COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
1ère Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 27 JUIN 2017
A.V
N° 2017/
Rôle N° 15/19054
[T] [U] veuve [P]
[U] [Z]
C/
[Y] [M]
Grosse délivrée
le :
à :Me Schwander
Me Ikhlef
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN-PROVENCE en date du 12 Octobre 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 12/06264.
APPELANTES
Madame [T] [U] veuve [P]
née le [Date naissance 1] 1937 à [Localité 1]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Willi SCHWANDER, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE
Madame [U] [Z] es qualité de Curatrice de Mme [P], désignée à ces fonctions suivant jugement du Tribunal d'Instance de MARTIGUES du 02 juin 2015
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Willi SCHWANDER, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
Mademoiselle [Y] [M]
née le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 2], demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Hakim IKHLEF, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 23 Mai 2017 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Mme VIDAL, Président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Anne VIDAL, Présidente
Monsieur Olivier BRUE, Conseiller
Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Patricia POGGI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 Juin 2017
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Juin 2017,
Signé par Madame Anne VIDAL, Présidente et Madame Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Suivant acte d'huissier du 10 octobre 2012, Mme [T] [U] Veuve [P] a fait assigner Mme [Y] [M] devant le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence pour obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 100.000 euros remise par chèque le 9 décembre 2010 à charge de remboursement et dans le cadre de la réalisation de leur projet de cohabitation, invoquant l'inexécution par la défenderesse de ses obligations et subsidiairement l'annulation de l'acte, quelle que soit la qualification qui lui serait donnée, don ou prêt, à raison de ce que la demanderesse n'était alors pas saine d'esprit. Mme [U] [Z] est intervenue volontairement à la procédure en qualité de curatrice de Mme [T] [P], désignée par décision du juge des tutelles du 1er avril 2014.
Par jugement du 12 octobre 2015, le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a débouté Mme [T] [P] de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à Mme [Y] [M] la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens, sans ordonner l'exécution provisoire.
Il a considéré que la preuve d'un prêt n'était pas établie en déniant aux lettres de Mme [Y] [M] et à ses déclarations en garde à vue la nature de commencements de preuve par écrit, à défaut de contenir une reconnaissance de l'existence d'un prêt, que le moyen tiré de l'existence d'une convention de cohabitation est contradictoire avec l'allégation d'un prêt et n'est pas sérieux, enfin que Mme [Y] [M], poursuivie pour abus de faiblesse au détriment de Mme [T] [P] , a été relaxée et que l'état de vulnérabilité allégué à la suite du décès de sa mère n'est pas équivalent à une insanité d'esprit.
Mme [T] [P], assistée de Mme [U] [Z], sa curatrice, a interjeté appel de cette décision suivant déclaration en date du 28 octobre 2015.
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Mme [T] [P] et Mme [U] [Z], suivant conclusions n°1 signifiées le 3 décembre 2015, demandent à la cour d'infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, de :
Sur le prêt :
Dire et juger que la preuve du prêt est soumise aux dispositions de l'article « 1648 » du code civil et qu'elle résulte d'un ensemble de présomptions constituées par des lettres de Mme [Y] [M] à Mme [T] [P], de ses déclarations devant les services de police durant sa garde à vue et du témoignage de Mme [I],
Dire et juger, subsidiairement, que la preuve du prêt est soumise aux dispositions de l'article « 1647 » du code civil et qu'elle résulte des deux commencements de preuve par écrit constitués des lettres de Mme [Y] [M] à Me [G], et de ses déclarations devant les services de police durant sa garde à vue, complétés par le témoignage de Mme [I],
Dire et juger que Mme [Y] [M] n'a pas remboursé cette somme,
A titre subsidiaire, sur la prétendue donation,
Dire et juger que le projet de cohabitation pour lequel la prétendue donation aurait été consentie ne s'est jamais réalisé,
Prononcer la révocation de la prétendue donation,
Dire et juger subsidiairement qu'au moment de la remise à Mme [Y] [M] de la somme de 100.000 euros, Mme [T] [P] n'était pas saine d'esprit et qu'en toute hypothèse son consentement a été vicié par les man'uvres dolosives de Mme [Y] [M],
En conséquence,
Dire et juger les demandes de Mme [T] [P] à l'encontre de Mme [Y] [M] recevables et bien fondées,
Condamner Mme [Y] [M] à payer à Mme [T] [P] la somme de 100.000 euros, outre les intérêts calculés par application du taux d'intérêt légal à compter du 16 mai 2012, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil,
Condamner Mme [Y] [M] à payer à Mme [T] [P] la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.
Dans les motifs de leurs écritures, les appelantes développent l'argumentation suivante :
Mme [T] [P] s'est trouvée dans l'impossibilité morale de se procurer un écrit compte tenu de l'amitié sincère qui s'était nouée entre les deux amies, au sens de l'article 1348 du code civil, et les éléments de fait rapportés permettent de retenir l'existence d'un prêt ; en outre, la lettre de Mme [Y] [M] au notaire, le 8 août 2012, constitue un commencement de preuve par écrit de l'absence de donation auquel s'ajoutent les PV d'audition par la police où elle reconnait que Mme [T] [P] lui a remis la somme de 100.000 euros pour lui permettre de solder un prêt en vue d'acheter une maison avec elle et non à titre de donation et indique avoir recherché un prêt pour pouvoir rembourser Mme [T] [P] ; enfin, Mme [I] témoigne avoir assisté à la demande de remboursement formulée par Mme [T] [P] et à la réponse de Mme [Y] [M] lui opposant l'impossibilité de la rembourser tant que son terrain ne serait pas vendu ;
Si la donation devait être retenue, il s'agit d'une donation affectée d'une condition qui était l'acquisition d'une maison dans le dessein de cohabiter, sujette à révocation à défaut de réalisation de cette condition ; en outre, Mme [T] [P] était affectée de troubles mentaux, à la suite du décès de sa mère, l'expert judiciaire désigné constatant qu'elle s'en remettait aux initiatives de ceux dont elle dépendait et faisait preuve d'une soumission excessive à leur volonté, ces constatations amenant à prendre à son égard une mesure de protection ; elles affirment que cet état a été durable après le décès de sa mère et existait encore lors de la remise du chèque, antérieure à l'ouverture de la curatelle ; l'acte devrait donc être annulé en application de l'article 414-1 du code civil et subsidiairement en application de l'article 901 du code civil en raison des man'uvres dolosives de Mme [Y] [M].
Mme [Y] [M] a conclu le 1er décembre 2016 mais ses conclusions ont été déclarées irrecevables par le conseiller de la mise en état, par ordonnance du 18 février 2017, sur le fondement des articles 909 et suivants du code de procédure civile
La procédure a été clôturée par ordonnance du 2 mai 2017.
MOTIFS DE LA DECISION :
Attendu qu'il n'est pas contesté que Mme [T] [P] a remis à Mme [Y] [M], le 9 décembre 2010, un chèque de 100.000 euros et que cette somme était destinée au remboursement anticipé d'un prêt permettant à Mme [M] de lever l'hypothèque grevant un terrain dont elle était propriétaire ; qu'il ressort également des déclarations des parties, notamment dans le cadre de leur audition par les services de police, que Mme [T] [P] - qui avait perdu sa mère et ne voulait plus vivre seule - avait le projet d'acquérir avec Mme [Y] [M] - qui avait travaillé pour sa mère et l'avait beaucoup aidée et avec laquelle elle avait lié des relations d'amitié - une maison dont l'une occuperait l'étage et l'autre le rez-de-chaussée, raison pour laquelle Mme [M] devait pouvoir dégager son bien immobilier de l'hypothèque qui le grevait ;
Que Mme [T] [P] affirme que cette somme avait été remise à Mme [Y] [M] à titre de prêt et à charge de remboursement, ce qui était contesté en première instance par la défenderesse ;
Attendu qu'en application de l'article 1315 du code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce, il appartient au créancier de rapporter la preuve de l'obligation dont il demande l'exécution, soit donc au demandeur en remboursement d'un prêt de démontrer l'existence de l'obligation de remboursement des fonds qu'il a remis ;
Que la preuve doit être rapportée par écrit pour toute obligation supérieure à 1.500 euros, sauf la dérogation prévue par l'article 1348 du code civil lorsque la partie demanderesse n'a pas eu la possibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ;
Que Mme [T] [P] invoque l'impossibilité morale en mettant en avant les liens d'amitié existant entre les deux femmes et la confiance qu'elle portait à son amie à laquelle elle avait d'ailleurs donné procuration sur son coffre-fort ; mais que la seule existence entre les deux parties de liens d'amitié et de rapports de confiance, au demeurant assez récents, ne suffit pas à constituer une impossibilité morale pour Mme [P] de réclamer un écrit, alors même que la somme en cause était particulièrement importante et avait nécessité un retrait de son contrat d'assurance vie ;
Attendu que la preuve par écrit peut être suppléée par la production d'un commencement de preuve par écrit complété par un élément extrinsèque ; que le complément de preuve par écrit, au sens de l'article 1347 du code civil, est constitué par tout écrit émanant de celui contre lequel la demande est formée et qui rend vraisemblable le fait allégué ; que les déclarations verbales consignées par écrit dans un procès-verbal de police ou de gendarmerie peuvent constituer un commencement de preuve par écrit ;
Qu'en l'espèce, Mme [Y] [M] a été entendue par les services de police le 28 janvier 2013 dans le cadre de l'enquête ouverte sur la plainte de Mme [T] [P] pour abus de faiblesse ; que Mme [M] y rapporte les conditions dans lesquelles le projet d'acquisition commune d'un immeuble et de cohabitation était né avec Mme [P] ; qu'elle déclare : « pour acheter une maison avec cette dame, je devais vendre ma maison, car j'avais un crédit et j'avais une hypothèque sur ce crédit que je ne pouvais pas enlever. (') Elle a fait un chèque de 100.000 euros de banque que j'ai déposé à ma banque, la Banque Populaire Provençale et Corse. (') Entretemps j'ai eu une petite nièce (') Là elle a commencé à changer d'attitude (') Elle m'a appelée et en me disant que ce que je t'ai passé pour la maison je veux que tu me le rendes. Je lui ai dit [T] de bien réfléchir et l'argent est passé dans le crédit et je lui ai dit que j'allais passer à la banque pour voir si l'on m'acceptait le crédit. Je suis allée à CETELEM, à d'autres banques et ils m'ont dit que je devais vendre la maison pour avoir un crédit. Je ne pouvais pas vendre la maison car j'avais de petits revenus. » ; que plus loin, elle énumère les cadeaux que lui a faits Mme [T] [P], sans évoquer la remise des 100.000 euros ; enfin qu'interrogée sur la disparition d'une lettre qu'elle avait faite à Mme [T] [P] précisant qu'elle lui devait la somme de 100.000 euros, elle ne discute pas la rédaction de cette lettre mais explique que Mme [T] [P] a été victime de plusieurs effractions ;
Que les déclarations ainsi faites par Mme [Y] [M] permettent de retenir l'existence d'une reconnaissance de sa part de l'obligation de restituer la somme de 100.000 euros remise par Mme [T] [P] pour lui permettre de libérer son bien immobilier de l'hypothèque afin de le vendre ;
Que ce commencement de preuve par écrit est complété par le témoignage de Mme [I] qui atteste avoir assisté à une conversation entre Mme [T] [P] et Mme [Y] [M] au cours de laquelle la première réclamait le remboursement d'un prêt de 100.000 euros et la seconde répondait qu'elle ne pouvait rembourser car elle n'avait pas encore vendu son terrain ;
Qu'il convient en conséquence de retenir que la preuve de l'obligation de restitution souscrite par Mme [Y] [M] est suffisamment rapportée par les appelantes, d'infirmer le jugement qui les a déboutées de leur demande de remboursement et de condamner en conséquence Mme [Y] [M] à payer à Mme [T] [P] la somme de 100.000 euros qui sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 mai 2012, date de la mise en demeure de payer adressée à Mme [M] par Me [G] ; que ces intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code civil à compter de la demande qui en a été faite dans l'assignation du 10 octobre 2012 ;
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile,
PAR CES MOTIFS,
la cour statuant publiquement, contradictoirement,
et en dernier ressort,
Infirme le jugement du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence déféré en toutes ses dispositions ;
Condamne Mme [Y] [M] à payer à Mme [T] [P] la somme de 100.000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 mai 2012, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil à compter du 10 octobre 2012 ;
Condamne Mme [Y] [M] à payer à Mme [T] [P] une somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
La condamne aux dépens de première instance et aux dépens d'appel lesquels seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT