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14/12/2017 | FRANCE | N°15/18233

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 8e chambre c, 14 décembre 2017, 15/18233


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

8e Chambre C



ARRÊT AU FOND

DU 14 DECEMBRE 2017



N° 2017/ 513













Rôle N° 15/18233







Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENC E COTE D'AZUR (ALPES DE HAUTE PROVENCE-ALPES MARIT





C/



[K] [N] [L]





















Grosse délivrée

le :

à :

DUCRAY

SIMON-THIBAUD















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 10 Septembre 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 12/03212.





APPELANTE



Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur représentée par son représentant légal en exe...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

8e Chambre C

ARRÊT AU FOND

DU 14 DECEMBRE 2017

N° 2017/ 513

Rôle N° 15/18233

Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENC E COTE D'AZUR (ALPES DE HAUTE PROVENCE-ALPES MARIT

C/

[K] [N] [L]

Grosse délivrée

le :

à :

DUCRAY

SIMON-THIBAUD

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 10 Septembre 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 12/03212.

APPELANTE

Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur représentée par son représentant légal en exercice [Adresse 1]

représentée et assistée de Me Marc DUCRAY, avocat au barreau de NICE

INTIME

Monsieur [K] [N] [L]

né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 1] (ITALIE), demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et assisté de Me Rose-Marie FURIO-FRISCH, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 31 Octobre 2017 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Monsieur Dominique PONSOT, Président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Dominique PONSOT, Président

Madame Cathy CESARO-PAUTROT, Conseiller

Madame Claudine PHILIPPE, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Décembre 2017

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Décembre 2017,

Signé par Monsieur Dominique PONSOT, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Vu le jugement du tribunal de grande instance de Nice du 10 septembre 2015 ayant, notamment :

- condamné M. [F] [L] à payer à la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Provence Côte d'Azur au titre du premier prêt une somme de 25.967,99 euros outre les intérêts au taux contractuel à compter du 24 mai 2012 sur la somme de 21.790,70 euros ;

- condamné M. [F] [L] à lui payer au titre du 2ème prêt une somme de 11.930,64 euros avec intérêts au taux contractuel à compter du 24 mai 2012 sur la somme de 10.216,88 euros,

- condamné M. [F] [L] à lui payer au titre du 3ème prêt la somme de 20.710,24 euros

avec intérêts au taux contractuel à compter du 24 mai 2012 sur la somme de 18.138,80 euros,

- condamné M. [F] [L] à lui payer au titre du 4ème prêt la somme de 9.042,33 euros avec intérêts au taux contractuel à compter du 24 mai 2012 sur la somme de 8.144,79 euros,

- dit que la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur a violé son obligation de mise en garde à l'égard de son cocontractant, emprunteur non averti,

- l'a condamnée en conséquence à lui payer la somme de 66.903,92 euros à titre de dommages-

intérêts au titre de la perte de chance de ne pas contracter,

- débouté les parties de leurs autres prétentions plus amples ou contraires,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'une ou de l'autre des parties,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- fait masse des dépens et dit qu'ils seront partagés par moitié et recouvrés dans les formes et

conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Vu la déclaration du 15 octobre 2015, par laquelle la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur a relevé appel de cette décision ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 23 mars 2016, aux termes desquelles la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur demande à la cour de :

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

* condamné M. [K] [N] [L] à lui payer au titre du prêt d'un montant de 27.747 euros en date du 27 avril 2006 :

- Capital restant dû au 17 avril 2012 .............................. ..21.790, 70 euros

- Intérêts contractuels au 17 avril 2012 ............................ ..2.922, 27 euros

- Intérêts de retard au taux de 5.71% au 17 avril 2012 :.... ..1.111, 98 euros

- Intérêts de retard au taux de 5.71 %

Entre le 17 avril 2012 et le 24 mai 2012 .............................. ..143, 04 euros

Soit un total de ................................................................ ..25.967, 99 euros

Outre intérêts au taux de 5.71% à compter du 24 mai 2012 jusqu'au parfait règlement

* condamné M. [F] [L] à lui payer au titre du prêt d'un montant de 11.705, 69 euros en date du 28 avril 2006 :

- Capital restant dû au 17 avril 2012 ............................. .. 10.216,88 euros

- Intérêts contractuels arrêtés au 17 avril 2012 : ............. .. 1.000,31 euros

- Intérêts de retard au taux de 5.71% au 17 avril 2012 : .... .. 648,52 euros

- Intérêts de retard au taux de 5.71%

Entre le 17 avril 2012 et le 24 mai 2012 ............................... ..64, 93 euros

Soit un total de ............................................................... ..11.930, 64 euros

Outre intérêts au taux de 5.71% à compter du 24 mai 2012 jusqu'au parfait règlement,

* condamné M. [F] [L] à lui payer au titre du prêt d'un montant de 23.600 euros en date du 15 janvier 2008 :

- Capital restant dû au 17 avril 2012 .....................................18.138,80 euros

- Intérêts de retard au taux de 5.71% au 17 avril 2012 : ...... ..2.466,45 euros

- Intérêts de retard au taux de 5.71%

Entre le 17 avril 2012 et le 24 mai 2012 ................................. ..104,99 euros

SOIT UN TOTAL DE ........................................................ ..20.710,24 euros

Outre intérêts au taux de 5.71% à compter du 24 mai 2012 jusqu'au parfait règlement,

* condamner M. [F] [L] à lui payer au titre du prêt d'un montant de 11.285 euros en date du 15 janvier 2008 :

- Capital restant dû au 17 avril 2012........................................8.144,79 euros

- Intérêts de retard au taux de 5.71% au 17 avril 2012 : . ........ ..850,40 euros

- Intérêts de retard au taux de 5.71 %

Entre le 17 avril 2012 et le 24 mai 2012 ................................... ..47,14 euros

Soit un total .......................................................................... ..9.042, 33 euros

Outre intérêts au taux de 5.71% à compter du 24 mai 2012 jusqu'au parfait règlement,

- infirmer le jugement pour le surplus,

- dire et juger qu'il était un emprunteur averti et avait, en raison de ses revenus, de son patrimoine immobilier, de son expérience professionnelle, de l'absence de charges courantes, la capacité financière de faire face aux engagements souscrits,

- constater que les prêts n'étaient ni ruineux, ni excessifs,

- constater que le préjudice allégué n'est pas prouvé et n'est nullement en lien avec la faute prétendue de l'établissement bancaire,

Infiniment subsidiairement,

- constater que le montant des dommages et intérêts en cas de perte de chance de ne pas contracter ne peut être égal au montant des sommes dues,

En conséquence,

- débouter M. [K] [N] [L] de l'ensemble de ses demandes,

- le condamner au paiement de la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner en tous les dépens dont distraction ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 13 septembre 2017, aux termes desquelles M. [K] [N] [L] demande à la cour de :

- rejeter toutes demandes, fins de non-recevoir et prétentions de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur,

- dire et juger que la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur ne rapporte pas la preuve tant de la réalité que de l'exigibilité et du quantum des sommes réclamées en principal et intérêts et ce en l'absence de date certaine d'octroi des crédit, de bien fondé de la date de déchéance du terme, d'absence d'exigibilité contractuelle d'intérêts majorés et de relevés de compte justifiant de l'absence de prélèvement des échéances dont il est demandé paiement,

En conséquence,

- déclarer irrecevables les demandes de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur pour absence de preuve concernant sa créance,

- débouter la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur du chef de ses demandes en paiement de sommes non certaines, liquides et exigibles,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamné au paiement des échéances des différents prêts,

- dire et juger qu'il est un emprunteur profane, qui ne disposait que d'une expérience agricole,

- dire et juger que les crédits consentis de par leur nombre et leur rapprochement dans le temps étaient ruineux et abusifs,

- dire et juger que la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur a manqué à ses obligations de conseil, d'information et de mise en garde à son égard, dans le cadre de la prévention des risques liés à des emprunts pour les emprunteurs non avertis,

- dire et juger que la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur a commis une faute en octroyant quatre crédits ruineux au regard de l'absence de capacités de remboursement de l'emprunteur,

- dire et juger que la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur, à qui la charge de la preuve incombe, ne démontre pas l'absence de violation de son devoir de mise en garde de l'emprunteur,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu le préjudice qu'il subit et accordé des

dommages-intérêts à ce titre,

- condamner la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur à titre de dommages-intérêts en raison du préjudice qu'il subit, au paiement et par compensation de toutes les sommes qui pourraient être dues et lui réclamées par la banque au titre des quatre prêts contractés en principal et intérêts,

- condamner à titre de dommages et à lui payer la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

SUR CE, LA COUR,

Attendu que par acte sous-seing privé du 27 avril 2006, la société Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Provence Côte d'Azur (le Crédit Agricole) a consenti à M. [F] [L] un prêt d'un montant de 27.747 euros, destiné à financer l'achat d'un tracteur neuf Zetor avec remorque, remboursable en 7 échéances annuelles selon un taux de 3,85 % l'an ; que selon le tableau d'amortissement communiqué par le Crédit agricole en cours de procédure, ce prêt était remboursable selon une première échéance de 5.43l,l6 euros au mois de février 2008, puis 6 échéances annuelles de 4.597,32 euros ;

Qu'un avis de livraison daté du 9 mai 2006, mais ne comportant aucune précision sur la nature, le prix et la date de livraison du matériel concerné, a été signé par M. [F] [L] ;

Que par acte sous-seing privé du 28 avril 2006, le Crédit Agricole a consenti à M. [F] [L] un deuxième prêt de 11.705,69 euros pour l'achat d'un chargeur frontal avec fourche, remboursable en 7 échéances annuelles selon un taux d'intérêt de 3,85 % l'an ; que selon le tableau d'amortissement produit aux débats, ce prêt était remboursable selon une première échéance annuelle le 10 février 2008 de 2.291,25 euros suivie de 6 échéances annuelles de l.939,48 euros ;

Qu'un avis de livraison daté du 9 mai 2006, mais ne comportant aucune précision sur la nature, le prix et la date de livraison du matériel concerné, a été signé par M. [F] [L] ;

Que par acte sous-seing privé non daté, le Crédit Agricole a consenti à M. [F] [L] un prêt d'un montant de 23.600 euros pour le financement de l'achat d'un tracteur neuf, remboursable en une seule échéance annuelle le 25 octobre 2008 pour un montant de 24.093 euros ;

Qu'un avis de livraison daté du 17 octobre 2007, précisant le numéro de série, la date de livraison et le prix du matériel concerné a été signé par M. [F] [L] ;

Qu'enfin, par acte sous-seing privé non daté, le Crédit Agricole a consenti à M. [F] [L] un prêt de 11.285 euros pour financer l'achat d'un tracteur, d'un chargeur et d'un broyeur, pour un montant total hors taxes de 46.115 euros, remboursable selon un taux d'intérêt de 1,56 %, en une seule échéance annuelle le 25 octobre 2008 pour un montant de 11.585 euros ;

Qu'aucun bon de livraison n'est produit au dossier ;

Attendu que par courrier du 27 juin 2011, le Crédit Agricole a rappelé à M. [F] [L] qu'il lui avait consenti un prêt habitat de 17.500 euros, accusant un léger retard et les 4 prêts 'Agilor' susvisés, pour lesquels les retards constatés s'établissaient, respectivement, à 5.953,13 euros, 12.381,51 euros, 20.018,12 euros et 8.758,74 euros ;

Que le 6 avril 2012, le Crédit agricole a vainement mis en demeure le débiteur de lui régler, au titre des quatre prêts Agilor, une somme totale de 55.277,06 euros, correspondant aux retards accumulés ;

Que le 2 mai 2012, le Crédit agricole a informé M. [F] [L] qu'il ne souhaitait pas donner suite à sa proposition de solder le dossier moyennant le versement d'une somme de 36.568 euros, a constaté la déchéance du terme, et l'a mis en demeure de régler sous huitaine la somme de 67.437,08 euros ;

Que par acte du 12 juin 2012, le Crédit agricole a fait assigner M. [F] [L] devant le tribunal de grande instance de Nice, demandant sa condamnation au paiement des sommes suivantes :

-au titre du prêt de 27.474 euros, la somme de 25.967,99 euros outre les intérêts au taux contractuel à compter du 24 mai 2012 sur la somme de 21.790,70 euros ;

-au titre du prêt de 11.705,69 euros, la somme de11.930,64 euros avec intérêts au taux contractuel à compter du 24 mai 2012 sur la somme de 10.216,88 euros,

-au titre du prêt de 23.600 euros, la somme de 20.710,24 euros avec intérêts au taux contractuel à compter du 24 mai 2012 sur la somme de 18.138,80 euros,

-au titre du prêt de 11.285 euros, la somme de 9.042,33 euros avec intérêts au taux contractuel à compter du 24 mai 2012 sur la somme de 8.144,79 euros,

Que par un premier jugement du 28 janvier 2014, le tribunal de grande instance de Nice, statuant avant-dire droit, a ordonné la réouverture des débats et invité les parties à fournir des explications de fait sur le décompte des créances poursuivies, l'emploi fait par M. [F] [L] d'une subvention de 38.714 euros versée par le Conseil général des Alpes maritimes, et à produire les justificatifs des contrats de prêt ;

Que par le jugement déféré, le tribunal a accueilli les demandes en paiement concernant les quatre prêts, mais a considéré que la banque avait manqué à son obligation de mise en garde et l'a condamnée, en en ordonnant la compensation, à la somme de 66.903,92 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation de la perte de chance de ne pas contracter ;

Sur le montant de la créance du Crédit agricole

Attendu que M. [F] [L], appelant incident, soutient que les documents produits aux débats ne permettent pas de vérifier les sommes dont la banque réclame le paiement, et notamment pas les conditions dans lesquelles la déchéance du terme serait intervenue ; qu'il note également que les prêts n° 3 et 4 ne sont pas datés ; qu'ainsi, il serait impossible, selon lui, de savoir à quelle date les prêts ont été réalisés ;

Qu'il soutient également avoir procédé à des règlements qui n'auraient pas été pris en compte et souligne que les intérêts de retard réclamés ne ressortiraient d'aucun document contractuel ; qu'il constate, enfin, des écarts selon lui inexpliqués, entre les sommes demandées, ce qui traduit l'incohérence des demandes du Crédit agricole ;

Mais attendu que le Crédit agricole justifie de la réalité de sa créance par les pièces produites au dossier, et notamment le décompte fourni ; qu'ainsi que le relève le Crédit agricole, chacun des quatre contrats de prêt comporte, à l'article 5, une clause d'exigibilité anticipée (déchéance du terme) ainsi qu'à l'article 6 la perception d'intérêts de retard au taux légal au jour de l'impayé, majorés de 5 points ; que les écarts entre les sommes demandées sont la conséquence d'une actualisation du montant des créances, les intérêts ayant couru entre les dates concernées, expliquant l'écart de 143,04 euros dans un cas, et de 64,03 euros dans l'autre ; qu'il n'y a aucune conséquence à tirer de l'absence de date du contrat, la preuve de la remise des fonds, qui au demeurant n'a jamais été contestée, étant par ailleurs rapportée par la production des relevés de banque ; qu'enfin, l'absence de tableau d'amortissement ou de relevé d'échéance concernant les deux derniers prêts, de 23.600 et 11.285 euros, s'explique par le fait que ces prêts étaient remboursables en une seule échéance ;

Que le jugement sera confirmé de ce chef ;

Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts

Attendu qu'il sera tout d'abord relevé que le Crédit agricole ne soutient plus, dans le dernier état de ses écritures, que les demandes reconventionnelles présentées par M. [F] [L] seraient prescrites ;

Sur l'obligation de conseil

Attendu que dans le dernier état de ses écritures devant la cour, M. [F] [L] reproche pour la première fois au Crédit agricole de n'avoir pas attiré son attention sur le fait que l'assurance PTIA qu'il souscrivait ne couvrait pas certains risques, et de ne pas lui avoir conseillé de souscrire une assurance incapacité, la garantie incapacité temporaire de travail et la garantie invalidité temporaire ou partielle étaient exclues ;

Qu'il expose avoir été victime d'une lombo-sciatique hyperalgique (hernie discale) qui l'a invalidé pendant 6 mois, mais qui n'était pas couverte par l'assurance souscrite ; qu'il a dû embaucher un salarié et n'a pu rembourser les prêts ; qu'il rappelle que la jurisprudence impose au banquier qui propose de souscrire à un contrat groupe d'informer et de conseiller son client sur l'étendue des garanties contractuelles, compte tenu de sa situation personnelle, et que c'est au banquier de rapporter la preuve qu'il s'est acquitté de cette obligation ;

Que le Crédit agricole ne réplique pas sur cette demande nouvelle ;

Attendu que l'examen des documents produits aux débats révèle tout d'abord qu'aucun contrat d'assurance n'a été souscrit concernant les prêts n° 1, 2 et 4, les cases correspondantes du contrat de prêt n'ayant pas été remplies, d'où il suit que le moyen manque en fait en ce qui concerne ces trois contrats de prêt ; qu'en ce qui concerne le prêt n° 3 d'un montant de 23.600 euros, souscrit en octobre 2007, il apparaît qu'à cette date, les problèmes de dos dont a souffert M. [F] [L] étaient déjà déclarés, puisqu'il avait été placé en arrêt de travail à compter du 22 septembre 2007 et hospitalisé du 24 au 29 septembre ; qu'il ne démontre pas qu'en présence d'une pathologie ainsi déclarée, il aurait pu souscrire une assurance couvrant les conséquences d'un risque déjà réalisé ; que sa demande sera rejetée à ce titre ;

Sur l'obligation de mise en garde

Attendu que le Crédit agricole, appelant principal, reproche au jugement d'avoir constaté à son encontre un manquement à son devoir de mise en garde ;

Qu'il conteste, tout d'abord, le caractère d'emprunteur non averti de M. [F] [L] ; qu'il observe qu'au moment où il a souscrit les prêts, M. [F] [L] était âgé de 42 ans et était agriculteur depuis 16 ans, et considère que les agriculteurs sont désormais de véritables chefs d'entreprise ;

Que, d'autre part, les prêts dont il a bénéficié, sont des prêts spécialement conçus pour répondre aux besoins spécifiques des agriculteurs, permettant de financer du matériel de façon simplifiée ; que l'agriculteur est en relation directe avec le vendeur de matériel agricole, et l'établissement débloque ensuite les fonds après réception de l'avis de livraison signé par l'emprunteur ;

Que pour ces raisons, M. [F] [L] était le mieux placé pour déterminer l'utilité des financement sollicités et la nécessité d'acquérir ces matériels, et disposait de l'expérience professionnelle et des compétences suffisantes pour apprécier le contenu et la portée de ses engagements ;

Qu'en réponse, M. [F] [L] souligne qu'il est de nationalité italienne, n'est titulaire d'aucun diplôme, et exploite un petit fonds agricole, qu'il qualifie 'de subsistance' ; que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont considéré qu'il était un emprunteur non averti ;

Que, sur le fond, il estime que les financements octroyés n'étaient adaptés ni à sa situation, ni à la nature des investissements ; que ses revenus, d'environ 500 euros par mois, étaient très faibles et qu'il existait un véritable risque d'endettement ; que, d'autre part, ce type d'investissement doit se financer sur le long terme et non sur des durées aussi courtes ;

Qu'il ajoute que le Crédit agricole a commis deux erreurs dans l'appréciation de son patrimoine ; qu'il n'est tout d'abord pas propriétaire d'un appartement à [Localité 2] d'une valeur de 300.000 euros, mais ne possède qu'un quart de la nue-propriété de cet appartement, occupé par son père usufruitier est qui possède les 3/4 de la nue-propriété ; qu'il s'agit, qui plus est, d'un appartement de 40 m², vétuste, et qui, selon lui, ne vaut pas 300.000 euros ; que s'agissant de la propriété de [Localité 3], d'une valeur de 300.000 euros, elle appartient en propre à son épouse, pour l'avoir acquise avant le mariage ;

Attendu que l'établissement bancaire qui consent un crédit est tenu d'une obligation de mise en garde envers l'emprunteur non averti au regard des capacités financières de celui-ci et du risque de l'endettement né de l'octroi du prêt ; que le manquement à cette obligation ne peut se résoudre qu'en l'octroi de dommages-intérêts ;

Attendu, en premier lieu, que le Crédit agricole ne peut raisonnablement soutenir que M. [F] [L], de nationalité italienne et qui n'est titulaire d'aucun diplôme, quand bien même il serait établi depuis 16 ans en qualité d'agriculteur, serait un emprunteur averti ; que le Crédit agricole n'allègue ni ne démontre que M. [F] [L] aurait déjà eu recours à des crédits bancaires pour les besoin de son activité et qu'il aurait, à cette occasion, acquis les rudiments nécessaires à une bonne compréhension des mécanismes d'un prêt bancaire ;

Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a reconnu la qualité d'emprunteur non averti à M. [F] [L] ;

Attendu qu'en ce qui concerne l'appréciation des capacité financières de l'emprunteur, le Crédit agricole produit aux débats un document intitulé Revenus-charges et déclaration patrimoniale, établi le 31 juillet 2007 et signé de M. [F] [L] et de son épouse ; qu'en l'absence d'autre production, il apparaît tout d'abord que lors de l'octroi des deux premiers prêts, les 27 et 28 avril 2006, le Crédit agricole n'a pas fait remplir à M. [F] [L] une déclaration de patrimoine ; que, d'autre part, la cour s'étonne de constater que la déclaration de patrimoine souscrite le 31 juillet 2007 l'a été par les époux [F] [L], en qualité d'emprunteur et de co-emprunteurs, alors qu'il est constant que les prêts souscrits ultérieurement ne l'ont été, comme les premiers, que par M. [F] [L] ; que cette déclaration mentionne dans la rubrique 'Mensualité prêts sollicités' la somme de 281 euros, ce qui ne correspond aucunement aux deux prêts souscrits en octobre 2007, qui sont des prêts in fine, remboursables en une mensualité ; que cette fiche de renseignement a été manifestement établie pour les besoins d'un financement distinct, qui pourrait être le 'prêt habitat' de 17.500 euros mentionné par le Crédit agricole dans sa lettre de relance du 27 juin 2011, d'où il suit que le ratio d'endettement de 15,7 % mentionné sur cette fiche n'est d'aucune portée dans le cadre du présent litige ;

Que s'agissant des produits de l'exploitation agricole de M. [F] [L], les éléments produits aux débats se limitent aux déclarations fiscales établies par l'intéressé, qui font apparaître que celui-ci a déclaré, en 2006, 4.185 euros, soit 348,75 euros par mois, et en 2007 5.321 euros, soit 443,41 euros par mois ;

Qu'au vu des éléments qui précèdent, il apparaît que les prêts de 27.747 euros et de 11.705,69 euros, consentis, respectivement, les 27 et 28 avril 2006, qui représentaient une charge mensuelle totale de 643,53 euros la première année, puis de 544,73 euros pour les six années suivantes, créaient pour M. [F] [L] un risque d'endettement excessif contre lequel le Crédit agricole ne démontre pas avoir mis son client en garde ;

Que s'agissant, en revanche, des prêts de 23.600 euros et de 11.285 euros consentis en octobre 2007, il apparaît que M. [F] [L] a perçu du Conseil général des Alpes maritimes une subvention d'un montant de 38.714 euros qui lui a été accordée le 29 juin 2007 en vue de l'acquisition d'un tracteur, d'un chargeur et de matériel de fenaison ; qu'invité à s'expliquer sur l'emploi de ces sommes par les premiers juges, M. [F] [L] est demeuré taisant ; qu'il apparaît néanmoins que c'est en considération de cette subvention que les prêts souscrits en octobre 2007 ont été accordés, pour procéder à l'achat de matériel dont M. [F] [L] soutient qu'il n'avait pas obtenu livraison ; que la cour constate à cet égard que la lettre du président du conseil général des Alpes maritimes informant M. [F] [L] de l'octroi de cette subvention était en possession du Crédit agricole le 10 octobre 2007, ainsi qu'il résulte de l'horodatage figurant sur la télécopie qu'elle produit aux débats ; qu'il apparaît donc que les prêts accordés l'ont été en considération de cette subvention ; que, par ailleurs, le choix d'un prêt in fine remboursable en un an avait manifestement pour objectif de permettre la perception effective de cette subvention par son bénéficiaire ;

Qu'il en résulte que, s'agissant de ces deux prêts, M. [F] [L] ne démontre pas que ceux-ci auraient créé à son détriment un risque d'endettement, contre lequel le Crédit agricole aurait dû le mettre en garde ; que le jugement sera infirmé de ce chef ;

Qu'en ce qui concerne le préjudice, c'est à juste titre que le Crédit agricole fait valoir que le préjudice dont l'emprunteur peut réclamer réparation au titre d'un manquement au titre du devoir de mise en garde doit s'analyser en une perte de chance de ne pas contracter, laquelle ne peut être égale au montant des prêts consentis ;

Que la cour estimant élevée la probabilité que M. [F] [L] n'ait pas contracté les prêts consentis en avril 2006, dans les conditions où ces prêts ont été octroyés, s'il avait été mis en garde contre le risque d'endettement excessif en découlant, la perte chance sera évaluée à 25.000 euros ; que le jugement sera émondé à due concurrence ;

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Attendu que chaque partie succombant partiellement dans ses prétentions, chacune conservera la charge de ses propres dépens ;

Attendu que l'équité ne justifie pas de faire application en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement rendu le 10 septembre 2015 par le tribunal de grande instance de Nice, sauf en ce qui concerne la demande reconventionnelle en dommages-intérêts formée par M. [F] [L] ;

STATUANT à nouveau de ce chef,

-DIT que le Crédit agricole n'a pas manqué à son devoir de mise en garde s'agissant des prêts d'un montant de 23.600 euros et de 11.285 euros consentis en octobre 2007 ;

-DIT que le préjudice résultant du manquement du Crédit agricole à son devoir de mise en garde dans l'octroi des prêts d'un montant de 27.747 euros et de 11.705,69 euros consentis, respectivement, les 27 et 28 avril 2006, s'analyse en une perte de chance ;

-CONDAMNE la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur à verser à M. [K] [N] [L] la somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de cette perte de chance ;

-ORDONNE la compensation de ces sommes avec celles mises à la charge de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur par les premiers juges et non remises en cause par le présent arrêt ;

Y AJOUTANT

-DÉBOUTE M. [F] [L] de ses demandes au titre d'un manquement au devoir de conseil ;

REJETTE toute autre demande des parties, et notamment celles fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens d'appel ;

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 8e chambre c
Numéro d'arrêt : 15/18233
Date de la décision : 14/12/2017

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 8C, arrêt n°15/18233 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-12-14;15.18233 ?
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