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24/05/2017 | FRANCE | N°15/07634

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 8e chambre c, 24 mai 2017, 15/07634


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

8e Chambre C



ARRÊT AU FOND

DU 24 MAI 2017



N° 2017/ 276













Rôle N° 15/07634







[N] [G]





C/



CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE ALPES CORSE

SA SOCIETE MARSEILLAISE DE CREDIT





















Grosse délivrée

le :

à :



LEANDRI-CAMPANA



FIGUIERE-MAURIN



[K] [E]













Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 09 Avril 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 2013F03901.





APPELANT



M. [N] [G], agissant en qualité de mandataire liquidateur de la SAS CROISITOUR

demeurant [Adresse 1]

représenté et assisté de ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

8e Chambre C

ARRÊT AU FOND

DU 24 MAI 2017

N° 2017/ 276

Rôle N° 15/07634

[N] [G]

C/

CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE ALPES CORSE

SA SOCIETE MARSEILLAISE DE CREDIT

Grosse délivrée

le :

à :

LEANDRI-CAMPANA

FIGUIERE-MAURIN

[K] [E]

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 09 Avril 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 2013F03901.

APPELANT

M. [N] [G], agissant en qualité de mandataire liquidateur de la SAS CROISITOUR

demeurant [Adresse 1]

représenté et assisté de Me Stéphanie LEANDRI-CAMPANA, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

SA Société Marseillaise de Crédit, venant aux droits du Crédit du Nord, prise en la personne de son représentant légal, dont le siège est sis [Adresse 2]

représentée et assistée de Me Fabienne FIGUIERE-MAURIN, avocat au barreau de MARSEILLE

PARTIE INTERVENANTE

Caisse d'Epargne et de Prévoyance Alpes Corse, poursuites et diligences de son représentant légal en exercice intervenante volontaire, dont le siège est [Adresse 3]

représentée par Me Gilles MATHIEU de la SELARL MATHIEU-DABOT-BONFILS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 28 Mars 2017 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Dominique PONSOT, Président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Dominique PONSOT, Président

Madame Cathy CESARO-PAUTROT, Conseiller

Madame Claudine PHILIPPE, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Mai 2017

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Mai 2017,

Signé par Monsieur Dominique PONSOT, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Vu le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 9 avril 2015 ayant, notamment :

- condamné la Société Marseillaise de Crédit à payer à Me [N] [G] ès qualités de mandataire liquidateur de la Société Croisitour la somme de 300.000 euros à titre de dommages-intérêts pour la perte du fournisseur IATA et le préjudice de perte d'image qui en est découlé et celle de 3.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Me [N] [G] ès qualités de mandataire liquidateur de la Société Croisitour de sa demande au titre de règlement de l'insuffisance d'actif constatée dans le cadre de la liquidation judiciaire de la Société Croisitour,

- condamné la Société Marseillaise de Crédit aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire pour le tout,

- rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires ;

Vu la déclaration du 30 avril 2015, par laquelle la Société Croisitour représentée par Me [N] [G] ès qualités de mandataire liquidateur a relevé appel de cette décision ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 17 février 2017, aux termes desquelles Me [N] [G] demande à la cour de :

- le recevoir ès qualités de mandataire liquidateur de la Société Croisitour en son appel, le déclarer recevable et bien fondé,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité à la somme de 300.000 euros le montant de l'indemnisation due par la Société Marseillaise de Crédit à la Société Croisitour et en ce qu'elle l'a débouté de sa demande tendant à voir condamner la Société Marseillaise de Crédit au paiement du passif inscrit dans la liquidation judiciaire de la Société Croisitour,

En conséquence et statuant à nouveau,

- dire et juger que la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'encontre de la Société Croisitour par jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 6 janvier 2014 a pour origine les fautes contractuelles commises par la Société Marseillaise de Crédit,

En conséquence,

A titre principal :

- condamner la Société Marseillaise de Crédit à lui payer, ès qualités de mandataire liquidateur de la Société Croisitour, la somme de 500.000 euros à titre de dommages-intérêts pour atteinte à l'image de la société ainsi qu'à régler des dommages-intérêts à hauteur de la somme de 1.453.347,43 euros en réparation du préjudice subi par la Société Croisitour du fait de son placement en liquidation judiciaire,

A titre subsidiaire

- condamner la Société Marseillaise de Crédit à lui payer, ès qualités de mandataire liquidateur de la Société Croisitour, la somme de 500.000 euros à titre de dommages-intérêts pour atteinte à l'image de la société ainsi qu'à régler des dommages-intérêts à hauteur de la somme de 1.453.347,43 euros, au titre de la perte d'une chance de redressement,

En tout état de cause,

- condamner la Société Marseillaise de Crédit à lui payer, ès qualités de mandataire liquidateur de la Société Croisitour, la somme de 3.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 14 février 2017, aux termes desquelles la Société Marseillaise de Crédit demande à la cour de :

- la recevoir en son appel incident régulier en la forme et justifié au fond,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à Me [N] [G], ès qualités de mandataire liquidateur de la Société Croisitour, la somme de 300.000 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte du fournisseur IATA et le préjudice de perte d'image qui en a découlé,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 3.500 euros au visa des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de l'instance,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Me [N] [G], ès qualités de mandataire liquidateur de la Société Croisitour, de sa demande au titre de règlement de l'insuffisance d'actif constatée dans le cadre de la liquidation judiciaire de la Société Croisitour,

- débouter Me [N] [G], ès qualités de mandataire liquidateur de la Société Croisitour, des fins de son appel,

- débouter Me [N] [G], ès qualités de mandataire liquidateur de la Société Croisitour, de l'intégralité de ses demandes tant principales que subsidiaires,

- condamner la Société Croisitour, représentée par Me [N] [G] ès qualités de mandataire liquidateur, au paiement de la somme de 5.000 euros au visa des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Société Croisitour, représentée par Me [N] [G] ès qualités de mandataire liquidateur, aux entiers dépens, dont distraction ;

Vu les uniques conclusions notifiées le 2 mai 2016, aux termes desquelles la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse, intervenante volontaire, demande à la cour de :

- prendre acte de l'intervention volontaire de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse dans la procédure pendante devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence et opposant Me [N] [G], ès qualités de mandataire liquidateur de la Société Croisitour, à la Société Marseillaise de Crédit ;

SUR CE, LA COUR,

Attendu que la Société Croisitour, exerçant l'activité d'agence de voyages et de tour opérateur, était en relation commerciale depuis 1987 avec le Crédit du Nord, aux droits duquel se trouve aujourd'hui la Société marseillaise de crédit ; que depuis 2004, l'agence de voyages bénéficiait d'une autorisation de découvert portée à 250.000 euros avec, depuis octobre 2012, une autorisation portée à 300.000 euros le 15 de chaque mois et pour une durée de 8 jours, pour les besoins du règlement à l'Association internationale du transport aérien (IATA) de l'encours de billet émis durant le mois précédent ; que cette opération, dénommée BPS (billing and settlement plan), est régie par des règles particulières prévoyant, en cas de défaut de payement, une procédure pouvant conduire à une perte de l'agrément délivré par l'IATA et donc à l'arrêt du droit d'émettre de billets ;

Que le 23 mai 2013, la Société marseillaise de crédit a dénoncé, moyennant un préavis de 60 jours calendaires, la convention de compte de la société Croisitour ; que, toutefois, à l'issue du délai de préavis de 60 jours,la Société marseillaise de crédit a proposé à l'agence un protocole d'apurement de sa dette selon un calendrier défini, jusqu'à extinction de son découvert ; que ce protocole a été régularisé le 7 août 2013 ; qu'il prévoyait un découvert autorisé de 250.000 euros, devant être apuré par paliers de 10.000 euros chaque mois ; qu'il prévoyait également une autorisation supplémentaire de découvert de 50.000 euros en période de règlement des BSP pendant huit jours ;

Que le 14 novembre 2013, la société a adressé à la Société marseillaise de crédit les justificatifs des règlements de nature à couvrir le montant du BSP devant obligatoirement intervenir le vendredi 15 novembre 2013, et, le 15 novembre 2013, lui a donné l'ordre de procéder à un virement de 33.955,06 euros au profit de l'IATA France ;

Que le 15 novembre, la Société marseillaise de crédit a affirmé avoir réglé le BSP de l'agence de voyages ; que le BSP a effectivement été réglé le lundi 18 novembre ;

Que le 18 novembre 2013 l'IATA a adressé à la société Croisitour un avis de défaut, l'informant que le paiement n'avait pas été reçu, et lui enjoignant d'y procéder dans un délai d'un jour ouvré ; que le 20 novembre 2013, l'IATA a notifié un nouvel avis constatant que le paiement n'était pas intervenu, et informant la société de la suspension de l'autorisation d'émettre des billets, lui rappelant la possibilité de régulariser la situation en procédant au règlement et en communiquant un formulaire type précisant la nature de l'erreur et le motif du retard de règlement de la banque, dans un délai de 10 jours à compter de l'incident ;

Qu'à cet effet, la Société marseillaise de crédit a été sollicitée par sa cliente pour qu'elle précise la cause du retard de paiement ; que le 27 novembre 2013, la Société marseillaise de crédit a adressé, par lettre simple, à la société Croisitour un courrier expliquant que le retard dans l'exécution du règlement était dû à un retard technique dans l'acheminement des fonds sur le compte de la société ; que cette explication n'étant pas suffisante pour que l'incident puisse être considéré comme imputable à la banque, la situation n'a pu être régularisée, conduisant la société Croisitour, privée du droit d'émettre des billets, à la cessation de ses activités et à sa liquidation judiciaire, laquelle a été prononcée le 6 janvier 2014 ;

Qu'estimant que cette situation était imputable à la Société marseillaise de crédit, Me [G], ès qualités de mandataire liquidateur de la société Croisitour, l'a fait assigner en responsabilité devant le tribunal de commerce de Marseille, lequel, par le jugement entrepris, a partiellement fait droit aux demandes, condamnant la Société marseillaise de crédit à lui verser la somme de 300.000 euros à titre de dommages-intérêts pour la perte du fournisseur IATA et le préjudice de perte d'image qui en a découlé ;

Qu'il sera précisé que la société Croisitour faisait partie d'un groupe de sociétés ayant la même activité d'agence de voyages, dont la société Croisières et Voyages, laquelle fait l'objet d'un litige similaire, également pendant devant la cour ; que les deux dossiers étant étroitement liés, il sera nécessairement fait état du litige opposant la société Croisières & Voyages à la Société marseillaise de crédit ;

Sur la responsabilité de la Société marseillaise de crédit

Attendu que la Société marseillaise de crédit, appelante incidente, demande à la cour de réformer le jugement en ce qu'il l'a déclarée responsable de la perte du fournisseur IATA ;

Que, selon elle le solde débiteur du compte de Croisitour au 14 novembre 2013, veille du règlement du BSP, s'établissait à 255.701,42 euros, donc en dépassement, et qu'elle était, par conséquent, fondée à ne pas procéder, le 15 novembre 2013 à la première heure, au paiement du BSP de Croisitour de 33.955,06 euros par débit de son compte, qui ne respectait pas le plafond du découvert autorisé, avant d'avoir reçu au crédit des fonds suffisants pour que la limite en soit respectée ;

Qu'elle expose en outre que le montant total des BSP dus à IATA pour novembre 2013 était de 398.226 euros représentant le BSP de Croisitour (33.955,06 euros), ceux de Croisières & Voyages (206.439,17 + 149.469,64 = 355.908,81 euros) outre le BSP de Electra (8.362,23 euros) ;

Qu'ont été effectivement exécutés, le 15 novembre 2013, les virements du BSP d'Electra et de Croisitour, et le virement partiel du BSP de Croisières et Voyages pour 206.439,17 euros ; que le second virement du BSP de Croisières et Voyages de 149.469,64 euros n'a, quant à lui, été fait le 18 novembre 2013 qu'à hauteur de 132.000 euros, la position débitrice du compte ne permettant pas le paiement dans la limite autorisée ;

Que la société Croisières et Voyages avait elle-même réduit sa demande de règlement du solde du BSP à 132.000 euros, suivant courriel de Croisitour du 18 novembre 2013 ; que selon la Société marseillaise de crédit, les deux agences de voyages savaient donc que les BSP ne seraient pas payés à hauteur de 17.469,64 euros ; que l'IATA a traité de façon globale l'ensemble des BSP ;

Qu'ainsi, même si le virement du montant du BSP dû par Croisitour de 33.955,06 euros avait pu être pris en compte le 15 novembre 2013 et non le 18 novembre 2013, cela n'aurait pas empêché l'émission d'un avis d'irrégularité par IATA ; que ce n'est pas la date de réception des fonds par IATA qui est la cause du litige car l'avis d'irrégularité n'a pas été émis en raison d'un paiement tardif du BSP de Croisitour ; que, dès lors, il ne peut lui être valablement fait grief d'avoir manqué à ses obligations contractuelles à l'occasion de la procédure de régularisation de l'incident auprès de IATA ;

Qu'à cet égard, la Société marseillaise de crédit estime que la perte de l'agrément l'IATA n'est pas la conséquence d'un envoi tardif de la lettre de régularisation de l'incident ; qu'en effet, afin de permettre aux sociétés Croisitour et Croisières & Voyages d'adresser à l'IATA la régularisation de l'incident, la Société MC leur a envoyé, le 21 novembre 2013 (soit 3 jours après la demande de l'IATA), un courriel ainsi rédigé : 'Faisant suite à votre demande, nous vous confirmons que le règlement des BSP s'est fait avec un décalage de 48 heures suite à un retard technique de l'acheminement des fonds en provenance d'une autre Banque sur votre compte' ;

Que, toutefois, insatisfaites de ce courriel, les sociétés Croisitour et Croisières et Voyages lui ont demandé une 'lettre bancaire qui certifie la responsabilité du retard' et 'qui stipule que l'Agent disposait de fonds suffisants à la date de règlement' ; que la Société marseillaise de crédit estime cependant qu'elle ne pouvait que s'opposer à l'inscription de cette dernière déclaration ; que les agences de voyages s'y sont résolues et la banque a donc établi, conformément à leur demande formulée le 25 novembre 2013, le 26 novembre 2013, soit à l'intérieur du délai de régularisation de 10 jours ouvrables imparti par IATA, une lettre reprenant à l'identique le courriel du 21 novembre 2013 ;

Qu'en réponse, Me [N] [G], ès qualités de mandataire liquidateur de la société Croisitour, qui sollicite l'infirmation du jugement entrepris quant au quantum, demande la confirmation du jugement pour les motifs qu'il retient concernant la responsabilité de la banque ;

Qu'il estime, en effet, que la banque, en refusant de régler le montant du BSP le 15 novembre 2013, alors qu'elle avait assuré son contractant du contraire par courriel du même jour et que Croisitour était dans les autorisations du découvert, pour n'adresser l'ordre de virement que le 18 novembre 2013, a engendré une coupure nette des accès à la réservation auprès de l'organisme IATA à compter du 20 novembre 2013 ;

Qu'en outre, Me [N] [G] affirme qu'il ressort des pièces versées aux débats que conformément au protocole la société Croisitour disposait d'une autorisation de découvert de 280.000 euros entre le 15 novembre et le 23 novembre et que le 15 novembre 2013 le solde était de 234.045,83 euros, donc conforme à l'accord des parties ;

Que s'agissant de la régularisation de l'incident, il rappelle que malgré les demandes insistantes de son contractant l'informant des graves conséquences pour son activité d'un refus de suivre la procédure préconisée par l'organisme IATA, la banque a intentionnellement fait preuve de la plus grande inertie, postant en éco pli le 27 novembre 2013 la lettre sollicitée, de sorte que cette correspondance est arrivée postérieurement à la date ultime de régularisation ;

Qu'il considère que la Société marseillaise de crédit est de mauvaise foi lorsqu'elle prétend avoir rédigé le courrier exigé par IATA dans le délai de régularisation ; que si ce courrier est bien daté du 26 novembre 2013, force est de constater que la banque a fait en sorte qu'il ne parvienne à la Société Croisières et Voyages qu'après l'expiration des délais de régularisation ;

Qu'il rappelle également que l'agence de voyages n'a plus pu émettre de billets d'avion depuis le 20 novembre 2013, de sorte qu'elle s'est retrouvée en arrêt d'activité depuis cette dernière date, conduisant à sa mise en liquidation judiciaire par jugement du 6 janvier 2014 ; que, selon lui, il existe un lien de cause à effet direct entre les fautes de la Société marseillaise de crédit et l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire ; qu'en effet, c'est bien la Société marseillaise de crédit qui avait pour mission de régler les BSP du mois de novembre 2013 et il n'est pas contestable qu'elle a failli dans l'exécution de sa mission puisqu'elle a procédé à son règlement le 18 novembre 2013 au lieu du 15 novembre 2013 ;

Qu'ainsi, c'est bien le retard de paiement initial de l'organisme IATA par la Société marseillaise de crédit, et ensuite son incapacité à réparer l'erreur commise en suivant la procédure fixée par ledit organisme, qui sont la source du préjudice subi par Croisitour ;

*

Attendu qu'il doit tout d'abord être constaté que la société Croisitour consacre un certain nombre de développements aux conditions dans lesquelles la Société marseillaise de crédit a dénoncé ses concours en mai 2013, reprochant ainsi à son banquier de l'avoir privée du moyen d'exercer une activité où la conjugaison des différés de paiement de ses clients et la rigueur croissante des conditions imposées par son principal fournisseur, l'IATA, lui impose de bénéficier de facilités de trésorerie ;

Que si, dans le dernier état de ses écritures, la société Croisitour n'en tire plus explicitement la conséquence que cette dénonciation est la cause du défaut de règlement des BPS à la date du 15 novembre 2013, il apparaît cependant nécessaire d'examiner préalablement cette question, en l'état de la formulation persistante d'un certain nombre de griefs à l'encontre de la Société marseillaise de crédit ;

Attendu qu'au vu des éléments du dossier, il apparaît que la dénonciation notifiée à la société Croisitour le 23 mai 2013 a été assortie d'un délai de préavis de 60 jours, et ce conformément à l'article L 313-12 du code monétaire et financier ; que cette dénonciation des concours octroyés ne peut, dès lors, être considérée comme fautive ; que l'antériorité des relations commerciales entre les parties n'imposaient pas à la banque d'observer un délai de préavis plus long ; qu'elle n'avait pas à motiver cette dénonciation et n'avait, par suite, pas à attendre l'établissement, début juin 2013, des comptes annuels de la société ; qu'il sera, en outre, observé que dès octobre 2012, la Société marseillaise de crédit avait invité sa cliente à obtenir un élargissement des concours accordés par ses autres partenaires bancaires, à ouvrir son capital et à rechercher une autre banque, ce que la société avait déclaré s'employer à faire par un courriel du 23 octobre 2012 ;

Qu'au surplus, et alors qu'elle aurait pu exiger le solde débiteur du compte à l'expiration du délai de préavis, la banque a accepté d'octroyer un plan d'apurement progressif, sur 26 mois, du découvert ; que c'est ainsi que le 7 août 2013, un tel protocole a été signé entre les parties, prévoyant à la fois un apurement progressif du solde débiteur et le maintien d'une autorisation majorée de 50.000 euros pendant huit jours en période de règlement des BPS ; que la question de savoir si ces huit jours devaient s'entendre en jours calendaires ou en jours ouvrés est, en l'espèce, indifférente, dès lors que n'est pas en cause la question de la durée de cette autorisation supplémentaire de découvert, mais son dépassement ; que c'est également en vain que la société Croisitour fait valoir que la signature de ce protocole lui aurait été imposée dans des conditions ne lui laissant pas d'autre choix que de l'accepter, dès lors que ce protocole lui évitait de devoir faire face à l'exigibilité du solde ;

Qu'il résulte donc de ce qui précède qu'aucune faute ne peut être retenue à l'encontre de la banque s'agissant de l'exercice de son droit de dénoncer l'autorisation de découvert précédemment accordée ;

Attendu, pour le reste, qu'il doit être rappelé et n'est au demeurant pas discuté, qu'à la date du 15 novembre 2013, la société Croisitour bénéficiait, en exécution du protocole, d'une autorisation de découvert de 230.000 euros augmentée de 50.000 euros pendant une durée de huit jours, soit 280.000 euros au total ;

Que s'agissant de la position du compte de la société Croisitour, il apparaît, au vu des pièces produites aux débats par la banque elle-même, qu'il était débiteur de 255.701,42 euros le 14 novembre 2013, ce qui ne permettait pas l'exécution, le 15 novembre à la première heure, du virement de 33.955,06 euros, lequel aurait conduit à un dépassement de l'autorisation de découvert de 280.000 euros ; que, toutefois, après réception d'un virement créditeur de 28.000 euros, en provenance de la société Voyage & Tourisme, appartenant au même groupe que la société Croisitour, et nonobstant un autre virement, débiteur, effectué par cette dernière au profit de la société Croisières & Voyages de 10.000 euros ce même 15 novembre 2013, la position du compte a autorisé, en cours de journée du 15 novembre 2013 l'exécution du virement ;

Que la Société marseillaise de crédit justifie avoir procédé, le 15 novembre 2013 à 15h10, à un virement au profit de l'IATA/BSP France, pour un montant de 33.955,06 euros, virement qui, de fait, n'a été exécuté que le 18 novembre ainsi qu'il résulte du relevé de compte produit aux débats ;

Qu'ainsi, il apparaît que, pour ce qui est du règlement du BSP dû par Croisitour, le virement a été exécuté et à tout le moins comptabilisé le 18 novembre 2013 ; que l'avis d'irrégularité adressé le 18 novembre 2013 par l'IATA indiquait que le paiement devait avoir été reçu par la banque chargée de la compensation au plus tard un jour ouvrable après l'émission dudit avis, soit le 19 novembre 2013 ; que le virement de 33.955,06 euros ayant été comptabilisé au débit du compte de la société Croisitour, il doit être considéré comme ayant été reçu par la banque destinataire, HSBC France, simultanément et en toute hypothèse le 19 novembre 2013 ;

Qu'en conséquence, l'exécution du virement de 33.955,06 euros en règlement du BSP Croisitour ne présente aucun caractère fautif ;

Que la difficulté, non imputable à la Société marseillaise de crédit, vient de ce que, nonobstant leur référencement auprès de l'IATA sous des codes distincts, cette organisation a appréhendé de façon globale les sociétés Croisitour et Croisières & Voyages ; que ceci ressort très clairement de l'avis adressé par l'IATA le 18 novembre 2013, qui mentionne un encours (outstanding amout) de 389.861,51 euros, correspondant à la somme des trois BSP dus par ces sociétés (33.955,06 + 206.439,17 + 149.469,64 = 389.861,51 euros) et se réfère à un défaut dans le payement complet (full remittance) de ce montant, indiquant que la non-exécution de ce payement aurait certaines conséquences (default action) à l'égard de l'ensemble des agences agréées (all your Approved Locations) ; que l'avis notifié le 20 novembre, adressé expressément aux deux sociétés Croisières &Voyages et Croisitour, se réfère à nouveau au fait qu'un payement complet n'a pas été reçu (full payment has not been received) ;

Qu'il est constant que la totalité des sommes n'a pas été réglée, la position du compte de la société Croisières & Voyages ne l'ayant pas permis ; qu'en effet, si le virement de 206.439,17 euros a été exécuté le 15 novembre à 15h13 et, à tout le moins, comptabilisé le 18 novembre 2013, le règlement de l'autre BSP, de 149.469,64 euros, n'a été exécuté, selon ordre de virement de la société Croisières & Voyages du 18 novembre adressé par télécopie à 14h45, qu'à hauteur de 132.000 euros, le 18 novembre 2013 à 14h53 ; que le reliquat, soit 17.469,64 euros, n'a, délibérément, pas été réglé ;

Qu'il en résulte que la mise en défaut de la société Croisitour et, subséquemment, le retrait de son agrément par l'IATA ne sont pas la conséquence de l'exécution, prétendument tardive et fautive, du virement de 33.955,06 euros, mais de l'impossibilité pour la société Croisières & Voyages, de régler l'intégralité de ses deux BSP dans les délais requis ;

Que par suite, la Société marseillaise de crédit était fondée à refuser d'établir une lettre dans laquelle elle aurait assumé la responsabilité de l'inexécution du paiement complet des BSP dans les délais, pour permettre aux sociétés Croisitour et Croisières & Voyages de régulariser la situation et obtenir la levée de la suspension du droit d'émettre de billets ; qu'en acceptant d'écrire à ses clientes à l'attention de l'IATA que le règlement des BSP du mois de novembre s'était fait avec un décalage de 48h suite à un retard technique de l'acheminement des fonds en provenance d'une autre banque sur votre compte, la Société marseillaise de crédit n'a pas dénaturé la réalité des faits et ne pouvait affirmer davantage pour répondre aux attentes de l'IATA qui subordonnait l'annulation de la suspension et de la notification d'irrégularité au fait que la banque prenne la responsabilité de l'erreur et le certifie avec une lettre conforme (courriel de l'IATA du 28 novembre 2008) ;

Que contrairement à la thèse implicitement soutenue par la société Croisitour, l'irrégularité à laquelle se référait l'IATA n'était pas le différé de règlement du 15 novembre au 18 novembre, mais l'absence de paiement complet de la totalité des sommes dues par les sociétés Croisitour et Croisières & Voyages ;

Qu'il résulte de ce qui précède qu'aucune faute, en rapport avec les lourdes conséquences du retrait d'accréditation de la société Croisitour par l'IATA, ne peut être imputée à la Société marseillaise de crédit ;

Que le jugement sera, en conséquence, infirmé en ce qu'il a déclaré la Société marseillaise de crédit responsable du préjudice subi par la société Croisitour ;

Sur l'intervention volontaire de la Caisse d'épargne

Attendu que la Caisse d'épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse expose qu'elle a consenti à la société Croisitour divers concours bancaires en garantie desquelles Mme [H], gérante de la société, s'est portée caution dans la limite de 150.000 euros le 24 octobre 2012 ;

Que le 9 janvier 2014, la Caisse d'épargne a déclaré sa créance et, par courrier du même jour, a mis en demeure la caution de lui régler la somme de 150.000 euros ; que cette mise en demeure étant demeurée infructueuse, la Caisse d'épargne l'a fait assigner devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence ;

Qu'à la demande de la caution, le tribunal de commerce a sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure engagée par Me [G] contre la Société marseillaise de crédit, dès lors que Me [G] sollicite la condamnation de la Société marseillaise de crédit à prendre à sa charge l'intégralité de l'insuffisance d'actif, ce qui aurait pour effet d'éteindre la dette de la société Croisitour vis-à-vis de la Caisse d'épargne, et de décharger la caution ;

Attendu qu'il sera donné acte à la Caisse d'épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse de son intervention volontaire ;

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Attendu que les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de procédure collective ;

Attendu que l'équité commande d'allouer en cause d'appel à la Société marseillaise de crédit une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 avril 2015 par le tribunal de commerce de Marseille ;

STATUANT à nouveau,

-DÉBOUTE Me [N] [G], ès qualités de mandataire liquidateur de la Société Croisitour, de l'ensemble de ses demandes ;

Y AJOUTANT

-DONNE acte à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse de son intervention volontaire ;

-FIXE au passif de la liquidation de la société Croisitour la créance due au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la somme de 3.500 euros ;

REJETTE toute autre demande des parties,

DIT que les dépens de première instance et d'appel de la présente procédure seront employés en frais privilégiés de procédure collective ;

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 8e chambre c
Numéro d'arrêt : 15/07634
Date de la décision : 24/05/2017

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 8C, arrêt n°15/07634 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-05-24;15.07634 ?
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