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13/10/2017 | FRANCE | N°15/08174

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 18e chambre, 13 octobre 2017, 15/08174


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre



ARRÊT AU FOND

DU 13 OCTOBRE 2017



N°2017/445

TC













Rôle N° 15/08174







[M] [H]





C/



EURL JEMPILA













































Grosse délivrée le :

à :



Me Sébastien MOLINES, avocat au barreau de GRASSE
r>

Me Cedrick DUVAL, avocat au barreau de MARSEILLE



Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :



Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FREJUS - section C - en date du 02 Avril 2015, enregistré au répertoire général sous le n° 14/339.





APPELANTE



Madame [M] [H], demeurant [Adresse 1...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 13 OCTOBRE 2017

N°2017/445

TC

Rôle N° 15/08174

[M] [H]

C/

EURL JEMPILA

Grosse délivrée le :

à :

Me Sébastien MOLINES, avocat au barreau de GRASSE

Me Cedrick DUVAL, avocat au barreau de MARSEILLE

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FREJUS - section C - en date du 02 Avril 2015, enregistré au répertoire général sous le n° 14/339.

APPELANTE

Madame [M] [H], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Sébastien MOLINES, avocat au barreau de GRASSE

INTIMEE

EURL JEMPILA, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Cedrick DUVAL, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 07 Septembre 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Thierry CABALE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Chantal BARON, Présidente de chambre

Monsieur Thierry CABALE, Conseiller

Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Octobre 2017

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Octobre 2017

Signé par Madame Chantal BARON, Présidente de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Madame [M] [H] a été embauchée par la société à responsabilité limitée à associé unique Jempila, ayant un effectif de moins de onze salariés, holding créée en 2012 par son gérant, Monsieur [H] [Y], dirigeant du groupe comprenant trois sociétés filiales assurant la gestion de trois établissements à l'enseigne 'Mac Donald' à [Localité 1], [Localité 2] et [Localité 3], le 12 mars 2012, avec une reprise de son ancienneté acquise dans des fonctions de même nature depuis le 13 septembre 2004, au poste de responsable marketing niveau IV, échelon 1 de la convention collective nationale de la restauration rapide, moyennant une rémunération mensuelle brute de 2214,38 euros pour 151,67 heures de travail par mois.

Par lettre du 19 mai 2014, Madame [H] a été mise à pied à titre conservatoire et convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 28 mai 2014 et qui a été suivi de son licenciement pour insubordination et insuffisance professionnelle par lettre recommandée avec avis de réception du 10 juin 2014.

Madame [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Fréjus le 7 juillet 2014, qui, aux termes d'un jugement rendu le 2 avril 2015, l'a déboutée de toutes ses demandes, dont celles au titre d'un harcèlement moral, d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'un prêt de main d'oeuvre illicite et du délit de marchandage, a débouté la société Jempila de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné la salariée aux dépens.

Le 24 avril 2015, dans le délai légal, Madame [M] [H] a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Aux termes de conclusions écrites déposées le jour de l'audience, visées par le greffe, développées oralement et auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, Madame [M] [H] sollicite de la cour qu'elle réforme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, qu'elle condamne la société Jempila à lui payer, avec les intérêts au taux légal, capitalisés annuellement, à compter du 7 juillet 2014, les sommes de :

- 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour prêt de main d'oeuvre illicite,

- 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du délit de marchandage,

- 53.145 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de causé réelle et sérieuse.

Elle sollicite en outre de la cour qu'elle ordonne la remise de bulletins de paie et documents sociaux rectifiés, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt, sans limitation de durée, outre qu'elle condamne l'employeur à lui payer la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Madame [M] [H] soutient:

- que la présomption de harcèlement moral résulte du comportement du gérant de la société qui lui a imposé d'effectuer le travail, qui ne relevait pas de ses fonctions, d'une équipière, pour assurer un service au comptoir des restaurants durant les 'rushs', tel qu'en témoignent plusieurs salariés et anciens salariés, non-sérieusement contredits par l'attestation du directeur d'un établissement détenu par une autre société de Monsieur [Y] ni par le témoignage de sa remplaçante au poste de responsable marketing; de l'attitude du même gérant qui lui a imposé, en mars 2014, de saisir des formulaires papiers des clients dans le cadre du programme de fidélité, alors qu'une telle tâche, qui augmentait sa charge de travail au point de la surcharger, relevait des assistantes administratives, puisqu'elle n'était chargée que de les contrôler et les mettre à jour, ce que ne peut justifier le fait que d'autres personnes étaient mises à contribution, dont le propre fils du gérant, non-salarié de la société; de l'agressivité et du dénigrement du même gérant lorsqu'elle prenait les commandes au comptoir, une salariée l'ayant entendu dire: 'tu ne l'as pas entendu ronfler ''; de criques de son travail sans fondement en l'accusant de lui faire perdre son temps par mail du 7 mai 2014 et de trouver ses idées sur internet, par mail du 29 avril 2014; de la gestion de ses congés payés dès lors qu'il l'a faite revenir un jour avant la fin de ses congés en avril 2014, ce qu'elle a dénoncé par lettre du 3 mai 2014, et qu'il lui a imposé de décompter ses congés en jours ouvrés, rompant avec un décompte en jours ouvrables conforme à l'article L 3143-3 du code du travail; alors que l'employeur, alerté sur des faits de harcèlement et invité par l'inspection du travail à lui communiquer le rapport d'enquête et les mesures de prévention prises, n'a donné aucune suite et lui a imposé un entretien informel du 9 mai 2014 au cours duquel il s'est emporté et a fait preuve d'une particulière agressivité qui lui a fait craindre une atteinte à son intégrité physique, ce qui l'a conduite à déposer deux nouvelles mains courantes,

- que la procédure de licenciement, qui a donné lieu à une mise à pied conservatoire, est disciplinaire dans son ensemble, ce dont il résulte que les griefs invoqués sont prescrits pour remonter à l'année 2013,

- que les griefs ne sont pas fondés compte tenu de l'absence d'acte d'insubordination tiré du refus de réaliser des tâches qui ne lui incombaient pas et qu'elle ne pouvait accomplir sans surcharge de travail et nécessité de réaliser des heures supplémentaires qui ne lui étaient pas autorisées, mais également du défaut de preuve de l'insuffisance professionnelle alléguée par l'employeur, alors qu'elle même justifie par des mails et des échanges, du nombre considérable de partenariats concrétisés dès lors qu'ils étaient validés par le gérant, de la communication de données chiffrées depuis 2012, d'actions pour cibler et étudier la clientèle, de la gestion effective du budget marketing qui ressort de tableaux communiqués à l'employeur pour les années 2013 et 2014, d'une veille et alerte sur la concurrence, de la communication aux personnes concernées des dates et lieux de formation,

- qu'elle justifie de son préjudice consécutif à la rupture abusive compte tenu de recherches d'emplois infructueuses, du remboursement difficile d'un crédit immobilier, d'un emprunt à une amie pour subvenir à ses besoins et de lourdes conséquences sur sa santé,

- que le prêt de main d'oeuvre illicite est caractérisé dès lors que l'employeur lui imposait des tâches d'équipière sans rémunération complémentaire dans les trois restaurants des sociétés filiales, faisant ainsi l'économie d'embauches, financièrement et socialement coûteuses, et gagnant en flexibilité,

- que le délit de marchandage résulte du prêt de main d'oeuvre lucratif et du préjudice qu'elle a subi lié à une surcharge de travail et à l'absence de perception de la moindre somme en compensation du surplus d'activité.

Aux termes de conclusions écrites déposées le jour de l'audience, visées par le greffe, développées oralement et auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, la société Jempila sollicite de la cour qu'elle confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, qu'elle déboute Madame [H] de toutes ses demandes et qu'elle la condamne à lui payer la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La société fait valoir:

- que, dans le cadre de ses fonctions de responsable marketing, détaillées dans son contrat de travail et dans une fiche de poste, la salariée devait aider au développement économique de chaque filiale, ce qui comprenait, comme pour son ancien employeur et sans surcharge de travail ni nécessité de faire des heures supplémentaires, d'une part, ce que confirme sa remplaçante, un contact régulier avec la clientèle des restaurants afin de recueillir l'avis et le ressenti sur les campagnes mises en oeuvre au plan local comme national, ce que permettait une implication très ponctuelle en restaurant et uniquement en caisse afin de mesurer directement les remarques des clients et prendre en compte leurs attentes, étant chargée de traiter les plaintes des clients et de former les hôtesses, d'autre part, des tâches administratives intrinsèquement liées à son emploi et à son niveau de classification intermédiaire d'agent de maîtrise, dont l'établissement, la distribution, la saisie et le suivi informatique de cartes entreprises, soit des fichiers clients objets d'un mail du 4 juin 2012, puis, sur demande de son employeur par mail du 16 novembre 2012, une aide, qu'elle avait acceptée par mail du même jour, dans la saisie des cartes de fidélité confiée à une collègue et à laquelle contribuaient toute l'équipe de direction, le gérant et sa famille, saisies qu'elle a adressées par mail le 3 décembre 2012 et qu'elle n'a contestées que deux ans après, par mail du 14 avril 2014, dans lequel elle prétend, à tort dès lors qu'il s'agissait de réaliser la base de données clients, que cette tâche relève des assistantes administratives des restaurants, ce qui caractérise l'insubordination reprochée,

- que l'insuffisance professionnelle, au vu de mails et de courriers, notamment aux fins de relances, découle de l'absence d'analyse, de présentation et de méthodologie; ainsi, le 4 octobre 2012, l'employeur a dû lui rappeler qu'elle devait se rendre disponible chaque mardi pour le rencontrer; ce même mois, elle a créé des visuels sans faire valider au préalable par les directeurs, les prix de vente et les marges; un échange de mails du 16 octobre 2012 démontre qu'elle n'avait pas validé un recueil d'informations nominatives des clients sur des fichiers informatiques qui ne respectaient pas la réglementation fixée par la Cnil; à cette même date, il lui a été indiqué que des coupons distribués aux clients avaient un visuel défectueux; le déficit d'organisation récurrent a contraint les directeurs des restaurants à lui réclamer des prévisionnels des actions marketing, ce qui a fait l'objet d'une demande par mail du 3 décembre 2012 pour les années 2012 et 2013, auquel elle a répondu en envoyant un prévisionnel pour la période de janvier 2013 à 'décembre 2012"; elle ne s'est pas rendue disponible pour assister à une réunion de présentation d'objectifs pour l'année 2013 qui devait se dérouler les 24 et 25 janvier et elle n'a pas pu être jointe pour une réunion spécifique de substitution; le 27 février 2013, à l'occasion de mails sur la politique des prix, elle a indiqué un prix de 6,40 € au lieu de 6,60 € s'agissant du menu 'best of'; en mai 2013, un directeur s'est étonné de l'absence de communication du programme de formation d'un employé relevant des fonctions de la salariée; le 13 mars 2013, il lui a été rappelé qu'elle devait intervenir s'agissant d'un panneau publicitaire chiffonné et illisible; ce n'est que le 29 janvier 2014 et sans analyse approfondie qu'elle a imaginé des actions pour la Saint-Valentin; le 12 février 2014, elle a été contraint de rappeler à la salariée qu'elle devait donner son avis sur l'utilité d'un partenariat avec l'armée; le 16 février 2014, la salariée n'a pas répondu aux demandes d' analyse et de comparaison de prix; en mars et avril 2014, elle n'a pas assuré le suivi de ses actions, notamment en ne formant pas les équipes pour l'opération concernant la fêtes des mères; en avril 2014, elle n'a pas donné suite à un contact avec un responsable d'Aqualand et elle a communiqué des informations insuffisantes sur les prix affichés par la concurrence; en mai 2014, elle dû être relancée pour proposer des actions anti-concurrence;

- que des faits de harcèlement moral allégués par la salariée en réaction à des demandes objectives de son employeur à l'occasion d'évaluations et d'échanges par mails, ne peuvent résulter de mains courantes imprécises et non étayées par des éléments médicaux, sur les agissements dénoncés, ni d'attestations insuffisamment circonstanciées sur des propos tenus à une seule occasion et qui sont contestés, ni de critiques non-fondées sur la prise de congés qu'elle gérait de manière autonome avec une organisation favorable, ni de mails qui font ressortir la manière objective avec laquelle il était répondu à ses accusations,

- que la société mère, qui intervient comme animatrice du marketing du groupe, et qui n'avait pas à établir une convention de mise à disposition de personnel, n'a pas tiré profit d'une situation inhérente aux fonctions de la salariée, ce qui exclut tout prêt de main d'oeuvre prohibé,

- que la salariée ne justifie pas de ses préjudices.

MOTIFS :

Sur le harcèlement moral:

En application des dispositions de l'article L 1152-1 du code de travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique et mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article susvisé; dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au soutien de sa demande au titre du harcèlement moral, Madame [H] verse aux débats:

- treize attestations de salariés et d'anciens salariés situés à différents niveaux hiérarchiques des sociétés filiales, mais aussi de clients, d'où il ressort que lors de ses visites dans les trois restaurants et en période de 'rushs', Madame [H] effectuait des tâches d'équipière en prenant des commandes au comptoir,

- le témoignage d'une ancienne équipière du restaurant de Fréjus qui déclare, parlant de la salariée : 'Elle subissait des remarques de la part de la direction et en particulier du franchisé si elle s'opposait à effectuer ses taches d'employée polyvalente.', et celui d'une autre salariée qui indique : 'Monsieur [Y] s'acharnait à faire du sarcasme concernant le travail de Madame [H] en dénigrant celui-ci. Il faisait des remarques du type 'tu ne l'as pas entendu ronfler'',

- une lettre qu'elle a adressée le 24 juin 2013 à la Direccte pour dénoncer le comportement de l'employeur lui imposant notamment des tâches d'employée polyvalente tous les jours dans les restaurants de 11h30 à 13h30 afin de diminuer sa main d'oeuvre au détriment de ses fonctions de responsable marketing,

- sa lettre recommandée avec avis de réception datée du 15 avril 2014, reçue par l'employeur, par laquelle elle sollicite en réponse dans la même forme, d'une part, suite à un 'ultimatum' visant à lui imposer, au moyen de mails reçus entre le 5 et le 12 avril 2014, 'des tâches d'assistante administrative', la mention de ' ces nouvelles attributions selon les nécessités de la société Jempila', dans le respect de ses compétences et de sa classification, d'autre part, le calcul de ses congés payés annuels soit en jours ouvrés, soit en jours ouvrables, les autres sociétés du groupe calculant ces congés en jours ouvrés,

- une lettre adressée le 15 avril 2014 par l'inspection du travail à l'employeur afin que celui-ci lui fasse connaître dans les plus brefs délais, suite à une demande d'intervention de la salariée concernant des faits susceptibles d'être qualifiés de harcèlement moral, les mesures prises pour se conformer à la réglementation visée en la matière en lui communiquant le rapport de son enquête ainsi que les mesures de prévention qu'il a arrêtées pour faire cesser la situation dénoncée,

- des fiches de mains courantes déposées en mars 2014 et en mai 2014 dans lesquelles elle se plaint du comportement de son employeur: critiques négatives répétées; isolement et mise à l'écart, notamment lors de réunions; dévalorisation auprès de ses collègues; opposition systématique à ses propositions; paroles irrespectueuses en lui reprochant son incompétence, de ne servir à rien, de ne pas être agréable; tentative pour la pousser à partir l'ayant conduit à lui proposer, lors d'un entretien de performance du 28 mars 2014, une rupture conventionnelle; agressions verbales par mails et lors d'un entretien du 9 mai 2014 au cours duquel il lui reproche de l'accuser de harcèlement moral, d'en avoir informer l'inspection du travail et de demander des attestations, outre de ne rien faire dans les restaurants,

- un mail de l'employeur du 29 avril 2014 lui répondant notamment, après réception d'un mail détaillant une opération 'fêtes des mères' dans les restaurants: 'T bien [M]. Bonnes idées trouvées sur internet.',

- sa lettre recommandée du 3 mai 2014 dénonçant à l'employeur des anomalies en matière de congés payés et le silence de celui-ci sur leur calcul, en jours ouvrés ou en jours ouvrables,

- un mail de l'employeur du 7 mai 2014 dans lequel il indique perdre son temps suite à un échange de mails sur une proposition de partenariat avec le régiment d'infanterie de [Localité 4] qu'il juge sans intérêts en raison de la présence d'autres restaurants de l'enseigne dans ce secteur géographique.

Si les faits relatifs aux congés payés ne sont pas matériellement établis, l'employeur ayant répondu à suffisance sur les points soulevés par la salariée, notamment aux termes d'un mail du responsable administratif du 7 mai 2014, il résulte de l'ensemble de ces éléments, pris dans leur ensemble, une présomption de harcèlement moral.

L'employeur réplique que les tâches ponctuelles de saisies et d'équipière confiées à la salariée relevaient de ses fonctions, quand de telles tâches, sur lesquelles, d'ailleurs, elle n'a jamais été évaluée, n'ont pas été expressément prévues dans un document contractuel et qu'il ne résulte pas des éléments fournis qu'impliquaient leur réalisation l'exécution des missions énumérées dans son contrat de travail, dont la mise en place des actions de marketing, pour développer l'image de la marque, ou la gestion des plaintes de clients, alors qu'il appartenait à Madame [H], en tant que 'responsable marketing', conformément à la classification de son emploi, d'une part, de contrôler, de corriger, de mettre à jour et de suivre les fichiers clients, peu important qu'à titre exceptionnel et sur une période très courte en fin d'année 2012, elle ait accepté de saisir une partie des données des cartes de fidélité, le travail de saisie ayant été confié par la suite à des assistantes administratives jusqu'en début d'année 2014, date à laquelle l'employeur lui a demandé de 'leur donner un coup de main' pour saisir les fiches clients, tel qu'indiqué dans le mail de celui-ci du 12 avril 2014, en justifiant sa décision par la charge de travail des assistantes administratives et, de manière encore plus surprenante, par la contribution de sa propre famille, d'autre part, de se déplacer dans les trois restaurants gérés par les filiales pour mettre en place les opération de marketing, assurer la visibilité de l'enseigne lors d'événements et la mise en oeuvre de la communication, également afin d'assurer la formation des équipes d'accueil, ce à quoi était étrangère sa participation, résultant d'une décision unilatérale de l'employeur, à la prise de commandes au comptoir en milieu de journée, moment de forte affluence, lors de ses fréquentes visites dans les trois établissements, sans modification de la durée du travail ni de la rémunération, maintenue en dépit des contestations de la salariée, qui assumait seule la responsabilité du marketing de l'ensemble du groupe, et d'une alerte de l'inspection du travail à laquelle il n'a donné aucune suite.

Il est encore répondu que les déclarations de Madame [H] faites devant les policiers constitueraient autant de réactions à des observations et critiques objectives et proportionnées de son travail, alors que les faits dénoncés font échos à ceux dont témoignent d'autres employés ainsi qu'au contenu de certains mails où le gérant se montre régulièrement très critique, agacé, péremptoire, voire ironique, à propos notamment de propositions d'actions de marketing ciblées ou de mise en place de certains partenariats que la salariée relayait, de manière plus ou moins commentée en fonction de la nature de ses avis, puisqu'elle n'avait pas le pouvoir d'en décider de manière autonome.

L'employeur invoque en outre l'absence d'éléments médicaux quand l'existence de ceux-ci n'est pas nécessaire à la présomption de harcèlement moral et peut déprendre de la capacité de résistance, comme du mode de fonctionnement individuel.

En conséquence,

l'employeur, qui n'apporte pas la preuve que les agissements matériellement établis ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, sera condamné à payer à Madame [H], en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral, la somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur le licenciement:

Il ne peut être reproché à la salariée d'avoir commis un acte d'insubordination, faits non-prescrits en application de l'article L 1332-4 du code du travail à la date de l'engagement des poursuites le 19 mai 2014, en ayant refusé, en avril 2014, de saisir des fiches clients dans la base de données, dès lors que la cour a considéré, au vu des éléments fournis, que cette tâche n'entrait pas dans les attributions de Madame [H] et qu'il importait peu que celle-ci ait accepté d'y participer dans un premier temps de manière exceptionnelle et dans un court délai, et que d'autres personnes, salariées ou non, aient été mises à contribution.

La lettre de licenciement mentionne en outre une insuffisance professionnelle en énumérant une liste de manques professionnels qui, qualifiés de sérieux et persistants, et devant reposer sur des éléments précis, objectifs et imputables à la salariée, n'en restent pas moins étrangers à la matière disciplinaire et non-soumis aux prescriptions prévues par les articles L 1332-4 et suivants du code du travail.

En référence aux entretiens d'évaluation des 29 mars 2013 et 28 mars 2014, l'employeur indique avoir mis en évidence une insuffisance dans plusieurs domaines et qu'au titre de l'année 2014, la salariée a multiplié les marques d'insuffisance, de désintérêt et de retards dans l'accomplissement de ses missions:

- ' accueil des clients: manque de réactivité, aucune construction particulière avec les équipes d'hôtes/ses des restaurants':

Alors que l'employeur n'étaye cette insuffisance alléguée par aucun fait précis et se borne à évoquer 'peu ou pas de réunions avec les directeurs et les hôtes/ses', et qu'il lui reproche par ailleurs d'avoir tenu ce type de réunion le 23 octobre 2012 au sein du restaurant de [Localité 1], en lieu et place de la réunion hebdomadaire qu'il organisait quasiment chaque mardi, la salariée justifie pour sa part, au moyen de nombreux mails clairs, précis et détaillés envoyés aux différentes directions, de nombreuses réunions régulières 'hotes/ses' et des comptes rendus de réunions.

- 'aucune interview client pour faire progresser l'entreprise':

La salariée justifie de nombreuses études de produits et d'actions marketings.

- 'Une quasi absence de données chiffrées sur les impacts des actions marketing sur le développement des ventes de chaque restaurant'; 'vous n'avez jamais su nous communiquer les données chiffrées sur l'impact d'actions marketing':

L'employeur ne précise pas quelles sont les données manquantes et les actions marketing concernées; or, la salariée démontre, notamment au moyen de tableaux détaillés, adressés aux différentes directions, y compris à Monsieur [Y], la réalité et le nombre important d'études de produits et d'impact des actions marketing.

- 'peu de contact avec les clients':

Ce manque allégué n'est pas étayé sur le plan quantitatif comme qualitatif, alors qu'aucune anomalie dans la gestion des plaintes des clients n'est mise en évidence.

- 'vous n'avez pas su organiser un plan de suivi de la satisfaction des clients':

Il est justifié de la fixation d'objectifs marketing tenant compte d'études de satisfaction, et l'employeur, qui ne caractérise pas les insuffisances concernées, ne justifie d'aucune demande particulière sur ce point.

- 'vous n'avez pas su préparer ou participer à une présentation marketing fiable et engageante' , ' nous proposer des actions et des idées de façon cohérente et structurée, c'est à dire, par exemple, accompagnées d'un calendrier, d'un budget de moyens humains':

Cette insuffisance n'est pas caractérisée au vu des mails, des réunions, des programmes et des études réalisés, travaux sur lesquels aucune critique précise n'est développée.

- 'une quasi-absence de gestion des fichiers clients (remontée d'informations)':

La salariée verse aux débats de nombreux mails et documents envoyés aux directions après contrôle et suivi des fichiers clients, alors qu'un retard ponctuel dans la communication de données pour la conformité juridique du recueil d'informations nominatives ne suffit pas caractériser une insuffisance professionnelle dans ce domaine, étant observé par ailleurs qu'il n'est pas justifié de la mise en place, par l'employeur, d'une structure juridique rattachée directement au groupe.

- 'une quasi absence d'actions LSM adaptées au marché':

Il ressort de programmes, de tableaux et de mails échangés que la salariée a mis en place des actions de ce type, l'employeur ne précisant pas en quoi les actions n'auraient pas été adaptées au marché.

'aucun programme de dégustation':

Il est pourtant justifié de la programmation de dégustations, notamment dans les objectifs 2013.

- 'Une faiblesse importante des recherches de partenaires commerciaux'; 'peu ou pas de recherches de partenaires commerciaux':

Il résulte de mails et documents, notamment de planification et à vocation publicitaire, que la salariée a oeuvré pour obtenir et développer divers partenariats avec des structures locales et des enseignes de premier plan, notamment Aqualand, Leclerc, Pisoni, des cinémas, des clubs de sport, alors qu'il ne résulte pas des éléments fournis que l'absence de concrétisation de quelques partenariats, en partie refusés par l'employeur lui-même, serait la conséquence d'une insuffisance professionnelle.

- 'Insuffisance de la gestion du budget marketing':

La salariée justifie pourtant de l'établissement de budgets en fournissant des tableaux et mails établis en concertation avec la direction dont elle a pris en compte les observations, peu nombreuses.

- ' une quasi absence de veille et d'alerte sur la concurrence (offres, prix, opérations, partenariats....)'; 'aucune veille et alerte sur la concurrence ( offres, actions prix....)'; 'vous n'avez pas su mener des actions commerciales visant à diminuer les actions commerciales de nos concurrents';

Madame [H] verse aux débats de nombreux mails et tableaux comparatifs qui démontrent qu'elle ne négligeait pas ce domaine de compétence.

- 'une absence de formation et des hôtes/ses de votre équipe';

Il résulte de mails et documents que cette formation a bien été programmée et réalisée, avec l'établissements de bilans, ce qui n'est remis en cause par aucune critique sérieuse, notamment de la part du personnel.

- peu ou pas de recherches de nouvelles actions de relations publiques';

Cette critique, de nouveau très générale, est battue en brèche par la justification d'actions marketing à destination de la clientèle et de relations avec des acteurs économiques locaux d'envergure.

L'insuffisance professionnelle de Madame [H] ne résulte pas, regardés ensemble, de tous ces éléments et d'une erreur ponctuelle de vingt centimes sur un prix sans conséquences, d'une demande d'intervention sur un panneau publicitaire chiffonné et illisible, d'une demande de précisions sur un partenariat à la suite d'une incompréhension non spécialement imputable à la salariée.

Il y aura donc lieu de dire que le licenciement de Madame [H] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En application des dispositions de l'article L 1235-5 du code du travail, en considérant l'âge de la salariée (47 ans), son ancienneté, ses fonctions et sa capacité à retrouver un emploi, tel que cela résulte des éléments fournis, notamment de nombreuses et vaines recherches d'emploi entreprises peu de temps après la rupture du contrat de travail, la somme de 15.000 euros lui sera allouée à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du licenciement nul.

Sur le prêt de main d'oeuvre illicite et le marchandage:

Si les tâches d'équipière effectuées régulièrement par Madame [H] dans les restaurants gérés par les sociétés filiales trouvaient leur place dans le fonctionnement normal et quotidien de ces entreprises, n'entraient pas dans ses missions de responsable marketing de la société Jempila et ne faisaient pas appel à une technicité relevant de la spécificité propre de celle-ci, il ne résulte pas des éléments fournis que la salariée était placée sous l'autorité de ces filiales, ce qui exclut, en application des articles L 8241-1 et suivants du code du travail, toute opération de main d'oeuvre illicite, outre, en application des articles L 8231-1 et suivants du même code, tout marchandage.

Madame [H] sera donc déboutée de ses demandes de dommages et intérêts de ces chefs.

Sur la remise des documents:

Compte tenu des développements qui précèdent, la demande de remise de documents sous astreinte est fondée et il y est fait droit comme indiqué au dispositif.

Sur les frais irrépétibles:

En considération de l'équité, la société Jempila sera condamnée à payer à Madame [H]

la somme de 2500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur les dépens:

Les entiers dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de l'employeur, qui succombe pour l'essentiel.

PAR CES MOTIFS:

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale et par mise à disposition au greffe:

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que Madame [M] [H] a subi un harcèlement moral.

Dit que le licenciement de Madame [M] [H] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Condamne la société Jempila à payer à Madame [M] [H] les sommes de:

- 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Condamne la société Jempila à remettre à Madame [M] [H] des bulletins de salaire et documents sociaux conformes au présent arrêt dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt et sous astreinte de 30 euros par jour de retard passé ce délai, ce, pendant soixante jours.

Condamne la société Jempila à payer à Madame [M] [H] la somme de 2500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties de toute autre demande.

Condamne la société Jempila aux entiers dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIERLA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 18e chambre
Numéro d'arrêt : 15/08174
Date de la décision : 13/10/2017

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 18, arrêt n°15/08174 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-10-13;15.08174 ?
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