COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 22 SEPTEMBRE 2017
N°2017/421
CB*
Rôle N° 16/17039
SAS GEMY COTE D'AZUR
C/
[M] [M]
Grosse délivrée le :
à :
Me Mehdi CAUSSANEL-HAJI, avocat au barreau de NICE
Me Laetitia BALDINI, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de Toulon - section - en date du 09 Août 2016, enregistré au répertoire général sous le n° 14/00028.
APPELANTE
SAS GEMY COTE D'AZUR, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Mehdi CAUSSANEL-HAJI de la SELAS BARTHELEMY & ASSOCIES, avocat au barreau de NICE
INTIME
Monsieur [M] [M], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Laetitia BALDINI, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Juin 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Chantal BARON, Présidente de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Chantal BARON, Présidente de chambre
Monsieur Thierry CABALE, Conseiller
Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2017
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2017
Signé par Madame Chantal BARON, Présidente de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Par jugement du conseil des prud'hommes de Toulon du 9 août 2016, notifié aux parties le 30 août 2016, la juridiction a jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé pour faute grave par lettre du 5 décembre 2013 par son employeur, la SAS Gemy Côte d'Azur, à l'encontre de [M] [M], qui exerçait dans l'entreprise, par contrat à durée indéterminée conclu le 1er septembre 2012, les fonctions de chef des ventes.
La juridiction a accueilli la demande en paiement formée par [M] [M] en lui accordant les sommes de 1963,27 euros représentant le rappel de salaire sur mis à pied, outre 187,32 euros au titre des congés payés afférents ; 9061,24 euros au titre de l'indemnité de préavis, outre 906,12 euros au titre des congés payés afférents ; 906,12 euros au titre de l'indemnité de licenciement ; 4810,84 euros représentant la rémunération variable afférente aux résultats ; 45'306,20 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; enfin, 2000 € au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et l'a débouté du surplus de sa demande.
Par acte du 20 septembre 2016, dans le délai légal et par déclaration régulière en la forme, la SAS Gemy Côte d'Azur a régulièrement relevé appel général de la décision.
L'employeur soutient,
par conclusions notifiées le 29 novembre 2016, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions :
' que le contrat de travail prévoyait que [M] [M] percevrait une rémunération fixe mensuelle brute de 2500 €,
outre une rémunération variable, le total devant être supérieur au minimum conventionnel, fixé à 3860 € jusqu'au mois d'avril 2013, et 3933,75 euros à compter du mois de mai 2013,
' que les modalités de rémunération variable étaient déterminées par le 'règlement des ventes 2012' , signé le 4 septembre 2012 par l'employeur et le salarié, et remis ce même jour à [M] [M],
' que celui-ci n'a jamais rien réclamé, du 1er septembre 2012 à avril 2013, se contentant du minimum conventionnel,
' qu'à la faveur d'un changement de directeur, fonctions assumées entre le 2 avril 2013 et le 15 octobre 2013 par un prestataire de services temporaire, [M] [M] a délibérément sollicité des primes calculées sur des critères ne correspondant pas au règlement des ventes du 4 septembre 2012, signé par lui, de façon à obtenir des montants très supérieurs à ceux qui lui étaient dus,
' qu'au retour du directeur en titre, après le 15 octobre 2013, la SAS Gemy Côte d'Azur s'est aperçue des man'uvres du salarié que celui-ci avait tenté de poursuivre par courriel du 19 novembre 2013, et a notifié au salarié son licenciement pour faute grave,
' que [M] [M] avait en effet délibérément présenté à la direction un document intitulé 'règlement des ventes', ne correspondant pas à celui annexé au contrat de travail conclu entre les parties ; que le document invoqué par le salarié fondait la rémunération sur l'augmentation des ventes, envisagée de façon arithmétique par l'addition du cumul des ventes réalisées depuis le début de l'année jusqu'à la fin du mois considéré, par rapport aux ventes réalisées jusqu'au mois précédent, alors que le document applicable conditionnait le paiement des primes à l'augmentation du taux de pénétration du marché par la marque, c'est-à-dire à l'augmentation de parts de marché de la firme, correspondant au pourcentage de véhicules Peugeot vendus sur un territoire donné par rapport à l'ensemble des véhicules, toutes marques confondues, vendus sur le même territoire,
' que le document invoqué par le salarié aboutissait à lui attribuer automatiquement une progression de 8,5 % d'évolution des ventes, (correspondant à l'évolution arithmétique mensuelle des ventes de véhicules) alors que l'objectif maximum fixé par le règlement des ventes applicable était une progression de 1,5 %,
' que la faute grave est caractérisée en ce que [M] [M] a abusé de la confiance du dirigeant intérimaire pour solliciter des sommes indues, qu'il n'avait jamais demandées au directeur l'ayant embauché, conscient de ce qu'aucune prime ne lui était due, compte tenu de ses résultats, et se procurant ainsi une rémunération indue d'un montant de 13'350 € entre avril et octobre 2013,
' que [M] [M] ne saurait soutenir n'avoir jamais eu communication du règlement des ventes applicable, qui lui a été remis en mains propres et annexé à son contrat de travail, dont l'original est produit aux débats,
' qu'il importe peu qu'un autre règlement des ventes, prévoyant des modalités de calcul des primes différentes, ait été remis avec la promesse d'embauche du 7 juin 2012 ; que ce document prévoyait d'ailleurs sa caducité si le salarié ne prenait pas ses fonctions le 1er septembre 2012, alors que [M] [M] a précisément débuté le 3 septembre 2012,
' qu'en toute hypothèse, les indemnités et rappel de salaire sollicités par [M] [M] doivent être calculés sur le salaire qui aurait dû être réellement perçu ; que, concernant les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié ne justifie pas de son préjudice,
' que, concernant la prime « objectif financement » réclamée à hauteur de 4817,84 euros par [M] [M], son montant doit être recalculé et compensé avec la somme de 8878,84 euros indûment perçue par le salarié, déduction faite également des sommes perçues au titre du salaire minimum conventionnel.
L'employeur demande à la Cour d'infirmer la décision des premiers juges dans toutes ses dispositions, de débouter [M] [M] de toutes ses demandes en paiement, de le condamner, au titre de la répétition de l'indu, à lui rembourser la somme perçue de 8878,84 euros ; enfin de lui allouer le paiement de la somme de 2000 euros représentant ses frais irrépétibles sur la base de l'article 700 du code de procédure civile.
[M] [M] réplique,
par conclusions déposées le 27 janvier 2017, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions :
' que sa rémunération était validée chaque mois par son employeur, sur la base du document remis avec la promesse d'embauche le 7 juin 2012, qui prévoyait un décompte arithmétique des résultats,
' que ni le contrat de travail, ni le document invoqué par l'employeur intitulé règlement des ventes n'ont jamais été remis au salarié, avant le 10 janvier 2014, le contrat de travail n'ayant été signé qu'en page six, alors que le document communiqué en janvier 2014 comporte sept pages, dont la septième est précisément ce règlement, non conforme à celui annexé à la promesse d'embauche,
' que [M] [M] est par conséquent bien-fondé à solliciter les rappels de salaires sur mise à pied conservatoire, outre les dommages-intérêts équivalant à 18 mois de salaire, ainsi que la rémunération variable sur résultats en matière de financement, qui ne lui ont jamais été réglées.
Le salarié demande à la Cour de confirmer dans son principe la décision des premiers juges et de lui allouer en définitive paiement des sommes de :
-86'436,90 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-9061,21 euros à titre d'indemnité de préavis,
-906,12 euros à titre de rappel de congés payés sur préavis,
-906,12 euros à titre d'indemnité de licenciement,
-1963,27 euros représentant le rappel de salaires dus en raison de la mise à pied injustifiée
-196,32 euros représentant les congés payés sur les salaires dus pendant la mise à pied,
-4810,84 euros au titre de la rémunération variable afférente aux résultats en matière de financement, outre 480,08 euros représentant les congés payés afférents euros à titre de primes,
avec intérêts au taux légal capitalisés,
outre 3000 euros représentant ses frais irrépétibles sur la base de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la procédure
Une ordonnance de clôture a été rendue le 27 mars 2017.
Sur le licenciement
La lettre de licenciement du 5 décembre 2013 indique :
« Nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave, sans préavis ni indemnité pour les motifs suivants :
Vous avez été embauché par contrat signé le 3 septembre 2012. Le 4 septembre 2012, vous avez signé et accepté en votre qualité de responsable des ventes ESA le règlement des ventes 2012 lequel définissait et renvoyait en annexe aux modalités de calcul de la part variable de votre rémunération.
Les modalités que vous avez acceptées définissant les conditions de votre rémunération variable sont fondées sur les progressions de pénétration relatives à différents marchés.
Or, sur la base d'un document qui ne correspond pas à l'accord des parties pour ce qui concerne les modalités de calcul de votre rémunération variable, vous avez obtenu le paiement d'une rémunération variable très nettement supérieure à celle qui vous est due.
Cette attitude est délibérée et porte gravement préjudice à l'entreprise.
Nous vous notifions donc par la présente votre licenciement pour faute grave. »
En droit, la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié constituant une violation des obligations découlant du contrat ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la période de préavis, étant précisé que la gravité de la faute peut résulter de la répétition des mêmes faits fautifs. La charge de la preuve de cette faute incombe à l'employeur et implique la mise en oeuvre immédiate du licenciement, dès que l'employeur a connaissance de la réalité et de la nature de cette faute.
En l'espèce, l'employeur produit à l'appui de ses affirmations l'original du document intitulé "Règlement des ventes 2012", mentionnant : « date d'application 1er septembre 2012 », portant, en page 6, de la main du salarié qui ne le conteste pas, la date manuscrite « 4 septembre 2012 » et, sous la mention : « Le responsable des ventes ESA », la mention manuscrite « lu et approuvé, remis en main propre » ainsi que sa signature.
Le contrat de travail produit aux débats prévoyait que le salarié était engagé à compter du 3 septembre 2012 et précisait, à l'article 5 "Rémunération" : « La rémunération de Monsieur [M] [M] en contrepartie de l'accomplissement de sa durée de travail, sera composée d'une partie fixe et d'une partie variable, dans les conditions suivantes :
' Le montant des appointements mensuels bruts fixes s'élèvera 2500 €, soit une rémunération annuelle brute de 30'000 euros.
' La partie variable de la rémunération de Monsieur [M] [M] sera fonction de la réalisation des ventes sur le marché, d'accessoires et de prestations de services dont les conditions sont actuellement fixées dans leur principe selon le règlement des ventes annuel ».
Il apparaît donc à l'évidence que le salarié avait accepté la fixation de la partie variable de sa rémunération conformément au document intitulé Règlement des ventes, qui ne pouvait être que celui en vigueur au jour de la signature du contrat, peu important le document annexé à la promesse d'embauche établie le 7 juin 2012, et qui faisait nécessairement référence à un règlement antérieur à celui du 1er septembre 2012.
Au surplus, le règlement des ventes annexé à la promesse d'embauche prévoyait expressément : « Ce règlement des ventes est susceptible d'évoluer chaque année en fonction des objectifs fixés par le groupe Gemy ou par Automobiles Peugeot. ». Et, par surcroît, la promesse d'embauche prévoyait qu'elle serait caduque si le salarié n'avait pas pris ses fonctions au plus tard le 1er septembre 2012.
[M] [M] ne saurait davantage contester le document applicable, en soutenant qu'il l'a signé à la page 6, alors que les détails des objectifs de vente ne figuraient qu'à la page 7, alors d'une part que le document mentionnait expressément, sur la page 6 : « page 6 sur 7 » ; d'autre part que les éléments de la rémunération étaient bien précisés en page 6, directement au-dessus de la signature du salarié, ce paragraphe renvoyant expressément, pour le calcul des critères de la part variable, à la page 7, en mentionnant : « Chaque mois, le responsable des ventes perçoit un fixe déterminé en fonction de sa qualification à son statut et une part variable Cf. annexe 1 », la page 7 étant précisément intitulée « Annexe 1 ».
Il s'ensuit que l'accord des parties s'était rencontré sur le document invoqué par l'employeur, seul applicable au jour de la signature du contrat de travail, le 3 septembre 2012, et que le salarié ne peut, sans une toute particulière mauvaise foi, se prévaloir d'un document établi antérieurement qui n'était plus en vigueur.
L'employeur établit donc que [M] [M] a calculé sciemment sa rémunération sur des bases qu'il savait inexactes, et forcément plus avantageuses pour lui, alors en outre que l'entreprise était dirigée par un manager intérimaire nécessairement porté à faire confiance à un cadre de niveau supérieur.
Ce faisant, [M] [M] a commis une faute grave justifiant le licenciement. Il convient par conséquent de le débouter de toutes ses demandes en paiement de dommages-intérêts, indemnité de préavis et congés payés sur préavis, indemnité de licenciement, salaires et congés payés pendant la période de mise à pied conservatoire.
Sur la demande reconventionnelle de l'employeur en restitution de l'indu
Les salaires versés à [M] [M] au titre de la rémunération variable des ventes l'ayant été de façon indue, ainsi qu'exposé ci-dessus, il convient d'ordonner le remboursement par le salarié de la somme de 8878,84 euros, représentant cette rémunération variable, dont le montant n'est pas autrement contesté.
Sur la demande en paiement de rémunération variable afférente aux résultats en matière de financement
[M] [M] sollicite à ce titre paiement de la somme de 4810,84 euros, pour la période comprise entre septembre 2012 et novembre 2013, en faisant valoir qu'il n'a pas été réglé de la rémunération variable afférente aux résultats en matière de financement, rémunération prévue par le règlement des ventes annexé à la promesse d'embauche dont il se prévaut, mais d'ailleurs également au règlement des ventes applicable ainsi qu'exposé précédemment.
La SAS Gemy Côte d'Azur réplique qu'elle n'est pas en mesure de communiquer les informations permettant le calcul de la prime réclamée ; soutient que la prime de financement devrait être calculée sur la base du minimum prévu par le règlement des ventes, soit une somme mensuelle de 300 €, et subsidiairement sur la base maximale d'une prime mensuelle de 900 €, aboutissant à un montant dû par l'employeur de 4068 € qui serait en toute hypothèse à compenser avec la somme de 8878,84 euros indûment perçue par [M] [M].
Il appartient à l'employeur de fournir les éléments permettant le calcul de la rémunération variable en matière de financement, ce qu'il ne fait pas. Cependant, la somme de 4068 €, incluant les congés payés, ne fait l'objet d'aucune contestation de la part du salarié. Il convient par conséquent de condamner l'employeur à la verser à [M] [M], et d'en ordonner la compensation avec les condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.
Sur les autres demandes
Les condamnations prononcées au titre de l'exécution du contrat de travail seront assorties des intérêts au taux légal capitalisés à compter de la date de notification de la lettre recommandée convoquant le débiteur devant le bureau de conciliation. Les autres condamnations seront assorties des intérêts au taux légal capitalisés à compter du jugement déféré.
L'équité en la cause commande de condamner le salarié, qui échoue en la plupart de ses prétentions, à verser à l'employeur la somme de 2000 euros sur la base de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale,
Infirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,
Dit fondé le licenciement prononcé pour faute grave par lettre du 5 décembre 2013,
Condamne la SAS Gemy Côte d'Azur à verser à [M] [M] la somme de 4068 euros au titre des rémunérations sur financement, incluant les congés payés afférents,
Condamne [M] [M] à verser à la SAS Gemy Côte d'Azur la somme de 8878,84 €, à titre de remboursement des salaires indûment perçus,
Constate la compensation de ces deux sommes, à concurrence de leur quotité respective,
Dit que les condamnations prononcées au titre de l'exécution du contrat de travail seront assorties des intérêts au taux légal capitalisés à compter de la date de notification de la lettre recommandée convoquant le débiteur devant le bureau de conciliation et que les autres condamnations seront assorties des intérêts au taux légal capitalisés à compter du jugement déféré,
Condamner [M] [M] à verser à la SAS Gemy Côte d'Azur la somme de 2000 euros sur la base de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,
Condamne [M] [M] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE