COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
2e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 27 SEPTEMBRE 2018
N° 2018/ 384
Rôle N° RG 16/11189 - N° Portalis DBVB-V-B7A-6ZHA
SAS TEXTO FRANCE
C/
SARL 35 AVENUE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me X...
Me Y...
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de NICE en date du 20 Mai 2016 enregistré au répertoire général sous le n° 2015F00789 .
APPELANTE
SAS TEXTO FRANCE,
dont le siège est [...]
représentée par Me Sabria X..., avocat au barreau de NICE
assistée et plaidant par Me Frédéric Z..., avocat au barreau de NANTES,
INTIMEE
SARL 35 AVENUE,
dont le siège est [...]
représentée et plaidant par Me Pierre-yves Y... de la SELARL SELARL LEXAVOUE AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 02 Juillet 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, monsieur FOHLEN, conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de:
Madame Marie-Christine AIMAR, Présidente
Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller
Monsieur Jean-Pierre PRIEUR, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Viviane BALLESTER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 Septembre 2018.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Septembre 2018,
Signé par Madame Marie-Christine AIMAR, Présidente et Madame Viviane BALLESTER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
F A I T S - P R O C E D U R E - D E M A N D E S :
Un bail commercial a été consenti par la société parisienne EUROPEENNE DE GESTION à la S.A.S. TEXTO FRANCE ayant son siège à GARDANNE, pour une durée de 3, 6 ou 9 ans à compter du 7 janvier 2006, sur un local magasin de 130 m² situé au rez de chaussée de l'immeuble du [...] (06) et pour une activité de 'chaussures et articles chaussants et équipements de la personne, à l'exclusion de tout autre commerce'.
La S.A.R.L. 35 AVENUE s'est immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés le 26 juillet 2011, avec son siège à NICE et pour gérant Monsieur Jordan A....
Le 22-25 juillet 2014 une a été signée entre la société TEXTO FRANCE et la société 35 AVENUE, pour le droit au bail restant à courir sur ce local, et moyennant le prix de 100 000 euros 00 ; il est stipulé notamment :
- diverses conditions suspensives, dont en page 6 l'obtention de l'autorisation du bailleur à cette cession et l'agrément par celui-ci du cessionnaire, et au profit de ce dernier la conclusion d'un nouveau bail commercial de 9 ans pour une activité de 'vente de prêt-à-porter hommes, femmes, enfants et accessoires, chaussures et articles chaussants et équipements de la personne' ;
- en page 7 la réalisation de ces conditions au plus tard pour le 15 septembre (échéance qui a ensuite été conventionnellement prorogée au 30 dudit mois), et la signature de l'acte de réitération au plus tard le 31 octobre.
Le 30 septembre 2014 la société 35 AVENUE, au motif que la totalité des conditions suspensives (dont l'accord du bailleur) a été réalisée, a demandé à la société TEXTO FRANCE de lui adresser son projet d'acte de cession de droit au bail. Et le 3 octobre l'avenant de l'agrément de la société EUROPEENNE DE GESTION a été signé par elle avec ces deux sociétés.
Le 20 octobre 2014 le cessionnaire a écrit au cédant pour lui notifier l'apparition d'une fissure très importante au-dessus de la façade du magasin, au-dessus du bandeau de l'enseigne au bas du 1er étage, et sur le bandeau dudit magasin ; le premier a demandé le traitement de la question de la prise en charge de la remise en état des locaux avant la signature des actes de cession. Le second a répondu le 28 octobre que cette fissure est présente uniquement au-dessus du magasin et ne vient aucunement affecter le bandeau de l'enseigne, et qu'elle ne concerne pas le local.
La société 35 AVENUE a relancé la société TEXTO FRANCE le 31 octobre en lui transmettant une de la société CORNILLON D... B... précisant que la fissure horizontale est structurelle avec 2 causes probables (tassement différentiel du mur porteur du rez de chaussée ; éventuels travaux à ce niveau mais sans renforts) ou leur combinaison, que cette fissure oblige à faire les investigations complémentaires dans les plus brefs délais, et qu'il ne peut être déterminé à ce jour si cette fissure est active ou passive. La seconde société a répondu le 3 novembre notamment que la fissure est visible depuis des années et n'affecte pas le local, et a mis en demeure la première société d'avoir à réitérer l'acte de cession, mais sans résultat. Le 26 janvier 2015 la société TEXTO FRANCE a transmis à la société [...] du syndic de la copropriété exposant que la fissure est due à un décollement de la bande de rives en plomb qui se situe au-dessus de l'enseigne mais n'est pas infiltrante et n'a pas causé de dommages dans les locaux, et que les travaux de reprise sont prévus courant février. Le cessionnaire a renoncé le 2 de ce mois à la cession.
Le 30 mars 2015 la société TEXTO FRANCE a donné congé pour le 30 septembre suivant à son bailleur la société EUROPEENNE DE GESTION, laquelle a consenti dès le lendemain à la société 35 AVENUE un bail commercial pour le local litigieux pour une durée de 3, 6 ou 9 ans.
Le 7 octobre 2015 la société TEXTO FRANCE a fait assigner en paiement la société 35 AVENUE devant le Tribunal de Commerce de NICE. Une sommation interpellative a été faite le 20 avril 2016 par la première à la seconde pour le point de vente exploité dans le local sous l'enseigne PRETEXT. Un jugement du 20 mai 2016 a :
* débouté la société TEXTO FRANCE de l'ensemble de ses demandes ;
* débouté la société 35 AVENUE de voir condamner la société TEXTO FRANCE à des dommages et intérêts ;
* dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
* condamné la société TEXTO FRANCE à verser la somme de 1 000 euros 00 à la société 35 AVENUE sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
* condamné la société TEXTO FRANCE aux entiers dépens.
La S.A.S. TEXTO FRANCE a régulièrement interjeté appel le 15-16 juin 2016, et par conclusions du 14 septembre 2016 soutient notamment que :
- la société 35 AVENUE n'a pas respecté ses engagements contractuels, puisque la totalité des conditions suspensives a été réalisée ;
- l'invocation de la fissure le 20 octobre 2014 est postérieure à cette réalisation le 30 septembre, alors que le local n'était plus exploité, et entièrement vidé en prévision de la cession du droit au bail ; cette fissure est ancienne et tout à fait apparente, n'a pu échapper à la société 35 AVENUE lors de ses visites du local, et concerne non ce dernier mais une partie commune de l'immeuble ; le syndic de copropriété est rassurant quant à la fissure ;
- le point de vente est exploité par l'enseigne PRETEXT dont l'identité a été recherchée vainement malgré sommation du 20 avril 2016 ; la société 35 AVENUE a pris le local à bail commercial avec la société EUROPEENNE DE GESTION.
L'appelante demande à la Cour, visant les articles 1134, 1146 et suivants du Code Civil, de :
- réformer en toutes ses dispositions le jugement, et statuant à nouveau ;
- constater que les conditions suspensives étaient toutes réalisées et que la cession était parfaite au 30 septembre 2014 ;
- en conséquence, condamner la société 35 AVENUE à verser à la société TEXTO FRANCE les sommes suivantes :
. 100 000 euros 00 au titre du prix de cession ;
. 19 042 euros 73 T.T.C. au titre du préjudice lié à la fermeture du point de vente [travaux et prestations] ;
. 75 615 euros 00 au titre de la perte de marge [du 25 octobre 2014 au 30 septembre 2015] ;
. 5 530 euros 95 au titre du coût salarial [licenciement de Madame C... qui a accepté un contrat de sécurisation professionnelle] ;
. 68 469 euros 00 T.T.C. au titre de la perte des loyers versés au bailleur [en pure perte du 1er novembre 2014 au 30 septembre 2015] ;
. 10 000 euros 00 au titre des dommages et intérêts [préjudice commercial du fait de la non exploitation du local pendant près de 11 mois] ;
soit au total la somme de 278 667 euros 68 ;
- débouter la société 35 AVENUE de toutes ses demandes ;
- condamner la société 35 AVENUE à verser à la société TEXTO FRANCE la somme de
5 000 euros 00 au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Concluant le 28 mai 2018 la S.A.R.L. 35 AVENUE répond notamment que :
- l'absence de réalisation d'une condition suspensive dans le délai prévu entraîne la défaillance de celle-ci, et subséquemment la caducité de la promesse de cession ;
- l'agrément du bailleur la société EUROPEENNE DE GESTION à la cession de droit au bail n'a été donnée que le 3 octobre 2014, alors qu'elle devait intervenir au plus tard le 30 septembre ; le nouveau bail commercial est lui aussi postérieur à cette échéance ;
- la fissure est structurelle ce qui remet en cause l'exploitation immédiate d'un commerce dans les locaux objets de la cession ; la réponse du syndic de copropriété n'a en rien rassuré le cessionnaire ; les travaux annoncés pour février 2015 n'ont été réalisés que fin mai ; cette fissure n'a pu être découverte avant la signature de la promesse de cession le 22-25 juillet 2014 ;
- le préjudice invoqué par la société TEXTO FRANCE ne trouve pas son origine dans l'absence de réitération de la promesse par la société 35 AVENUE ; la première a rapidement engagé des frais en vue de quitter les lieux avant la date prévue pour leur libération, et donc indépendamment de cette éventuelle réitération ; la même n'a jamais été en mesure de proposer à la seconde une solution pour remédier à la fissure structurelle ;
- la société TEXTO FRANCE a pris l'initiative de signifier le 30 mars 2015 à son bailleur un congé, qui a unilatéralement entraîné la disparition du bail commercial objet de la promesse ; sont donc sans objet les développements adverses relativement à la conclusion d'un bail par la société 35 AVENUE à compter du 1er octobre ;
- la société TEXTO FRANCE s'est rendue coupable de manquements flagrants à son obligation de loyauté, n'ayant pas attiré l'attention de la société 35 AVENUE sur la nature structurelle de la fissure et les risques en découlant pour la solidité de l'ouvrage et l'exploitation du local ; la seconde a été contrainte de renoncer à la cession.
L'intimée demande à la Cour de :
- dire mal fondé l'appel ;
- en conséquence, débouter la société TEXTO FRANCE ainsi que toutes ses demandes ;
- à titre principal :
. dire et juger [que] l'absence de réitération de la promesse synallagmatique de cession
de droit au bail est dépourvue de caractère fautif ;
. confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société TEXTO FRANCE de l'intégralité de ses demandes ;
- à titre subsidiaire :
. dire et juger nulle la promesse synallagmatique de cession de droit au bail pour erreur sur une qualité substantielle du local objet de la cession de droit au bail ;
. confirmer par substitution de motif le jugement en ce qu'il a débouté la société TEXTO FRANCE de l'intégralité de ses demandes ;
- en tout état de cause, condamner l'appelante à verser à la concluante :
. la somme de 20 000 euros 00 au titre de dommages et intérêt pour le manquement à son obligation de loyauté ;
. la somme de 2 000 euros 00 sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, en remboursement des frais irrépétibles,
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 juin 2018.
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M O T I F S D E L ' A R R E T :
L'agrément du bailleur la société EUROPEENNE DE GESTION à la cession de droit au bail par la société TEXTO FRANCE à la société 35 AVENUE a été donnée le 3 octobre 2014 alors qu'elle aurait dû l'être au plus tard le 30 septembre, mais ce très bref retard ne peut avoir de conséquences juridiques. Et toutes les autres conditions suspensives se sont réalisées ce qui rendait nécessaire la signature de l'acte de réitération au plus tard le 31 octobre comme convenu. Est donc engagée la société 35 AVENUE sans possibilité pour elle de renoncer à cette cession.
La fissure sur la façade de l'immeuble au rez de chaussée duquel se trouve le local objet de la promesse de cession de droit au bail du 22-25 juillet 2014 existait déjà au moment de cet acte, n'affecte pas ce local puisque située au-dessus de lui et sans caractère actif démontré, et présentait un caractère apparent qui a nécessairement attiré l'attention du cessionnaire la société 35 AVENUE, laquelle ne peut donc soutenir l'avoir constatée 20 jours après la date prévue pour la réalisation des conditions suspensives de cette cession. Par ailleurs cette société, bien qu'ayant renoncé à cette promesse le 2 février 2015, a néanmoins conclu à compter du 1er octobre suivant un bail commercial sur ledit local avec la société EUROPEENNE DE GESTION bailleur, ce qui démontre que la fissure ne constituait pas un obstacle effectif à la reprise des lieux bien que sous une autre forme.
C'est en conséquence sans motif légitime que la société 35 AVENUE a renoncé le 2 février 2015 à l'acquisition du droit au bail de la société TEXTO FRANCE, ce qui engage sa responsabilité contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal.
Cette cession est donc parfaite, ce qui oblige la première société à verser à la seconde le prix convenu de 100 000 euros 00. Les préjudices invoqués par la société TEXTO FRANCE depuis la date prévue pour réitérer l'acte soit le 31 octobre 2014, jusqu'au congé qu'elle a donné à son bailleur pour le 30 septembre 2015 (coût de fermeture du local, perte de marge, licenciement de la salariée Madame C..., loyers versés), ont un caractère indirect par rapport à cette privation de prix, ce qui exclut leur prise en compte.
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D E C I S I O N
La Cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire.
Réforme le jugement du 20 mai 2016, et condamne la S.A.R.L. 35 AVENUE à payer à la S.A.S. TEXTO FRANCE la somme de 100 000 euros 00 à titre de dommages et intérêts.
Vu l'article 700 du Code de Procédure Civile condamne la S.A.R.L. 35 AVENUE à payer à la S.A.S. TEXTO FRANCE une indemnité de 5 000 € 00 au titre des frais irrépétibles.
Condamne la S.A.R.L. 35 AVENUE aux dépens de première instance et d'appel, avec application de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Rejette toutes les autres demandes.
Le GREFFIER. Le PRÉSIDENT.