COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 07 JUIN 2018
N°2018/314
GP
N° RG 16/08329 - N° Portalis DBVB-V-B7A-6RVX
René X...
C/
SA SOCIETE DES AUTOROUTES ESTEREL COTE D'AZUR PROVENC E
Grosse délivrée
le :07 JUIN 2018
à :
Me Rémi Y..., avocat au barreau de NICE
Me Joseph Z..., avocat au barreau de LYON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CANNES - section C - en date du 11 Février 2016, enregistré au répertoire général sous le n° F15/00075.
APPELANT
Monsieur René X..., demeurant [...] / FRANCE
représenté par Me Rémi Y..., avocat au barreau de NICE substitué par Me A... B..., avocat au barreau de NICE
INTIMEE
SA SOCIETE DES AUTOROUTES ESTEREL COTE D'AZUR PROVENC E, demeurant [...] CEDEX 41 - 06210 MANDELIEU / FRANCE
représentée par Me Joseph Z..., avocat au barreau de LYON
([...])
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 27 Mars 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller
Madame Sophie PISTRE, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Caroline LOGIEST.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Juin 2018
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Juin 2018
Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Madame Pascale ROCK, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur René X... a attrait son ancien employeur, la SA ESCOTA, devant la juridiction prud'homale par requête du 12 février 2015 aux fins de voir juger que la gratuité de circulation sur le réseau ESCOTA qui lui a été accordée depuis son départ à la retraite le 1er mars 2006 constituait un avantage retraite en application de l'accord collectif n° 61 du 13 décembre 1995 remplacé par l'accord collectif n° 104 du 29 février 2008, dénoncé par la SA ESCOTA le 4 juin 2014.
Par jugement du 11 février 2016, le conseil de prud'hommes de Cannes a débouté Monsieur René X... de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens.
Ayant relevé appel, Monsieur René X... conclut à la réformation du jugement en toutes ses dispositions aux fins de voir juger que la gratuité de circulation sur le réseau concédé ESCOTA accordée au concluant depuis son départ à la retraite au 1er mars 2006 en application de l'accord collectif n° 61 du 13 décembre 1995 puis de l'accord collectif de substitution n° 104 du 29 février 2008, constitue un avantage de retraite, de voir juger qu'en l'absence d'accord de substitution après dénonciation éventuelle de l'accord n° 104 du 29 février 2008, la société ESCOTA ne pouvait supprimer cet avantage, intangible après liquidation de sa pension de retraite, de voir condamner la société ESCOTA, en exécution de son obligation de faire, à restituer à Monsieur René X... une carte de télépéage lui assurant la gratuité de circulation sur le réseau concédé ESCOTA, de voir assortir cette obligation de faire d'une astreinte de 100 € par mois de retard après un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, à la condamnation de la société ESCOTA à lui verser la somme de 1845,64 € en remboursement des sommes par lui acquittées aux péages autoroutiers ESCOTA depuis le 22 décembre 2014 jusqu'au 31 janvier 2018 et à la condamnation de la société ESCOTA à lui payer la somme de 4000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens.
Monsieur René X... fait valoir que la société ESCOTA a reconnu, lors d'un contrôle de l'URSSAF qui a donné lieu à redressement non contesté au motif que les avantages retraite sont soumis à cotisations, que la gratuité de circulation sur le réseau concédé à ESCOTA reconnue aux retraités constitue un avantage retraite, qu'il ne s'agit pas d'une remise tarifaire sur un abonnement ESCOTA mais d'une gratuité totale de circulation, que l'avantage de retraite est intangible dès lors que celui qui en bénéficie a liquidé sa pension de retraite, que la dénonciation unilatérale par la société ESCOTA de l'accord collectif du 29 février 2008, non remplacé par un accord de substitution, est inefficace à l'égard de ceux qui, comme le concluant, bénéficiaient déjà de l'avantage retraite et qu'il doit être reçu en ses demandes.
La SA ESCOTA conclut à la confirmation du jugement entrepris, en conséquence, au débouté de Monsieur René X... de l'intégralité de ses demandes et à la condamnation de Monsieur René X... au paiement de la somme de 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
La société ESCOTA fait valoir qu'elle a dénoncé dans des conditions parfaitement régulières l'accord d'entreprise n° 104, dénonciation ayant pris effet à l'expiration du préavis soit le 5 septembre 2013, que la période de survie d'un an a été fixée au 5 septembre 2014, que la société concluante a initié des négociations aux fins de conclure un accord de substitution, lesquelles ont débuté le 21 mai 2013 pour s'achever par l'établissement d'un PV de désaccord le 13 août 2014, que simultanément les bénéficiaires de la carte senior ont été informés, par un courrier adressé le 7 août 2014, que le dispositif de gratuité de circulation cesserait à l'expiration de la période de survie et qu'il serait remplacé par l'application d'une réduction maximale de 30 % sur le montant des passages réalisés sur le réseau ESCOTA, que Monsieur René X... a bénéficié du dispositif litigieux jusqu'au 22 décembre 2014, date à laquelle sa "carte senior" a été désactivée, que seuls ceux qui sont salariés au jour de la dénonciation de l'accord collectif conservent, à l'expiration du délai de survie, les avantages individuels acquis en vertu de l'article L.2261-13 du code du travail, que Monsieur René X... qui a quitté les effectifs de la société le 1er mars 2006 n'entre pas dans le champ d'application de l'article précité, que Monsieur René X... se prévaut désormais de la notion d'avantage de retraite, notion utilisée en droit de la sécurité sociale et en droit fiscal dans le cadre de problématiques de cotisations sociales et de déductibilité des avantages accordés aux anciens salariés de l'entreprise, sans prendre la peine d'une part de la définir et, d'autre part, de démontrer que la gratuité de circulation dont il a bénéficié pourrait être qualifiée de telle, que la gratuité de circulation ne saurait constituer un avantage de retraite, qu'ensuite du redressement URSSAF, la société ESCOTA a modifié ses pratiques et s'agissant des salariés, a considéré la gratuité de circulation comme un avantage en nature, donnant lieu à paiement des cotisations tant par l'employeur que par les salariés, qu'il serait parfaitement anormal que ces salariés travaillant dans l'entreprise soient moins bien traités que ceux l'ayant quittée, ne serait-ce qu'au regard d'une conception, fût-elle large, du principe d'égalité de traitement et que l'appelant doit être débouté de l'ensemble de ses prétentions.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il y a lieu de se référer au jugement du conseil de prud'hommes et aux écritures déposées, oralement reprises.
SUR CE :
Il est constant que la SA ESCOTA octroyait, en application de l'accord d'entreprise
n° 61 du 13 décembre 1995 auquel s'est substitué l'accord n° 104 du 29 février 2008, aux salariés retraités le maintien de la gratuité de circulation reconnue au bénéfice des salariés sur le réseau concédé ESCOTA par le biais de l'attribution d'une "carte senior".
Après contrôle, l'URSSAF des Alpes-Maritimes a considéré que cette gratuité de circulation constituait un avantage devant être soumis à cotisations pour l'ensemble des bénéficiaires et opéré un redressement des cotisations sociales dues sur ledit avantage.
Compte tenu de ce redressement, la société ESCOTA a mis en 'uvre une procédure de dénonciation de l'accord d'entreprise du 19 février 2008 sur la gratuité de circulation accordée aux salariés retraités.
Il n'est pas discuté que la SA ESCOTA a régulièrement dénoncé l'accord collectif
n° 104 en procédant à une consultation du comité d'entreprise lors d'une réunion en date du 30 avril 2013 (pièce 5 versée par la société), en notifiant le 13 mai 2013 la dénonciation aux syndicats signataires de l'accord, représentés par leurs délégués (pièces 6 versées par la société) et en déclarant la dénonciation de l'accord d'entreprise auprès de la direction générale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région PACA le 31 mai 2013 et auprès du conseil de prud'hommes de Cannes le 4 juin 2013 (pièces 7 et 8)
Cette dénonciation a pris effet à l'expiration du délai de préavis de trois mois, soit le 5 septembre 2013, date fixant le point de départ de la période d'un an durant lequel l'accord dénoncé est resté en vigueur.
La SA ESCOTA justifie qu'elle a initié des négociations aux fins de conclure un accord de substitution dès le 21 mai 2013 (feuille de présence signée le 21 mai 2013 par les représentants de la direction et des syndicats) et qu'un procès-verbal de désaccord relatif à la négociation de l'accord de substitution a été établi en date du 7 août 2014 et transmis à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région PACA, laquelle soulignait toutefois qu'elle ne pouvait enregistrer le dépôt dudit procès-verbal non signé par les organisations syndicales (pièce 10).
Monsieur René X... a été informé par un courrier adressé le 7 août 2014 par la SA ESCOTA que le dispositif de gratuité de circulation cesserait de s'appliquer à la date du 14 août 2014 (délai reporté au 22 décembre 2014 par courrier de la SA ESCOTA du 5 novembre 2014) et qu'il lui était proposé l'application d'une réduction maximale de 30 % sur le montant des passages réalisés sur le réseau ESCOTA, avec proposition d'un contrat d'abonnement télépéage sans dépôt de garantie à verser et sans frais de gestion.
Monsieur René X... soutient que la dénonciation par la société ESCOTA de l'accord collectif du 29 février 2008, non remplacé par un accord de substitution, est sans effet à son égard car il bénéficiait d'une gratuité totale de circulation, et non d'une remise tarifaire sur un abonnement télépéage, et que la gratuité de circulation reconnue aux retraités constitue un avantage retraite, lequel est intangible dès lors que celui qui en bénéficie a liquidé sa pension de retraite.
Si la SA ESCOTA produit le règlement qu'elle a effectué par virement le 9 janvier 2013 de la somme de 1499875 € au bénéfice de l'URSSAF (pièce 4), elle ne verse pas pour autant la décision de redressement de l'URSSAF, se contentant d'affirmer que cet organisme avait considéré que la gratuité de circulation accordée aux salariés ainsi qu'aux retraités était un "avantage en nature" et qu'elle devait être réintégrée pour sa valeur réelle.
En réalité, l'URSSAF n'a pu que considérer que la gratuité de circulation était un avantage retraite pour les retraités, soumis à cotisations, puisque les retraités ne peuvent bénéficier d'un avantage en nature qui ne concerne que les salariés. C'est à juste titre que l'appelant relève que la SA ESCOTA, qui n'a pas formé de recours contre la décision de redressement de l'URSSAF, n'a pas contesté que la gratuité de circulation accordée aux retraités constituait un avantage retraite soumis à cotisations sociales.
Au surplus, la gratuité de circulation accordée sous la forme de l'attribution d'une "carte senior" à tous les retraités de l'entreprise lors de leur cessation d'activité constitue bien un avantage retraite intangible.
En conséquence, la dénonciation de l'accord d'entreprise n° 104 du 29 février 2008, non substitué par un nouvel accord, ne pouvait modifier les droits acquis et liquidés des retraités.
Il convient d'ordonner la restitution par la SA ESCOTA à Monsieur René X... de sa "carte senior" de télépéage lui assurant la gratuité de circulation sur le réseau concédé ESCOTA, sous astreinte de 100 € par mois de retard dans le délai d'un mois suivant la signification du présent arrêt, dans la limite de 12 mois.
Il y a lieu, de surcroît, de condamner la SA ESCOTA à rembourser à Monsieur René X... la somme de 1845,64 € correspondant aux sommes acquittées par le retraité au titre des péages depuis le 22 décembre 2014 jusqu'au 31 janvier 2018, selon le décompte fourni par l'intéressé et les factures de télépéage versées en pièces justificatives (pièces 9).
Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Monsieur René X..., tel que précisé au dispositif.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale,
Reçoit l'appel en la forme,
Infirme le jugement,
Statuant à nouveau,
Dit que la gratuité de circulation sur le réseau concédé ESCOTA accordée à Monsieur René X... depuis son départ à la retraite, en application de l'accord collectif n° 61 du 13 décembre 1995 substitué par l'accord n° 104 du 29 février 2008, constitue un avantage retraite intangible qui ne pouvait être supprimé par la SA ESCOTA à défaut de substitution de l'accord du 29 février 2008 dénoncé,
Ordonne la restitution par la SA ESCOTA à Monsieur René X... de la "carte senior" de télépéage assurant à ce dernier la gratuité de circulation sur le réseau concédé ESCOTA, sous astreinte provisoire de 100 € par mois de retard suivant la signification du présent arrêt, dans la limite de 24 mois,
Condamne la SA ESCOTA à payer à Monsieur René X... la somme de 1845,64 € en remboursement des sommes acquittées au titre des péages autoroutiers depuis le 22 décembre 2014 jusqu'au 31 janvier 2018,
Condamne la SA ESCOTA aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Monsieur René X... 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT