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18/01/2018 | FRANCE | N°16/14268

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 17e chambre b, 18 janvier 2018, 16/14268


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

17e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 18 JANVIER 2018



N° 2018/32



SP









Rôle N° 16/14268





SCP [K]-[V]-[T]-

[D]





C/



[F] [C] divorcée [Q]

































Grosse délivrée

le :

à :

Me Virginie POULET, avocat au barreau de NICE



Me Isabelle WILLM, avocat au

barreau de NICE











Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE - section E - en date du 07 Juillet 2016, enregistré au répertoire général sous le n° F 15/00521.







APPELANTE



SCP [K]-[V]-[T]-[D], demeurant [Adresse 1]



représentée par Me [K] et Me [...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

17e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 18 JANVIER 2018

N° 2018/32

SP

Rôle N° 16/14268

SCP [K]-[V]-[T]-

[D]

C/

[F] [C] divorcée [Q]

Grosse délivrée

le :

à :

Me Virginie POULET, avocat au barreau de NICE

Me Isabelle WILLM, avocat au barreau de NICE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE - section E - en date du 07 Juillet 2016, enregistré au répertoire général sous le n° F 15/00521.

APPELANTE

SCP [K]-[V]-[T]-[D], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me [K] et Me [D] comparants en personne, assistée de Me Virginie POULET, avocat au barreau de NICE, vestiaire : 487

INTIMEE

Madame [F] [C] divorcée [Q], demeurant [Adresse 2]

comparante en personne, assistée de Me Isabelle WILLM, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 07 Novembre 2017 en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller

Madame Sophie PISTRE, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Caroline LOGIEST.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Janvier 2018.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Janvier 2018.

Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Madame Caroline LOGIEST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Madame [F] [C] divorcée [Q] a été engagée par la SCP [K]-[V] [T]-[D], notaires, à compter du 16 janvier 2013, selon contrat à durée indéterminée, en qualité de comptable taxatrice, statut cadre C1 coefficient 220, à temps complet.

Au cours de l'été précédent, une inspection avait révélé plusieurs irrégularités comptables imputables à des salariés, qui ont depuis fait l'objet de licenciement disciplinaire. Parallèlement, l'étude a sollicité l'autorisation de l'inspection du travail de licencier la responsable du service, Madame [G], déléguée du personnel. À deux reprises cette autorisation a été refusée.

Soutenant rencontrer des difficultés économiques liées au ralentissement du marché de l'immobilier notamment, la SCP [K]-[V] [T]-[D] a mis en place au cours de l'été 2014 une procédure de licenciement économique collectif impliquant la suppression de trois postes à savoir un poste de clerc, et deux postes de comptable.

Après convocation par courrier du 16 juillet 2014 à un entretien préalable fixé au 1er août 2014, Madame [Q] a été licenciée pour motif économique. Elle a accepté le CSP le 12 août 2014.

Contestant le licenciement et réclamant le paiement d'heures supplémentaires non rémunérées, Madame [Q] a saisi le 23 avril 2015 le conseil de prud'hommes de Nice, lequel, par jugement du 7 juillet 2016, a jugé que le licenciement était justifié par des motifs économiques, a constaté la non information de la priorité de réembauche, a jugé que Madame [Q] avait subi un préjudice du fait qu'elle a perdu la chance de reprendre son activité professionnelle auprès de son ex employeur, a jugé qu'elle avait effectué des heures supplémentaires non payées de janvier 2013 jusqu'à la rupture du contrat de travail, et en conséquence, a condamné la SCP [K]-[V] [T]-[D] à lui régler les sommes suivantes :

'défaut de proposition de priorité de réembauche : 10 472, 66 euros

'dommages-intérêts pour perte de chance : 15 000 euros

'« Forfait heures supplémentaire » : 12 000 euros

'article 700 du code de procédure civile : 1500 euros.

Le conseil de prud'hommes a débouté les parties du surplus de leurs demandes et condamné la SCP [K]-[V] [T]-[D] aux entiers dépens.

La SCP [K]-[V] [T]-[D], à qui ce jugement a été notifié le 26 juillet 2016, à interjeté appel le 29 juillet 2016. (Appel partiel)

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

La SCP [K]-[V] [T]-[D], appelante, demande à la cour, par voie de conclusions déposées et développées oralement à l'audience de plaidoiries, de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a jugé le licenciement pour motif économique justifié, et de le réformer pour le surplus. La société [K]-[V] [T]-[D] demande à la cour de débouter Madame [Q] de l'intégralité de ses demandes, et de la condamner, outre aux entiers dépens, à régler la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Madame [F] [C] divorcée [Q], intimée, demande à la cour, par voie de conclusions déposées et développées oralement à l'audience de plaidoiries, de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a condamné la SCP [K]-[V] [T]-[D] à lui régler la somme de 10 472,66 euros en réparation de son préjudice au titre du défaut d'information de priorité de réembauche, en ce qu'il a reconnu le préjudice au titre de la perte de chance, reconnu la réalisation de nombreuses heures supplémentaires non rémunérées. Pour le surplus et statuant à nouveau, Madame [Q] demande à la cour de juger que la SCP [K]-[V] [T]-[D] n'a pas régulièrement consulté les représentants du personnel, de la condamner en conséquence à l'indemniser par la somme de 10 000 euros, de juger que le licenciement économique est sans cause réelle et sérieuse et qu'il est un licenciement de personne, à savoir Mme [G], et dont a été victime Mme [Q], de juger le comportement de la SCP [K]-[V] [T]-[D] déloyal, et de la condamner à régler la somme de 40 000 euros en réparation. Madame [Q] demande en outre à la cour de juger qu'elle apporte une preuve sérieuse de la réalisation d'heures supplémentaires, et de condamner la SCP [K]-[V] [T]-[D] à lui régler les sommes de 69 632 euros d'heures supplémentaires outre 6963,22 euros au titre des congés payés afférents et celle de 31 416 euros pour travail dissimulé. En tout état de cause, Madame [Q] demande à la cour de débouter la société [K]-[V] [T]-[D] de ses demandes et de la condamner à régler la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il y a lieu de se référer au jugement du conseil de prud'hommes et aux écritures déposées, oralement reprises.

SUR CE

Sur la demande de dommages-intérêts pour défaut de consultation des délégués du personnel

Il n'est pas discuté que la SCP [K]-[V] [T]-[D] a mené un licenciement économique collectif touchant trois salariés à savoir Mesdames [G], [Q] et [S].

Madame [G] invoque les dispositions des articles L 1233'10 du code du travail, et soutient que la communication aux représentants du personnel mise en 'uvre par l'employeur n'est pas conforme dès lors qu'elle ne contient pas les mentions rendues obligatoires par le code du travail.

La SCP [K]-[V] [T]-[D] répond que le procès-verbal établi et signé par les représentants du personnel atteste leur consultation conforme, et notamment de leurs observations concernant les critères d'ordre proposé par l'employeur, qu'ils ont décidé de modifier.

* *

La SCP [K]-[V] [T]-[D] verse aux débats la convocation qu'elle a adressée le 11 juin 2014 à Monsieur [I] et à Madame [J], délégués du personnel, (convocations remises en main propre contre décharge) pour se rendre à une réunion exceptionnelle des délégués du personnel qui se tiendra le 16 juin 2014 avec pour ordre du jour la consultation sur un projet de licenciement pour motifs économiques. Cette convocation énonce les raisons qui conduisent l'étude à envisager le licenciement économique (notamment « chute considérable d'activité ne permettant plus de faire face à l'ensemble des charges », « baisse de plus de 490 000 euros du résultat d'exploitation fin 2011 » etc.), le nombre de salariés concernés (3, à savoir au sein du service « rédaction actes courant » la suppression d'un poste de clerc, et au sein du service « comptabilité caisse » la suppression de deux poste de comptable), leurs catégories professionnelles (cadres, techniciens), les critères proposés pour l'ordre des licenciements (critères légaux en distinguant les branches d'activité principales de l'étude), le nombre de salariés permanents employés dans l'étude (14), le calendrier prévisionnel des licenciements et les mesures envisagées pour éviter le licenciement ou en limiter le nombre (proposition de reclassement d'aide comptable à temps partiel ou de comptable du service caisse, recherches de reclassement auprès du conseil régional du notariat et de la chambre départementale).

La SCP [K]-[V] [T]-[D] verse également le procès-verbal de réunion des délégués du 16 juin 2014, signé par l'ensemble des participants à savoir les deux délégués du personnel, et deux des trois notaires de l'étude. Il résulte de ce procès-verbal que les délégués du personnel, consultés sur le projet de licenciement, ont émis des propositions, et qu'il leur a été remis une notice d'information.

Ces documents, dont l'authenticité n'est pas discutée, démontrent le respect par l'employeur des dispositions des articles L 1233'8 et suivants, en ce que notamment dans la convocation, tous les renseignements utiles sur le projet ont été mentionnés et notamment les informations prévues à l'article L 1233'10, 1° à 6°.

L'irrégularité alléguée n'est pas démontrée. La demande de dommages-intérêts sera rejetée de ce chef.

Sur le licenciement

Au soutien de la contestation du licenciement, Madame [Q] soutient notamment que le motif réel du licenciement n'est pas économique, mais résulte de la volonté de l'employeur de procéder au licenciement de Madame [G], qui avait été refusé par l'inspection travail. Madame [Q] soutient que l'employeur a opté pour le licenciement économique de Madame [G] qu'elle a cru moins contestable et en tout cas réalisable, et qu'elle a décidé, par souci de cohérence, de procéder à un licenciement collectif visant également Madame [Q], une des dernières arrivées. Elle ajoute que la fonction de comptable taxateur est inhérente à l'existence même d'une étude de notaire et que dès lors ce poste ne pouvait absolument pas être supprimé ; qu'en réalité il n'a pas été supprimé puisque il a été repris d'apport par Madame [N] en CDD puis par Monsieur [W] comptable taxateur. Madame [Q] conteste en outre l'existence de sérieuses difficultés économiques soutenant notamment qu'elles étaient anciennes, et qu'il ne se dégageait pas un résultat d'exploitation négatif. Elle reproche enfin à l'employeur un manquement à l'obligation de reclassement.

En réponse, la SCP [K]-[V] [T]-[D] soutient que la suppression d'emploi ne correspond pas nécessairement une disparition des fonctions lesquelles peuvent être reprises par le dirigeant de l'entreprise ou être externalisées ; que le registre du personnel de l'étude atteste qu'aucun comptable n'a été embauché à la suite du licenciement de Madame [Q] ; que la Direccte n'a noté aucune irrégularité dans la mise en 'uvre de l'obligation de reclassement ; que l'ensemble des éléments comptables justifie de la réalité de l'ampleur des difficultés économiques ; que ni les délégués du personnel ni la Direccte n'ont émis de réserves sur la légitimité de la mesure.

* *

Alors que Madame [Q] soulève expressément le moyen de contestation selon lequel le motif réel du licenciement ne serait pas économique, la cour constate que la SCP [K]-[V] [T]-[D] s'abstient de répondre utilement sur ce point.

Il résulte des propres écritures de l'étude notariale que Madame [Q] a été engagée en urgence alors que la chef comptable de l'étude Madame [G] était en mise à pied conservatoire et que sa subordonnée venait d'être licenciée pour faute grave, après que de graves négligences aient été constatées dans le suivi de la comptabilité de l'étude, ayant conduit in fine à la mise sous curatelle de l'Office ; que « malgré la réalité des carences relevées dans les attributions qui lui étaient confiées et de son niveau de responsabilité, l'inspection a refusé d'autoriser le licenciement de Madame [G] » laquelle a donc réintégré l'étude début janvier 2013.

La SCP [K]-[V] [T]-[D] ne conteste pas les affirmations de Madame [Q] selon lesquelles l'étude a essuyé deux refus successifs de la part de l'inspection du travail, d'abord le 21 décembre 2012 et ensuite le 15 mai 2013.

Madame [Q] verse aux débats le compte rendu d'entretien préalable à son licenciement établi par Madame [F], salariée de l'étude l'ayant assistée, établi dans des termes qui ne sont pas contestés par la SCP [K]-[V] [T]-[D] :

« Madame [Q] demande : je ne comprends pas, je suis venue vous voir Me [K] et Me [D] à l'époque car Me [O] me faisait une proposition d'embauche et vous n'avez pas voulu me laisser partir, pourquoi '

Vous m'avez toujours dit le problème de l'étude avec [G] ne me concernait pas et pourtant aujourd'hui j'en subis les conséquences.

Me [K] répond :

La situation était différente car [G] était d'accord pour faire une rupture conventionnelle. Mais malheureusement, par la suite elle n'était plus d'accord et a refusé de signer la convention. Nous en sommes là à cause de [G]. (...)

Madame [Q] demande :

Pourquoi nous avoir embauché moi et [D] à ces salaires-là alors que la situation de l'étude était déjà difficile '

Me [K] répond :

Le poste de comptable était nécessaire et [G] ne devait pas revenir. (...) »

Il résulte de ce compte rendu que l'employeur a expressément fait le lien entre la procédure de licenciement dont Madame [Q] faisait l'objet et sa volonté d'obtenir une rupture du contrat de Madame [G] [G].

Il résulte en outre tant du registre du personnel que d'une attestation de Madame [F], que concomitamment au licenciement de Madame [Q], a été engagée en CDD à compter du 26 août 2014 Mme [N] en qualité de comptable, puis ensuite M. [W].

La cour retient dès lors que le motif réel du licenciement résulte du fait que l'employeur n'est pas parvenu à obtenir un licenciement de Madame [G] pour motif personnel ou une rupture conventionnelle. Ne pouvant mettre en 'uvre un licenciement économique concernant seulement Madame [G], qui était très ancienne dans l'étude, l'employeur a opté pour un licenciement collectif intégrant la dernière arrivée, à savoir Madame [Q]. Le motif économique n'étant pas le motif réel du licenciement, celui-ci est nécessairement privé de cause réelle et sérieuse.

Mme [Q], qui demande des dommages et intérêts à hauteur de 40 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne verse toutefois aucune pièce pour justifier de sa situation financière et professionnelle à la suite de la rupture du contrat de travail.

S'agissant d'une salariée ayant moins de deux ans d'ancienneté, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L 1232'5 du code du travail.

En considération de son âge comme étant née en 1963, de son ancienneté dans l'emploi et de ces éléments, le préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse sera intégralement indemnisé par l'allocation de la somme de 10 000 euros.

Sur la demande au titre du non-respect de la priorité légale de réembauche

En application des dispositions de l'article L 1233'16 du code du travail, la lettre de licenciement pour motif économique mentionne la priorité de réembauche prévue par l'article L 1233'45 et ses conditions de mise en 'uvre.

En l'espèce l'employeur ne prétend ni ne justifie avoir à un quelconque moment notifié à Madame [Q] qu'elle bénéficiait d'une priorité de réembauche pendant un délai d'un an à compter de la date de la rupture du contrat de travail, à condition d'en faire la demande au cours de ce même délai.

A l'examen du registre du personnel produit aux débats en original, la cour constate cependant que sont seulement intervenues les embauches suivantes dans l'année du départ de Madame [Q]:

'Madame [A] [N] en qualité d'employé comptable le 26 août 2014 : il s'agit du poste que la SCP [K]-[V] [T]-[D] avait préalablement proposé à Mme [Q] au titre du reclassement (poste non cadre) et que l'intéressée avait refusé

'Madame [P] [Z] en qualité de formaliste le 27 mars 2015 : cet emploi n'est pas de même nature que celui occupé par l'intimée.

Aucune embauche susceptible de devoir être proposée à Madame [Q] au titre de la priorité de réembauche n'étant intervenue dans l'année suivant le licenciement, le préjudice résultant du défaut d'information sera intégralement indemnisé par l'allocation de la somme de 300 euros.

Sur les heures supplémentaires et le travail dissimulé

Madame [Q] soutient que la vérification de la comptabilité, eu égard au caractère « colossal » de cette tâche, l'a contrainte à réaliser de nombreuses heures supplémentaires, et ce d'autant, comme le souligne la SCP [K]-[V] [T]-[D] elle-même, qu'elle a été recrutée « en urgence compte tenu de la mise à pied conservatoire de la chef comptable Madame [G], et que la subordonnée venait d'être licenciée pour faute grave » ; que contrairement à ce qui est soutenu, Madame [G] n'a pas continué à se charger des opérations de taxe, compte tenu de ses multiples absences (mise à pied, arrêts maladie, congé) et du fait que l'employeur lui a interdit l'accès au logiciel de la comptabilité lors de sa reprise ; que Madame [Q] s'est retrouvée seule à assumer la gestion comptable de l'étude et la vérification des actes antérieurs. Madame [Q] affirme qu'elle était soumise à une surcharge de travail quotidienne.

La SCP [K]-[V] [T]-[D] répond que Madame [Q] ne verse aux débats aucun élément de nature à étayer sa demande ; qu'il est indiqué dans le tableau produit qu'elle aurait commencé à travailler en novembre 2012 alors qu'en réalité elle n'a commencé à travailler au sein de l'étude qu'à compter du 15 janvier 2013 ; que ce document, fourni le jour de l'audience du conseil de prud'hommes, a été établi pour les besoins de la cause ; qu'ainsi par exemple le 20 mai 2013 elle affirme avoir travaillé 7 + 3 trois heures supplémentaires alors qu'elle était en congés payés ; que l'étude notariale n'est pas soumise aux dispositions de l'article D3171'8 du code du travail ; que les horaires de travail de Madame [Q] étaient bien stipulés dans son contrat ; que l'intéressée n'a jamais contesté, au cours des 18 mois qu'elle a passés au sein de l'étude, les heures travaillées alors pourtant qu'elle occupait des fonctions de comptable ; qu'elle n'était pas seule à travailler au service puisqu'une aide comptable travaillait et que Maître [V] elle-même s'était personnellement impliquée dans le reprise des dossiers. La SCP appelante invoque le caractère non probant et mensonger des témoignages versés aux débats par Madame [Q].

* *

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

En l'espèce, Madame [Q] produit les éléments suivants :

'des tableaux de feuilles de présence mentionnant, jour par jour, le nombre d'heures de travail

'l'attestation de Madame [H], formaliste, établie en ces termes : « je soussignée... salariée de la SCP [K]-[V] [T]-[D] du 4 septembre 2007 au 30 octobre 2013 atteste par la présence que Madame [F] [Q] a toujours fait son travail avec sérieux, n'hésitant pas à faire des heures supplémentaires pour assumer la charge de travail. En effet lorsque Madame [Q] est arrivée à l'étude le 1er janvier 2013 le service comptabilité était totalement désorganisé et beaucoup de retard s'était accumulé. Ce service où travaillaient encore quelque mois auparavant trois personnes s'est retrouvé au quatrième trimestre 2012 en totale panique en raison du départ de deux personnes sur trois (la chef comptable et l'une des deux aides comptables). Malgré l'embauche en dépannage d'une comptable à la retraite pour travailler avec l'aide comptable restante, le service restait perturbé, ces deux personnes n'arrivant pas à tout assumer (l'une étant dépassée et l'autre ayant des ennuis de santé). Les notaires ont alors demandé à Madame [Q] de venir avant son embauche effective ; ce qu'elle a fait au mois de novembre et décembre 2012. En effet, je la voyais le matin de très bonne heure (moi-même arrivant très tôt) où elle travaillait pendant près d'une heure avant d'aller à son travail dans une autre étude. Puis ayant moi-même des horaires aménagés où je travaillais le matin jusqu'à 14 heures non-stop, je la voyais revenir entre 12 heures et 14 heures pour aider. Lorsque Madame [Q] a pris son poste officiel de chef comptable, elle s'est totalement investie dans son travail. Son rythme est resté le même : elle a continué à faire des heures supplémentaires, elle restait quotidiennement entre 12 heures et 14 heures et travaillait sur son temps de pause. Elle ne sortait pas pour manger sur le pouce afin de reprendre plus tôt. J'ai même su qu'elle travaillait jusqu'à des heures très tardives le soir. La charge de travail était telle qu'elle ne pouvait pas faire autrement pour assumer le retard et tout le travail en cours. Bien sûr il restait Madame [N] [M] l'aide comptable, mais ses ennuis de santé perturbant son travail l'ont amenée à se retrouver en maladie, laissant pendant ces périodes Madame [Q] assumer à elle seule le travail de trois personnes. »

'L'attestation de Madame [F], clerc aux formalités qui a travaillé au sein de l'étude du 1er octobre 2013 au mois de juin 2016 en ces termes : « mon bureau se situant au premier étage comme le service comptable tenu par Madame [Q] à l'époque mais en plus je devais passer par son bureau car le mien était dans son prolongement. Je connaissais ses horaires car le matin quand j'arrivais à neuf heures cette dernière était là et quand je repartais au plus tôt à 18 heures elle était toujours là. (...) »

'L'attestation de Madame [S], employée de l'étude du 25 janvier 2011 au 31 août 2014 qui atteste que Madame [Q] faisait beaucoup d'heures supplémentaires arrivant souvent en avance le matin et partant systématiquement tard du travail tous les soirs.

'Le bulletin de salaire de décembre 2013 qui porte mention d'une prime de disponibilité d'un montant de 5236,33 euros représentant un mois de salaire brut.

Par ces pièces, Madame [Q] étaye sa demande quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

Bien qu'aux termes des dispositions de l'article L 3171'4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence d'heures de travail accompli, l'employeur doive fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, la cour constate que la SCP [K]-[V] [T]-[D] s'abstient de produire des éléments probants à ce titre.

C'est en outre vainement que l'étude notariale critique les preuves offertes par Madame [Q] dès lors que :

'si Madame [S] a en effet fait l'objet d'un licenciement pour motif économique, il est constant qu'elle n'a pas saisi de juridiction pour contester cette rupture, de sorte qu'il ne saurait être déduit de cette seule circonstance le caractère partial de son témoignage

'il ne peut pas plus être déduit du fait que Madame [H] n'a pas elle-même réclamé le paiement d'heures supplémentaires, que son témoignage ne présenterait pas toute garantie d'objectivité

'l'allégation selon laquelle Madame [F] avait obtenu l'accord des notaires pour arriver plus tard le matin et terminer plus tôt le soir n'est étayée par aucune pièce

'le fait que Madame [Q], pendant la relation de travail, n'ait pas formulé de réclamation au titre des heures supplémentaires est indifférent.

Alors en outre que les bulletins de salaire de Madame [Q] ne portent mention d'aucune heure supplémentaire, l'employeur n'apporte aucune explication au fait qu'il a cru bon, en décembre 2013, d'allouer à Madame [Q] une prime de disponibilité d'un montant conséquent de 5236,33 euros représentant un mois de salaire brut.

Enfin, la SCP [K]-[V] [T]-[D] ne contredit pas sérieusement le fait que Madame [Q] s'est retrouvée à gérer le service seule à certaines périodes, dès lors, d'une part qu'elle admet que Madame [Q] s'est retrouvée avec seulement une aide comptable (page 33 de ses conclusions oralement reprises), d'autre part qu'elle ne conteste pas que cette aide comptable a subi des arrêts maladie, et enfin qu'elle n'apporte aucun élément, en particulier des témoignages, pour justifier de son allégation selon laquelle Me [V] s'est impliquée personnellement dans la reprise des différents dossiers. Elle ne conteste pas plus que Madame [Q] s'est vue confiée la vérification de la comptabilité de l'étude, après avoir été recrutée en urgence alors que la chef comptable de l'étude (Madame [G]) était en mise à pied conservatoire et que sa subordonnée venait d'être licenciée pour faute grave (Page 2 des conclusions oralement reprises).

La cour retient en conséquence l'existence d'heures supplémentaires non rémunérées.

Après analyse des pièces produites, la cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour arrêter à 34 816 euros le rappel de salaire au titre des heures supplémentaires outre la somme de 3481, 60 euros au titre des congés payés afférents.

Alors que le témoignage de Madame [H], qui n'est pas combattu par les pièces produites par l'employeur, démontre que Madame [Q] a commencé à travailler en novembre et décembre 2012, l'absence de déclaration de Madame [Q] en qualité de salarié dès le mois de novembre 2012 et de paiement de toute rémunération pour cette période caractérisent de la part de l'employeur l'intention délibérée de se soustraire à ses obligations.

Il y a lieu dès lors de faire à la demande formée au titre de l'indemnité pour travail dissimulé qui est fondée tant dans son principe que dans son montant.

Sur la demande au titre de la perte de chance

Madame [Q] motive ainsi sa demande : « si le conseil (sic) considère que les motifs économiques sont fondés, il retiendra que Madame [Q] a été trompée par la SCP [K]-[V] [T]-[D] qui lui a caché sa situation de diminution d'activité devant l'amener à des suppressions d'emplois pour maintenir les rémunérations des dirigeants ». Elle invoque la proposition qu'elle a reçue en cours d'exécution du contrat, de la part d'un ancien employeur Madame [O], de reprendre son ancienne activité professionnelle.

Dès lors toutefois qu'il n'est pas retenu le caractère fondé des motifs économiques, et qu'il est au contraire établi que le licenciement de Madame [Q] avait pour réel motif la volonté de de rompre le contrat de Madame [G], il ne peut être fait grief à la SCP [K]-[V] [T]-[D] d'avoir omis d'informer Madame [Q] des difficultés économiques et de la diminution d'activité, lorsque celle-ci a prétendument été informée de la tentative de débauchage de Madame [Q] par son ancien employeur.

La demande ne peut prospérer.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

Il serait inéquitable de laisser supporter à Madame [Q] la charge des frais irrépétibles par elle exposés à l'occasion de la présente procédure. La décision du conseil de prud'homme qui a condamné la SCP [K]-[V] [T]-[D] à régler à Madame [Q] une somme au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, sera confirmée, sauf à en ramener le montant à la somme de 1000 euros. La SCP appelante sera en outre condamnée à régler la somme de 1500 euros sur ce même fondement au titre des frais irrépétibles d'appel.

Aucune considération d'équité ne commande en revanche de faire droit à la demande formée par la SCP [K]-[V] [T]-[D] sur ce même fondement.

Succombant, la SCP [K]-[V] [T]-[D] supportera les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale

Reçoit les parties en leurs appels

Sur le fond

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Nice du 7 juillet 2016 en ce qu'il a constaté la non information de la priorité de réembauche, en ce qu'il a jugé que Madame [C] divorcée [Q] avait effectué des heures supplémentaires, non payées, et en ce qu'il a condamné la SCP [K]-[V] [T]-[D] à régler une somme à Madame [F] [Q] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sauf à en ramener le montant à 1000 euros

L'infirme pour le surplus, et statuant à nouveau sur les points infirmés,

Juge sans cause réelle et sérieuse le licenciement de Madame [F] [C] divorcée [Q] par la SCP [K]-[V] [T]-[D]

Condamne la SCP [K]-[V] [T]-[D] à payer à Madame [F] [C] divorcée [Q] les sommes suivantes :

'300 euros de dommages-intérêts pour défaut d'information sur la priorité de réembauche

'10 000 euros bruts de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

'34 816 euros bruts à titre de rappel de salaire sur les heures supplémentaires outre 3480,60 euros de congés payés afférents

'31 416 euros d'indemnité pour travail dissimulé

'2000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne la SCP [K]-[V] [T]-[D] aux dépens de première instance et d'appel

Rejette toutes autres prétentions.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 17e chambre b
Numéro d'arrêt : 16/14268
Date de la décision : 18/01/2018

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 7B, arrêt n°16/14268 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-01-18;16.14268 ?
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