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13/04/2018 | FRANCE | N°15/10241

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 9e chambre b, 13 avril 2018, 15/10241


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

9e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 13 AVRIL 2018



N° 2018/





Rôle N° N° RG 15/10241 - N° Portalis DBVB-V-B67-44I2





[Q] [K]





C/





[V] [P]

[R] [R]

















Grosse délivrée

le :

à :





Me Claudie HUBERT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE(vestiaire 109)



Me Fabien PEREZ , avocat au barreau de MARSEILLE


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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES - section AD - en date du 27 Avril 2015, enregistré au répertoire général sous le n° 14/580.



APPELANTE



Madame [Q] [K], demeurant [Adresse 1]



comparante en personne,...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

9e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 13 AVRIL 2018

N° 2018/

Rôle N° N° RG 15/10241 - N° Portalis DBVB-V-B67-44I2

[Q] [K]

C/

[V] [P]

[R] [R]

Grosse délivrée

le :

à :

Me Claudie HUBERT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE(vestiaire 109)

Me Fabien PEREZ , avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES - section AD - en date du 27 Avril 2015, enregistré au répertoire général sous le n° 14/580.

APPELANTE

Madame [Q] [K], demeurant [Adresse 1]

comparante en personne, assistée de Me Claudie HUBERT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, vestiaire : 109 substitué par Me Samy ARAISSIA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMES

Monsieur [V] [P]ayant-droit de [S] [P], demeurant [Adresse 2]

comparant en personne, assisté de Me Fabien PEREZ de la SELAS SELAS PHILAE, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Justine LAUGIER, avocat au barreau de MARSEILLE

Madame [R] [P] épouse [R], ayant-droit de [S] [P], demeurant [Adresse 3]

comparante en personne, assistée de Me Fabien PEREZ de la SELAS SELAS PHILAE, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Justine LAUGIER, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 21 Février 2018 en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Marie-Agnès MICHEL, Président

Monsieur Jean Yves MARTORANO, Conseiller

Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Harmonie VIDAL.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Avril 2018.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Avril 2018.

Signé par Madame Marie-Agnès MICHEL, Président et Madame Harmonie VIDAL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

******

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [Q] [K] a été employée par M. [S] [P] en qualité de garde-malade de son épouse atteinte de la maladie d'Alzheimer du 7 mars 1995 au 31 janvier 1997. Le 3 juin 1997 il lui délivrait un certificat de travail ainsi rédigé : « Je soussigné, M. [P] [S], déclare et certifie que Mlle [N] [G], demeurant [Adresse 4], a été employée en qualité de garde-malade pour mon épouse atteinte de la maladie d'Alzheimer jusqu'à son décès du 7 mars 1995 au 31 janvier 1997. Cette personne m'a donné toute satisfaction, tant en soins infirmiers qu'en tenue de maison. Actuellement cette personne s'occupe encore de ma maison avec beaucoup d'attention dans l'attente d'un autre emploi. »

Mme [Q] [K] bénéficiait le 19 juillet 1999 d'un contrat emploi solidarité d'un an pour 20 heures par semaine à la mairie d'[Localité 1] en qualité d'animatrice en milieu périscolaire. Ce contrat était reconduit pour 3 mois le 3 juillet 2000. Elle bénéficiait encore d'un contrat emploi consolidé d'un an pour les mêmes fonctions mais pour 30 heures par semaine à compter du 5 octobre 2001. La durée du travail était portée à 35 heures par semaine suivant avenant du 2 avril 2002. Le contrat était reconduit le 2 octobre 2002.

Le 28 juin 2004 Mme [Q] [K] était recrutée, toujours par la mairie d'[Localité 1], en qualité d'agent d'animation stagiaire puis titularisée à compter du 5 janvier 2006 en qualité d'agent d'animation qualifié. Elle a été placée en congé de longue maladie du 30 janvier 2008 au 13 septembre 2009.

Le 2 janvier 2009 M. [S] [P] établissait un acte sous seing privé ainsi rédigé : « Je soussigné M. [P] [S] né le [Date naissance 1] à [Localité 2], sain d'esprit, résidant à [Adresse 5], héberge gratuitement Mlle [N] [G] née le [Date naissance 2]. Cet hébergement constitue un prêt à usage dans ma résidence au [Adresse 6]. Ce prêt à usage est valable 1 an sans qu'il soit remis en cause par min décès, cette dame dispose d'un délai de 1 an pour trouver un logement. Cette disposition est opposable à mes héritiers. »

Le 29 avril 2011, M. [S] [P] donnait à bail le premier étage, d'une superficie de 67 m², d'une villa sise [Adresse 7] à Mme [P] [Y], s'ur de Mme [Q] [K], pour un loyer mensuel de 880 €.

Par jugement du 30 mai 2011, le juge des tutelles de Martigues a placé M. [S] [P] sous curatelle simple et a désigné M. [R] [R] en qualité de curateur.

Le 21 septembre 2012, M. [S] [P] a consenti à Mme [Q] [K] un bail d'habitation sur sa maison de 60 m² avec jardin de 600 m² sise [Adresse 8] pour un loyer mensuel de 200 €.

Suivant arrêt du 24 septembre 2012, la cour de céans a confirmé le placement de M. [S] [P] sous curatelle simple mais a désigné l'UDAF des Bouches-du-Rhône en qualité de curateur motif pris des relations tendues entre M. [S] [P] et ses enfants.

M. [P] est décédé le [Date décès 1] 2013, laissant pour lui succéder ses enfants, M. [V] [P] et Mme [R] [P] épouse [R].

Se plaignant de travail dissimulé et de licenciement sans cause réelle et sérieuse, Mme [Q] [K] a saisi le 2 mai 2013 le conseil de prud'hommes de Martigues, section activités diverses.

Mme [Q] [K] a déposé la main courante suivante le 21 mai 2013 : « J'ai été hebergée chez M. [P] [S] depuis 1995, j'étais auxiliaire de vie pour sa femme. Au décès de sa femme et à sa demande, je suis restée avec lui jusqu'à son décès également, le 10/02/2013. M. [P] en litige permanent avec ses enfants, et se sentant en fin de vie, m'a fait un bail le 27/09/2012 en présence de la comptable. Il m'avait demandé de garder ce bail « sous le coude », et de le faire valoir à sa mort. Donc c'est ce que j'ai fait, j'ai fait valoir ce bail au notaire, qui l'a certifié le 15/02/2013. Donc depuis cette date-là, je suis locataire, je paye l'eau, le gaz, l'électricité et je paie un loyer de 200 € par mois, comme mentionné sur le bail. M. [P] [V] a hérité de cette maison. M. [P] [S] avait mentionné « sur une lettre » donner cette maison à [V], mais qu'il fallait qu'il me laisse une année pour me retourner et que je lui verse 200 € de loyer. M. [P] [V] n'a jamais encaissé le moindre chèque. Il refuse que je reste dans la maison. Hier alors que je me trouvais chez moi, vers 10h00 [P] [V], avec sa s'ur [R] [R], la fille de [V], sont venus accompagnés de deux hommes. [P] [V] s'est présenté à moi en me présentant les deux hommes comme deux huissiers, et qu'il fallait que je les laisse entrer. Il m'a également précisé que mon avocate et son avocat s'étaient mis d'accord pour cela. Je n'ai pas cru à son histoire, et je n'ai pas ouvert la porte en lui disant que c'était férié, que j'avais un bail. Ils ont pris des photos de la maison, [V] m'a menacé en disant qu'il allait me mettre au pénal et en prison. Et m'a dit qu'il reviendrait avec les gendarmes. J'ai peur de cette famille, en plus il a récupéré des armes au domicile à la mort de son père, et il avait pris les cartouches et tout. »

Courant septembre 2013, les enfants de M. [S] [P] ont déposé plainte pour abus de faiblesse et extorsion contre Mme [Q] [K] et sa s'ur Mme [P] [Y].

Le conseil de prud'hommes, par jugement rendu le 27 avril 2015, a :

débouté Mme [Q] [K] de l'ensemble de ses prétentions ;

débouté les consorts [P] de leurs demandes reconventionnelles ;

dit que chaque partie conserve ses dépens.

Cette décision a été notifiée le 27 mai 2015 à Mme [Q] [K] qui en a interjeté appel suivant déclaration du 1er juin 2015.

Le procureur de la République a classé sans suite la plainte déposée contre Mme [P] [Y] et a fait citer Mme [G] devant le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence, lequel, après ordonné un supplément d'information, a relaxé la prévenue par jugement du 27 juin 2016 qui résume ainsi la cause : « Entre 1994 et début I997 Mme [Q] [K] intervenait comme auxiliaire de vie auprès de Mme [P], atteinte de la maladie d'Alzheimer. Elle était pour ce faire hébergée gratuitement au domicile des époux [P]. La famille [P] était pleinement satisfaite de ses services. Après le décès de sa femme début 1997, M. [P] qui n'avait alors que 75 ans et était encore en bonne santé, mettait fin au contrat de travail de Mme [K], mais continuait à l'héberger. À compter de juillet 1999, Mme [K] commençait à travailler pour la commune d'ENSUES LA REDONNE. Elle devenait fonctionnaire municipale en juillet 2004. En fin d'année 2010, M. [P], désormais âgé de 88 ans (pour être né le [Date naissance 3] 1922) était hospitalisé. À l'issue de son séjour à l'hôpital, il souhaitait rentrer chez lui au plus vite et ne surtout pas partir en institution spécialisée. Sa santé étant altérée, ses enfants faisaient donc installer à son domicile un lit médicalisé et un appareil d'assistance respiratoire. Pendant quelques mois à compter de décembre 2010, la s'ur de [Q] [K], [P] [Y], était salariée à temps partiel par M. [P] comme auxiliaire de vie. C'est dans ce contexte que M. [P] se brouillait avec ses enfants et que ces derniers, inquiets, saisissaient le juge des tutelles d'une requête aux fins d'ouverture d'une mesure de protection. Le 24 mars 2011, le Docteur [O], psychiatre mandaté par les enfants de M. [P], rencontrait M. [P] à son domicile. Cet expert estimait que :

' l'autonomie et les facultés mentales de M. [P] étaient altérées du fait de troubles cognitifs modérés, ce qui le rendait vulnérable et dépendant de son entourage,

' il avait besoin d'aide au quotidien pour faire le ménage, les courses et préparer les repas,

' il était attaché à son auxiliaire de vie et cet attachement paraissait réciproque,

' il était anxieux, étant satisfait de sa situation actuelle et craignant que l'intervention de ses enfants et la mesure envisagée ne l'empêchent de continuer à vivre à sa guise,

' il ne s'intéressait pas à la gestion de son argent et faisait confiance à sa fille pour cela.

Le Docteur [O] préconisait donc une mesure de curatelle renforcée, sous réserve qu'elle ne soit confiée ni à la famille de M. [P] ni à celle de Mme [K], en raison de ce contexte conflictuel. Le 9 mai 2011 le juge des tutelles procédait à l'audition de M. [P] (assisté d'un avocat), de ses enfants, de sa petite-fille et de Mmes [K] et [Y]. Il ressortait notamment de cette audition que :

' M. [P] avait déjà délégué à sa fille [R] la gestion de ses comptes et placements, celle-ci ayant procuration sur ses comptes,

' M. [P] tenait à conserver l'aide et la compagnie de Mme [K] ; il se déclarait satisfait de ses conditions de vie et inquiet à l'idée qu'elles puissent changer ;

' si M. [P] assurait ne pas donner d'argent à Mme [K], celle-ci affirmait être payée 150 € par mois en espèces, Mme [Y] n'était plus rémunérée par M. [P],

' M. [P] avait fait une donation à ses enfants et n'était plus qu'usufruitier de ses différents biens immobiliers (à l'exception d'un studio à Marseille),

' toutes les personnes entendues étaient favorables à la désignation de [R] [P] épouse [R] en cas de placement de M. [P] sous curatelle simple.

Par un jugement en date du 30 mai 2011 M. [P] était placé sous curatelle simple et la mesure confiée à sa fille [R] [P] épouse [R]. Un bail daté du 12 septembre 2012 était signé entre M. [S] [P] et Mme [Q] [K] pour la maison de St Victoret où ils résidaient ensemble. Le loyer était fixé à 200 €. Par un arrêt du 24 septembre 2012, la cour d'appel confirmait la décision du juge des tutelles mais désignait l'UDAF en lieu et place de [R] [R] née [P]. [S] [P] décédait le [Date décès 1] 2013. En septembre 2013, les enfants de M. [P] déposaient plainte pour abus de faiblesse et extorsion contre Mme [K] et sa s'ur Mme [Y] en leur imputant d'avoir dépouillé M. [P] « de tout ce qu'il possédait ». Ils produisaient notamment des pièces montrant que Mme [K] avait encaissé des chèques et des virements bancaires de la part de leur père. Entendue par les enquêteurs, Mme [K] expliquait qu'elle avait effectivement reçu ces sommes, mais qu'il s'agissait de remboursements, car elle payait elle-même les courses et certaines factures pour rendre service à M. [P], qui la remboursait ensuite. À l'appui de ses explications, elle remettait aux policiers copie de ses relevés de comptes. Le parquet classait sans suite la plainte contre Mme [P] [Y]. Une convocation par officier de police judiciaire était délivrée à Mme [Q] [K] du chef d'abus de faiblesse. Le rapport du Docteur [O] ne figurant pas au dossier, le tribunal ordonnait un supplément d'information. »

Le tribunal motivait la relaxe de Mme [Q] [K] dans les termes suivants : « Attendu que la particulière vulnérabilité de M. [P] à compter de son hospitalisation en décembre 2010 et jusqu'à son décès le [Date décès 1] 2013 est établie par le rapport circonstancié du Dr [O], qui a rencontré l'intéressé en mars 2011 ;

Attendu que pour déterminer si l'infraction est caractérisée, il convient donc de vérifier si Mme [K] a abusé de cette vulnérabilité pour conduire M. [P] à un acte gravement préjudiciable pour lui ; Attendu que les actes reprochés à Mme [K] sont d'une part l'encaissement de chèques et de virements en provenance du compte de M.[P] (mouvements repris dans un tableau établi par l'enquêteur à partir des relevés de comptes bancaires remis par les deux parties), d'autre part la signature d'un bail d'habitation ;

Attendu qu'en ce qui concerne les sommes encaissées, il convient de relever les éléments suivants :

' Mme [K] ne rapporte pas la preuve que les versements reçus de M. [P] entre décembre 2010 et janvier 2013 correspondent exclusivement-comme elle l'affirme, à un salaire non déclaré de 150 € par mois et au remboursement de dépenses dont elle aurait fait l'avance :

' le total des sommes que le ministère public reproche à la prévenue d'avoir perçu de la part de M. [P] au cours de la période visée à la prévention s'élève (d'après les chiffres repris dans le tableau récapitulatif établi par les enquêteurs au vu des relevés de compte figurant au dossier) à environ 11 000 €, soit 440 € par mois en moyenne pendant la période considérée (les six premiers virements figurant au tableau étant antérieurs à décembre 2010 et n'étant donc pas inclus dans la poursuite) ;

' ce montant mensuel moyen de 440 € n'est pas incompatible avec les allégations de la prévenue (soit 150 € de salaire + 290 euros de courses);

' d'après les relevés de compte joints à la plainte de ses enfants, les revenus de M. [P] (pension de retraite, loyers, etc.) étaient variables d'un mois sur l'autre ' certains revenus étant versés trimestriellement ' mais de l'ordre d'au moins 3 300 € par mois en moyenne ;

Attendu que le rapprochement entre les sommes versées à Mme [K] par M. [P] et les revenus de M. [P] ne permet pas de retenir que ces versements, quand bien même ils auraient été injustifiés, aient été gravement préjudiciable pour M. [P] ;

Attendu qu'en ce qui concerne le bail d'habitation, la prévenue affirme que M. [P] a tenu à l'établir de peur que ses enfants ne la chassent de la maison sans préavis à son décès ;

Attendu qu'il est établi que la prévenue était hébergée au domicile des époux [P] depuis 1994, que M. [P] a fait le choix alors qu'il était-encore en pleine possession de ses moyens, de continuer à l'héberger aprèsla mort de son épouse en 1997, et que sa santé ne s'est dégradée sérieusement que fin 2010 jusqu'à son décès début 2013 ; qu'au total, la prévenue a donc vécu avec M. [P] pendant presque vingt ans ;

Attendu que les pièces du dossier de curatelle versées au dossier pénal dans le cadre du supplément d'information, et notamment l'audition de M. [P] et le rapport du Dr [O], établissent que M. [P] était attaché à Mme [K] ;

Attendu que, Mme [K] n'ayant plus de contrat de travail avec M. [P] depuis le décès de Mme [P] en 1997 (même si elle affirme avoir néanmoins été rémunérée de manière non déclarée), elle n'aurait eu aucun titre à faire valoir pour se maintenir dans le logement après le décès de M. [P] ; Attendu qu'en raison de ces circonstances tout à fait particulières, le tribunal ne peut pas exclure que la signature du bail incriminé ait été une tentative maladroite de la part de M. [P] de protéger Mme [K], car il craignait que ses enfants ne lui demandent de quitter la maison sans préavis au lendemain de son décès ; que par conséquent, la signature d'un bail par M. [P] au profit de Mme [K], en dépit d'un loyer modique, ne suffit pas, compte tenu des circonstances de l'espèce, à caractériser le délit d'abus de faiblesse. »

Le bail du 21 septembre 2011 a encore fait l'objet d'un contentieux civil, M. [V] [P] ayant sollicité son annulation devant le tribunal d'instance de Martigues. La cour de céans a par arrêt du 30 mai 2017 confirmé le premier juge en ce qu'il avait débouté M. [V] [P] de sa demande d'annulation du bail, en ce qu'il avait constaté que Mme [Q] [K] avait souscrit un contrat d'assurance locative depuis le 18 novembre 2012 et s'était acquittée des loyers et en ce qu'il avait condamné M. [V] [P] à payer à Mme [Q] [K] la somme de 840 € à titre de dommages et intérêts pour les problèmes subis concernant le gaz. La cour a alloué de plus à Mme [Q] [K] la somme de 5 000 € en réparation de son préjudice moral.

Vu les écritures déposées à l'audience et soutenues par son conseil aux termes desquelles Mme [Q] [K] demande à la cour de :

infirmer le jugement entrepris ;

dire qu'elle bénéficie d'une présomption de salariat ;

dire que les éléments constitutifs du contrat de travail sont réunis ;

dire que la relation contractuelle entre M. [S] [P] et elle-même est établie ;

condamner solidairement M. [V] [P] et Mme [R] [P] épouse [R], en qualité d'ayants droit de M. [S] [P], au paiement des sommes suivantes :

'90 215,53 € à titre de rappel de salaire ;

'  9 021,55 € au titre des congés payés y afférents ;

'     399,52 € au titre du temps de présence responsable ;

'16 166,88 € au titre des jours de repos hebdomadaire non-pris ;

'  1 616,68 € au titre des congés payés y afférents ;

'     288,30 € au titre des jours fériés travaillés ;

'       28,83 € au titre des congés payés y afférents ;

'15 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

dire que les intimés n'ont pas respecté la procédure de licenciement ;

condamner à ce titre, solidairement, les intimés au paiement de la somme de 1 752,78 € ;

dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

condamner solidairement les intimés au paiement des sommes suivantes :

'  9 348,15 € au titre de l'indemnité de licenciement ;

'  3 505,56 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

'     350,55 € au titre des congés payés y afférents ;

'30 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

dire que l'employeur a manqué à son obligation légale de remise des bulletins de paie ;

dire que les ayants droits de M. [S] [P] ne lui ont jamais remis les documents sociaux ;

ordonner la remise des bulletins de salaire depuis le début de la relation contractuelle sous astreinte de 100 € par jour de retard ;

ordonner la remise du certificat de travail, solde de tout compte, attestation Pôle Emploi, sous astreinte de 100 € par jour de retard et par document ;

condamner solidairement les intimés au paiement de la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour les manquements aux obligations contractuelles ;

condamner les intimés à régler les intérêts moratoires avec capitalisation, pour les créances salariales, à compter de la saisine du conseil de prud'hommes, soit le 2 mai 2013 ;

condamner solidairement les intimés au paiement de la somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles d'appel ;

débouter les intimés de toutes leurs demandes.

Vu les écritures déposées à l'audience et reprises par son conseil selon lesquelles M. [V] [P] et Mme [R] [P] épouse [R] demandent à la cour de :

constater l'absence de relation de salariat entre M. [S] [P] et Mme [Q] [K] ;

débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes ;

confirmer le jugement entrepris ;

condamner l'appelante à leur verser les sommes suivantes :

'20 000 € à titre de dommages et intérêts ;

'  5 000 € au titre des frais irrépétibles ;

condamner l'appelante aux dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il ne ressort pas des pièces du dossier d'irrecevabilité de l'appel que la cour devrait relever d'office et les parties n'élèvent aucune discussion sur ce point.

1/ Sur l'existence d'une relation de travail

Il sera tout d'abord relevé que Mme [Q] [K] affirme elle-même en page 2 de ses conclusions que suite au décès de l'épouse de M. [P], le contrat de travail débuté le 7 mars 1995 a pris fin le 31 janvier 1997. La cour retient que cette relation de travail incontestable, même si elle était dissimulée, a bien pris fin comme la salariée l'indique le 31 janvier 1997.

Par contre, Mme [Q] [K] soutient que M. [S] [P], satisfait de ses services, contractait une nouvelle relation de travail à compter du 1er février 1997 lui confiant des fonctions d'auxiliaire de vie, lui demandant d'accomplir les tâches ménagères, de l'aider dans sa vie sociale et relationnelle et de l'accompagner dans sa vie quotidienne et lors de ses rendez-vous médicaux. Elle indique elle-même que le contrat de travail aurait été rompu le [Date décès 1] 2013 suite au décès de M. [S] [P].

Mme [Q] [K] invoque le bénéfice d'une présomption de salariat des employés de maison travaillant pour des particuliers. Elle fait valoir qu'elle accomplissait les tâches précitées contre son hébergement et une modeste rémunération de 150 € par mois et n'a pas cessé cette activité domestique malgré son emploi de fonctionnaire et ses difficultés de santé. Aussi sollicite-t-elle un rappel de salaire au minimum conventionnel à plein temps de mai 2008 à janvier 2013 dont elle déduit les sommes de 150 € qu'elle percevait chaque mois, et auquel elle ajoute le temps de présence responsable ainsi que les jours de repos hebdomadaires non-pris et les jours fériés, indiquant avoir travaillé toute la période considérée.

Les intimés font valoir que les éléments constitutifs du contrat de travail, la prestation de travail, la rémunération et le lien de subordination ne sont pas réunis.

La cour retient que si les employés de maison bénéficient d'une présomption, cette dernière concerne uniquement le lien de subordination qui inclut les concernant la para-subordination. Cette présomption ne concerne ni le contenu de la prestation délivrée ni sa rémunération et pas plus le bénéfice de l'ensemble des dispositions applicables au salariat dès lors qu'au temps du litige le code du travail disposait au contraire, en son article L. 7221-2, que :

« Sont seules applicables au salarié défini à l'article L. 7221-1 les dispositions relatives :

1° Au harcèlement moral, prévues aux articles L. 1152-1 et suivants, au harcèlement sexuel, prévues aux articles L. 1153-1 et suivants ainsi qu'à l'exercice en justice par les organisations syndicales des actions qui naissent du harcèlement en application de l'article L. 1154-2 ;

2° A la journée du 1er mai, prévues par les articles L. 3133-4 à L. 3133-6 ;

3° Aux congés payés, prévues aux articles L. 3141-1 à L. 3141-31, sous réserve d'adaptation par décret en Conseil d'État ;

4° Aux congés pour événements familiaux, prévues par les articles L. 3142-1 et suivants ;

5° A la surveillance médicale définie au titre II du livre VI de la quatrième partie. »

La convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999 étendue par arrêté du 2 mars 2000 ne pose pas plus de présomption globale de salariat.

Ainsi, il appartient au juge de vérifier, pour caractériser l'existence d'un contrat oral d'employé de maison, l'accomplissement d'une prestation de travail contre une rémunération, sans qu'il y ait lieu de présumer qu'une personne hébergée chez un particulier et qui reçoit de lui des subsides se trouve présumée être son employé de maison.

Pour apprécier une éventuelle intention bénévole du travailleur, il convient de se référer aux conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité de ce dernier et aux raisons et circonstances qui ont conduit le travailleur à réaliser une ou plusieurs tâches déterminées pour le compte d'autrui. L'entraide bénévole suppose ainsi une activité réalisée de manière occasionnelle, spontanée et gratuite, en dehors de toute contrainte émanant du bénéficiaire, par simple devoir moral de solidarité ou d'assistance. Elle se trouve liée aux circonstances particulières qui ont conduit le travailleur concerné à l'accomplir dans un but désintéressé, voire altruiste.

En l'espèce, les attestations versées par l'appelante (émanant de Mme [S], Mme [U] [X], Mme [F] [X], M. [Z], Mme [I] [R], M. [L], M. [Y] [R], Mme [H], Mme [A], Mme [T], Mme [I], M. [A] [A], Mme [C] [D], M. [M], Mme [V], Mme [C], M. [E], Mme [W], Mme et M. [F], M. [U]) et par les intimés (rédigées par M. [B] [B], M. [K] [N], M. [W] [J], Mme [H] [Q], Mme [Z] [GG], Mme [O] [NN], Mme [E] [XX], Mme [D] [QQ], M. [M] [HH]) sont parfaitement contradictoires en sorte qu'elles ne peuvent utilement éclairer la cour.

Il convient dès lors de s'en tenir aux éléments constants qui ont été rapportés précédemment. Ainsi, le 3 juin 1997, M. [S] [P] écrivait de Mme [Q] [K] « Actuellement cette personne s'occupe encore de ma maison avec beaucoup d'attention dans l'attente d'un autre emploi. ». Cette dernière, qui a vécu au domicile (de 60 m²) de M. [S] [P] jusqu'à son décès, a bénéficié d'un contrat emploi solidarité dès le 19 juillet 1999. Elle a été recrutée le 28 juin 2004 par la mairie d'[Localité 1] et titularisée à compter du 5 janvier 2006 en qualité d'agent d'animation qualifié. Elle a été placée en congé de longue maladie du 30 janvier 2008 au 13 septembre 2009. Durant toute la période considérée Mme [Q] [K] a perçu de M. [S] [P] la somme de 150 € chaque mois. En fin d'année 2010, M. [S] [P], désormais âgé de 88 ans (pour être né le [Date naissance 3] 1922) était hospitalisé. À l'issue de son séjour à l'hôpital, pendant quelques mois à compter de décembre 2010, la s'ur de Mme [Q] [K], Mme [P] [Y], était salariée à temps partiel par M. [P] comme auxiliaire de vie.

Au vu de ces éléments pris en combinaison, il convient de considérer que Mme [Q] [K], qui avait acquis son autonomie professionnelle depuis sa titularisation en qualité d'agent municipal dès 2006, était nécessairement animée d'une intention bénévole lorsqu'elle s'occupait du domicile commun de taille modeste pour deux personnes et qu'elle veillait sur M. [S] [P], dès lors qu'elle se satisfaisait de la somme de 150 € à titre de subsides mensuels, somme sans rapport avec une véritable rémunération, et ce malgré son autonomie économique et sa parfaite capacité à faire valoir ses droits. Cette intention bénévole est encore corroborée par la profonde affection que Mme [Q] [K] nourrissait concernant M. [S] [P], laquelle affection est attestée par plusieurs de ses propres témoins.

En effet, la dépendance économique ou la contrainte qui seules permettraient d'expliquer un travail à temps plein, sans repos ni congés, contre un salaire mensuel de 150 € qu'invoque Mme [Q] [K] ne sont nullement présents dans le cas d'espèce, l'appelante étant agent municipal titulaire, M. [S] [P] étant âgé et affaibli et sa famille étant même opposée à sa présence. Une telle dépendance économique ou une telle contrainte se trouvent encore démenties par le fait que Mme [Q] [K] avait su préalablement, alors que sa situation était bien moins favorable, être employée à de meilleures conditions lorsqu'elle s'occupait de l'épouse de M. [S] [P], bien que sa situation sur le territoire national n'était pas encore régularisée. La dépendance et la contrainte sont enfin contredites par le fait que l'appelante a su faire employer sa propre s'ur lorsqu'une prise en charge spécifique de M. [S] [P] était requise lors d'un retour d'hospitalisation.

De plus, il y a lieu de retenir que l'intervention de Mme [Q] [K] avait un caractère nécessairement ponctuel puisqu'elle était en même temps agent municipal titulaire et qu'elle souffrait durant une certaine période d'une longue maladie et encore qu'en s'occupant du domicile de taille modeste, elle satisfaisait aussi à ses propres besoins puisqu'elle partageait la vie de M. [S] [P].

En conséquence, l'activité que déployait Mme [Q] [K] au profit de M. [S] [P] était occasionnelle, spontanée et gratuite, en dehors de toute contrainte émanant de ce dernier ou de propre situation, elle consistait en une entraide accomplie dans un but altruiste en raison de la vive affection qui la liait à M. [S] [P]. Dès lors Mme [Q] [K] sera déboutée de l'ensemble de ses demandes.

2/ Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts

Les intimés sollicitent la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et dilatoire. Mais il n'apparaît nullement que l'appelante, qui s'est dévouée au père des intimés et n'a été gratifiée en retour que d'une plainte pénale et d'une action civile infondées, ait laissé sa liberté d'ester en justice et d'appeler dégénérer en abus.

En conséquence, les intimés seront déboutés de ce chef.

3/ Sur les autres demandes

Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais par elles exposés et non compris dans les dépens, tant en première instance qu'en appel. Elles seront dès lors déboutées de leurs demandes formées en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les parties conserveront la charge des dépens d'appel qu'elles auront exposés.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Déboute les parties de leurs demandes.

Y ajoutant,

Dit que les parties conserveront la charge des dépens d'appel qu'elles auront exposés.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 9e chambre b
Numéro d'arrêt : 15/10241
Date de la décision : 13/04/2018

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 9B, arrêt n°15/10241 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-04-13;15.10241 ?
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