COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
8e Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 22 FEVRIER 2018
N° 2018/086
Rôle N° 16/02490
[X] [R]
[F] [P]
C/
S.A. BANQUE MARTIN MAUREL
Grosse délivrée
le :
à :
AMSELLEM
SIDER
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 31 Août 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 2014F03330.
APPELANTS
Monsieur [X] [R]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 1] (13)
demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Frédéric AMSELLEM, avocat au barreau de MARSEILLE
Madame [F] [P]
née le [Date naissance 2] 1978 à [Localité 2] (13)
demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Frédéric AMSELLEM, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
S.A. BANQUE MARTIN MAUREL, prise en la personne de son représentant légal, dont le siège est sis [Adresse 2]
représentée par Me Philippe-Laurent SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et assistée de Me Jean michel LOMBARD, avocat au barreau de MARSEILLE,
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 23 Janvier 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Isabelle DEMARBAIX, Vice-président placé auprès du premier président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Dominique PONSOT, Président
Madame Cathy CESARO-PAUTROT, Conseiller
Madame Isabelle DEMARBAIX, Vice-président placé auprès du Premier Président
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Février 2018
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Février 2018,
Signé par Monsieur Dominique PONSOT, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 31 août 2015 ayant notamment :
- débouté la SARL Azur Informatique Services, M. [X] [R] et Mme [F] [P] épouse [R] de leur demande de mise en cause des débiteurs cédés,
- condamné solidairement la société Azur Informatique Services , M. [X] [R] et Mme [F] [P] épouse [R] à payer à la SA Banque Martin Maurel la somme de 86.358,23 euros en principal, avec intérêts au taux légal à compter du 20 octobre 2014, date de la mise en demeure,
- condamné conjointement la société Azur Informatique Services , M. [X] [R] et Mme [F] [P] épouse [R] à payer à la SA Banque Martin Maurel la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné conjointement la société Azur Informatique Services , M. [X] [R] et Mme [F] [P] épouse [R] aux dépens,
- ordonné l'exécution provisoire pour le tout,
- rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires ;
Vu la déclaration du 12 février 2016 par laquelle M. [X] [R] et Mme [F] [P] ont relevé appel de cette décision ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 18 décembre 2017 aux termes desquelles M. [X] [R] et Mme [F] [P] épouse [R] demandent à la cour de :
- recevoir leur appel et le déclarer recevable et bien fondé,
- réformer le jugement entrepris,
- débouter la SA Banque Martin Maurel de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la SA Banque Martin Maurel à leur verser la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SA Banque Martin Maurel aux entiers dépens, dont distraction ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 22 juin 2016 aux termes desquelles la SA Banque Martin Maurel demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné solidairement M. [X] [R] et Mme [F] [P] au paiement de la somme en principal de 86.358,23 euros, avec intérêts de droit au taux légal, à compter du 20 octobre 2014, date de la mise en demeure,
- débouter les époux [R] en leurs fins, moyens et conclusions, les déclarant infondés et injustifiés,
- condamner les susnommés in solidum au paiement de la somme de 3.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
SUR CE, LA COUR,
Attendu que le 30 septembre 2003, la SA Banque Martin Maurel a ouvert dans ses livres un compte au profit de la société Azur Informatique Services, sous le n°10215501019 ;
Que par actes séparés des 20 juillet 2004 et 23 décembre 2008, M. [X] [R] et Mme [F] [R] se sont portés caution solidaire des engagements de ladite société dans la limite 198.000 euros, chacun ;
Que les 2 janvier et 10 avril 2014, la société Azur Informatique Services a cédé à la Banque Martin Maurel diverses factures, à titre d'escompte, dans le cadre de la loi Dailly n° 84-46 du 24 janvier 1984 ;
Que trois factures sont demeurées impayées pour un montant total de 65.796 euros ;
Que la société Azur Informatique Services ayant versé la somme de 8.547,77 euros, le solde dû a été ramené à hauteur de 57.248,23 euros ;
Qu'au regard des factures cédées impayées, d'un chèque rejeté le 8 décembre 2014 pour un montant de 29.110 euros, et du solde débiteur du compte courant de la société Azur Informatique Services, la dette totale de ladite société s'élève à la somme de 86.358,23 euros ;
Que par actes des 10 et 12 novembre 2014, la SA Banque Maurel a assigné en paiement la société Azur Informatique Services ainsi que les époux [R], en qualité de caution, afin d'obtenir leur condamnation solidaire à lui verser ladite somme ;
Que par jugement du 31 août 2015, le tribunal de commerce de Marseille les a condamnés solidairement à payer à la banque la somme de 86.358,23 euros ;
Que par décision du même jour, cette juridiction a placé la société Azur Informatiques Services en redressement judiciaire, procédure convertie en liquidation judiciaire le 15 février 2016 ;
Sur la disproportion de l'engagement de caution
Attendu que les époux [R] ne contestent pas le quantum de la créance réclamée par la banque, mais invoquent le caractère disproportionné de leur cautionnement par rapport à leurs revenus sur le fondement de l'article L. 341-4 du code de la consommation ;
Qu'ils reprochent à la banque d'avoir failli à son obligation d'inforrnation et de renseignement ;
Qu'ils soutiennent qu'au jour de la souscription de leurs engagements, ils n'avaient que de très faibles revenus puisqu'ils n'étaient pas imposables et que la société Azur Informatique Services était déjà en difficulté ;
Qu'ils font valoir que la banque, qui doit apporter la preuve des diligences accomplies, ne verse aux débats aucun élément de nature à établir que les cautions affichaient des revenus compatibles avec les engagements souscrits, ou à défaut, disposaient d'un patrimoine suffisant ;
Qu'ils précisent que leurs revenus sont actuellement très limités et qu'ils ne sont en mesure de satisfaire à leurs obligations, étant non imposables ;
Qu'ils ajoutent que le tribunal de grande instance de Marseille les a condamnés à verser à la société Monte Paschi Banque la somme de 91. 680,79 euros par jugement du 22 juin 2017, et qu'une autre procédure, initiée par la société HSBC à l'encontre de M. [X] [R], est actuellement pendante devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, visant à obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 195.000 euros en principal ;
Qu'ils affirment que le bien immobilier, appartenant à la SCI dans laquelle M. [R] détient des parts sociales, ne peut suffire à désintéresser les créanciers dans la mesure où il est grevé d'un prêt immobilier ;
Qu'ils demandent la réformation du jugement de première instance ;
Attendu en premier lieu que la SA Banque Maurel confirme que le quantum de la créance n'est pas contesté ;
Qu'en deuxième lieu, elle fait observer que le moyen de disproportion est invoqué pour la première fois en appel ;
Que bien que recevable, elle qualifie ce moyen de pure opportunité ;
Qu'elle soutient que la société Azur Informatique Services, gérée par M. [X] [R] depuis 2006, réalisait des profits substantiels et qu'elle disposait d'un important panel de clients dans le domaine de la maintenance informatique, parmi lesquels figurait une banque, en l'occurrence la Banque Maurel ;
Qu'elle ajoute que ladite société était in bonis lors du procès en première instance ;
Qu'elle indique que M. [R] détenait 380 parts sur les 500 constituant le capital social, élément patrimonial qui doit être pris en compte dans le cadre de l'appréciation des facultés contributives des cautions ;
Qu'elle précise que les époux [R] détiennent l'intégralité des parts sociales d'une société civile immobilière, propriétaire d'un bien immobilier d'une valeur conséquente, qui constitue, à ce jour, leur domicile conjugal;
Qu'elle estime que les concours consentis à la société Azur Informatique Services ont été adaptés aux capacités financières de ladite société et des cautions ;
Que les perspectives de développement de l'entreprise étaient réelles, compte tenu de la durée d'exploitation (plus de 13 ans) et des résultats obtenus ;
Qu'elle conclut à l'absence de disproportion des engagements de caution ;
Qu'en troisième lieu, la banque considère que les difficultés rencontrées par la société Azur Informatique Services sont imputables à M. [X] [R], qui a accepté d'escompter, dans le cadre de la loi précitée dite 'loi Dailly', des factures non causées ;
Attendu qu'aux termes de l'article L. 341-4 du code de la consommation, devenu l'article L. 332-1, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ;
Que la charge de la preuve du caractère manifestement disproportionné de l'engagement incombe à la caution ;
Que cette disproportion manifeste s'apprécie lors de la conclusion de l'engagement au regard d'une part, de la consistance de leur patrimoine ainsi que de leurs revenus et charges, et d'autre part, du montant global des engagements ;
Que dans le cas présent, par actes séparés des 20 juillet 2004 et 23 décembre 2008, M. et Mme [R] se sont portés caution solidaire des engagements de la société Azur Informatique Services dans la limite 198.000 euros, chacun ;
Qu'il résulte de l'avis d'imposition de l'année 2005 portant sur les revenus de 2004 perçus par M. [R], et contemporain de son engagement en qualité de caution, que celui-ci était célibataire et non imposable ; qu'il a déclaré un revenu annuel de 5.811 euros ;
Qu'il en va différemment dès l'année suivante puisque M. et Mme [X] [R], qui se sont mariés entre-temps, ont déclaré percevoir un revenu global annuel de 23.155 euros en 2005 et de 25.822 euros en 2006 au regard des avis d'imposition produits ;
Qu'il ressort de l'extrait K-Bis et des statuts mis à jour le 3 septembre 2003, communiqués par la Banque Martin Maurel, que la SARL Azur Informatiques, créée le 1er avril 1997, était gérée par M. [R], lequel détenait 380 parts des 500 constituant le capital social d'un montant de 7.622 euros ; qu'il n'est pas allégué que la valeur de l'actif net de ladite société aurait excédé notablement ce montant ;
Que si ces parts font partie du patrimoine devant être pris en compte, les époux [R] n'étaient à l'époque propriétaires d'aucun immeuble, et la proportionnalité de leur engagement ne pouvait être appréciée au regard des perspectives de développement de l'entreprise cautionnée, peu importe que les résultats escomptés soient réalisés ;
Qu'au regard de ces éléments, les engagements de caution, pris respectivement en 2004 et 2008 par M. [R] et Mme [R], dans la limite de 198.000 euros chacun, apparaissent manifestement disproportionnés à leurs biens et revenus ;
Attendu qu'au jour où ils sont actionnés en paiement, M. et Mme [X] [R] ont perçu des revenus à hauteur de 40.104 euros en 2012 et de 30.335 euros en 2013, au vu des avis d'imposition versés aux débats ;
Que leurs revenus leur ont permis d'acquérir par le truchement d'une société civile immobilière dénommée « Les deux Frères », créée le 23 décembre 2010, et dont ils détiennent la totalité des parts, un bien immobilier situé à [Localité 3] (1305), lieudit « [Adresse 3], qui constitue, à ce jour, leur domicile conjugal ;
Qu'il résulte des pièces versées en procédure que cette acquisition a été financée par un emprunt d'un montant de 260.000 euros, dont la déchéance du terme a été prononcée le 7 février 2015 ;
Que même si les époux [R] ont évalué ce bien à hauteur de 460.000 euros dans le cadre d'une autre instance (Cf. pièce n°8), la banque Martin Maurel ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, que leur patrimoine leur permettait de faire face à leurs engagements de caution, d'un montant de 198.000 euros, chacun ;
Qu'il échet en conséquence de les décharger de leur engagement et d'infirmer le jugement entrepris ;
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Attendu que la SA Banque Martin Maurel, qui succombe dans ses prétentions, doit supporter les dépens de la procédure d'appel;
Attendu que l'équité justifie d'allouer, en cause d'appel, à M. et Mme [X] [R] une indemnité au titre de l=article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions;
Et, statuant à nouveau,
DÉBOUTE la SA Banque Martin Maurel de ses demandes;
CONDAMNE la SA Banque Martin Maurel à payer à M. [X] [R] et Mme [F] [P] épouse [R] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toute autre demande des parties,
CONDAMNE la SA Banque Martin Maurel aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT