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22/06/2018 | FRANCE | N°17/08990

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 18e chambre, 22 juin 2018, 17/08990


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

18e Chambre



ARRÊT AU FOND

DU 22 JUIN 2018



N° 2018/ 336













Rôle N° RG 17/08990



N° Portalis DBVB-V-B7B-BAQMS





SAS DEGREANE ELEC





C/



Robert X...



















Grosse délivrée

le : 22/06/2018

à :



Me Fabien Y..., avocat au barreau de TOULON



Me Sophie Z..., avocat au barreau de TOULON





Copie certifiée conforme délivrée le 22/06/2018





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section I - en date du 28 Février 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 11/551.







APPELANTE



SAS DEGREANE ELEC, ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

18e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 22 JUIN 2018

N° 2018/ 336

Rôle N° RG 17/08990

N° Portalis DBVB-V-B7B-BAQMS

SAS DEGREANE ELEC

C/

Robert X...

Grosse délivrée

le : 22/06/2018

à :

Me Fabien Y..., avocat au barreau de TOULON

Me Sophie Z..., avocat au barreau de TOULON

Copie certifiée conforme délivrée le 22/06/2018

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section I - en date du 28 Février 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 11/551.

APPELANTE

SAS DEGREANE ELEC, demeurant [...]

représentée par Me Fabien Y..., avocat au barreau de TOULON, vestiaire : 0123

INTIME

Monsieur Robert X..., demeurant [...]

représenté par Me Sophie Z..., avocat au barreau de TOULON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786, 910, 945-1 et R312-9 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Mai 2018, sans que le premier président ait d'office ou à la demande des parties renvoyé l'affaire à une audience solennelle, en audience publique, les avocats ayant été invités à l'appel des causes à demander à ce que l'affaire soit renvoyée à une audience collégiale s'ils n'acceptaient pas de plaider devant les magistrats rapporteurs et ayant renoncé à cette collégialité, l'affaire a été débattue devant Madame Chantal BARON, Présidente de Chambre et Monsieur Thierry CABALE, Conseiller, chargés d'instruire l'affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Chantal BARON, Présidente de chambre

Monsieur Thierry CABALE, Conseiller

Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Juin 2018.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Juin 2018.

Signé par Madame Chantal BARON, Présidente de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Monsieur Robert X..., actuellement âgé de 57 ans, élu Cgt et trésorier du comité d'entreprise, après avoir été délégué du personnel à compter de 2006 puis délégué syndical, a été embauché par la Sas Etablissements Degréane à compter du 11 juillet 2003 en qualité d'ouvrier électricien, catégorie III, échelon OQ 31, coefficient 185 de la grille de classification de la convention collective nationale des ouvriers des travaux publics du 15 décembre 1954, moyennant le versement d'une rémunération mensuelle brute de 661,62 euros pour 39 heures de travail hebdomadaires, puis, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, il est devenu ouvrier professionnel au cours de l'année 1998 au coefficient 125 de la grille de classification de la convention collective nationale des ouvriers des travaux publics du 15 décembre 1992, pour ensuite, par avenant, à compter du 1er janvier 1999, passer au niveau II, position 2, coefficient 140, portant son salaire de base à 1342,29 euros bruts pour 169 heures de travail par mois, puis à hauteur de 1943,65 euros bruts pour 151,67 heures mensuelles en 2011.

Le 9 mai 2011, Monsieur Robert X... a saisi le conseil de prud'hommes de Toulon qui, par jugement en date du 28 février 2013, a condamné la société ' DEGRANE ELEC' à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts 'pour discrimination salariale et non respect de la Convention Collective' , outre la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, a débouté les parties 'du surplus de leur demande', et a laissé les dépens à la charge de ' la société DEGREANE'.

Le 15 mars 2013, dans le délai légal, la société 'DEGREANE ELEC' a relevé appel de ce jugement.

L'instance a été radiée par décision du 20 mai 2016 puis réinscrite à la demande de la 'société DEGREANE ' par courrier reçu le 25 avril 2017.

Par des conclusions écrites déposées le jour de l'audience, visées par le greffe, développées oralement et auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, la Sas 'ETABLISSEMENTS DEGREANE' demande à la cour de dire et juger que Monsieur X... n'est pas victime d'une discrimination syndicale ni salariale, n'est pas fondé à obtenir une reconstitution de carrière ni à prétendre à un quelconque rappel de salaire en tant que chef d'équipe, chef de chantier ou conducteur de travaux, n'est pas victime de harcèlement moral, ne peut prétendre à une double indemnisation au titre préjudice d'agrément et du préjudice lié à un bouleversement de ses conditions de vie ou d'existence, de ramener son préjudice d'anxiété à de plus justes proportions en raison de l'absence de pièces justificatives versées aux débats, de dire et juger que le salarié ne peut revendiquer une indemnisation pour se substituer à un prétendu rappel de salaire au titre du temps de travail du fait de l'embauche chaque matin à l'entreprise, en conséquence, de réformer le jugement l'ayant condamnée au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination salariale, de débouter le salarié de l'intégralité de ses demandes salariales et indemnitaires, et de le condamner au paiement de la somme de 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Etablissements Degréane fait valoir:

- que le fait d'avoir été laissé, pour répondre aux besoins de l'entreprise, au même poste d'électricien, qui a évolué en fonction de la classification conventionnelle, n'est pas en soi discriminatoire, alors qu'il résulte des propres pièces du salarié, dont un tableau comparatif de 2002 à 2016, que deux de ses collègues se sont trouvés dans une situation salariale comparable, que Monsieur A..., avant sa démission en 2007, percevait un salaire mensuel brut de base de 1748,76 euros pour une ancienneté légèrement supérieure, et qu'il ressort du tableau récapitulatif, certifié par huissier de justice, que d'autres salariés de l'entreprise sont restés titulaires de leur poste, depuis de très nombreuses années, sans avoir à s'en plaindre; que le salarié allègue, sans en justifier, notamment par des témoignages, que tous les délégués du personnel ou membres du comité d'entreprise ont été obligés de démissionner de leur mandat pour obtenir une promotion professionnelle; que, s'agissant de l'appréciation des qualités professionnelle de Monsieur X..., l'attestation irrégulière et contestable d'un salarié sur une prétendue hostilité de la direction à son égard est insuffisante, alors qu'elle justifie de l'attitude parfois inappropriée de Monsieur X... qui a été sanctionné à plusieurs reprises; que celui-ci a bien été reçu chaque année par son encadrement et qu'un entretien annuel d'évaluation, que la loi n'impose pas, a bien eu lieu, qu'il a été répondu favorablement à la première demande d'entretien, en 2010, que sa situation a été examinée chaque année et qu'il a bénéficié d'une classification conforme, que l'entretien biennal prévu par la convention collective a bien été respecté dès lors qu'aucun formalisme n'est exigé; qu'il n'est pas justifié d'un préjudice,

- que le salaire de base de Monsieur X... a été augmenté de manière individuelle au-delà des augmentations prévues par des accords de négociation annuelle obligatoire, soit, de 50 euros bruts au lieu de 30 euros bruts en janvier 2003, de 71,14 euros bruts au lieu de 28 euros bruts en janvier 2004, de 60 euros bruts au lieu de 30 euros bruts en janvier 2005, de 3,39% au lieu de 2,2% en janvier 2006; qu'il a été augmenté chaque année même en l'absence d'accord de 2009 à 2012, parfois au-delà de ce qui avait été réclamé par le syndicat Cgt; qu'il a encore augmenté le 1er janvier des années suivantes sauf en 2015, comme près d'un tiers des salariés de l'entreprise, ayant bénéficié d'une prime de 80 euros en mars de cette même année; que Monsieur X... a perçu une rémunération dans la 'fourchette haute' de la catégorie des ouvriers de l'entreprise de 2000 à 2011 tel que cela ressort du tableau récapitulatif qu'elle fournit; que le salarié a perçu la même prime que ses collègues en janvier 2008 et que d'autres salariés ont perçu une prime inférieure ou égale à celle qu'il a perçue en 2007,

- que la demande de rappel de salaire, qui se heurte à la prescription, au titre d'une prétendue reconstitution de carrière, n'est pas fondée puisque le salarié ne justifie pas avoir occupé des postes, distincts, de qualification et de statut différents, de chef d'équipe, chef de chantier ou conducteur de travaux,

- que, sur le harcèlement moral invoqué, la personne visée atteste de l'absence de propos discriminants au cours d'une réunion en 2008; que des raisons objectives expliquent les changements de lieux de travail, notamment en fonction des chantiers; qu'il est normal que l'encadrement fasse le point avec les ouvriers presque tous les soirs et sur tous les chantiers, sur le travail de la journée, les éventuelles difficultés matérielles et professionnelles ou relationnelles rencontrées, alors que si des conflits ont pu exister avec l'encadrement, les réactions sanguines, colériques et belliqueuses de Monsieur X... ressortent d'attestations; que les deux attestations identiques dictées par celui-ci ne sont pas conformes ni probantes, s'étant en outre expliquée objectivement sur les faits invoqués; que la sanction du 24 mai 2011 pour des faits justifiés et incontestés, n'est pas abusive et ne permet pas, en soi, de laisse supposer l'existence d'un harcèlement moral; que les documents médicaux ne font pas ressortir un lien direct entre une dégradation de l'état de santé et les conditions de travail, que le salarié a été très peu arrêté pour maladie au cours des quatre dernières années, a été déclaré apte à occuper son poste sans aménagement sauf des restriction de port de charges temporaires en 2014 et 2015,

- que la cour fera la juste appréciation des faits de la cause quant au préjudice d'anxiété dès lors que rien ne démontre la réalité et l'étendue du préjudice du salarié qui ne peut obtenir la réparation d'un même préjudice au titre du bouleversement des conditions d'existence,

- qu'il ne peut être déduit de la fixation d' une heure d'arrivée dans l'entreprise pour permettre un départ à l'heure des véhicules professionnels transportant sur les chantiers les salariés, l'existence d'un passage obligatoire par l'entreprise, s'agissant d'une pratique usuelle dans l'entreprise qui permet à ceux qui font ce choix une économie de frais de déplacement et de stationnement; que sa demande d'indemnisation, qui est prescrite, ne repose sur aucun élément précis, notamment quant à la durée moyenne de déplacement.

Par des conclusions écrites déposées le jour de l'audience, visées par le greffe, développées oralement et auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, Monsieur X... demande à la cour de dire et juger la Sas Etablissements Degréane mal fondée en son appel, de constater, dire et juger que du fait de son mandat électif et de ses missions syndicales, il a fait l'objet d'une discrimination syndicale et salariale, lui ayant cause un très grave préjudice matériel et moral, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu une discrimination syndicale, de le recevoir en son appel incident, de constater, dire et juger que l'employeur n'a pas obtempéré aux diverses sommations de communiquer qui lui ont été délivrées concernant les bulletins de paie depuis 1999 jusqu'à ce jour, de Messieurs B..., C..., D... et E..., et d'en tirer toutes conséquences sur le bien-fondé de ses demandes, de condamner l'employeur à lui verser les sommes de :

- 60.000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination,

- 78.478,40 euros au titre d'une reconstitution de carrière depuis l'année 2008 jusqu'à ce jour, en ce que divers salariés ayant été embauchés en même temps que lui ont bénéficié d'augmentations de salaire et de promotions professionnelles en qualité de chef d'équipe, chef de chantier et conducteur de travaux, et ont ainsi perçu un taux horaire supérieur au sien,

- 40.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice physique, psychologique et moral subi d'un fait du harcèlement moral commis par la direction depuis de nombreuses années,

- 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété lié l'exposition à l'amiante, outre 15.000 euros au titre des bouleversements dans les conditions d'existence,

- 11.868 euros à titre de rappel de salaire outre congés payés à hauteur de 1186 euros, subsidiairement à titre de dommages et intérêts,

- 4000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en sus des dépens.

Monsieur X... soutient:

- que l'employeur ne justifie pas objectivement, au moyen de comparaisons non-pertinentes et d'un procès-verbal de constat d'huissier non-probant faute d'identification des salariés, des durées d'emploi et des qualifications, le fait que des salariés ayant une ancienneté bien inférieure à la sienne soient devenus conducteurs de travaux et chefs d'équipe ou de chantier, quand lui n'a occupé que le poste d'ouvrier électricien durant près de 35 ans en restant au bas de l'échelle avec uniquement l'application de l'évolution de sa classification conventionnelle, et que si son salaire a parfois augmenté au-delà de ce que prévoyaient des accords annuels, ces augmentations demeuraient inférieures à celles d'autres salariés occupant les mêmes emplois avec une ancienneté comparable; que le personnel d'encadrement a clamé haut et fort qu'il n'aimait pas les délégués syndicaux et plus particulièrement ceux affiliés à la Cgt, ce que Monsieur F... a eu la franchise de déclarer en indiquant qu'il était allergique à tout mandat de délégué du personnel ou délégué syndical et qu'il ne fallait pas compter sur lui pour lui obtenir une promotion; qu'il n'était considéré comme un salarié gênant qu'en raison d'une forte personnalité ne reniant pas ses convictions syndicales, et que cette hostilité à son égard ressort de l' attestation conforme d'un salarié; que des salariés ont mis un terme à leurs mandats électifs pour être promus; qu'il n'a fait l'objet que d'une sanction disciplinaire, contestée; qu'il n'a pas perçu de primes de chantier ou de primes exceptionnelles contrairement à ses collègues, ce que ne remettent pas en cause les pièces versées aux débats par l'employeur; que celui-ci n'a pas procédé spontanément à des entretiens annuels ou bi-annuels, et que l'entretien obtenu à sa demande en 2010 était un simulacre; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il a subi la discrimination invoquée qui lui a causé un préjudice tant matériel que moral devant être réparé par l'allocation d'une somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts, et qu'au vu de ses compétences et de son ancienneté, il aurait dû passer, d'abord chef d'équipe à compter de 2008 et percevoir un taux horaire supérieur par rapport à celui perçu chaque année, soit 1,50 euros de plus en 2008 et 2009, 2 euros de plus en 2010 et 2011, 2,50 euros de plus en 2012 et 2013, ensuite conducteur de travaux et percevoir un taux horaire supérieur de 4,91 euros à celui perçu par son collègue C... qui a été promu à ce poste; qu'il s'ensuit une différence de 78.478,40 euros en sa défaveur,

- qu'il a subi un harcèlement moral pendant plusieurs années de la part de sa direction; que le chef d'entreprise en 2008, qui prétendait que le personnel ne voulait plus travailler avec lui, a organisé une réunion avec le personnel d'encadrement qui n'a formulé aucun reproche à son égard, sauf Monsieur F...; qu'il est attesté de ce qu'il est victime d'une cabale dans l'entreprise où sont tenus des propos mensongers à son égard, et sont interrogés des salariés sur son comportement dont il faudrait se méfier, comportement suspicieux qui serait assumé par l'employeur qui lui reproche des difficultés relationnelles qui sont inexistantes; que pourtant reconnu pour ses compétences techniques et sa bonne volonté, il n'a été tenu aucun compte de l'alerte faite auprès de son employeur sur les conséquences dommageables d'erreurs techniques commises par son supérieur hiérarchique sur le chantier d'un théâtre, alors qu'une armoire électrique a explosé par la faute de celui-ci; que l'avertissement pour des faits du 11 avril 2011 était infondé et a été contesté, ayant seulement formulé des observations au conducteur de travaux qui avait vociféré à son encontre pour une exécution plus rapide de travaux qui requéraient objectivement, ce qu'il avait expliqué lors d'une confrontation, plus de précautions; que l'employeur cherche à le déstabiliser en le faisant constamment changer de chantiers et en lui indiquant au dernier moment son emploi du temps et le lieu où il est chaque jour affecté; qu'il reçoit de son employeur des lettres agressives et de reproches et qu'en sa qualité de délégué syndical, il reçoit des lettres injurieuses et désobligeantes; qu'on veut lui infliger des sanctions disciplinaires depuis l'instance prud'homale; qu'il en résulte un suivi psychologique et des insomnie, anxiété et des angoisses, se rendant au travail stressé,

- qu'il n'a pas à prouver son préjudice d'anxiété résultant de l'exécution d'un travail dans l'un des établissements inscrits sur la liste de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998,

- que l'employeur a délimité un périmètre d'intervention pour lequel les horaires d'arrivée au siège de la société lui sont imposés, allant de 6h45 pour un chantier situé de 40 à 50 kms du siège, jusqu'à 7h20 pour un chantier situé jusqu'à 10 kms du siège, alors que l'horaire 'standard' commence à 7 h30 et que celui de fin de chantier est 16h30 sauf 12h30 le vendredi; que le passage par l'entreprise est imposé pour recevoir les ordres, décharger et charger le matériel; qu'il lui est imposé, notamment par note de service, de ramener certains matériels pour retraitement sous peine de sanction, et d'enlever l'outillage des véhicules tous les soirs et le week-end afin d'éviter vols et dégradations; que des attestations permettent de démontrer l'obligation de se rendre au siège de l'entreprise chaque matin avant de partir pour le chantier; qu'il réclame la somme de 11.868 euros correspondant à une heure supplémentaire quotidienne majorée à 25% sur trois années non-prescrites.

MOTIFS:

Sur le temps de travail:

S'agissant de la demande de rappel de salaire, nécessairement non-prescrite puisque limitée aux trois dernières années consécutives précédant la demande formulée la première fois en appel, en application des articles L article L 3121-1 et L 3121-4 code du travail, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles; le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif; toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière; la part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire.

Le salarié précise n'avoir aucune revendication indemnitaire au titre des petits et grands déplacements tel que prévu par la convention collective applicable.

Il fournit un protocole signé en 1998 entre l'employeur et le délégué syndical sur l'indemnisation des petits déplacements, une note de service soumettant à l'approbation des salariés des montants de primes en fonction de zones considérées comme des petits ou grands déplacement, une note de service de 2007 lui rappelant qu'il est impératif de décharger les véhicules de l'outillage, une autre note de 2011 par laquelle il est demandé aux salariés de laisser impérativement les véhicules de chantier sur le parking de la société tous les soirs, la photographie non-datable d'une note dite 'horaire départ société pour horaire chantier standard' comportant un tableau mentionnant 5 zones en fonction des distances en kilomètres et des horaires correspondants allant de 6h45 à 7h20, une lettre qu'il a envoyée à l'employeur en 2014 pour se plaindre d'une rectification à l'encre rouge et signée avec l'annotation 'roulage pendant le temps de travail' sur sa feuille de pointage sur la semaine du 7 au 12 avril, un avertissement du 20 juin 2014 dans lequel il lui est notamment rappelé que 'les horaires de chantier sont de 7h30 le matin et fin de chantier 16h30", sa lettre en réponse du 10 juillet 2014 par laquelle il conteste la sanction et se prévaut des articles L 3121-1, 2 et 3 du code du travail, plusieurs attestations de salariés indiquant être soumis aux mêmes horaires de travail ainsi qu' à une arrivée et un retour au siège de l'entreprise.

Il en déduit l'existence d'un temps de travail effectif supplémentaire demeuré impayé au titre d'une arrivée imposée au siège de la société variant entre 10 et 45 minutes avant le début de l'horaire contractuel, et d'un retour obligé au siège après la fin du même horaire.

Aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure d'apporter des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande, ces éléments devant être suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en apportant, le cas échéant, la preuve contraire.

Pour étayer sa demande en paiement d'heures supplémentaires, le salarié se borne à indiquer qu'il effectue en moyenne une heure supplémentaire par jour, qui doit être majorée à 25 % soit 13,77 x 25 % = 14,21 euros x 5 jours par semaine = 86 euros par semaine pendant 46 semaines de travail par an, ce qui est insuffisant pour permettre à l'employeur de répondre en apportant, le cas échéant, la preuve contraire,

Le salarié sera donc débouté de sa demande en paiement d'heures supplémentaires.

S'agissant de sa demande subsidiaire, Monsieur X... ne justifie pas de l'existence et de l'étendue de son préjudice financier.

Sur la discrimination:

S'agissant d'une différence de rythme d'évolution de carrière et de rémunération depuis son embauche, Monsieur X... présente quatre listes nominatives, arrêtées aux années 2011, 2012, 2014 et 2015, d'une vingtaine d'ouvriers de l'entreprise devenus chefs d'équipes avec un ancienneté jusqu'à dix ans, de 10 à 15 ans ou de 15 à 30 ans, outre ses bulletins de paie et ceux des salariés G... et A..., respectivement embauchés en 1980 et 1981 à des niveaux de classification comparables, et passés en quelques années chefs d'équipe, l'attestation de Monsieur G... qui témoigne de son passage en moins de dix ans du niveau OQ 31 au poste de chef d'équipe électricien niveau III, un tableau comparant son évolution de salaire aux taux moyens d'augmentation distribués dans l'entreprise et les taux horaires correspondants de 1999 à 2015, avec ou sans négociation annuelle obligatoire, une lettre en date du 14 mai 2007 dénonçant la perception d'une prime inférieure à la moyenne, un courrier pour solliciter un entretien individuel à compter de l'année 2011, l'attestation régularisée, conforme aux prescriptions légales, du délégué syndical alors secrétaire du comité d'entreprise, sur le contexte et le déroulement de la réunion du 18 mars 2008, mettant en évidence le peu de crédibilité à accorder à des propos diffusés par l'employeur dans l'entreprise sur le rejet prétendu de Monsieur X... par le personnel, notamment d'encadrement, seul un chef d'équipes ayant manifesté une certaine hostilité à l'égard des représentants du personnel, dont Monsieur X... faisait partie.

Il en résulte la présentation de faits laissant supposer l'existence d'une discrimination syndicale au titre d'une inégalité de traitement au détriment d'un salarié dont la compétence technique n'est pas contestée mais qui n'a connu en plus de trente ans aucun autre avancement que celui résultant du mécanisme conventionnel ou d'une nouvelle classification, n'ayant jamais bénéficié d'une réelle et sérieuse évaluation pour ce faire.

L'employeur n'apporte pas d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination justifiant ses décisions quant à l'évolution de la carrière de Monsieur X... laissant supposer l'existence d'une discrimination par rapport aux salariés de l'entreprise se trouvant dans une situation comparable, en affirmant qu'une telle évolution permettait de répondre aux besoins de l'entreprise, en justifiant qu'il n'y a pas de disparité salariale au vu des montants et de la rémunération de deux salariés comparés à Monsieur X..., en alléguant que d'autres salariés de l'entreprise sont restés titulaires de leur poste pendant de très nombreuses années sans avoir à s'en plaindre, et en fournissant des documents sur les évolutions de salaires dans l'entreprise sans éléments suffisants permettant une comparaison des évolutions de carrières de nature à contredire les listes comparatives, claire, nominatives et particulièrement révélatrices, présentés par le salarié.

Il y a lieu de réparer le préjudice moral subi du fait de la discrimination syndicale retenue, en allouant à Monsieur X..., en considérant notamment la durée de celle-ci, la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts.

Dès lors qu'il a été privé d'une possibilité de promotion par suite d'une discrimination syndicale, le salarié peut prétendre à l'indemnisation du préjudice économique et professionnel au titre du positionnement qu'il aurait atteint en l'absence de discrimination.

Sans être sérieusement contredit ni encourir une quelconque prescription, le salarié justifie de sa demande à ce titre, de 2008 à 2017, à hauteur de 45.000 euros.

Sur le harcèlement moral:

En application des dispositions de l'article L 1152-1 du code de travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique et mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

En vertu de l'article L 1154-1 du même code, la salariée doit présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Aux termes des éléments présentés, un ancien secrétaire du comité d'entreprise atteste de ce que le chef d'entreprise a allégué, 'maintes fois, et même lors de réunions du comité d'entreprise' que l'ensemble du personnel ne voulait plus travailler avec Monsieur X... et que lors de la réunion du 18 mars 2008, les participants, dont ceux de l'encadrement, n'ont manifesté aucun rejet à l'égard de Monsieur X..., seul Monsieur F..., 'connu pour ses position anti CGT et anti élus', ayant déclaré ne pas vouloir dans ses équipes des représentants du personnel; dans une lettre en date du 22 juillet 2011, le salarié se plaint de la direction qu'il accuse d'entretenir de la suspicion à son égard; un électricien atteste 'avoir été interpellé à plusieurs reprises' par son responsable d'affaire qui lui a demandé comment s'était passée la journée avec Monsieur X... et de ' se méfier de lui, qu'il ne fallait pas l'écouter ni croire ce qu'il répondait aux questions' qu'il pourrait lui poser 'concernant la société' et que ' de toute façon il quittera bientôt l'entreprise'; un second électricien atteste de la tenue des mêmes propos par le même responsable; dans une lettre d' avertissement du 24 mai 2011, il est reproché au salarié d'avoir verbalement agressé son supérieur hiérarchique sur un chantier, ce que celui-ci a contesté par écrit; un psychiatre a délivré un certificat médical le 1er septembre 2012 dans lequel il indique qu'en 2008, il a vu le salarié qui lui a fait part de ses problèmes au travail et dont il a perçu un état de souffrance l'ayant amené à lui conseiller un suivi par un psychothérapeute; un psychologue fait état d'une prise en charge du salarié pour des répercussions, aux dires de celui-ci, psychologiques et somatiques, dans le cadre d'une consultation pour un harcèlement moral subi depuis plusieurs années; le salarié a été de nouveau averti par lettre en date du 20 juin 2014 au motif qu'il ne donnait pas d'explication justifiant des amplitudes de route non-conformes, ce qu'il a contesté par écrit en invoquant de nouveau le paiement d'un temps de travail effectif en raison de l'obligation de se rendre et de retourner au siège de l'entreprise en dehors de l'horaire contractuel ; un chef d'équipe électricien et un membre du comité d'entreprise témoignent de propos tenus par Monsieur H..., responsable d'affaire, le 19 septembre 2014, dans le local dudit comité, ayant traité Monsieur X... de 'connard' en lui disant qu'il n'avait qu'à porter plainte, et celui-ci justifie, d'une part, de la lettre qu'il a envoyée à l'employeur le même jour afin de se plaindre de ces événements qu'il décrit très précisément et pour demander que ne reste pas impunie l'attitude de Monsieur H... à son égard à la suite des propos 'diffamatoires' qu'il a prononcés, indiquant que, venu dans le local pour apporter d'éventuelles modification au règlement intérieur, et mécontent de la réécriture d'un article afin de proscrire toute présence d'alcool dans l'entreprise, le responsable d'affaire a prononcé les propos précités au cours d'un entretien qu'il a ainsi interrompu au bout de six minutes, d'autre part, d'un récépissé de plainte pour injure non publique relative à ces faits.

Il résulte de ces éléments, pris dans leur ensemble, l'établissement de faits répétés permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

L'employeur ne prouve pas que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, d'abord en faisant état de ce que la personne visée attesterait de l'absence de propos 'discriminants' au cours de la réunion de 2008, alors qu'aucun élément ne permet de remettre en cause le comportement hostile de Monsieur F... à l'égard de Monsieur X... en raison de ses fonctions syndicales ou électives, et que dans son témoignage, Monsieur F... ne nie pas explicitement son hostilité envers Monsieur X..., manifesté notamment au cours de la réunion précitée, et confirme même ne plus avoir accepté Monsieur X... dans ses équipes en indiquant, ce qui ne résulte pas des éléments fournis, que le rejet du salarié était dû à un comportement agressif vis à vis d'un conducteur de travaux avec lequel il était en désaccord; ensuite, en s'emparant de la description peu flatteuse du caractère de Monsieur X... faite par certains responsables alors que d'autres collègues soulignent les qualités professionnelles et personnelles du salarié; de même, en alléguant de bilans quasi-quotidiens qui ne remettent en cause ni ne justifient la stigmatisation dont le salarié s'est plaint et dont plusieurs de ses collègues témoignent de manière concordante

aux termes d'attestations qui présentent des garanties suffisantes pour emporter la conviction de la cour en ce qu'elles comportent le récit synthétique de faits précis, datés et circonstanciés que leurs auteurs ont personnellement et directement constatés; ni, encore, en indiquant que le salarié a été très peu arrêté pour maladie au cours des quatre dernières années et a été déclaré apte à occuper son poste sans aménagement sauf des restriction de port de charges temporaires en 2014 et 2015, alors qu'une telle persévérance au travail ne doit pas desservir le salarié, celle-ci pouvant s'expliquer par une certaine capacité de résistance, en cohérence avec le fort caractère et l'implication professionnelle décrites par ailleurs, et constat fait de ce que les éléments médicaux dont se prévaut Monsieur X... mettent clairement en évidence une dégradation progressive de son état psychologique qui a nécessité une prise en charge spécifique, qui s'insère de manière cohérente dans la chronologie des faits établis de harcèlement et que rien ne permet de relier à une cause étrangère au contexte professionnel évoqué, de telles constatations médicales étant dans tous les cas sans le moindre rapport démontré avec une inaptitude physique partielle de nature exclusivement fonctionnelle.

En application des articles 1152-1 et suivant du code du travail, au vu des éléments fournis de part et d'autre, pris ensemble, est établie l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral ayant eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique et mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il y a donc lieu d'allouer en réparation du préjudice subi par le salarié, en considération de la nature et de la durée des faits établis de harcèlement, la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur l'indemnisation au titre d'une exposition à l'amiante:

L'indemnisation, n'est ouverte qu'au salarié qui a travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante. Le préjudice d'anxiété est présumé pour les salariés ayant travaillé dans un de ces établissements.

Le préjudice moral résultant pour un salarié du risque de développer une maladie induite par son exposition à l'amiante est constitué par le seul préjudice d'anxiété dont l'indemnisation répare l'ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance d'un tel risque.

Dès lors qu'il ressort des éléments fournis et qu'il n'est pas contesté que le salarié a été exposé à l'amiante dans les conditions précitées, et qu'il résulte de ces mêmes éléments que celui-ci ne peut se prévaloir que du préjudice d'anxiété, il y a lieu de lui allouer en réparation de ce préjudice la somme de 5000 euros titre de dommages et intérêts.

Sur les frais irrépétibles:

En considération de l'équité, il sera alloué au salarié la somme de 2500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur les dépens:

Les entiers dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de l'employeur, qui succombe pour l'essentiel.

PAR CES MOTIFS:

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale et par mise à disposition au greffe:

Infirme le jugement entrepris.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la Sas Etablissements Degréane à payer à Monsieur Robert X... les sommes suivantes:

- 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale,

- 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 5000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice d'anxiété.

- 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties de toute autre demande.

Condamne la Sas Etablissements Degréane aux entiers dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIERLA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 18e chambre
Numéro d'arrêt : 17/08990
Date de la décision : 22/06/2018

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 18, arrêt n°17/08990 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-06-22;17.08990 ?
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