COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
9e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 06 JUILLET 2018
N° 2018/
Rôle N° N° RG 15/19952 - N° Portalis DBVB-V-B67-5UVI
J... X...
C/
Alexandre Y...
Grosse délivrée
le :
06 Juillet 2018
à :
Me Laurence Z..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
( vestiaire 267 )
Me A... B..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage d'AIX-EN-PROVENCE - section - en date du 15 Octobre 2015, enregistré au répertoire général sous le n° F11/00830.
APPELANT
EIRL CF ASSURANCE, sise 936 avenue des 5 ponts [...], venant aux droits de Monsieur J... X...
représenté par Me Laurence Z..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, substitué par Me C... D..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
INTIME
Monsieur Alexandre Y..., demeurant [...]
représenté par Me A... B..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 23 Mai 2018, en audience publique, en double rapporteurs, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Agnès MICHEL, Président, et Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller chargés d'instruire l'affaire.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Marie-Agnès MICHEL, Président
Monsieur Jean Yves MARTORANO, Conseiller
Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Harmonie VIDAL.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Juillet 2018.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Juillet 2018.
Signé par Madame Marie-Agnès MICHEL, Président et Madame Harmonie VIDAL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 29 décembre 2004 à effet au 1erjanvier 2005, M. Marc Y..., agent général d'assurance, a embauché son fils, M.Alexandre Y... en qualité de collaborateur d'agence à dominante gestionnaire.
M. Marc Y... a démissionné de son mandat et du 1er janvier au 1er juillet 2010, la SA MMA GESTION a assuré la direction et la gestion de l'agence de VELAUX dans l'attente de la reprise par un nouvel agent général.
Le 1er juillet 2010, l'agence a été reprise par M. J... X....
M. J... X... a licencié M. Alexandre Y... suivant lettre du 12août2010 ainsi rédigée: «Nous vous avons reçu vendredi 6 août dernier pour l'entretien préalable au licenciement que nous envisagions de prononcer à votre encontre. Les explications que vous nous avez fournies ne nous ont pas convaincus et ne justifient absolument pas les faits qui vous sont reprochés. Nous avons donc décidé de vous licencier pour les motifs suivants: Vous avez fait souscrire à des clients qui se rendaient dans NOTRE agence, mais également transféré des contrats de NOTRE agence, à l'un de nos concurrents, l'agence de courtage K... Y... située à Marignane. En plus de caractériser la plus parfaite déloyauté, votre comportement nuit de toute évidence aux intérêts de l'agence mais sert assurément les vôtres et ceux de votre famille puisque nous savons que l'agence K... Y... est tenue par votre mère, l'épouse de votre père, M. Marc Y..., ancien gérant de l'agence que j'ai reprise! Il s'agit en premier lieu de la société REYNAUD ET FILS dont le représentant est venu à notre agence afin d'assurer un véhicule supplémentaire au mois mars dernier. Vous l'avez reçu et lui avait fait signer un contrat avec l'agence de Marignane, à son insu!! C'est à la suite d'un sinistre déclaré par ladite société au mois de juin, et après que l'expert ait informé la société du fait qu'elle n'était pas assurée par l'agence de Velaux comme elle le pensait mais par celle de Marignane, que vous avez de votre propre chef, décidé de rajouter ce véhicule sur son contrat de flotte à Velaux, alors même que ledit véhicule était toujours assuré sur Marignane, et ce toujours sans consulter le client!! L'expert mandaté par nos soins a alors constaté que le véhicule était assuré deux fois; ce qui a interrompu la procédure de prise en charge du sinistre. À ce jour, et par votre faute, le client n'a pu recevoir aucune indemnisation! J'ai eu le plaisir de découvrir ces faits dans une lettre recommandée que nous a adressée le client le 22 juillet dernier dans laquelle il demandait des explications!! Il précise vous avoir contacté aussitôt pour que la situation soit régularisée'! M. E... a également été victime de vos agissements. Celui-ci est venu faire assurer son véhicule à notre agence au mois d'octobre 2009. Vous l'avez reçu et lui avait fait signer un contrat en lui indiquant que bien que le courtier était situé à Monaco, son dossier serait géré par notre agence. Le client attendait un remboursement qu'il vous a réclamé à plusieurs reprises, il y a déjà plusieurs mois. Lors de son dernier passage à l'agence, le collaborateur présent a constaté qu'il n'était pas assuré chez nous et que son contrat était géré par l'agence de Marignane!! M.E... n'en a jamais été tenu informé et surtout a toujours souhaité que ses affaires soient traitées par notre cabinet. Il a été très fâché de cet incident. Vous avez ainsi osé détourner de la clientèle au profit de l'agence tenue par votre mère, en dépit de la volonté même de nos clients et au mépris de l'obligation de loyauté qui doit présider à notre relation de travail. Vous avez également commis une grave négligence dans la gestion du dossier de la société REFLEX ENVIRONNEMENT. En effet, en dépit des multiples appels que vous avez reçus de la direction de cette société, vous ne l'avez pas informée du fait que son contrat d'assurance avait été résilié. Bien que vous ayez connaissance de la dangerosité de cette situation pour notre client et que celui-ci vous ait demandé à de nombreuses reprises son attestation d'assurance, vous ne l'en avez pas averti! C'est en recevant un appel de celui-ci que j'ai pu prendre connaissance de ces problèmes! Votre faute est inadmissible. Elle emporte de graves conséquences à son égard. N'ayant pas d'attestation d'assurance, notre client ne peut répondre aux marchés publics alors que ceux-ci représentent l'essentiel de son activité. Enfin, un autre client, M. F... G..., qui est venu à l'agence afin de régler son assurance, vous a remis la somme de 500€ en espèce. Le client a dû insister vigoureusement et revenir à l'agence afin d'obtenir un reçu du règlement effectué que vous lui avez initialement refusé. Les 500€ ont finalement été «retrouvés» dans le tiroir de votre bureau et le client n'a finalement été assuré que plusieurs semaines après avoir réglé son assurance. Par ces agissements d'une exceptionnelle gravité, vous avez volontairement, tenté de nuire à notre Cabinet. Votre comportement est inqualifiable et met directement en péril notre activité. Nous considérons donc que ces faits constituent une faute lourde rendant impossible votre maintien même temporaire dans l'entreprise. Votre licenciement est donc immédiat, sans préavis ni indemnité de rupture ni paiement des congés payés, et vous cesserez donc à cette date de faire partie des effectifs de notre entreprise. Nous tenons à votre disposition votre certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi que les salaires qui vous restent dus. Nous vous signalons à cet égard qu'en raison de la gravité des faits qui vous sont reprochés, le salaire correspondant à la période pendant laquelle nous vous avons mis à pied à titre conservatoire ne vous sera pas versé. Je vous informe qu'à ce jour, votre droit individuel à la formation (DIF) s'élève à 100 heures.»
Contestant son licenciement, M. Alexandre Y... a saisi le 9 novembre 2010 le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence, section commerce, lequel, par jugement de départage rendu le 15 octobre 2015, a:
dit que le licenciement n'est pas fondé sur une faute lourde et dépourvu d'une cause réelle et sérieuse;
condamné l'employeur à payer au salarié les sommes suivantes:
'27000,00€ à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et sans cause réelle et sérieuse;
' 5400,00€ à titre d'indemnité de préavis;
' 540,00€ au titre des congés payés y afférents;
' 3330,00€ à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement;
' 1246,12€ à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire du 2au 13 août 2010;
' 124,61€ au titre des congés payés y afférents;
' 1500,00€ au titre des frais irrépétibles;
dit que les sommes allouées à titre indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du jugement;
dit que les sommes allouées à titre de créances salariales et de remboursement des retenues illicites porteront intérêts au taux légal à compte de la date de la demande en justice;
débouté le salarié du surplus de ses demandes;
ordonné l'exécution provisoire du chef des condamnations qui n'en bénéficient pas de droit conformément aux dispositions de l'article 515 du code de procédure civile;
condamné l'employeur aux dépens.
Cette décision a été notifiée le 28 octobre 2015 à M. J... X... qui en a interjeté appel suivant déclaration du 10 novembre 2015.
L'EIRL CF ASSURANCE vient aux droits de M. J... X....
Vu les écritures déposées à l'audience et soutenues par son conseil aux termes desquelles L'EIRL CF ASSURANCE demande à la cour de:
infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a:
'dit que le licenciement n'est pas fondé sur une faute lourde et dépourvu d'une cause réelle et sérieuse;
'condamné l'employeur à payer au salarié les sommes suivantes:
'27000,00€ à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et sans cause réelle et sérieuse;
' 5400,00€ à titre d'indemnité de préavis;
' 540,00€ au titre des congés payés y afférents;
' 3330,00€ à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement;
' 1246,12€ à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire du 2 au 13 août 2010;
' 124,61€ au titre des congés payés y afférents;
' 1500,00€ au titre des frais irrépétibles;
dire que le licenciement repose bien sur une faute lourde;
débouter le salarié de l'intégralité de ses demandes;
condamner le salarié à lui payer la somme de 2500€ au titre des frais irrépétibles;
le condamner aux dépens.
Vu les écritures déposées à l'audience et reprises par son conseil selon lesquelles M.Alexandre Y... demande à la cour de:
confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a:
'dit le licenciement dépourvu d'une cause réelle et sérieuse;
'condamné l'employeur à lui payer les sommes suivantes:
'5400,00€ à titre d'indemnité de préavis;
' 540,00€ au titre des congés payés y afférents;
'3330,00€ à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement;
'1246,12€ à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire du 2 au 13 août 2010;
' 124,61€ au titre des congés payés y afférents;
'dit que les sommes allouées à titre indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du jugement;
'dit que les sommes allouées à titre de créances salariales et de remboursement des retenues illicites porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la demande en justice;
'condamné l'employeur aux dépens;
infirmer le jugement entrepris concernant le montant des condamnations à dommages et intérêts;
condamner l'employeur à lui payer les sommes suivantes:
'48600€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
' 5400€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire;
' 3000€ au titre des frais irrépétibles;
condamner l'employeur aux dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il ne ressort pas des pièces du dossier d'irrecevabilité de l'appel que la cour devrait relever d'office et les parties n'élèvent aucune discussion sur ce point.
1/ Sur la faute lourde
La faute lourde est celle qui, comme la faute grave, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié et constituant une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Elle suppose, en outre, l'intention de nuire du salarié, laquelle implique la volonté du salarié de porter préjudice à l'employeur dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise. L'employeur qui invoque la faute lourde doit en rapporter la preuve.
L'employeur reproche tout d'abord au salarié des actes de détournement de clientèle concernant deux clients, la société REYNAUD ET FILS et M. E.... Il lui impute de plus «une grave négligence» dans la gestion du dossier de la société REFLEX ENVIRONNEMENT ainsi qu'un incident concernant un client M. F... G... dont il n'aurait pas pris en compte de manière diligente un paiement en espèce de 500€. Mais à supposer ces faits établis, l'employeur les relie lui-même à l'intérêt du salarié, expliquant que les détournements de clients étaient réalisés au bénéfice de l'agence de sa mère et laissant supposer une tentative de soustraction de la somme de 500€. En ce qui concerne la société REFLEX ENVIRONNEMENT, il qualifie même explicitement le comportement du salarié de grave négligence. Ainsi, aucune pièce du dossier ne permet de retenir, au-delà d'une intention frauduleuse, l'intention de nuire à l'entreprise nécessaire à la qualification des faits en faute lourde. Dès lors, il convient d'examiner les faits reprochés au salarié au regard d'une éventuelle qualification en faute grave, laquelle ne modifie pas la charge de la preuve.
L'employeur produit à l'appui de ses accusations des correspondances de M. Samir E..., de la SARL REYNAUD ET FILS, de la société REFLEX ENVIRONNEMENT ainsi que de M. F... H.... Il faut aussi valoir qu'une autre salariée du cabinet, Mme Vanessa I..., avait été licenciée le 30 juillet 2010 pour détournement de clientèle au profit de l'agence tenue par la mère de M. Alexandre Y..., détournement retenu par arrêt de la cour de céans du 13 mars 2015.
Le salarié répond que la SARL REYNAUD ET FILS a volontairement assuré son véhicule auprès de l'agence de sa mère sans intervention de sa part en raison des liens entretenus avec son père. Il ajoute que M. E... était assuré par la société LABALETTE alors que M.J... X... a refusé la cession du portefeuille LABALETTE. Il conteste avoir commis une faute concernant la société REFLEX ENVIRONNEMENT en expliquant que cette société avait versé sa prime en deux temps ce qui n'avait pas permis la rédaction d'une attestation d'assurance avant le paiement intégral.
La cour retient que, contrairement à la lecture qu'en fait le salarié, le courrier de la société REYNAUD ET FILS est sans ambiguïté et ne permet nullement de retenir qu'elle ait volontairement et en toute connaissance de cause contracté avec l'agence de la mère du salarié. Ainsi, ce détournement de client est avéré et suffisait à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même durant le préavis. En conséquence, le licenciement pour faute lourde sera requalifié en licenciement pour faute grave et le salarié débouté de l'ensemble de ses demandes étant relevé qu'il ne formule aucune revendication concernant un solde de congés payés.
2/ Sur les autres demandes
Il convient d'allouer à l'employeur la somme de 1500€ au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le salarié supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau,
Dit que le licenciement est bien fondé non sur une faute lourde mais sur une faute grave.
Déboute M. Alexandre Y... de l'ensemble de ses demandes.
Condamne M. Alexandre Y... à payer à l'EIRL CF ASSURANCE la somme de 1500€ au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Condamne M. Alexandre Y... aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT