COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 22 SEPTEMBRE 2017
N°2017/
Rôle N° 16/17732
SARL KY WEST
C/
[K] [N]
Grosse délivrée le :
à :
Me Jean-philippe ROMAN de la SCP COURTOIS ROMAN GROSSO, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Me Jérôme FERRARO, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES - section - en date du 06 Septembre 2016, enregistré au répertoire général sous le n° F 15/00367.
APPELANTE
SARL KY WEST prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Jean-philippe ROMAN de la SCP COURTOIS ROMAN GROSSO, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
Mademoiselle [K] [N], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Jérôme FERRARO, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 19 Juin 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Agnès MICHEL, Président, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Marie-Agnès MICHEL, Président
Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller
Monsieur David MACOUIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Guy MELLE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2017
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2017
Signé par Madame Marie-Agnès MICHEL, Président et Monsieur Guy MELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Suivant contrat à durée indéterminée à temps partiel du 25 mars 2009, Mme [K] [N] a été embauchée en qualité d'équipière polyvalente, catégorié employée-échelon 1.1, par la société Ky West, laquelle exploite un restaurant Mcdonald's à [Localité 1]. Les relations contractuelles étaient soumises à la convention collective nationale de la restauration rapide.
Le 25 juin 2014, Mme [K] [N] a été placée en arrêt de travail pour cause d'accident du travail suite à des douleurs lombaires survenues à l'occasion d'une tâche usuelle de manutention.
Le 20 novembre 2014, la salariée a repris son travail et le 28 novembre 2014, dans le cadre de la visite de reprise, le médecin du travail l'a déclarée 'Apte à son poste avec possibilité de s'asseoir occasionnellement si douleurs. Pas de manutentions de charges lourdes manuelles ($gt; 15 kilos).'
Mme [K] [N] a de nouveau été placée en arrêt de travail du 13 au 19 décembre 2014 puis du 30 janvier au 15 février 2015.
Le 29 janvier 2015, à l'issue de la visite de pré-reprise, la salariée a été déclarée inapte par le médecin du travail qui a rendu l'avis suivant: 'Inaptitude définitive à son poste de travail selon l'article R. 4624-31 du code du travail. Etude de poste à prévoir. A revoir lundi 16 février 2015. Proposition: serait apte à des tâches sans manutention de charges ($gt;10 kilos) et sans station debout prolongée ( par exemple tâches de type administratif).'
Le 16 février 2015, le médecin du travail a confirmé l'inaptitude de Mme [K] [N] en ces termes: 'Inaptitude définitive à son poste de travail selon l'article R. 4624-31 du code du travail suite à la visite du 29 janvier 2015 et l'étude de poste du 6 février 2015. Proposition: serait apte à des tâches sans manutention manuelle de charges ($gt; 10 kilos) et sans station debout prolongée ( par exemple tâches de type administratif, informatique...).'
Par courrier recommandé du 10 mars 2015, la salariée a été convoquée à un entretien préalable, fixé au 23 mars 2015, puis licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par courrier recommandé du 30 mars 2015, rédigé en ces termes:
'A la suite des deux avis d'inaptitude émis par le médecin du travail le 29 janvier et le 16 février 2015, vous avez été déclarée définitivement inapte au poste que vous occupez au sein de notre entreprise, à savoir au poste d'équipière polyvalente.
Les délégués du personnel ont été avisés de votre cas le 18 février 2015 par courrier remis en main propre et consultés lors d'une réunion dédiée le 23 février 2015.
Comme nous vous l'avions indiqué dans nos courriers des 24 février et 9 mars 2015, nous avons procédé à une recherche de reclassement dans l'entreprise ainsi qu'au sein d'entreprises dont l'activité, l'organisation et le lieu d'exploitation auraient permis votre reclassement à un poste adapté à vos capacités et le plus proche possible de l'emploi que vous occupiez précédemment.
Malheureusement, compte tenu des réserves émises par le médecin du travail et la structure de notre entreprise, nous n'avons pas trouvé de solution de reclassement.
En effet, la réalisation de l'ensemble des tâches attachées au poste d'équipière polyvalente ainsi d'ailleurs qu'à l'ensemble des postes existant dans l'entreprise nécessitent une station debout prolongée et le port de charges d'un poids supérieur à 10 kilos.
Compte tenu de ce qui précède et sur la base des restrictions médicales importantes imposées par le médecin du travail au regar du poste d'équipier polyvalent, nous n'avons donc pas été en mesure de vous proposer un autre emploi de même catégorie ou équivalent ni même de catégorie inférieure.
Par ailleurs, nous vous confirmons que nous n'avons reçu, de la part des entreprises consultées, que des réponses nous informant de la non disponibilité de postes correspondant à vos nouvelles aptitudes.
Dans ces conditions, ne disposant d'aucun poste adapté à vos capacités à vous proposer et étant dans la plus totale inpossibilité d'en créer un, de transformer ou d'adapter un poste existant, nous avons le regret de vous informer que nous sommes contraints de procéder à votre remplacement définitif et par conséquent de vous licencier pour inaptitude physique médicalement constatée et impossibilité de reclassement.'
Le 13 avril 2015, contestant la mesure de licenciement prise à son encontre, Mme [K] [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Martigues, lequel, par jugement rendu le 6 septembre 2016, en sa section commerce, a:
*jugé le licenciement de la salariée dépourvu de cause réelle et sérieuse pour défaut de reclassement,
*condamné la société Ky West à payer à la salariée les sommes suivantes:
-11640 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
-1300 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
*dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine,
*débouté la salariée du surplus de ses demandes,
*débouté la société Ky West de ses demandes reconventionnelles et l'a condamnée aux dépens.
Le 3 octobre 2016, la société Ky West a interjeté régulièrement appel de ce jugement qui lui a été notifié le 20 septembre 2016.
Dans ses conclusions régulièrement notifiées par voie électronique le 15 novembre 2016, auxquelles il est expressément référé, la société appelante demande à la cour de:
*réformer le jugement déféré en ce qu'il a dit le licenciement de Mme [K] [N] dépourvu de cause réelle et sérieuse pour défaut de reclassement,
*dire et juger que l'employeur a bien respecté son obligation de reclassement,
*débouter Mme [K] [N] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
*condamner Mme [K] [N] au versement d'une somme de 1343 € à titre de remboursement du doublement de l'indemnité légale de licenciement qui lui a été payée,
*condamner Mme [K] [N] au versement de la somme de 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions régulièrement notifiées par voie électronique le 5 janvier 2017, auxquelles il est expressément référé, Mme [K] [N] demande à la cour de:
*confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré son licenciement illégitime,
y ajoutant,
*condamner la société appelante au paiement des sommes suivantes:
-20000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
-2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de l'indemnité allouée sur le même fondement par le premier juge,
*fixer les intérêts de droit à compter de la demande en justice et ordonner la capitalisation.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 juin 2017.
MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur le licenciement,
Au soutien de sa demande aux fins de voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse, Mme [K] [N] invoque le manquement de l'employeur à son obligation de reclassement.
Le 16 février 2015, le médecin du travail a rendu l'avis d'inaptitude rappelé plus haut concluant à une inaptitude définitive au poste d'équipière polyvalente et une aptitude à un poste sans manutention de charges supérieures à 10 kgs ni station debout prolongée.
Aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail, lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités; cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise; l'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail.
L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie, soit de son impossibilité de proposer un autre emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10 susvisé, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions.
Il est rappelé que:
- la recherche de possibilité de reclassement doit s'apprécier non seulement dans l'entreprise stricto-sensu mais aussi dans le cadre du groupe auquel elle appartient parmi les entreprises dont l'activité, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve de l'impossibilité de reclassement qu'il invoque,
-la notion de groupe de reclassement s'applique à des franchisés relevant d'une même enseigne, l'activité dans le cadre d'un contrat de franchise n'emporte pas, à elle seule, la démonstration de l'absence de possibilité de permutation du personnel.
Mme [K] [N] fait valoir que:
-la société Ky West n'a pris aucune mesure pour aménager son poste de travail et ne justifie pas de son impossibilité d'aménager un tel poste conformément aux préconisations du médecin du travail, soit l'interdiction de port de charges supérieures à 10 kilos et la station debout prolongée,
- le gérant de la société Ky West, M. [Z] [G], n'a pas consulté, dans le cadre de sa recherche de reclassement, les cinq autres sociétés qu'il exploite et qui ont pourtant la même activité,
- il n'a pas sollicité tous les franchisés du département ni le siège social de Mac Donald's alors même que dans le seul département des Bouches du Rhône compte plus de quarante restaurants de l'enseigne dans lesquels existent des postes administratifs.
La société Ky West réplique avoir recherché de façon sérieuse et loyale un poste de reclassement pour Mme [K] [N] et fait valoir que dans le milieu de la restauration rapide, les postes administratifs sont peu nombreux et sont exclusivement des postes de direction. Elle soutient qu'après avoir consulté les délégués du personnel, elle a sollicité toutes les sociétés de la région exerçant sous la même enseigne et verse aux débats le courriel qu'elle leur a adressé, le 24 février 2015, ainsi que les quatorze réponses négatives reçues qui démontrent, selon elle, que la permutabilité du personnel entre ces sociétés franchisées est impossible.
Or, la cour observe d'abord que la société Ky West ne justifie pas de ses recherches internes et ne produit pas le registre d'entrée et de sortie du personnel alors même que l'établissement où travaillait Mme [K] [N] compte 63 salariés.
Ensuite, alors qu'il résulte de sa pièce 29 que M. [G], gérantde la SARL, franchisé, est à la tête de quatre restaurants de l'enseigne sis à [Localité 1], [Localité 2], [Localité 3] et [Localité 4], la société appelante ne justifie d'aucune recherche de reclassement au sein de ces établissements.
Par ailleurs, contrairement à ce que soutient l'employeur, toutes les sociétés exploitant des restaurants dans la région n'ont pas été interrogées. Sur les quatorze réponses négatives reçues certaines ont été si rapides qu'il est permis de s'interroger sur le sérieux de leur recherche.
En tout état de cause, l'employeur qui exploite le restaurant sous l'enseigne Mac Donald's, leader de la restauration rapide en France, disposant de quarante et un restaurants dans le seul département des Bouches du Rhône et de plus de mille deux cent sur le territoire français, ayant une activité et des emplois identiques, ne démontre pas son impossibilité d'assurer une permutation de personnel entre les entreprises franchisées exploitant un tel restaurant, qu'il aurait dû consulter l'ensemble de ces entreprises présentes sur le territoire français ainsi que le siège social et non en sélectionner juste quelques unes comme l'a relevé à juste titre le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence.
Enfin, à la lecture du tableau de la structure opérationnelle des restaurants et du site internet de Mac Donald's, il apparait que chaque restaurant dispose de ses propres postes administratifs, dont certains sont des postes d'assistants administratifs et non seulement des postes d'encadrement et de direction comme le prétend la société Ky West.
En l'état de l'ensemble de ces éléments, la société Ky West n'a pas procédé à une recherche loyale et sérieuse de reclassement pour Mme [K] [N] dont le licenciement est, par conséquent, dénué de cause réelle et sérieuse.
Selon l'article L. 1226-15 du code du travail, Mme [K] [N] est en droit d'obtenir le paiement d'une indemnité qui ne peut être inférieure à douze mois de salaire, indemnité que la cour fixera, au regard de la situation de la salariée et de son âge, à la somme de 15 000 €, en réparation du préjudice matériel et moral subi, et qui portera intérêts au taux légal à compter du jugement déféré, avec capitalisation des intérêts dus pour une année entière.
2. Sur la demande de la société Ky West de remboursement du doublement de l'indemnité légale de licenciement versée à Mme [K] [N],
Selon l'article L. 1226-14 du code du travail, lorsque le licenciement fait suite à une inaptitude consécutive à un accident du travail ou maladie professionnelle, le salarié a droit à une indemnité spéciale de licenciement égale au double de l'indemnité légale de licenciement prévue par l'article L. 1234-9 du même code.
La société Ky West sollicite le remboursement de la somme de 1343 € qu'elle a versée à Mme [K] [N] à ce titre, au motif que la Caisse Primaire d'Assurance-Maladie, par courrier du 30 avril 2015, a indiqué ne pas reconnaitre de lien entre l'inaptitude de Mme [K] [N] et l'accident du travail du 25 juin 2014 dont elle a été victime.
La salariée relève, à juste titre, que ce courrier n'est relatif qu'à l'accident du travail du 25 juin 2014 et ne concerne pas les périodes postérieures de suspension du contrat de travail pour maladie de Mme [K] [N], pour lesquelles deux imprimés 'Cerfa - accident du travail/maladie profesionnelle' ont été complétés par le médecin et remis à l'employeur.
En tout état de cause, dès lors que la protection des victimes d'accident du travail est acquise en cas de connaissance par l'employeur du caractère profesionnel de l'accident ou de la maladie, au moment de la notification du licenciement, voire même d'un simple lien entre l'arrêt de travail initial et l'inaptitude physique, la société Ky West, laquelle a appliqué les dispositions légales applicables en cas d'accident du travail ou maladie professionnelle, notamment la consultation des délégués du personnel, ne peut légitimement réclamer à Mme [K] [N] le remboursement du doublement de l'indemnité légale de licenciement versée.
La société Ky West ne pourra donc qu'être déboutée de sa demande de remboursement.
3. Sur les autres demandes,
La société Ky West supportera les dépens d'appel et sera condamnée à verser à Mme [K] [N] la somme de 1500 € au titre des frais irrépétibles d'appel, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a jugé le licenciement de Mme [K] [N] dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné la société Ky West à la somme de 1300 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau,
Condamne la société Ky West à payer à Mme [K] [N] la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du jugement déféré et capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
Déboute la société Ky West de sa demande de remboursement du doublement de l'indemnité légale de licenciement,
Y ajoutant,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes, plus amples ou contraires,
Condamne la société Ky West à la somme de 1500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Ky West aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT