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28/06/2018 | FRANCE | N°17/03530

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 17e chambre, 28 juin 2018, 17/03530


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

17e Chambre



ARRÊT AU FOND

DU 28 JUIN 2018



N° 2018/

JLT/FP-D











Rôle N° N° RG 17/03530 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BACMH







X... Y... épouse Z...





C/



SCP BERTRAND...-L...-

GOIRAN-

DESNUELLE





















Grosse délivrée

le : 28 JUIN 2018

à :

Me Alexandre A..., avocat au barreau de NICE
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Me Sandrine M..., avocat au barreau de GRASSE











Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CANNES en date du 20 Janvier 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 16/00125.





APPELANTE



Madame X... Y... épouse Z...

n...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

17e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 28 JUIN 2018

N° 2018/

JLT/FP-D

Rôle N° N° RG 17/03530 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BACMH

X... Y... épouse Z...

C/

SCP BERTRAND...-L...-

GOIRAN-

DESNUELLE

Grosse délivrée

le : 28 JUIN 2018

à :

Me Alexandre A..., avocat au barreau de NICE

Me Sandrine M..., avocat au barreau de GRASSE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CANNES en date du 20 Janvier 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 16/00125.

APPELANTE

Madame X... Y... épouse Z...

née le [...] à NEMOURS (77)

de nationalité Française, demeurant [...]

représentée par Me Alexandre A..., avocat au barreau de NICE

INTIMEE

B..., demeurant [...]

représentée par Me Sandrine M..., avocat au barreau de GRASSE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 14 Mai 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Monsieur Jean-Luc C..., Président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de:

Monsieur Jean-Luc C..., Président

Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller

Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Françoise N....

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Juin 2018

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Juin 2018,

Signé par Monsieur Jean-Luc C..., Président et Madame Françoise N..., greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

La B..., qui exploite un office notarial à Cannes, a embauché Mme X... Y... en qualité de 'technicien niveau 3 coefficient 195 prévue à l'article 15-3 de la convention collective afin de remplir les fonctions d'assistant affecté à la rédaction d'actes', par un contrat de travail à durée indéterminée du 21 septembre 2009.

Madame Y... a pris acte, le 9 mai 2011, de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur en se plaignant de faits constitutifs de harcèlement moral et sexuel.

Saisi par la salariée le 31 octobre 2014, le Conseil de Prud'hommes de Cannes, par jugement du 20 janvier 2017, a qualifié la prise d'acte de rupture de démission et a débouté Mme Y... de ses demandes.

Mme Y... a relevé appel le 22 février 2017 de ce jugement notifié à une date indéterminée.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions déposées le 19 avril 2018 auxquelles il convient de se référer pour de plus amples développements, Mme Y..., concluant à la réformation du jugement, sollicitede dire qu'elle a été harcelée sexuellement par Me D..., supérieur hiérarchique, gérant de la SCP, que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne prenant pas toutes les mesures qui s'imposaient et subsidiairement, de qualifier les agissements répétés de l'employeur en harcèlement moral au visa de l'article L.1152-1 du Code du Travail. Elle demande, en conséquence :

- de condamner la SCP à lui payer la somme de 25.000 € en réparation du préjudice moral et physique subi,

- de dire que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur produira les effets d'un licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la SCP au paiement des sommes de :

* 38 624,40 euros bruts en réparation du préjudice subi,

* 3 218,70 euros au titre de l'indemnité de préavis,

* 321,87 euros au titre des congés payés sur préavis.

* 643,74 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

* 1 405,96 euros bruts au titre des heures supplémentaires non rémunérées,

* 19 312,20 euros correspondant à l'indemnité forfaitaire de l'article L.8223-1 du code du travail,

* 5 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 20 avril 2018 auxquelles il convient de se référer pour de plus amples développements, la B..., concluant à la confirmation du jugement, demande de débouter Mme Y... de ses demandes et de la condamner à lui payer les sommes de 3 218,70 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 5 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 3 000,00euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 avril 2018.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure et des prétentions et moyens des parties, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux conclusions déposées.

DISCUSSION

Sur le harcèlement sexuel

Aux termes de l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucun salarié ne doit subir non plus, en application de l'article L 1153-1 du même code, des faits de harcèlement sexuel.

En application de l'article L.1154-1 du même code, en cas de litige relatif à l'application de l'article L.1152-1 et de l'article L 1153-1, il appartient au salarié concerné de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme Y... se plaint d'avoir subi depuis septembre 2009, de la part de Me Philippe D..., des faits constitutifs de harcèlement sexuel qui se sont manifestés notamment par :

- de nombreux 'sms' dans lesquels l'employeur mélangeait très facilement le professionnel et le personnel ainsi que des 'sms' à connotation sexuelle dont la teneur, la répétition, la fréquence et les heures d'envoi très tardives lui ont porté une atteinte grave à ses conditions de travail et au respect de sa vie privée,

- des réunions de travail au cours desquelles Me D... lui faisait des confidences sur sa vie privée, sur ses problèmes de couple, sur ses relations adultères et lui posait des questions à caractère intime,

- des remarques sur son physique,

- le fait de l'appeler 'ma chérie' devant les clients malgré son opposition,

- le dénigrement constant de son compagnon,

- des propositions très explicites de louer une chambre d'hôtel sous couvert d'un rendez-vous professionnel afin d'avoir des relations sexuelles, des propositions de partir en voyage en tête-à-tête, des invitations à dîner, etc.

A l'appui de ses dires, la salariée verse aux débats le récit fait par elle-même de ses relations avec Me D... pendant toute la durée du contrat de travail, décrivant le comportement de plus en plus pressant de celui-ci qui a commencé, dès le mois de septembre 2009, à lui envoyer de nombreux SMS, notamment en-dehors des heures de travail, abandonnant très vite le vouvoiement pour adopter le tutoiement et une attitude équivoque de 'tentative de séduction' avec des propositions de plus en plus insistantes bien qu'elle lui ait dit qu'elle avait un fiancé. Elle relate l'ambiance de plus en plus exécrable au sein de l'agence au fil du temps, Me D... se montrant de plus en plus audacieux (demande en mariage, contacts physiques appuyés, etc.), fait état de scènes dépourvues d'équivoques et relate la dégradation progressive de son état de santé.

Elle produit la transcription faite par elle-même (en raison d'un changement de téléphone selon elle) de nombreux SMS envoyés pendant toute la durée du contrat de travail et notamment dès le début de la relation de travail, dans lesquels il l'appelle 'ma X...', 'ma petite X...', 'ma X... adorée', 'petit coeur', 'mon amour secret', etc.

Elle verse aux débats la retranscription faite, selon procès-verbal du 1er septembre 2014, par un huissier de justice, de messages téléphoniques par lesquels Me D... lui a exprimé ses sentiments (18 mai 2010 à 15h52 : 'X..., je t'adore, si nous avions été libres, je t'aurais épousé pour la vie', 2 juin 2010 : 19h10 : 'on est peut-être des amoureux qui s'ignorent tous les deux', 1er juillet 2010 à 7h45 : 'Toi ma préférence, je suis amoureux de toi, de ta tête, de ton corps', etc.). La retranscription comporte de nombreux messages similaires envoyés par Me D... au cours des années 2009 et 2010 qui constituent autant d'avances explicites et non équivoques faites tant pendant les heures de travail qu'en dehors de celles-ci : 11 décembre 2009 : 'X..., pour rien au monde, je ne me séparerai de toi. Je suis sous l'emprise totale de l'intelligence de ton regard et de ces yeux si vif, si perçants et si matures. Ton Philippe sous le charme', 27 mai 2010 : 'je t'ai laissé sur ta boîte vocale un 'petit' message d'amour', 30 juin 2010 : 'je t'aime X..., d'amour ou intellectuellement (à toi de choisir)', etc.

Mme E..., employée de l'étude, dit avoir assisté à des scènes 'complètement inappropriées sur un lieu de travail (...). Me D... s'est mis à me parler de X... Z... en ces termes : 'X... a toutes les qualités, elle est belle, intelligente, compétente,... son seul défaut est d'être avec un homme qui ne la mérite pas.(...) Si seulement elle était seule, tout serait différent'. Il ne l'appelait pas par son prénom mais continuellement par 'ma chérie'.J'ai assisté à des réunions dans le bureau de Me D... où ce dernier lui répétait : tu veux bien faire cela pour moi 'ma chérie' car tu es folle de moi, non'' ou encore: 'tu es mon double X..., nous deux nous pourrions faire de grandes choses et aller à la conquête du monde'. A chacune de ces déclarations, X... Z... s'énervait, indignée, exaspérée et envoyait 'promener' Me D... de façon non équivoque : 'Arrêtez de me parler comme ça et avançons sur les dossiers, vous nous faites perdre notre temps'. 'Vous pourriez être mon père, c'est ridicule', 'Vous êtes mon employeur et à ce titre vous êtes asexué pour moi', 'Vous me fatiguez', 'Vous êtes épuisant, jamais vous ne comprendrez' et elle finissait par dire 'mais enfin je suis fiancée!'.

Un autre employé de l'étude, M. F..., rapporte également que 'Mme Y... avait une ligne directe à son bureau' et que 'Me D... ne cessait de lui téléphoner aussi bien sur cette ligne que sur son téléphone portable personnel, toute la journée, de façon incessante et épuisante pour elle. En quelques mois, KarineY... était devenue blafarde, très amaigrie et à fleur de peau'. Il précise qu'au cours des entretiens dont il a été témoin, 'aussi bien entendant les réponses de Mme Y... aux appels téléphoniques de Me D... ou lorsque ce dernier était dans son bureau, cette dernière n'a jamais encouragé les avances de Me D..., bien au contraire, Mme Y... parlait de son concubin, de son prochain mariage et recadrait toujours Me D... quand ce dernier s'aventurait sur un terrain extra professionnel'. Selon M. F..., Me D... 'ne cachait pas son attirance physique' pour Mme Y..., 'ayant même dit un jour qu'il 'la prendrait bien sur son bureau'. Selon lui, 'Me D... critiquait ouvertement le concubin de Mme Y..., M. Damien Z... (devenu son mari depuis)' et a déclaré : 'Damien ne serait jamais à la hauteur d'une fille comme X..., il lui faut un mari comme moi'.

M. Olivier Y..., frère de la salariée, témoigne avoir constaté le 30 décembre 2009, alors qu'il partait en voyage avec sa soeur, que cette dernière avait reçu 5 SMS en 30 minutes de son employeur, dont la teneur l'a 'choqué'. Il dit avoir été témoin du 'déclin physique et psychique' de sa soeur. Plusieurs membres de sa famille (sa belle-mère, son père) confirment la dégradation de son état de santé. M. Damien Z..., son compagnon, rapporte que, fin juin ou début juillet 2010, Mme Y... est rentrée en pleurs et s'est dirigée vers les toilettes pour vomir, qu'elle était 'terrorisée, complètement en état de choc', expliquant que Me D... lui avait fait des avances explicites (proposition d'acte sexuel dans un hôtel de luxe sous couvert d'un faux rendez-vous avec un client). Il rapporte également un incident survenu le 24 juillet 2010 où, Me D... ayant appelé sa compagne pendant le week-end, il a exprimé son énervement à voix suffisamment haute pour qu'il l'entende, ce qui a suscité de Me D... l'envoi d'un SMS le dénigrant et tentant de 'faire exploser' leur couple ('tu ne devrais accepter qu'il te traite ainsi,...il ne te mérite pas,...').

Mme G..., juriste chargée de mission à l'Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail, atteste de ce que Mme Y... a fait appel à l'association et rapporte les informations recueillies auprès de la salariée pour expliquer avoir décidé d'intervenir à ses côtés, estimant que son récit avait permis de mettre en lumière les stratégies mises en place par l'employeur et les stratégies d'évitement mise en place par la salariée.

Mme Y... justifie également avoir sollicité l'intervention des services de l'inspection du travail par lettre du 4 mai 2011.

Elle établit avoir fait l'objet d'un arrêt de travail ordonné par son médecin traitant à compter du 18 octobre 2010 pour 'altération de l'état général', 'syndrome dépressif majeur' et 'douleur épigastrique' avec cette mention : '45 kgs ! pour 1m64". Il lui a été diagnostiqué une 'pangastrite purpurique'.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que Me D... a manifesté auprès de Mme Y... un empressement particulièrement appuyé, caractérisé par une multitude de messages envoyés pour lui exprimer ses sentiments à son égard, par des propos à connotation sexuelle répétés pendant près d'un an et un comportement dicté par l'intention d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, tous éléments qui sont de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement sexuel.

L'employeur s'emploie à critiquer les attestations produites par la salariée mais ni le lien de parenté la liant à certains de leurs auteurs ni l'existence d'un litige opposant certains autres à l'étude notariale ne peuvent suffire à retirer toute valeur probante aux témoignages ainsi fournis de manière concordante. De même, les attestations des associés de Me D... et de salariés de l'étude affirmant ne jamais avoir constaté l'existence d'agissements de harcèlement sexuel de la part de celui-ci ni avoir été informé par la salariée de tels agissements, ne sont pas de nature à démontrer que ceux-ci n'auraient pas eu lieu.

M. F..., auteur d'une attestation en faveur de la salariée, a établi une seconde attestation le 16 avril 2018, cette fois en faveur de l'employeur, pour déclarer avoir établi la première 'sous la pression et la quasi dictée' de Mme Y..., soutenant maintenant ne pas avoir été témoin d'actes de harcèlement moral ou sexuel de la part de Me D.... Toutefois, cette seconde attestation est elle-même sujette à caution, Mme Y... versant aux débats un échange de SMS dans lequel M. F... l'a informée qu'il a 'été appelé par PB et que tout est en train de (lui) retomber sur la gueule' en précisant : 'je savais que cela allait m'attirer des emmerdes'. Au demeurant, nonobstant ce revirement, rien ne permet de remettre en cause son premier témoignage, détaillé, précis, circonstancié et corroboré par les autres pièces produites par la salariée ni de vérifier l'existence de 'pressions' dont il aurait fait l'objet de la part de Mme Y... qui seraient susceptibles d'entacher ses premières déclarations de suspicions.

L'employeur s'attache également à affaiblir le témoignage de Mme E... en soulignant que celle-ci n'a côtoyé Mme Y... que peu de temps et en produisant les attestations de deux salariés de l'étude selon lesquels Mme E... leur aurait dit que Mme Y... 'draguait' Me D... et qu'elle 'affabulait'. Mais cette relation indirecte de propos qui auraient été tenus n'est pas de nature, en l'absence de tout élément objectif et vérifiable, à remettre en cause l'attestation de Mme E... quant à l'authenticité des propos qu'elle a indiqué avoir entendus.

L'employeur ne conteste d'ailleurs pas que Me D... est 'totalement tombé amoureux' de Mme Y... mais il soutient, pour contester l'existence d'un harcèlement, que cette relation a été 'consentie et encouragée'.

Mme H..., qui se présente comme présidente d'une société cliente de l'étude notariale et amie de Me D..., affirme avoir été 'choquée de l'attitude ambiguë' de Mme Y... et des 'discours remplis d'ambiguïté sexuelle et amoureuse qu'elle entretenait avec Me D.... Mes impressions concernant ses attitudes et ses dires sont de l'ordre d'une jeune femme amoureuse de mon ami'.

M. I..., qui se présente également comme un ami de Me D..., affirme, quant à lui, que Mme Y... 'avait une admiration sans limite' pour celui-ci, qu'elle avait des 'sentiments autres que professionnels' pour lui et qu'elle lui aurait même proposé, à l'occasion d'un voyage à Genève,'sur le ton, certes, de la plaisanterie, de passer la nuit avec lui dans sa chambre'.

M. J..., artisan taxi qui dit connaître Me D... depuis 7 ans, rapporte qu'à l'occasion d'un transport, il a pu constater que 'Mme Y... tenait la main de Me D...'. Dans une seconde attestation, il précise qu'ils étaient 'tous deux en parfaite harmonie et pleinement consentant l'un et l'autre'. Cependant, cette seule description est trop imprécise pour apporter la preuve d'un consentement de la salariée en l'absence d'autres éléments alors qu'il s'agit d'un événement isolé et que Mme Y... qui ne conteste pas la matérialité de ce fait, explique qu'en réalité, Me D... lui emprisonnait la main, qu'elle a tenté de repousser cette main à plusieurs reprises sans succès tellement Me D... serrait fort et qu'elle n'a réussi à la retirer qu'à la faveur d'un instant de relâchement.

S'il n'y a pas lieu d'écarter les attestations de M. I... et de Mme H... des débats, comme le demande Mme Y..., s'agissant d'éléments de preuve soumis au débat contradictoire, il incombe néanmoins à la juridiction d'en apprécier leur valeur probante compte tenu des liens d'amitié existant entre leurs auteurs et Me D.... Or, il convient de relever que ces deux personnes ne font que décrire leurs impressions sans apporter aucun élément de fait objectif et vérifiable par lequel se serait manifesté le comportement amoureux prêté à la salariée alors que les autres éléments versés aux débats, notamment les échanges de messages ne font nullement apparaître l'existence de sentiments amoureux qu'aurait éprouvé la salariée à l'égard de son employeur.

L'employeur critique les pièces retranscrivant les échanges de messages en faisant valoir qu'il s'agit d'une transcription faite par la salariée elle-même pour certains et de documents dépourvus de sincérité en ce que la salariée a omis de retranscrire les messages qu'elle a elle-même envoyés. Il se prévaut de messages de Mme Y... se terminant par les mots 'bisous' ou 'votre X...', d'autres dans lesquels elle indique : 'vous savez très bien toute l'admiration que je vous porte' ou 'vous êtes mon boss préféré'. Les messages ainsi invoqués par l'employeur ne permettent pourtant pas de caractériser un quelconque encouragement ou consentement de la salariée aux agissements de Me D... et ne révèlent tout au plus que le souci de maintenir de bonnes relations avec celui qui est son employeur.

Il convient de relever qu'aux messages de Me D... faisant des avances très précises à la salariée et de plus en plus pressantes au fil des mois, les échanges de messages versés aux débats ne contiennent, le plus souvent, aucune réponse de la salariée aux demandes explicites de relations de Me D... et lorsqu'elles reçoivent une réponse, elles sont manifestement élusives.

Contrairement à ce que soutient l'employeur, les SMS échangés ne révèlent aucune attitude ambiguë de Mme Y... et montrent, au contraire, par les réponses évasives aux avances qui lui étaient faites, voire son abstention à répondre malgré les relances, que Me D... ne pouvait trouver aucun encouragement ni déceler la moindre ambiguïté dans l'attitude de la salariée.

L'employeur ne saurait soutenir valablement que la salariée n'aurait pas communiqué l'intégralité des messages alors qu'il lui était loisible, s'agissant de messages échangés entre Mme Y... et Me D..., de verser aux débats les messages éventuellement manquants.

La retranscription de messages contenus dans le procès-verbal de constat du 1er septembre 2014 montre qu'aux messages de Me D..., Mme Y... répond 'bonjour Maître' et qu'elle termine par 'bien à vous' ou 'X...', qu'il s'agit, non pas d'exceptions, mais de formules qui se trouvent dans la plupart des messages. Elle a, en outre, toujours utilisé le vouvoiement. Certains d'entre eux démontrent que la salariée s'est efforcée de maintenir leurs relations dans un cadre professionnel. Ainsi, le 3 juin 2010, suite à une nouvelle avance de Me D... et une nouvelle déclaration amoureuse, Mme Y... répond : 'arrêtez de me distraire pendant les heures de travail '! Et puis vous savez très bien toute l'admiration que je vous porte'. Il y a lieu également de relever que, si dans un premier temps, la salariée s'est abstenue de répondre aux avances de Me D... ou s'est réfugiée dans des réponses évasives, les derniers messages montrent qu'elle s'est montrée de plus en plus précise pour repousser ses avances. Ainsi, le 15 octobre 2010, suite à un incident survenu avec la compagne de Me D..., Mme Y... lui a reproché de l'avoir mise 'dans une position des plus difficiles' en précisant : 'si vous aspirez à ce que je me sente mieux à l'étude ce n'était vraiment pas la bonne décision à prendre'. Dans un message du 19 octobre 2010, elle enjoint à Me D... : 'le médecin m'ayant recommandé d'observer le plus strict repos, je vous remercie de respecter cette prescription'.

L'absence de tout encouragement ou consentement est, en outre, établie par les attestations de Mme E... et M. F....

Quel que soit le sentiment amoureux qui aurait animé l'employeur, ce sentiment ne pouvait justifier les propos ou comportements à connotation sexuelle manifestés à de multiples reprises à l'occasion des relations de travail, ni les avances insistantes et répétées, non sollicitées, ni encouragées pour obtenir de la salariée des faveurs de nature sexuelle, un tel comportement, dégradant et humiliant, étant de nature à porter atteinte à la dignité de l'interessée, à ses conditions de travail et son état de santé. De fait, la dégradation de son état de santé consécutive aux faits dénoncés est établie par les documents médicaux versés aux débats et n'est aucunement compatible avec une relation consentie.

Un tel comportement caractérise un harcèlement sexuel.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté Mme Y... de sa demande à ce titre.

Les éléments d'appréciation versés aux débats, notamment les documents médicaux, justifient que soit allouée à la salariée la somme de 15 000,00 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur les heures supplémentaires

Il résulte de l'article L 3171-4 du code du travail que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et qu'il appartient au salarié de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande mais il incombe aussi à l'employeur de fournir les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

En l'espèce, Mme Y... se plaint d'avoir accompli, au cours de la relation contractuelle, un grand nombre d'heures de travail au-delà de la durée légale, non récupérées. Elle reconnaît ne pouvoir étayer sa demande pour la plus grande partie de ses heures, n'ayant pu avoir accès à son agenda, mais elle sollicite le paiement de celles qui sont révélées par les échanges de SMS avec l'employeur.

Elle se prévaut en effet, de la date et de l'heure auxquelles les messages ont été envoyés ou reçus pour calculer le nombre d'heures supplémentaires revendiquées.

Elle indique ainsi, à titre d'exemple, avoir été présente dans la journée du samedi 24 octobre 2009 (soit 7 heures de travail) par les messages échangés à 11h01 et 14h34 faisant état de l'envoi d'un compromis de vente et de l'arrivée du notaire. De même, elle retient une heure pour la journée du 20 janvier 2015, en se basant sur un message que lui a envoyé Me D... à 8h15 pour annoncer son arrivée, sous-entendant que la salariée est déjà sur place.

Au total, Mme Y... décompte ainsi un total de 53 heures supplémentaires.

Elle souligne, en s'appuyant sur les messages envoyés par l'employeur, que celui-ci encourageait ses salariés à faire des heures supplémentaires et réprimandait ceux qui n'en faisaient pas. Me D... a ainsi envoyé un message le 1er juillet 2010 à 7h22 en disant : '7h17. Je suis à l'étude. J'ai besoin d'une équipe de gagnants à mes côtés (...) Je souhaite avoir le dossier (...) Avant 10h à mon bureau'. Plusieurs autres messages similaires sont versés aux débats.

Dans leurs attestations respectives, M. F... et Mme E... confirment l'exécution par Mme Y... de nombreuses heures supplémentaires, le premier indiquant qu'elle était souvent la première arrivée avant 9h00, qu'elle prenait de courtes pauses à midi et que Me D... lui demandait de rester tard le soir ou de travailler certains samedis ou dimanches, la seconde confirmant qu'elle arrivait très tôt le matin et partait tard le soir.

Les échanges de messages qui comportent des éléments vérifiables quant aux heures de travail alléguées et permettent donc à l'employeur d'apporter une réponse dans les conditions normales du débat contradictoire, sont de nature à étayer les prétentions du salarié quant à l'exécution des heures supplémentaires alléguées.

Il incombe, en conséquence, à l'employeur d'y répondre et d'apporter des éléments justificatifs des horaires effectués de manière à permettre à la juridiction d'apprécier la valeur probante des éléments apportés de part et d'autre, sans imposer à la seule salariée la charge de la preuve.

L'employeur soutient que les échanges de messages ne permettraient pas de d'apporter la preuve des heures supplémentaires invoquées, que Mme Y... arrivait souvent en retard et que les heures supplémentaires éventuellement étaient récupérées mais il ne fournit aucun relevé au moyen desquels il a comptabilisé les heures de travail de la salariée ni aucun document lui ayant servi à contrôler ses horaires.

Il n'est pas fondé à soutenir que les heures supplémentaires alléguées n'auraient pas été accomplies à sa demande. Comme ces heures ont été effectuées à l'intérieur des locaux de la société à la demande ou sous l'autorité de Me D... sans qu'il soit allégué que Mme Y... se serait consacrée à une autre activité que celle de l'étude, les heures supplémentaires ont été accomplies avec l'accord au moins implicite de l'employeur.

Il s'ensuit, en l'absence de tout élément de preuve contraire, que les prétentions de la salariée sont établies par les pièces produites, peu important qu'elle n'ait formé aucune réclamation au cours de la relation de travail. Son décompte qui fait apparaître, conformément aux dispositions applicables, la majoration due (au taux de 25%), doit être retenu et l'employeur doit lui payer la somme de 1405,96 euros brut au titre des heures supplémentaires effectuées.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il l'a déboutée sur ce point.

Sur la demande de dommages-intérêts pour travail dissimulé

Il résulte des dispositions de l'article L 8223-1 du code du travail que le salarié dont l'employeur a volontairement dissimulé une partie du temps de travail a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire en cas de rupture de la relation de travail.

Les heures de travail qui n'ont pas été payées ne peuvent donner lieu à l'indemnité pour travail dissimulé que si l'employeur a agi intentionnellement.

En l'espèce, il n'est pas démontré que l'employeur aurait, de façon intentionnelle, mentionné sur les bulletins de salaire un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué, cette intention ne pouvant résulter de la seule existence d'heures supplémentaires non rémunérées.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la salariée sur ce point.

Sur la prise d'acte de rupture du contrat de travail

En droit, lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

Pour que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les faits invoqués par le salarié doivent non seulement être établis mais constituer des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail et caractériser une rupture aux torts de l'employeur.

En l'espèce, Mme Y... a pris acte de la rupture du contrat de travail par lettre du 9 mai 2011 en faisant état du harcèlement sexuel que lui a fait subir M. D....

Les faits de harcèlement sexuel dont a été victime Mme Y... et l'absence de toute mesure de l'employeur pour faire cesser ce harcèlement constituent un manquement de l'employeur à ses obligations contractuelles d'une gravité telle qu'ils justifient la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de la SCP, cette prise d'acte devant produire les effets d'un licenciement nul.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes à ce titre.

Mme Y..., née [...], a vu son contrat de travail rompu après 1 an et 7 mois d'ancienneté, à l'âge de 27 ans. Elle a retrouvé un emploi dans une autre étude notariale à compter du 16 mai 2011 avec un salaire inférieur.

Compte tenu de son salaire mensuel brut (3 218,70 euros), il lui sera alloué, en application des articles L 1153-4 et L 1235-3 du code du travail, la somme de 20 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ainsi que la somme de 643,74 euros à titre d'indemnité légale de licenciement correspondant à 1/5 de mois de salaire et celle de 3 218,70 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis (un mois de salaire), outre l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante (321,87 euros brut).

Sur la demande reconventionnelle de l'employeur

La rupture du contrat de travail devant produire les effets d'un licenciement nul, le jugement sera infirmé en ce qu'il a fait droit à la demande reconventionnelle de l'employeur tendant à voir dire que la rupture du contrat de travail s'analyse en une démission.

Les demandes de Mme Y... ne présentant aucun caractère abusif et étant, au contraire, bien fondées pour leur plus grande partie, la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive sera rejetée.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

En application de l'article 700 du code de procédure civile, l'employeur doit payer à Mme Y... la somme de 3 000,00 euros au titre des frais exposés par celle-ci et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile,

²

Confirme le jugement en ce qu'il a débouté Mme X... Y... de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé,

Infirme le jugement pour le surplus et statuant à nouveau,

- Dit que Mme X... Y... a été victime d'un harcèlement sexuel,

- Dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail est justifiée et qu'elle doit produire les effets d'un licenciement nul,

- Condamne la K... à payer à Mme X... Y... les sommes de :

* 15 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel,

* 20 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

* 3 218,70 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 321,87 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante,

* 643,74 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

* 1 405,96 euros brut à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires,

* 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Déboute la K... de sa demande reconventionnelle,

- Dit que la K... doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

F. N... J.L. C...


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 17/03530
Date de la décision : 28/06/2018

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 17, arrêt n°17/03530 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-06-28;17.03530 ?
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