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29/03/2018 | FRANCE | N°16/06906

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 17e chambre, 29 mars 2018, 16/06906


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

17e Chambre



ARRÊT AU FOND

DU 29 MARS 2018



N°2018/

JLT/FP-D













Rôle N° N° RG 16/06906 - N° Portalis DBVB-V-B7A-6N2T







[O] [J]





C/



GAEC LES FILS DE MARIUS AUDA



















Grosse délivrée le :

à :

Me Elise VAN DE GHINSTE, avocat au barreau de NICE





Me Didier LODS, avocat au barreau de GR

ASSE



Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRASSE - section AG - en date du 29 Mars 2016, enregistré au répertoire général sous le n° F 15/00221.





APPELANT



Monsieur [O] [J], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Elise...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

17e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 29 MARS 2018

N°2018/

JLT/FP-D

Rôle N° N° RG 16/06906 - N° Portalis DBVB-V-B7A-6N2T

[O] [J]

C/

GAEC LES FILS DE MARIUS AUDA

Grosse délivrée le :

à :

Me Elise VAN DE GHINSTE, avocat au barreau de NICE

Me Didier LODS, avocat au barreau de GRASSE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRASSE - section AG - en date du 29 Mars 2016, enregistré au répertoire général sous le n° F 15/00221.

APPELANT

Monsieur [O] [J], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Elise VAN DE GHINSTE, avocat au barreau de NICE substitué par Me Fabio FERRANTELLI, avocat au barreau de NICE

INTIMEE

GAEC LES FILS DE MARIUS AUDA, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Didier LODS, avocat au barreau de GRASSE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 07 Février 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président

Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller

Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Mars 2018

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Mars 2018

Signé par Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président et Madame Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [O] [J] a été embauché par le GAEC LES FILS DE MARIUS AUDA, en qualité d'ouvrier agricole, par un contrat de travail à durée indéterminée du 1er octobre 1979.

Suite à deux avis d'inaptitude émis par le médecin du travail les 10 et 28 octobre 2013, M. [J] a été licencié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 3 juin 2014, ainsi motivée :

'(...) Suite à votre long arrêt maladie de plus de deux mois, comme l'exige la réglementation, vous avez été convié à une première visite médicale de reprise le 10/10/2013 auprès du médecin du travail Mme [Z] et celle-ci ne permettant pas la reprise normale de votre travail, une seconde visite a donc eu lieu. Pour mémoire, la fiche de visite mentionnait : 'Pas de station debout ou assis prolongée, pas de position accroupie ou antéfléchies, pas d'efforts physiques'. Une étude du poste a été faite par le médecin du travail le 15/10/2013 qui connaît en outre parfaitement les postes de travail de l'entreprise pour la suivre depuis plusieurs années. Vous avez donc, conformément à la réglementation, effectué une seconde visite de reprise le 28/10/2013.

A la suite de celle-ci, le médecin du travail, le Docteur [Z] a constaté et confirmé votre inaptitude définitive à votre emploi actuel. La fiche de visite mentionnait : ' Inapte à son poste de travail, pas de station debout ou assise prolongée possible, pas d'effort physique'.

Compte tenu du fait que votre emploi était en jeu, afin d'éviter tout malentendu, nous nous sommes rapprochés du médecin du travail afin d'obtenir des précisions, notamment en envisageant un arrangement horaire sur mesure, à votre rythme, qui constituait une façon de vous reclasser. Nous vous avons tenu informé de cela.

A 1'issue de cette étude, en toute bonne foi, nous vous avons fait une proposition de reclassement parfaitement conforme aux préconisations du médecin du travail par courrier recommandé que vous avez reçu le 16 novembre 2013.

En date du 21 novembre 2013, vous nous avez indiqué ne pas pouvoir ou vouloir accepter cette solution. N'ayant pas d'autres possibilités de reclassement, nous vous avons reçu le lundi 9 décembre 2013 pour l'entretien préalable au licenciement que nous envisagions de prononcer à votre encontre. Pour mémoire votre licenciement était envisagé pour inaptitude a votre emploi d'opérateur de cultures suite à impossibilité/refus de reclassement. Vous vous êtes rendu à cet entretien accompagné d'un conseil habilité. Lors de cet entretien vous avez confirmé votre refus de reclassement.

Alors que nous étions sur le point de remettre aux services postaux la notification de votre licenciement pour inaptitude physique à votre emploi et impossibilité/refus de reclassement, nous avons reçu de votre part en date du 11 décembre 2013 un courrier dans lequel vous acceptiez finalement notre proposition de reclassement.

Au regard de votre discours lors de l'entretien du 9 décembre 2013, cela nous a surpris tout en nous paraissant somme toute logique puisque les aménagements consentis pour votre emploi étaient parfaitement conformes aux préconisations du médecin du travail.

Ils permettaient ainsi de vous donner la possibilité de continuer à travailler.

Alors que nous attendions un rendez-vous avec le médecin du travail pour l'examen de ce nouveau poste, préalable nécessaire à votre retour dans l'entreprise, nous avons reçu un arrêt maladie de votre part qui expliquait votre absence et qui était daté du 28/10/2013, date de la seconde visite de reprise.

Le médecin du travail en la personne du docteur [Z] a été informée de votre acceptation et de votre nouvel arrêt. En tenant compte des informations que vous lui avez données, elle nous a indiqué qu'elle ne souhaitait pas vous recevoir et qu'il convenait d'attendre votre retour et votre confirmation de votre souhait de reprendre votre travail.

Alors que votre dernier arrêt de travail se terminait le 19 mars 2014 et que nous attendions votre prolongation, nous n'avons plus eu de nouvelle de votre part.

Nous avons ensuite reçu un courrier où vous nous laissiez entendre que vous vous considériez toujours en attente de reclassement ou de licenciement et nous informant de votre classement en invalidité seconde catégorie. Le 12 mai 2014, vous nous avez apporté copie de cette décision de la MSA qui s'avère avoir été prise à compter du 1er mars 2014.

Nous avons immédiatement répondu en vous expliquant que la situation n'était pas celle que vous pensiez et que pour le coup comme nous n'étions pas informés de votre classement en invalidité ni surtout de votre changement d'avis pour reprendre le travail. Nous ne pouvions agir en conséquence.

De surcroît, le classement en invalidité ne justifie pas votre absence quand bien même nous en aurions été informés formellement et officiellement.

En accord avec vous, nous avons donc exposé cette situation au médecin du travail en pensant qu'elle souhaitait vous recevoir et nous vous avons aussi demandé votre avis sur la situation à savoir si finalement à savoir si vous souhaitiez être reclassé puisque notre proposition était toujours d'actualité.

Au final, et pour clore les débats, comme conseillé par le médecin du travail, vous avez clairement exprimé dans un courrier remis en mains propres le 23 mai 2014 le fait que vous ne vouliez pas être reclassé et qu'il ne fallait pas et plus tenir compte de votre précédente acceptation.

Dans ce contexte, le médecin du travail a jugé complètement inutile de vous recevoir et nous a signifié qu'il convenait de nous en tenir à son dernier avis médical et au fait que notre proposition de reclassement dont l'effectivité avait été suspendue était finalement refusée quand bien même cela était de manière rétroactive.

Pour la bonne règle, par courrier remis en mains propres le 23 mai 2014, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à votre éventuel licenciement pour le 3 juin 2014. Lors de cet entretien nous vous avons de nouveau exposé la situation et confirmé que nous n'avions pas d'autre poste à vous proposer que celui que vous aviez refusé et que nous n'avions pas non plus de poste administratif vacant. En conséquence nous envisagions de vous licencier pour inaptitude et impossibilité/refus de reclassement.

Sachez toutefois, que malgré les certitudes du médecin du travail et vos propres souhaits, nous avions déjà entrepris des recherches de reclassement à des postes bien plus différents que celui que vous aviez refusé.

Concrètement, après avoir tout de même examiné les possibilités de reclassements dans notre entreprise et au sein des entreprises agricoles qui nous entourent, (puisque nous avons étendu nos recherches aux autres entités et entreprises auxquelles nous sommes liées ou en partenariat), il nous a été malheureusement impossible de vous reclasser.

Il n'a donc pas été possible de trouver un poste vacant et adapté à vos capacités physiques actuelles, notamment pour les raisons suivantes :

- La très grande majorité des emplois que nous proposons et dont nous avons besoin sont des postes ou la station debout prolongée est courante et donc la spécificité de votre inaptitude réduit grandement nos possibilités. Par ailleurs le fait que même la station assise pose problème réduit de fait les possibilités de vous reclasser. Précisons aussi que nos emplois ne permettent pas non plus, ou pas aisément du tout, une alternance aisée entre la position débout et assise. Néanmoins, comme cela vous a été écrit, votre emploi actuel aurait pu le permettre.

- Nos emplois sont aussi très majoritairement plus ' physiques' que cérébraux ou intellectuels. C'est donc aussi grandement la nature même de notre activité, de son endroit et de l'environnement où elle s'exerce, l'inter action entre les postes, qui limitent aussi notablement les possibilités de vous reclasser.

- Par ailleurs, tous les postes opérationnels périphériques au coeur de notre activité qui n'exigent pas la station debout ou assise prolongée sont hélas pourvus et il n'est pas prévu de création d'un tel poste a ce jour.

- Rappelons aussi que dans sa conception en termes de durée du travail, votre emploi actuel résultait déjà d'un aménagement exceptionnel.

- Enfin, les postes administratifs qui ne nécessitent pas de station debout prolongée et qui pourrait accepter une alternance assis debout sont tous pourvus et là non plus, il n'est pas prévu l'ouverture prochaine d'un tel poste qui n'aurait aucune justification opérationnelle et économique.

Nous vous précisons aussi que même si nous avons étendu nos recherches à d'autres structures, elles présentent toutes les mêmes types de problématiques que les nôtres, les mêmes qui empêchent votre reclassement.

En conclusion, il apparaît que la nature des prescriptions du médecin du travail au sujet de votre état de santé et donc, par la même, vos possibilités physiques d'emploi dans notre société, ajoutées aux spécificités de nos activités, sont de nature à grandement limiter les possibilités de vous reclasser dans un emploi différent des emplois que nous pouvons habituellement offrir, et ceci même en bouleversant notre organisation fonctionnelle

et opérationnelle.

Surtout nous insistons, et c'est encore le cas actuellement, nous n'avons aucun poste vacant à vous proposer et aucune création de poste n'est prévue ni envisagée à ce jour.

Enfin, notre entretien du 3 juin 2014 n'a pas apporté d'élément nouveau et aujourd'hui la situation en termes de possibilité de reclassement n'a pas changé.

En définitive et au final, en raison de l'impossibilité qui est la nôtre de vous reclasser, de votre refus d'accepter l'aménagement de votre emploi, nous ne pouvons maintenir le contrat de travail qui nous lie et nous sommes donc contraints de procéder à votre licenciement pour inaptitude médicale/physique a votre emploi et impossibilité de vous reclasser (...)'.

Saisi par M. [J] le 20 février 2015, le Conseil de Prud'hommes de Grasse, par jugement du 29 mars 2016, a débouté le salarié de ses demandes.

M. [J] a relevé appel le 14 avril 2016 de ce jugement notifié le 30 mars 2016.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses conclusions reprises oralement lors de l'audience, M. [J], concluant à la réformation du jugement, sollicite de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner le GAEC LES FILS DE MARIUS AUDA à lui payer les sommes de :

- 12 202,84 euros à titre de rappel de salaire,

- 1 220,28 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante,

- 4 235,08 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 423,50 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante,

- 21 384,64 euros à titre de solde de l'indemnité de licenciement,

- 127 052,40 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il demande :

- d'ordonner au GAEC, sous astreinte, de lui remettre ses documents sociaux rectifiés et un bulletin de salaire,

- de dire que les créances salariales porteront intérêts au taux légal capitalisé à compter de la demande en justice.

Dans ses conclusions reprises oralement lors de l'audience, le GAEC LES FILS DE MARIUS AUDA, concluant à la réformation du jugement, demande de déclarer irrecevables les demandes de M. [J] pour non-dénonciation du reçu pour solde de tout compte dans le délai légal.

A titre subsidiaire, il sollicite de débouter M. [J] de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure et des prétentions et moyens antérieurs des parties, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux conclusions déposées, oralement reprises.

DISCUSSION

Sur le reçu pour solde de tout compte

Aux termes de l'article L 1234-20 du code du travail, le solde de tout compte établi par l'employeur et dont le salarié lui donne reçu, fait l'inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail. Le reçu pour solde de tout compte peut être dénoncé dans les six mois qui suivent sa signature, délai au-delà duquel il devient libératoire pour l'employeur pour les sommes qui y sont mentionnées.

En l'espèce, M. [J] a signé, le 1er juin 2014, le reçu pour solde de tout compte établi par l'employeur aux termes duquel il reconnaît avoir reçu la somme de 21 852,34 euros qui se décompose en 221,81 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés et 21 911,00 euros au titre de l'indemnité de licenciement. Le bulletin de salaire établi au titre du mois de juin 2014 confirme que seules ces deux sommes ont été envisagées.

L'employeur n'est pas fondé à soutenir que le salarié serait forclos en ses demandes, faute d'avoir dénoncé ce reçu dans les six mois de sa signature.

En effet, le reçu pour solde de tout compte ne peut produire d'effet libératoire pour l'employeur qu'à l'égard des éléments de rémunération, salaires et indemnités dont le paiement a été envisagé au moment du règlement du compte.

Or, il résulte clairement de la rédaction du compte que les parties n'ont envisagé que le paiement de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité de licenciement.

Compte tenu que la signature du reçu pour solde de tout compte n'a pu avoir pour effet d'interdire au salarié de contester la cause de la rupture du contrat de travail, les demandes de M. [J], dans le cadre de la présente instance, portent sur des éléments dont le paiement n'avait pas été envisagé lors de la signature du reçu puisqu'il s'agit de sommes réclamées en conséquence des prétentions du salarié de voir reconnaître l'origine professionnelle de l'inaptitude et de voir juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

M. [J] est, en conséquence, recevable à formuler ses demandes.

Sur l'origine de l'inaptitude

M. [J] a été victime, le 19 février 2009, d'un accident du travail qui a occasionné un traumatisme de l'épaule droite. Le salarié s'est vu prescrire un arrêt de travail pris en charge dans le cadre de la législation professionnelle qui a été prolongé, de manière ininterrompue, jusqu'au 2 septembre 2013.

Il a été déclaré inapte à son poste de travail par le médecin du travail à l'occasion des visites de reprise du 10 octobre 2013 et du 28 octobre 2013.

Pour contester l'origine professionnelle de l'inaptitude, l'employeur se prévaut de la lettre de la caisse de Mutualité Sociale Agricole du 6 mars 2013 informant le salarié de ce que la rechute déclarée le 5 décembre 2012 au titre de l'accident du 19 février 2009 ne présente pas un caractère professionnel au motif que, selon le médecin conseil, il n'y a aucun fait nouveau.

Toutefois, quelle que soit la décision de la caisse de sécurité sociale, laquelle obéit à une réglementation propre, la protection organisée par les articles L 1226-10 et suivants du code du travail au profit des salariés victimes d'un accident du travail est acquise dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a au moins partiellement pour origine l'accident du travail. Elle doit être mise en oeuvre dans le cadre d'un licenciement pour inaptitude dès lors que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

Il est constant, en l'espèce, que M. [J] a été victime, le 19 février 2009, à 7h00, d'un accident, en tombant dans un trou qui servait de ventilation, et que le caractère professionnel de l'accident, reconnu comme tel par la caisse primaire d'assurance maladie, n'a jamais été contesté par l'employeur. Les certificats médicaux postérieurs, dits 'de prolongation', dont a été destinataire l'employeur, ne font état que de l'accident du 19 février 2009 et tous les bulletins de salaire établis par l'employeur mentionnent une 'absence accident du travail' jusqu'à la visite de reprise et à l'avis d'inaptitude.

Il est, ainsi, suffisamment établi, en l'absence de preuve de l'existence d'une quelconque autre cause, que l'inaptitude du salarié, constatée les 10 octobre 2010 et 28 octobre 2013, à l'occasion de la visite de reprise du travail, avait pour origine, au moins partiellement, l'accident du travail du 19 février 2009 et que l'employeur avait connaissance de cette origine lorsqu'il a mis en oeuvre la procédure de licenciement. Il s'ensuit que les dispositions applicables au licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle devaient être appliquées.

Sur la rupture du contrat de travail

Aux termes de l'article L 1226-10 du code du travail, 'lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail'.

Il résulte de ces dispositions, notamment, que l'employeur doit consulter les délégués du personnel après que l'inaptitude du salarié a été définitivement constatée, c'est-à-dire après l'avis du médecin du travail et avant que soit faite au salarié la proposition de reclassement et, en tout état de cause, avant l'engagement de la procédure de licenciement.

En application des dispositions de l'article L 1226-15 du code du travail, la méconnaissance de cette obligation est sanctionnée par une indemnité ne pouvant être inférieure à 12 mois de salaire.

Pour soutenir avoir satisfait à son obligation, l'employeur verse aux débats les procès-verbaux de carence établis le 19 janvier 2011 dans les deux collèges à l'occasion des élections des délégués du personnel avec transmission à l'inspection du travail le 19 janvier 2011 ainsi que les attestations de plusieurs salariés confirmant qu'aucun candidat ne s'est présenté aux élections des délégués du personnel de janvier 2011.

Cependant, le salarié fait grief, à juste titre, à l'employeur de ne pas avoir tenté d'organiser de nouvelles élections en 2012, 2013 et 2014 avant de procéder à son licenciement en juin 2014. Si un employeur n'est, en principe, tenu, en application de l'article L 2314-2 du code du travail, de n'organiser l'élection des délégués du personnel que tous les 4 ans, il peut néanmoins être tenu de le faire à tout moment sur demande d'un salarié ou d'un syndicat (article L 2314-4). En outre, il résulte des dispositions de la convention collective des exploitations agricoles des Alpes Maritimes (article 12) étendue par arrêté du 12 juin 1989, que les délégués du personnel ne sont élus que pour deux ans. Dès lors, le seul fait qu'un procès-verbal de carence a été établi en janvier 2011, soit 3 ans et demi avant le licenciement, ne peut permettre à l'employeur de justifier avoir satisfait à son obligation de mettre en place des délégués du personnel au sein de l'entreprise ou, à tout le moins, d'organiser des élections et, par voie de conséquence, d'avoir satisfait à son obligation de consultation des délégués du personnel.

Le licenciement est, dès lors, dépourvu de cause réelle et sérieuse et le salarié est bien fondé à solliciter les indemnités prévues par les articles L 1226-14 et L 1226-15 du code du travail.

M. [J], né en 1959, a été licencié après 34 ans et 8 mois d'ancienneté au service d'une entreprise employant au moins 11 salariés, à l'âge de 55 ans. Il bénéficie d'une pension d'invalidité depuis le 1er mars 2014.

Au cours de l'année 2008 (dernière année avant l'accident du travail), M. [J] a perçu, au titre des salaires, la somme de 22 847,41 euros brut, soit 1 903,95 euros par mois.

Compte tenu de ce salaire, il lui sera alloué, en application de l'article L 1235-3 du code du travail, la somme de 60 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L'article L 1226-14 du code du travail prévoit le versement d'une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis lorsque la rupture du contrat de travail est consécutive à une inaptitude d'origine professionnelle. Compte tenu que M. [J] aurait perçu un salaire réactualisé à 2 085,78 euros s'il avait continué à travailler au moment du licenciement, le salarié est bien fondé à solliciter, eu égard à son ancienneté, une indemnité compensatrice de 4 171,56 euros (soit deux mois de salaire correspondant au montant de l'indemnité compensatrice de préavis). En revanche, sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante doit être rejetée, l'indemnité compensatrice prévue par l'article L 1226-14 du code du travail n'ayant pas la nature d'une indemnité de préavis, même si son montant est égal, et ne donnant donc pas droit à congés payés.

L'article L 1226-14 du code du travail prévoit également le versement d'une indemnité spéciale de licenciement égale au double de l'indemnité de licenciement lorsque la rupture du contrat de travail est consécutive à une inaptitude d'origine professionnelle. Compte tenu du salaire et de l'ancienneté de M. [J], celui-ci est en droit de prétendre au paiement de la somme de 42 647,23 euros (21 323,61 euros x2) de laquelle doit être déduite l'indemnité déjà versée (21 911,00 euros) de sorte qu'il lui reste dû la somme de 20 736,23 euros.

Sur la demande de rappel de salaire

Pour solliciter un rappel de salaire pour la période du 28 novembre 2013 au 6 juin 2014, M. [J] se prévaut des dispositions de l'article L 1226-11 du code du travail selon lequel, lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur doit lui verser, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.

M. [J] a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail les 10 et 28 octobre 2013,avec ces précisions : 'pas de station debout ou assise prolongée possible, pas d'efforts physiques'. Le point de départ du délai d'un mois prévu par l'article L 1226-11 se situe donc au 28 octobre 2013.

A la suite de ces avis, l'employeur a, le 14 novembre 2013, écrit au salarié pour expliquer qu'il avait entamé des recherches de reclassement et qu'il avait eu des échanges avec le médecin du travail à la suite desquels il lui proposait des aménagements d'horaires, le contenu du poste restant le même, avec cette explication :'l'idée est de vous permette de prendre votre emploi plus tôt et de le quitter plus tard, ce qui vous permettra d'aménager des pauses quasiment à votre rythme'.

Il était ainsi proposé au salarié :

- soit un travail uniquement le matin de 8h00 à 12h10 : '3,5 heures de travail effectif avec 4 pauses de 10 minutes, soit 4 heures et 10 minutes de présence',

- soit un travail uniquement l'après-midi de 13h30 à 17h40 : '3,5 heures de travail effectif avec 4 pauses de 10 minutes, soit 4 heures et 10 minutes de présence',

- soit un travail uniquement 'à cheval de la pause repas': '2 heures de travail effectif le matin de 8h30 à 11h00 avec 3 pauses de 10 minutes, soit 2 heures et 30 minutes de présence','1,5 heure de travail effectif l'après-midi de 13h30 à 15h30 avec 3 pauses de 10 minutes, soit 2 heures de présence'

Après avoir, dans un premier temps, le 21 novembre 2013, refusé cette proposition, M. [J] a déclaré, par lettre du 9 décembre 2013, 'accepter l'aménagement horaire (proposé) pour me permettre d'avoir des temps de pause'.

M. [J], qui se trouvait depuis le 28 octobre 2013, en situation d'arrêt de travail pour maladie, a, une nouvelle fois, changé d'avis en écrivant à l'employeur, le 15 mai 2014, 'pour annuler (sa) demande de reclassement du 9 décembre 2013". Il a expliqué que '(sa) santé ne (lui) permet plus de reprendre le travail', qu'il pensait 'de bonne foi', être capable de reprendre son poste de travail mais que, depuis, sa santé s'est dégradée et qu'il est 'passé en invalidité'. Par lettre du 23 mai 2014, il a précisé qu'il 'refuse tout reclassement' et qu'il demande à l'employeur 'de continuer la procédure au plus vite comme s'il n'avait jamais accepté le reclassement suite à l'entretien du 9 décembre 2013".

C'est dans ces conditions que le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 6 juin 2014.

M. [J] ne saurait soutenir qu'il n'a pas été reclassé dans le délai d'un mois. Contrairement à ce qu'il soutient, la proposition faite par l'employeur le 14 novembre 2013 constituait une offre de reclassement au sens de l'article L 1226-10 du code du travail, même si elle consistait en un aménagement de son temps de travail.

L'article L 1226-10 du code du travail, qui impose à l'employeur de rechercher une solution de reclassement au profit du salarié inapte et de lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, précise expressément que ce reclassement peut s'obtenir ' par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail'.

La proposition faite à M. [J], compte tenu des préconisations du médecin du travail (' pas de station debout ou assise prolongée possible, pas d'effort physique'), d'un aménagement de ses horaires de travail, selon trois formules au choix, lui permettant d'aménager plusieurs pauses et d'adapter son travail à ses possibilités physiques, répond aux exigences de l'article L 1226-10 précité et constitue une offre valable et sérieuse de reclassement même si l'employeur a indiqué, dans sa lettre du 14 novembre 2014, qu'il effectuait, par ailleurs, d'autres recherches de reclassement.

Or, revenant sur son refus initial, M. [J] a, sans ambiguïté, accepté la proposition de l'employeur le 9 décembre 2013. Il a précisé dans sa lettre :

'Cet aménagement des horaires et la répartition de ceux-ci seront pour moi des éléments nécessaires pour que je puisse travailler. Par la suite, je souhaiterais vous rencontrer pour définir ensemble des créneaux horaires de travail au sein de votre entreprise'.

Il ne peut y avoir aucune incertitude sur le caractère entier et sans réserve de l'accord du salarié sur le principe du reclassement proposé. La seule discussion qu'il entendait poursuivre avec l'employeur portait seulement sur la définition des créneaux horaires de travail.

Cette acceptation sans réserve résulte également des deux courriers du salarié des 15 et 23 mai 2014 puisqu'il a alors indiqué à l'employeur qu'il annulait 'sa demande de reclassement' et qu'il demandait à l'employeur 'de continuer la procédure au plus vite comme s'il n'avait jamais accepté le reclassement'.

Même si le reclassement n'a jamais pu être effectivement mis en place puisque M. [J] se trouvait, depuis le 28 octobre 2013, en situation d'arrêt de travail pour maladie et qu'il n'a jamais repris le travail avant de rétracter son accord, il n'en reste pas moins que l'employeur a satisfait à son obligation de reclassement dès lors que le salarié a accepté la proposition faite, la rétractation ultérieure ne pouvant avoir pour effet de retirer au reclassement son caractère parfait par l'accord intervenu à la date du 9 novembre 2013.

M. [J] se trouvant, pendant la période postérieure, en arrêt pour maladie, l'employeur ne peut être tenu au paiement du salaire pendant cette période de suspension du contrat de travail. Le salarié est seulement en droit de prétendre au paiement du salaire correspondant à la période du 28 novembre 2013 au 9 décembre 2013, soit la somme de 774,78 euros outre l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante.

Sur les intérêts

En application des dispositions des articles 1153 ancien du code civil (article 1231-6 nouveau) et R 1452-5 du code du travail, les sommes allouées dont le principe et le montant résultent de la loi, d'un accord collectif ou du contrat (rappel de salaire, indemnité compensatrice de congés payés correspondante et indemnité de préavis), porteront intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l'employeur à l'audience de tentative de conciliation valant mise en demeure, soit le 7 mars 2015.

Les sommes fixées judiciairement (indemnité spéciale de licenciement, dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse), produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Les intérêts seront eux-mêmes capitalisés en application de l'article 1154 ancien du code civil (article 1343-2 nouveau).

Sur la demande de documents

L'employeur devra remettre au salarié un bulletin de salaire portant mention des sommes allouées ainsi qu'un solde de tout compte et une attestation destinée au POLE EMPLOI rectifiés conformément au présent arrêt.

Cette remise devra intervenir dans le délai de quinze jours suivant le présent arrêt, sous peine d'une astreinte de 50,00 euros par jour de retard.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

En application de l'article 700 du code de procédure civile, l'employeur doit payer à M. [J], en plus de la somme allouée en première instance sur le même fondement, la somme de 3 000,00 euros au titre des frais exposés par celui-ci et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile,

Confirme le jugement en ce qu'il a débouté M. [O] [J] de sa demande d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

Infirme le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau,

- Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Condamne le GAEC LES FILS DE MARIUS AUDA à payer à M. [O] [J] les sommes de :

* 4 171,56 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de l'article L 1226-14 du code du travail,

* 20 736,23 euros à titre de solde de l'indemnité de licenciement,

* 60 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 774,78 euros brut à titre de rappel de salaire pour la période du 28 novembre 2013 au 9 décembre 2013,

* 77,47 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante,

- Dit que les sommes allouées à titre de rappel de salaire, d'indemnité compensatrice de congés payés et d'indemnité compensatrice porteront intérêts au taux légal à compter du 7 mars 2015, que les sommes allouées à titre d'indemnité spéciale de licenciement et à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et que les intérêts seront eux-mêmes capitalisés en application de l'article 1154 ancien du code civil (article 1343-2 nouveau),

- Déboute M. [O] [J] de ses autres demandes,

- Dit que le GAEC LES FILS DE MARIUS AUDA doit délivrer à M. [O] [J] un bulletin de salaire portant mention des sommes allouées ainsi qu'un solde de tout compte et une attestation destinée au POLE EMPLOI rectifiés conformément au présent arrêt et ce, dans le délai de quinze jours suivant le présent arrêt, sous peine d'une astreinte de 50,00 euros par jour de retard,

- Condamne le GAEC LES FILS DE MARIUS AUDA à payer à M. [O] [J] la somme de 3000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit que le GAEC LES FILS DE MARIUS AUDA doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

F. PARADIS-DEISS J.L. THOMAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 16/06906
Date de la décision : 29/03/2018

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 17, arrêt n°16/06906 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-03-29;16.06906 ?
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