COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
1ère Chambre C
ARRÊT
DU 29 JUIN 2017
N° 2017/553
P. P.
Rôle N° 17/06385
SCI GAGERON
C/
SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE
Grosse délivrée
le :
à :
Maître DAVAL-GUEDJ
Maître JUSTON
DÉCISION DÉFÉRÉE À LA COUR :
Ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de grande instance de Marseille en date du 17 mars 2017 enregistrée au répertoire général sous le n° 17/01341.
APPELANTE :
SCI GAGERON,
dont le siège est [Adresse 1]
représentée par Maître Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Maître Jérôme VEYRAT-GIRARD, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉE :
SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE,
dont le siège est [Adresse 2]
représentée par Maître Sandra JUSTON de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Maître Grégoire ROSENFELD de la SCP F. ROSENFELD- G. ROSENFELD & V. ROSENFELD, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 29 mai 2017 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Pascale POCHIC, conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
LA COUR ÉTAIT COMPOSÉE DE :
Madame Danielle DEMONT, conseillère doyenne faisant fonction de présidente
Madame Lise LEROY-GISSINGER, conseillère
Madame Pascale POCHIC, conseillère
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Monsieur Serge LUCAS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 juin 2017.
ARRÊT :
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 juin 2017,
Signé par Madame Danielle DEMONT, présidente, et Monsieur Serge LUCAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*-*-*-*-*-*
EXPOSÉ DU LITIGE :
La SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE, venant aux droits de la société GENTY BIANCO, bénéficie d'un contrat de bail commercial en date du 1er février 1979 portant sur des locaux situés au rez de chaussée d'un ensemble commercial situé [Adresse 3], appartenant à la SCI GAGERON.
Le premier étage situé au-dessus du supermarché était exploité par une société commerciale exploitant sous l'enseigne MONSIEUR BRICOLAGE, jusqu'à sa mise en liquidation judiciaire prononcée le 11 décembre 2015.
La SCI GAGERON a souhaité procéder à des travaux d'extension et de rénovation des bâtiments.
Elle a engagé au mois de décembre 2014 une procédure en référé afin d'obtenir :
- condamnation de la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à supprimer sous astreinte :
les installations de climatiseurs en façade,
l'installation de compresseur et d'une chambre froide sur le parking,
l'aménagement d'une dalle en béton sous le parking pour les caddies,
l'installation d'une parabole sur le toit,
- à répondre aux sollicitations du bailleur et de son architecte et de prendre toute mesure afin que les travaux puissent démarrer dans un délai de cinq semaines à compter de la signification de l'ordonnance,
- à supprimer sous astreinte le poste de transformation situé dans l'emprise et l'élargissement de l'entrée,
- condamnation du preneur à lui verser une somme de 30 000 euros à titre de provision à valoir sur les préjudices au titre des empiétements irréguliers et des préjudices liés au retard dans l'exécution des travaux.
Par ordonnance contradictoire du 16 septembre 2015 la juridiction saisie a constaté que la SCI GAGERON se désistait de ses demandes initiales et l'a déboutée de sa demande d'expertise in futurum.
Par lettre du 28 février 2017 la SCI GAGERON a informé la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE que des travaux importants allaient être exécutés dès le 6 mars 2017, concernant 'l'extension du parking et l'accès à l'étage afin de respecter les normes d'accessibilité applicables.'.
Par lettre en réponse le preneur l'a invitée à cesser l'exécution de ces travaux modifiant la chose louée sans son accord, lui rappelant qu'elle s'était précédemment désistée de ses demandes concernant ces travaux, et l'informant qu'à défaut de réponse dans la journée, elle serait contrainte d'engager une procédure en référé.
Cette correspondance étant demeurée vaine, la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE a suivant la procédure de référé d'heure à heure, saisi le président du tribunal de grande instance de Marseille à l'effet essentiellement de :
- condamner sous astreinte la SCI GAGERON à cesser tous travaux qui seraient exécutés sur le bâtiment et/ou sur les parkings, les voies de circulations, les emplacements extérieurs ou les accès du supermarché CASINO situé [Adresse 3],
- la condamner sous astreinte à supprimer notamment les installations de chantier et containers positionnés sur le parking ainsi que l'ensemb1e des barrières de chantier et échafaudages entravant la libre circulation sur les voies de circulation internes et sur les parkings.
Par ordonnance contradictoire du 17 mars 2017 la juridiction saisie a :
' fait interdiction à la SCI GAGERON d'effectuer les travaux sur l'assiette du bail signé le 1er février 1979 ( terrain et bâtiment), et d'en modifier les accès avenue Guillaume Dulac et chemin de Roumagoua, ce sous astreinte de 1000 euros par jour à compter de la signification de l'ordonnance,
' l'a condamnée à remettre les lieux dans leur état initial avant installation du chantier et réalisation d'une excavation, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'ordonnance puis sous astreinte de 1000 euros par jour de retard,
' s'est réservée la liquidation des astreintes,
' condamné la SCI GAGERON au paiement de la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Le premier juge a retenu essentiellement que les travaux projetés entraînent une transformation importante de la jouissance des lieux et que 'ce passage en force' avec suppression du seul accès à ce jour existant et neutralisation des trois quarts des emplacements de parkings, outre l'impossibilité pour les camions de livraison de faire le tour du magasin pour repartir constitue un trouble manifestement illicite au regard des clauses du bail et de la validité du permis.
Par déclaration enregistrée le 3 avril 2017 la SCI GAGERON a relevé appel général de cette décision et a été autorisée à assigner à jour fixe pour l'audience du 29 mai 2017.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 24 mai 2017 auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de ses moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, l'appelante demande à la cour, en application des dispositions contractuelles liant les parties et au visa des dispositions de l'article 1719 et suivants du code civil, et des articles 808 et 809 du code de procédure civile, de :
- dire et juger que les conditions d'application des dispositions des articles 808 et 809 du code de procédure civile ne sont pas remplies,
- débouter la société DISTRIBUTION CASINO France de toutes ses demandes,
- juger qu'il n'y a pas lieu, en référé, d'ordonner l'arrêt des travaux entrepris par la société SCI GAGERON,
- réformer l'ordonnance déférée dans toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
- débouter la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE de toutes ses demandes,
- la condamner au paiement de la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit du conseil de l'appelante.
Au soutien de ses demandes la SCI GAGERON expose essentiellement :
- que l'article 7 du contrat de bail dispose que le preneur est tenu de souffrir l'exécution de toutes les réparations, reconstruction, surélévation et travaux quelconques même de simple amélioration, que le propriétaire estimerait nécessaires, utiles ou même simplement convenables et qui seraient exécutés pendant le cours du bail dans l'immeuble, et il ne pourra demander aucune indemnité, ni diminution des loyers quelle que soit l'importance et la durée de ces travaux même si la durée excédait quarante jours,
- les travaux projetés avaient été préalablement et intégralement préparés en totale concertation avec la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE et avec son accord, avant qu'elle ne change d'avis en 2014,
- cette partie des travaux d'une durée de 4 à 5 mois, est temporaire et n'empêchera ni les livraisons qui en tout état de cause n'ont jamais été faites par semi-remorques, ni l'accès au magasin, ni le stationnement,
- le permis de construire est valable, et les travaux exécutés conformes à ce permis,
- ils seront sans incidence sur les groupes de froid ou la chambre froide du preneur, ni sur l'entrée du magasin Casino ou les façades du bâtiment,
- les travaux qui n'affectent pas les locaux occupés par le preneur, vont lui procurer un avantage important (notamment un nombre de place de stationnement accru, de même pour la surface de vente) ce qui permet d'écarter l'application de l'article 1723 du code civil,
- lors de l'instance en référé qu'elle avait engagée en décembre 2014, elle ne s'est pas désistée de ses demandes principales, mais a demandé qu'elles soient réservées dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise qu'elle sollicitait.
Par conclusions notifiées le 12 mai 2017, auxquelles il est référé pour l'exposé exhaustif de ses moyens, la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE demande à la cour au visa de l'article 809 du code de procédure civile et subsidiairement 808 du même code, de :
- confirmer ordonnance déférée,
- débouter la SCI GAGERON de toutes ses demandes fins et conclusions,
- la condamner sous astreinte de 1000 euros par jour à compter de la signification de 'l'ordonnance' à intervenir à cesser tous travaux qui seraient exécutés sur le bâtiment et/ousur les parkings, les voies de circulations, les emplacements extérieurs ou les accès du supermarché CASINO situé [Adresse 3],
- la condamner sous astreinte de 1000 euros par jour à compter de la signification de 'l'ordonnance' à intervenir à supprimer et à évacuer notamment les installations de chantier et containers positionnés sur le parking et également l'ensemble des barrières de chantier et échafaudages entravant la libre circulation sur les voies de circulation intemes et sur les parkings,
- la condamner sous astreinte de 1 000 euros par jour à compter de la signification de 'l'ordonnance' à intervenir à reboucher le trou devant l'issue de secours du marché,
- en tant que de besoin dans l'hypothèse des travaux auraient été exécutés, condamner sous astreinte de 1 000 euros par jour à compter de la signification de 'l'ordonnance' à intervenir la SCI GAGERON à remettre en état les lieux,
- débouter la SCI GAGERON de toutes ses demandes fins et conclusions,
- la condamner au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
A l'appui de ses demandes l'intimée fait valoir en substance que :
- le bailleur tente d'imposer une restructuration complète du bâtiment, des abords et des parkings que la locataire n'a jamais acceptée,
- l'article 7 du bail sur les travaux ne conceme que les travaux de réparation, de reconstruction ou de surélévation du bâtiment existant, mais à aucun moment un agrandissement sur les côtés et la transformation substantielle du parking et des accès,
- les travaux envisagés portent atteinte à l'obligation de délivrance due par le bailleur, à l'obligation de jouissance paisible et ont pour conséquence de changer la forme de la chose loué. Le dossier de plan communiqué permet d'établir, outre la suppression notamment du groupe froid, de la chambre réfrigérée du supermarché et du transformateur électrique du site alimentant l'installation électrique des bâtiments, que les travaux auront pour conséquence de transformer substantiellement les lieux en :
. rendant inaccessible et inutilisable plus de 75 % de la superficie du terrain extérieur et des voies intemes situées autour du supermarché CASINO,
. rendant inutilisable pendant la phase travaux de 5 mois, 75 % des emplacements de parkings supermarché,
. condamnant l'accès et la sortie au niveau du chemin de Romagoua,
. créant illicitement sans aucune autorisation d'urbanisme un second accès sur [Adresse 3], ce qui constitue une infraction pénale,
. modifiant et interdisant les conditions d'accès à l'aire de livraison du supermarché située à l'arrière du bâtiment,
- le permis de construire est caduque,
- en toute hypothèse les travaux qui vont être réalisés par le bailleur ne sont pas autorisés par le permis de construire et ne respectent pas les conditions mises en oeuvre prévues par cette autorisation d'urbanisme.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Suivant les dispositions de l'article 809 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal de grande instance peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Vu les dispositions de l'article 7 du contrat de bail précédemment rappelées,
Le projet envisagé par la SCI GAGERON porte sur l'extension des surfaces des locaux du rez de chaussée et du 1er étage de l'ensemble commercial, la rénovation des bâtiments et la création d'un parking aérien au niveau du 1er étage .
La tranche de travaux litigieuse projetée sur une période de 4 à 5 mois, consiste en la création du parking aérien, avec modification de l'accès du site par la rue Roumagoua temporairement condamnée, les entrées et sorties clients et livraisons s'effectuant par l'avenue Dulac à proximité de l'entrée existante. Durant les travaux la zone de parking ouest du site sera provisoirement interdite au stationnement.
L'architecte en charge des travaux atteste le 14 mars 2017 qu'ils sont conformes au permis de construire obtenu le 10 mars 2014 et que la modification des accès a été introduite dès le permis de construire et la CDAC, tous deux obtenus et purgés de tout recours, en concertation avec la SCI GAGERON et la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE.
Il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés d'apprécier la validité des autorisations administratives obtenues.
Le bâtiment occupé par le preneur n'est pas modifié par cette phase des travaux réalisés sur une période de 4 à 5 mois.
Le bail prévoit que la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE partage avec la bailleresse et le second locataire , le terrain situé autour du bâtiment qui est utilisé pour le stationnement.
Jusqu'à la mise en liquidation judiciaire de ce second locataire, elle ne bénéficiait donc que de la moitié de ces emplacements et se retrouvera dans une situation comparable durant les travaux puisque le 1er étage n'est plus exploité depuis le mois de décembre 2015.
L'accès au magasin est préservé sur [Adresse 3].
La SCI GAGERON produit une attestation de l'entreprise Logistique Stockage Rhonalpin qui indique que l'accès au magasin reste possible à un semi remorque avec les lieux tels que mis en place par l'architecte pendant les travaux. Elle communique également plusieurs témoignages de clients qui attestent n'avoir jamais vu de semi remorques sur le parking du magasin Casino.
Au temps des discussions sur le projet, le groupe CASINO certifiait par mail du 22 mai 2013 que les livraisons de ce supermarché de la Ciotat ne s'effectuaient qu'en porteur et qu'aucun semi remorque ne se rendait sur cette destination.
Les plans produits ne permettent pas de confirmer que l'aire de livraison serait bloquée.
La SCI GAGERON s'engage sur l'absence d'incidence des travaux actuels sur les groupes de froid, la chambre froide, l'entrée et la façade du magasin exploitée par l'intimée.
Il appartiendra à la juridiction du fond qui pourrait être saisie de se prononcer sur la violation invoquée des dispositions de l'article 1723 du code civil au regard du projet de renovation de l'ensemble commercial annoncé, et il ne ressort pas avec évidence que la nature et les modalités d'exécution des travaux litigieux correspondant à la première phase du projet, soient constitutives de manquements contractuels du bailleur.
Il n'est pas rapporté la preuve de la caducité du permis de construire ou l'existence d'infractions au code de l'urbanisme.
En conséquence le trouble résultant de la réalisation de cette première phase de travaux ne présente pas de caractère manifestement illicite qu'il conviendrait de faire cesser.
Il n'existe pas de danger imminent.
Il convient donc d'infirmer l'ordonnance entreprise dans toutes ses dispositions et de dire n'y avoir lieu à référé sur les demandes en suspension des travaux et remise en état des lieux présentées par la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE.
L'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'une ou l'autre partie.
La société DISTRIBUTION CASINO FRANCE qui succombe supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme l'ordonnance déférée,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes en suspension des travaux et remise en état des lieux présentées par la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier,La présidente,