellement effectuées. L'association ajoute que l'appelant incident ne cite aucune disposition précise de l'accord d'entreprise qui n'aurait pas été selon lui respectée, ni aucun préjudice qui justifierait l'octroi d'indemnité, et que l'employeur n'a jamais dissimulé des heures accomplies, et a fortiori ne s'est jamais livré intentionnellement à une dissimulation d'heures supplémentaires quelle qu'elle soit.
En ce qui concerne la demande de requalification, l'association prétend que les contrats faisaient bien état du motif à savoir la «gestion des équipes de menuisiers pour la construction des décors des spectacles», et que l'objet particulier est bien mentionné puisqu'il est indiqué «assurer l'encadrement des équipes de menuisiers lors de la construction des décors des productions du festival»; que la durée était systématiquement précisée ; qu'il est de surcroît mentionné que cet emploi est par nature temporaire et fait référence à l'article L 1242'2 troisièmement du code du travail. L'association invoque l'usage constant de ne pas recourir au CDI pour le poste de chef des menuisiers, et des éléments concrets et précis selon elle établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi. Elle invoque également le caractère « exorbitant des demandes formulées par le salarié et accordées par le conseil de prud'hommes ».
M. Jean-Marc Z... demande à la cour de renvoi de confirmer le jugement querellé, de requalifier les contrats à durée déterminée d'usage en contrat de travail à durée indéterminée, et en conséquence, de condamner l'association pour le Festival International d'art lyrique et l'Académie européenne de musique d'Aix en provence à lui payer:
- 5793, 68 euros d'indemnité de requalification
- 14484, 20 euros d'indemnité compensatrice de préavis outre 1448,42 euros de congés payés afférents
- 17863, 85 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement
- 35000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure.
M. Z... demande en outre à la cour de renvoi de condamner l'association pour le Festival International d'art lyrique et l'Académie européenne de musique d'Aix en provence à lui régler:
- 10000 euros au titre de la violation de la convention collective
- 10000 euros au titre de la violation de l'accord d'entreprise du 16 juin 2010
- 17381, 04 euros d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
À cet effet, Monsieur Z... fait valoir que de 1999 à 2011 il avait en charge l'encadrement des équipes de menuisiers dans le travail de fabrication des décors effectué au sein des ateliers de construction de la direction technique de l'association ; que cette activité se déroule habituellement et principalement de novembre à juin, mais aussi de façon un peu plus limitée, durant les mois de juillet, septembre et octobre ; qu'il a un statut de cadre et les parties relèvent de la convention collective nationale pour les entreprises artistiques et culturelles du 1er janvier 1984 ; qu'après avoir suivi une formation de septembre 2011 à juin 2012, avec l'accord de son employeur, et avoir informé celui-ci de son souhait de continuer à travailler avec lui, il s'est retrouvé sans emploi à 58 ans. Il soutient que les conditions de recours à des contrats à durée déterminée dits d'usage ne sont pas remplies ; qu'il pèse sur l'employeur la charge d'une triple démonstration à savoir, que l'activité de l'entreprise relève d'un secteur d'activité prévu à l'article D 1142'2 ou par convention collective ou par accord collectif étendu, que l'employeur démontre qu'il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée pour l'emploi considéré, et que l'emploi visé par l'usage constant corresponde à une activité par nature temporaire. Monsieur Z... prétend que l'ensemble des contrats ne comporte ni la définition précise de son motif, ni les éléments établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi, ni l'objet du recours aux CDD dits d'usage ; que l'appelante ne rapporte pas la preuve d'un usage constant dans l'ensemble du secteur d'activité du spectacle de ne pas recourir aux contrats à durée indéterminée ; que le poste de chef menuisiers ne figure pas parmi les postes annexés à la convention collective pour lesquels il est d'usage de recourir aux contrats à durée déterminée dits d'usage ; que d'ailleurs le Festival International d'art lyrique a une activité permanente et emploie sous contrat à durée indéterminée les directions administratives et financières, du mécénat, de la production, le secrétaire général, la direction artistique et académique ainsi que la direction technique ; qu'au sein de la direction technique sont toujours employés sous contrat à durée indéterminée notamment le responsable de l'atelier décor, le régisseur général du service électricité, etc. Monsieur Z... ajoute que l'association n'apporte pas la preuve d'éléments concrets établissant la nature temporaire de l'emploi occupé par lui, compte tenu de la durée totale annuelle de la relation de travail litigieuse, de la nature et du degré de participation de Monsieur Z... à l'activité de l'entreprise.
Monsieur Z... soutient enfin que l'association a méconnu les dispositions de la convention collective applicable et celles relatives à l'accord d'entreprise en ce qui concerne le maintien de l'emploi (proposition d'un contrat à durée indéterminée lorsque le salarié employé régulièrement sous CDD d'usage sur le même emploi a effectué auprès d'une même entreprise un volume moyen annuel de 75% de la durée annuelle de travail constaté sur deux années consécutives). Il soutient que des journées supplémentaires ont été payées sous forme de prime, et qu'il n'a pas bénéficié de l'accord d'entreprise de juin 2000 qui prévoit de procéder progressivement à la résorption des emplois précaires ; que l'association a choisi d'accorder des primes à son salarié en contrepartie des heures supplémentaires accomplies et s'est intentionnellement soustrait à ses obligations en la matière.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il y a lieu de se référer au jugement du conseil de prud'hommes et aux écritures déposées, oralement reprises.
SUR CE
Sur la demande de requalification des contrats de travail à durée déterminée dits d'usage
Il résulte de la combinaison des articles L 1242'1, 1242'2 et D 1242-1 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, que dans les secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention au d'accord collectif étendu, certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des contrats de travail à durée déterminée lorsqu'il est d'usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée, en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois. Si des contrats à durée déterminée successifs peuvent être en ce cas conclus avec le même salarié, l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999 et mis en oeuvre par la directive de 1999 70/CE du conseil du 28 juin 1999, qui a pour objet en ces clauses 1 et 5 de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrat à durée déterminée successifs, impose toutefois de vérifier que le recours à l'utilisation de contrats successifs est justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi. Il appartient au juge d'examiner les éléments concrets liés à l'emploi considéré pour vérifier s'il est ou non par nature temporaire.
L'association affirme qu'il existe une présomption selon laquelle l'emploi pour lequel le salarié a été recruté était un emploi pour lequel il est d'usage de recourir aux contrats à durée déterminée.
Si le secteur des spectacles de l'action culturelle fait partie des secteurs d'activité dans lesquels les contrats à durée déterminée dits d'usage peuvent être conclus, aux termes des dispositions de l'article D 1242'1 du code du travail, et si l'accord Inter branche du 12 octobre 1998 applicable au secteur du spectacle énonce que la fonction de menuisier de théâtre (à laquelle la fonction de chef peut être appliquée), fait partie des fonctions « pour lesquelles le contrat à durée déterminée d'usage peut-être légitime », ces dispositions ne sont pas de nature à dispenser l'employeur d'apporter les éléments concrets pour justifier que l'emploi considéré était par nature temporaire.
L'association soutient en substance que Monsieur Z... n'a jamais travaillé toute l'année alors que le festival a bien une activité permanente ; que ses contrats cessaient «généralement» en juin pour ne reprendre qu'en novembre, ponctuellement ; que ses interventions n'ont donc toujours été que temporaires et limitées dans le temps, alors même que le festival a une activité permanente tout au long de l'année ; que les interventions ont été irrégulières et variables, en fonction des besoins en menuiserie variables et dépendant de la nature des spectacles ; qu'il a travaillé 54,8 % d'un temps plein en 2008, 51,4 % d'un temps plein en 2009, 76 % d'un temps plein en 2010, et 50,3 % en 2011 ; que les postes occupés en CDI par certains salariés de l'association correspondent à une activité permanente du fait qu'ils sont directement liés au fonctionnement structurel de l'entreprise et que leur activité est transversale aux différentes missions du festival, à savoir la programmation et l'organisation du festival d'Aix, la formation et l'insertion professionnelle, l'ancrage local et la dimension internationale, la politique culturelle d'éducation artistique.
Il résulte toutefois des pièces produites que l'activité artistique temporaire présentée par l'association intervient régulièrement, à la même fréquence chaque année, sur les mêmes périodes annuelles, sur des mêmes sites suivant un mode d'organisation identique ; que si chacune de ses productions artistiques est temporaire, elles constituent pour l'association une activité permanente et non occasionnelle ; qu'en outre, après la durée du festival en juin et juillet, les spectacles sont diffusés en France à l'étranger ce qui est de nature à nécessiter une adaptation des décors ; que d'ailleurs, au sein de la Direction technique de l'association, certains salariés sont engagés en contrat à durée indéterminée, notamment le responsable de l'atelier de décor. L'association ne produit aucune pièce permettant d'apprécier que M. Z... aurait été recruté à l'occasion de surcroît d'activité.
DE plus, les contrats litigieux s'ils comportent la nature de la «tâche» confiée à M. Z... («gestion des équipes de menuisiers pour la construction des décors des productions du festival », ou
« l'encadrement de l'atelier de menuiserie » ) ne portent pas la mention, contrairement à ce qui est prétendu par l'association, du motif du caractère temporaire de l'objet du contrat, et n'indique pas notamment l'intervention d'un fait déterminé, par exemple la réalisation des décors pour un spectacle précis. Il est simplement mentionné « usage » devant le paragraphe « motif du contrat » ainsi que la date de début et de fin de contrat.
Il est d'ailleurs curieux, alors qu'il est confié à Monsieur Z... une fonction d'encadrement des équipes de menuisiers dans le travail «de fabrication des décors» (sans autre précision), tel que cela résulte de la définition des tâches dans les contrats, que l'intéressé ait pu être engagé sur des contrats très courts, parfois de quelques journées ( cf. CDD du 26 avril 2011 pour la période du 27 au 29 avril 2011, puis CDD du 29 avril 2011 pour la période du 2 au 6 mai 2011), alors pourtant qu'au total chaque année la collaboration de Monsieur Z... s'étendait sur quelques huit mois, et qu'elle a été reconduite pendant 12 années consécutives. Le recours à Monsieur Z... ne se limitait pas à la seule période entre les mois de novembre et juin, mais est également intervenu en juillet (pour les années 1999, 2003, 2004, 2008, 2010 et 2011), en septembre (pour les années 2001, 2007) et en octobre (pour les années 1999, 2001, 2003, 2005, 2006, 2007, 2008, 2010).
L'examen des contrats litigieux permet également de confirmer que Monsieur Z... exerçait ses fonctions systématiquement sur le même site, celui des Ateliers du festival sis à Venelles (13).
Alors que la convention collective permet la modulation horaire, ce qui permet de pallier aux pics et creux d'activités, et que l'activité de Monsieur Z... a atteint des seuils importants, et notamment 76% d'un temps plein en 2010, la cour retient l'absence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi occupé par Monsieur Z....
Il y a lieu dès lors de confirmer le jugement du conseil de prud'homme qui a prononcé la requalification des contrats de travail à durée déterminée d'usage en un contrat à durée indéterminée.
Sur les conséquences de la requalification
Dès lors que les parties étaient liées par un contrat à durée indéterminée, dont il n'est pas discuté qu'il a été rompu à l'initiative de l'employeur, l'absence de mise en oeuvre d'une procédure de licenciement et en particulier de notification par écrit des causes de la rupture, rend nécessairement sans cause réelle sérieuse le licenciement.
Au cours des trois derniers mois précédant le dernier jour travaillé, il résulte des bulletins de salaire que Monsieur Z... a perçu les rémunérations suivantes :
' 12 juillet 2011 : 162,40 euros bruts
' du 4 au 8 juillet 2011 : 812 euros bruts
' le 1er juillet 2011 : 162,40 euros bruts
' du 1er juin au 30 juin 2011 : 3518,74 euros bruts
' du 16 mai au 31 mai 2011 : 1948,80 euros bruts
' 2 au 6 mai 2011 : 812 euros bruts
' du 27 avril au 29 avril 2011 : 487,20 euros bruts
' du 12 avril au 15 avril 2011 : 649, 60 euros bruts
Soit au total: 8553, 14 euros.
La perception pour cette même période d'une indemnité de congés spectacles n'est pas justifiée. (Les justificatifs produits en pièce 14 s'arrêtent à la période antérieure).
C'est donc la rémunération moyenne de 2851,04 euros qui sera retenue.
L'association pour le Festival International d'art lyrique d'Aix en provence sera condamnée à régler la somme de 5702,08 euros bruts à titre d'indemnité de requalification, représentant deux mois de rémunération, sur le fondement des dispositions de l'article L 1245'2 du code du travail, en considération du préjudice subi en raison de la multitude des contrats à durée déterminée souscrits en méconnaissance des exigences légales.
Il n'est pas discuté qu'en vertu des dispositions de la convention collective, Monsieur Z... a droit à une indemnité de préavis de cinq mois compte tenu notamment de son âge au moment de la rupture. L'association appelante sollicite toutefois de voir calculer cette indemnité de préavis par rapport au nombre d'heures en moyenne travaillées par Monsieur Z... en 2009, 2010 et 2011 entre le 12 juillet et le 12 décembre.
Mais dès lors que les parties étant liées par un contrat à durée indéterminée, il n'y a pas lieu de reconstituer la rémunération de Monsieur Z... pour la période courue entre le 12 juillet et le 12 décembre des années précédentes, alors que celle-ci correspond en grande partie à des phases d'inter contrats.
L'association sera par conséquent condamnée à régler la somme de 14255, 20 euros bruts, outre 1425, 52 euros de congés payés afférents.
La convention collective prévoit en son article V.11 que l'indemnité de licenciement se calcule sur la base d'un demi-mois de salaire par année de présence, à partir de deux années de présence, dans le cas d'un licenciement individuel quel que soit le motif, sauf le cas de faute grave. Dès lors l'association devra verser la somme de 17106, 24 euros bruts de ce chef.
À l'appui de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle à hauteur de 35000 euros, Monsieur Z... soutient qu'il a été admis comme demandeur d'emploi le 7 août 2012 ; qu'il s'est trouvé en fin de droit le 8 mars 2013 ; qu'il a eu l'opportunité de participer à un chantier de décoration mais que pour cela il lui a été demandé de facturer ses prestations et il a donc été contraint de se déclarer en qualité d'auto entrepreneur ; qu'il fournit un tableau des indemnités et revenus perçus qui fait apparaître selon lui une baisse de revenus très conséquente depuis 2012 (revenu divisé par trois en moyenne) étant précisé qu'il a été radié du statut d'auto entrepreneur depuis le mois d'octobre 2015; qu'il n'a pu faire valoir ses droits à la retraite qu'à compter du deuxième trimestre 2016 et a ainsi perdu 4 années de cotisation ; qu'il ressort du tableau fourni concernant le relevé de carrière un manque à gagner de 6500 euros pour 18 années de retraite (calcul non indexé effectué en fonction de l'espérance de vie des hommes en France) « sans compter les répercussions sur la caisse nationale d'assurance vieillesse».
Monsieur Z... produit les éléments suivants :
' un avis de prise en charge au titre de l'allocation d'aide au retour à l'emploi à compter du 9 juillet 2012
' un avis du Pôle emploi selon lequel la demande d'allocation déposée le 9 mars 2013 n'a pas pu recevoir de suite favorable
' un tableau effectué par lui-même des ressources et des dépenses professionnelles pour les années 2012 et 2013
' une attestation de paiement des indemnités journalières suite à un accident du travail du 1er janvier 2015 au 3 août 2015
' le récépissé de dépôt de déclaration au centre de formalités des entreprises du 5 octobre 2015
' un relevé de carrière établi par Monsieur Z... lui-même
' ses avis d'imposition pour les années 2014 et 2015.
En considération de l'âge de Monsieur Z..., comme étant né [...] , de son ancienneté, et de ces éléments qui établissent la baisse de rémunération, et en l'absence de justification d'une recherche active d'emploi, le préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse sera intégralement indemnisé par l'allocation de la somme de 28 900 euros. Par conséquent la décision du conseil de prud'hommes, qui a justement évalué le préjudice subi, sera confirmée de ce chef.
Sur la recevabilité des demandes nouvelles
Si le décret numéro 2016/660 du 20 mai 2016 a supprimé les dispositions de l'article R 1452'7 du code du travail, relatives à la recevabilité en appel des demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail, ces dispositions nouvelles ne sont applicables qu'aux instances introduites devant le conseil de prud'hommes à compter du 1er août 2016.
La présente instance a été introduite devant le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence avant le 1er août 2016 de sorte que le principe de l'unicité de l'instance trouve à s'appliquer. Sont recevables les demandes formées par une partie pour la première fois devant la cour d'appel, y compris de renvoi après cassation, dès lors que ces demandes dérivent du même contrat de travail.
Les demandes nouvelles formées par Monsieur Z... dérivent des mêmes CDD d'usage dont il demande depuis le début de l'instance la requalification, et sont donc recevables.
Sur le bien-fondé des demandes nouvelles
Sur la violation de la convention collective
Monsieur Z... invoque l'article V.15.1 et la violation par l'employeur de son obligation de proposer un contrat à durée indéterminée lorsque le salarié employé régulièrement sous CDD d'usage sur le même emploi a effectué auprès d'une même entreprise un volume moyen annuel de 75 % de la durée annuelle de travail, constaté sur deux années consécutives. Il soutient que des journées supplémentaire ont été payées sous forme de primes techniques, de 7 heures par jour et qu'au regard du décompte des heures effectuées, son employeur aurait dû lui proposer un contrat de travail à durée indéterminée en 2008, puisqu'il avait effectué :
' 1103,01 heures en 2006 (selon les bulletins de salaire), plus 10 % de congés payés à intégrer (110,30 heures) soit plus de 75 % de la durée annuelle du travail fixée conventionnellement à 1575 h (1500 × 75 % = 1181,25h)
' 1125,67 heures en 2007 (selon les bulletins de salaire) plus 10 % de congés payés à intégrer (112,56 heures) soit plus de 75 % de la durée annuelle de travail fixé conventionnellement à 1575h.
* *
Il résulte des dispositions de l'article V.15.1 de la convention collective applicable, relatif à la
« transformation du CDD dit d'usage en contrat à durée indéterminée » que lorsqu'un même salarié employé régulièrement sous CDD dits d'usage sur le même emploi aura effectué auprès d'une même entreprise un volume moyen annuel de 75 % de la durée annuelle de travail (en référence au nombre d'heures équivalent temps plein défini dans chaque convention collective), constaté sur 2 années consécutives, l'employeur doit proposer un contrat à durée indéterminée (soit un CDI de droit commun à temps complet), dans des conditions qui sont expressément énoncées à savoir:
- L'employeur doit faire une proposition de CDI de droit commun à temps complet dans les 2 mois suivant la réalisation des conditions,
- Le salarié dispose d' 1 mois à compter de la date de première présentation de la proposition pour l'accepter ou la refuser
- A défaut de proposition de l'employeur dans le délai de 2 mois susvisé, le salarié dispose d'un délai supplémentaire de 4 mois pour solliciter une transformation de son CDD dit d'usage en CDI.
A l'expiration des délais impartis à l'employeur et au salarié, l'accès au CDI n'est plus possible au titre de la période ayant servi à la détermination de la réalisation des conditions d'accès.
M. Z... n'ayant pas sollicité la transformation de son CDD dit d'usage en CDI dans le délai de quatre mois supplémentaires qui lui est accordé à l'issue du délai de deux mois, c'est valablement que l'association pour le Festival International d'art lyrique d'Aix en provence oppose la tardiveté de la demande formée par Monsieur Z... au titre de ces dispositions conventionnelles. Au surplus c'est le volume annuel des heures « effectuées » qui doit être pris en considération. Le calcul de Monsieur Z..., qui intègre à tort 10 % d'heures au titre des congés payés, ne justifie pas que les seuils énoncés par ces dispositions ont été atteints. En conséquence la demande doit être rejetée.
Sur la violation de l'accord d'entreprise du 16 juin 2010
Selon Monsieur Z..., pour limiter les recours à des contrats à durée déterminée d'usage, l'accord d'entreprise signé en juin 2000 prévoit de procéder progressivement à la résorption des emplois précaires, mesure dont il n'a pas bénéficié, contrairement à d'autres salariés placés dans une situation identique.
* *
Si, comme l'observe l'association, M. Z... ne cite aucune disposition précise de l'accord d'entreprise du 16 juin 2000 qui n'aurait pas été selon lui respectée, la cour constate toutefois qu'aux termes de l'article 1er du titre I dudit accord, relatif aux « mesures en faveur de l'emploi », il est prévu qu' : « afin de poursuivre les efforts de réduction de la précarité dans l'entreprise entamés en 1999 et dans l'objectif de favoriser l'emploi, tout en mettant en place la réduction du temps de travail, l'association s'engage à porter l'effectif minimum des salariés en CDI :
' de 24 postes au 31 décembre 1999
' à 28 postes au 31 mars 2001, soit 4 postes CDI complémentaires qui devront être pourvus au plus tard le 31 mars 2001. Une information sera faite sur ce point au comité d'entreprise au plus tard six mois après la signature du présent accord.
' Puis à 30 postes au 31 décembre 2001.
Soit en tout 6 CDI complémentaires sur une période de 20 mois (avril 2000'décembre 2001). »
Contrairement à ce qui est prétendu par Monsieur Z..., l'entreprise ne s'est pas engagée de manière générale à procéder à la résorption des emplois précaires, mais seulement à poursuivre des efforts de réduction de la précarité par une mesure concrète sur une période de 20 mois entre avril 2000 et décembre 2001. Monsieur Z... ne prétend nullement que les termes de cet accord n'auraient pas été respectés. Il n'invoque aucun élément de fait de nature à étayer sa thèse selon laquelle d'autres salariés, placés dans une situation identique à la sienne, aurait bénéficié d'un CDI.
La demande sera par conséquent rejetée.
Sur l'indemnité pour travail dissimulé
Selon Monsieur Z..., il résulte des bulletins de salaire des années 2000, 2001, 2002, 2003, 2007, 2008, 2009 et 2010 que l'employeur lui a réglé des primes techniques, forfaits jours techniques et forfaits jours fériés, correspondant en réalité au montant exact d'une journée de travail supplémentaire sans que n'apparaissent à ce titre sur les bulletins de salaire lesdites heures supplémentaires effectuées; que l'association pour le Festival International d'art lyrique d'Aix en provence a donc choisi d'accorder des primes à son salarié en contrepartie des heures supplémentaires accomplies, et de ne pas faire apparaître certaines heures, et s'est intentionnellement soustrait à ses obligations en la matière.
L'association répond que les heures accomplies par Monsieur Z... n'ont jamais été dissimulées puisque «tout est inscrit sur les bulletins de salaire», à savoir les heures normales et la prime technique, due, en plus des jours accomplis et payés, pour travail un sixième jour ou un jour férié, sans que cela ne constitue des heures supplémentaires. L'association ajoute, qu'à fortiori, elle ne s'est jamais livrée intentionnellement à une dissimulation d'heures supplémentaires quelles qu'elle soit.
* *
L'accord d'entreprise du 16 juin 2000 prévoit expressément le versement d'indemnités d'un montant minimal de 7 heures de travail, en cas de dépassement de certains seuils (18 semaines de six jours consécutifs à période de référence notamment).
DE plus, Monsieur Z... n'étaye pas sa demande par la production d'éléments précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments. En conséquence, la cour ne retient pas l'existence d'heures supplémentaires non mentionnées sur les bulletins de salaire. La demande d'indemnité pour travail dissimulé sera rejetée.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il serait inéquitable de laisser supporter à Monsieur Z... la charge des frais irrépétibles par lui exposés à l'occasion de la procédure. La condamnation prononcée par le conseil de prud'hommes sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sera confirmée. L'association pour le Festival International d'art lyrique et l'Académie européenne de musique d'Aix en provence sera en outre condamné à régler la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles engagés par Monsieur Z... à l'occasion de la procédure devant la cour d'appel de renvoi.
Aucune considération d'équité ne commande en revanche de faire droit à la demande formée sur cette même disposition par l'association.
L'association pour le Festival International d'art lyrique, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale
Vu l'arrêt de la cour de la cour de cassation du 20 septembre 2017,
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence du 25 février 2014 en ce qu'il a requalifié les contrats de travail à durée déterminée de Monsieur Z... en contrat à durée indéterminée, et a condamné le Festival international d'art lyrique d'Aix-en-Provence à lui régler les sommes de 28900 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle sérieuse et de 1000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et en ses dispositions relatives aux intérêts des condamnations
L'infirme pour le surplus, et statuant à nouveau sur les points infirmés
Condamne l'association pour le Festival International d'art lyrique et l'Académie européenne de musique d'Aix en provence à payer à Monsieur Jean-Marc Z... les sommes suivantes :
-5702,08 euros bruts d'indemnité de requalification
-14255,20 euros bruts d'indemnité compensatrice de préavis outre 1425,52 euros de congés payés afférents
-17106,24 euros bruts d'indemnité conventionnelle de licenciement
Y ajoutant,
Déboute Monsieur Z... de ses demandes de dommages-intérêts pour violation de la convention collective, pour violation de l'accord d'entreprise et de sa demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé
Condamne l'association pour le Festival International d'art lyrique et l'Académie européenne de musique d'Aix en provence à payer à Monsieur Jean-Marc Z... la somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés devant la cour d'appel de renvoi
Condamne l'association pour le Festival International d'art lyrique et l'Académie européenne de musique d'Aix en provence aux dépens de première instance et d'appel
Rejette toutes autres prétentions.
LE GREFFIER LE PRESIDENT