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28/04/2017 | FRANCE | N°14/19224

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 18e chambre, 28 avril 2017, 14/19224


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre



ARRÊT AU FOND

DU 28 AVRIL 2017



N°2017/ 223



CB











Rôle N° 14/19224







[X] [P]





C/



SAS [R]



































Grosse délivrée le :

à :



Me Jérôme GAVAUDAN, avocat au barreau de MARSEILLE



Me Cyrille WASSERMAN, avocat au ba

rreau de SARREGUEMINES



Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :



Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FREJUS - section E - en date du 19 Septembre 2014, enregistré au répertoire général sous le n° 13/392.





APPELANT



Monsieur [X] [P], demeurant [Adresse 1]...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 28 AVRIL 2017

N°2017/ 223

CB

Rôle N° 14/19224

[X] [P]

C/

SAS [R]

Grosse délivrée le :

à :

Me Jérôme GAVAUDAN, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Cyrille WASSERMAN, avocat au barreau de SARREGUEMINES

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FREJUS - section E - en date du 19 Septembre 2014, enregistré au répertoire général sous le n° 13/392.

APPELANT

Monsieur [X] [P], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Jérôme GAVAUDAN, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

SAS [R], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Cyrille WASSERMAN, avocat au barreau de SARREGUEMINES substitué par Me Thimothée JOLY, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 21 Mars 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Chantal BARON, Président de chambre, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Chantal BARON, Présidente de chambre

Monsieur Thierry CABALE, Conseiller

Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Avril 2017

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Avril 2017

Signé par Madame Chantal BARON, Présidente de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Par jugement du conseil des prud'hommes de Fréjus du 19 septembre 2014, notifié aux parties le 23 septembre 2014 , la juridiction a jugé qu'était fondé sur la cause réelle et sérieuse, constituée par l'inaptitude du salarié après maladie, le licenciement prononcé par lettre du 29 mars 2013 par son employeur, la SAS [R], à l'encontre de [X] [P], qui exerçait dans l'entreprise, par contrat à durée indéterminée conclu le 3 juillet 2006, et pour une rémunération mensuelle brute de 4200 euros, les fonctions de responsable process industrialisation.

La décision a rejeté toutes les demandes en paiement présentées par [X] [P].

Par acte du 26 septembre 2014, dans le délai légal et par déclaration régulière en la forme, le salarié a régulièrement relevé appel général de la décision.

[X] [P] soutient,

par conclusions déposées le jour de l'audience, visées par le greffe, développées oralement et auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions :

' que, par jugement du 26 février 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale du Var a jugé que l'inaptitude déclarée le 14 novembre 2012 par le salarié est en lien direct avec son accident du travail du 22 février 2012,

' que, par avis du 14 novembre 2012, le médecin du travail l'avait dit inapte définitif à la reprise à son poste et à tout poste dans l'entreprise, en raison d'un danger immédiat par référence à l'article R 46 24 ' 31 du code du travail,

' que l'inaptitude constatée par le médecin du travail résultait en fait du harcèlement subi par le salarié de la part de sa direction, à la suite d'un changement de dirigeant, à compter du 5 octobre 2011, harcèlement qui était à l'origine du malaise sur son lieu de travail survenu le 22 février 2012,

' que le nouveau directeur général, M. [U], avait ainsi établi, dès avant le licenciement de [X] [P], des organigrammes où le nom de celui-ci ne figurait plus qu'en pointillés et sans être intégré dans aucun service, alors qu'il avait trois personnes sous sa responsabilité, que le salarié n'était plus convié aux réunions technico-commerciales ; qu'il avait dû changer de bureau et s'était trouvé ainsi isolé de ses subordonnés ; qu'une absence d'une après-midi afin de consulter le médecin du travail lui avait été refusée, à l'issue d'une scène traumatisante ; enfin, que l'employeur avait déjà diffusé, depuis mars 2012, des annonces pour le remplacer, la volonté de l'évincer étant ainsi manifeste,

' que l'employeur a ainsi manqué à son obligation de sécurité de résultat l'obligeant à prendre les initiatives nécessaires pour prévenir des agissements de harcèlement moral,

' qu'il a en outre manqué à son obligation de recherche de reclassement, alors que des postes existaient au sein de l'entreprise correspondant aux compétences de [X] [P] ; que l'employeur ne produit d'ailleurs pas le registre unique du personnel, alors que l'entreprise appartient à un groupe au sein duquel des possibilités de reclassement aurait pu être trouvées ; que les lettres de recherches de reclassement sont rédigées de telle sorte qu'elles découragent d'éventuelles propositions de poste,

' que, l'inaptitude en lien avec l'accident du travail, fondant le licenciement, étant la conséquence des agissements de l'employeur, [X] [P] a droit à l'indemnité spéciale de licenciement et à des dommages-intérêts équivalant au minimum à 12 mois de salaire,

- qu'aucun élément n'est produit par l'employeur pour fonder les accusations de harcèlement qu'il forme lui-même à l'encontre de [X] [P], harcèlement commis, selon la SAS [R], par le salarié aux dépens de ses propres subordonnés ; que d'ailleurs un grand nombre de salariés se sont trouvés en arrêt de travail ou licenciés à la suite de l'intervention de Monsieur [U] ; que le rapport du CHSCT du 26 avril 2012 rapporte bien les agissements de M. [U], et non de l'ancienne direction.

Le salarié demande à la Cour d'infirmer la décision des premiers juges dans toutes ses dispositions et de lui allouer en définitive paiement des sommes de :

-80'000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-80'000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement,

-30'000 € à titre de dommages-intérêts pour discrimination,

-22'978 euros à titre d'indemnité spéciale de licenciement,

outre 3000 euros représentant ses frais irrépétibles sur la base de l'article 700 du code de procédure civile.

La SAS [R] réplique,

par conclusions déposées le jour de l'audience, visées par le greffe, développées oralement et auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions :

' que la demande en paiement de dommages-intérêts à hauteur de 80'000 € pour licenciement infondé doit s'analyser en demande d'indemnisation de la perte d'emploi consécutive à l'accident du travail, et n'est donc pas de la compétence de la juridiction prud'homale, la cour devant se déclarer incompétente au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale du Var,

' subsidiairement, que la demande est irrecevable comme présentée pour la première fois devant la cour d'appel ; qu'en effet le salarié aurait dû saisir la CPAM [Localité 1] d'une demande de conciliation, avant de porter sa demande devant le tribunal des affaires de sécurité sociale,

' qu'encore plus subsidiairement, il convient de surseoir à statuer dans la présente instance, jusqu'au prononcé de la décision de la cour sur l'appel interjeté à l'encontre du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale du 26 février 2016,

' sur le fond, qu'aucun élément établissant les faits de harcèlement allégués à l'encontre de [X] [P] n'est produit aux débats par celui-ci ; que c'était au contraire le salarié lui-même, ainsi que l'établissent le procès-verbal du CH SCT du 26 avril 2012 et les courriers adressés par l'inspection du travail, qui était à l'origine d'agissements constituant harcèlement, à l'égard d'autres salariés, lesquels avaient alerté l'inspection du travail ; que l'inspection du travail avait elle-même alerté la direction de l'entreprise, un audit ayant été lancé pour évaluer la situation, sous la responsabilité de Monsieur [U], missionné pour ce faire,

' que l'employeur avait parfaitement rempli son obligation de reclassement, y compris au niveau du groupe et en fondant la demande de reclassement sur un motif médical pour éviter que ne soient mises en cause les compétences du salarié, d'autres pays ne connaissant pas la notion d'obligation de reclassement ; qu'il n'avait enfin prononcé le licenciement qu'après consultation des délégués du personnel.

L'employeur demande à la Cour de confirmer la décision des premiers juges dans toutes ses dispositions, de débouter [X] [P] de toutes ses demandes en paiement et de lui allouer en définitive le paiement de la somme de 5000 euros représentant ses frais irrépétibles sur la base de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la compétence

Par jugement du 26 septembre 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale du Var a déclaré opposable à la SAS [R] la décision prise par la CPAM [Localité 1] reconnaissant au titre de la législation professionnelle comme accident du travail l'accident dont a été victime [X] [P] le 22 février 2012.

Par acte du 26 octobre 2016, la SAS [R] a interjeté appel de cette décision, l'instance étant en cours.

Dans la présente instance, [X] [P] sollicite le paiement des sommes de : 30'000 € à titre de dommages-intérêts pour inexécution fautive du contrat de travail, inégalité de traitement et discrimination liée à l'état de santé ; 80'000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement ; 80'000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ; enfin, 22'978 € à titre d'indemnité spéciale de licenciement.

La demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse est fondée sur les mêmes faits que ceux soutenant la demande en déclaration d'accident du travail présentée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, c'est-à-dire le malaise souffert par le salarié, le 22 février 2012, dans un contexte de harcèlement professionnel ayant déclenché un stress, en lien direct avec le travail.

En droit, la demande d'indemnisation de la perte de l'emploi, même consécutive à un licenciement du salarié pour inaptitude, correspond en réalité à une demande de réparation des conséquences de l'accident du travail, excluant la compétence de la juridiction prud'homale.

L'article L 1411-4 du code du travail dispose en effet que le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour connaître des litiges attribués à une autre juridiction par la loi, notamment par le Code de la sécurité sociale en matière d'accidents du travail et maladies professionnelles.

Or, en application des articles L 451-1 et L 142-1 du code de la sécurité sociale, relève de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale l'indemnisation des dommages résultant d'un accident ou d'une maladie professionnelle, qu'ils soient ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

En l'espèce, sous couvert d'une action contre l'employeur pour licenciement infondé, le salarié demande en réalité la réparation d'un préjudice né de l'accident du travail dont il a été victime, caractérisé par le jugement précité du tribunal des affaires de sécurité sociale, accident du travail dont découle son inaptitude reconnue par le médecin du travail, inaptitude ayant elle-même fondé le licenciement. Or, il appartient à la juridiction sociale de se prononcer sur la réparation de l'entier préjudice né de l'accident du travail, dont ne se distingue pas le préjudice invoqué du fait du licenciement.

Il s'ensuit que la demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est irrecevable devant la juridiction prud'homale.

S'il est exact que la cour d'appel, qui a compétence sur l'ensemble des contentieux, prud'homal et social, a compétence pour statuer sur ces points, il en va différemment lorsqu'une autre formation de la cour est déjà, comme en l'espèce, saisie de l'appel interjeté à l'encontre du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale reconnaissant l'existence d'un accident du travail. Il convient par conséquent, en application de l'article 107 du code de procédure civile, de renvoyer le salarié à former sa demande en paiement de dommages-intérêts de ce chef devant la formation de la cour statuant sur l'appel du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale du 26 septembre 2016.

Sur la demande en paiement de dommages-intérêts pour inexécution de l'obligation de reclassement

En droit, l'article L 1226-10 du code du travail dispose que, lorsqu' à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de rechercher un reclassement compatible avec les conclusions du médecin du travail à l'issue de la visite de reprise, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail.

C'est à l'employeur de démontrer qu'il s'est acquitté de son obligation de tentative de reclassement, laquelle est de moyens, dans l'entreprise ou le cas échéant dans les entreprises formant un groupe au sein duquel des postes peuvent être disponibles ou peut être envisagée une permutabilité des salariés entre sociétés. La recherche des possibilités de reclassement doit s'effectuer à l'intérieur du groupe auquel appartient l'employeur, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation lui permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.

L'employeur est tenu d'effectuer une recherche loyale et sérieuse, ce qui exige qu'elle soit concrète, réfléchie et inscrite dans la durée.

En l'espèce, la SAS [R] produit les lettres adressées à l'ensemble des directions du groupe, exposant le cas de [X] [P] et sollicitant des propositions de reclassement internes.

L'employeur produit également les correspondances adressées au médecin du travail, le 19 novembre 2012, pour obtenir des précisions sur les postes de reclassement possibles, et au salarié, le 20 novembre 2012, aux fins de mise à jour de son curriculum vitae pour diffusion par l'employeur des demandes de reclassement. Il produit également la réponse du médecin du travail, en date du 28 novembre 2012, qui fait état des difficultés de reclassement

Il ne peut être reproché à l'employeur, qui a adressé ces correspondances notamment dans des pays étrangers dont il est constant que leur législation ne connaît pas l'obligation de recherche de reclassement, d'avoir précisé que ce reclassement était rendu nécessaire par une raison médicale, alors que l'absence de précision sur les raisons de la demande de reclassement aurait nécessairement conduit à jeter la suspicion sur les compétences professionnelles de [X] [P], au détriment de celui-ci.

Il convient donc de dire que la SAS [R] a correctement rempli son obligation de recherche de reclassement, et de débouter [X] [P] de la demande formée sur ce fondement.

Sur la demande en paiement d'une indemnité spéciale de licenciement

En droit, l'article L 12 26 ' 14 du code du travail dispose que la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L 12 26 ' 12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L 12 34 ' 9.

Le deuxième alinéa de l'article L 1226 ' 12 vise le cas où l'employeur rompt le contrat de travail sans justifier de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L 12 26 ' 10, ou du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions.

L'article L 12 26 ' 10 enfin dispose que, lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations, transformation de poste ou aménagement du temps de travail. Cette indemnité n'est pas due par l'employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif. En revanche, elle n'est due qu'en cas d'inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle.

L'octroi de cette indemnité nécessite donc la reconnaissance par le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'existence d'un accident du travail.

En revanche, cette demande reste de la compétence prud'homale.

En l'espèce, la décision rendue sur la question de l'existence d'un accident du travail par le jugement précité du tribunal des affaires de sécurité sociale n'étant pas définitive, puisque frappée d'appel, il convient de surseoir à statuer sur cette demande, les parties devant nous ressaisir après le prononcé de l'arrêt de cette cour, dans l'instance d'appel interjetée à l'encontre de la décision du tribunal des affaires de sécurité sociale du 26 février 2016.

Sur la demande en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; en vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Pour être constitué, le harcèlement ne nécessite ni l'intention de nuire de son auteur, ni une condition de durée, les agissements pouvant se répéter sur une brève période ou être espacés dans le temps. Des méthodes de gestion peuvent, le cas échéant, caractériser un harcèlement.

Il s'ensuit que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

[X] [P], en l'espèce, soutient qu'il a subi un harcèlement managérial et une stratégie de 'mise au placard' qui se sont manifestés par son éviction des organigrammes de la société, par sa désignation comme une 'mauvaise référence' sur une présentation PowerPoint élaborée par M. [U], à destination des dirigeants de l'entreprise, par la privation de son bureau et son éloignement des personnes placées sous sa responsabilité, par son éviction des réunions techniques, enfin, par l'annonce par M. [U], à la suite d'une convocation le 20 février 2012, d'une décision de la direction le concernant, dont la teneur ne lui a pas été révélée, et par le refus, deux jours plus tard, de l'après-midi de congé qu'il sollicitait pour se présenter à la médecine du travail, tous ces agissements ayant selon lui déterminé le malaise qu'il a subi le 22 février 2011, malaise dont le caractère professionnel est attesté par les certificats médicaux produits aux débats.

[X] [P] produit à l'appui de ses affirmations plusieurs certificats médicaux établissant son suivi par un médecin psychiatre, entre le 1er mars et le 12 novembre 2012, ainsi qu'une lettre du médecin du travail, du 23 février 2012, adressant le salarié à un confrère non dénommé, en mentionnant : « Après octobre 2011, changement de direction et harcèlement moral +++ de beaucoup de salariés (9 en arrêt) je le reverrai pour une I déf (sic) lorsque son état lui permettra de reprendre. Merci de m'aider avec ma lettre parlant de ce harcèlement en rapport direct avec son état de santé (dépressif +++) ». Il produit également la lettre de transmission d'un médecin généraliste à un autre médecin, du 22 février 2012, qui indique : « Merci de recevoir [X] [P] qui est en état de souffrance psychique due à un harcèlement professionnel responsable avec mise à l'écart et autres propos humiliant de son directeur, etc. Merci de la prise en charge. ».

Enfin, le certificat du médecin psychiatre en date du 12 novembre 2012, à l'intention du médecin du travail, indique : « Je soussigné certifie que [X] [P] présente un grave état dépressif à la suite des pressions psychologiques négatives qu'il a subies au sein de son travail. Ce harcèlement caractérisé est reconnu par la sécurité sociale comme étant un accident du travail. En l'état de ce patient actuellement sous traitement et en suivi très régulier bimensuel depuis le 1er mars 2012, il me paraît nécessaire d'envisager une inaptitude définitive à l'entreprise pour ce patient fragilisé qui doit maintenant pouvoir s'extraire de ce milieu négatif pour lui. »

Les certificats successifs du médecin du travail, du 22 février 2012 au 31 juillet 2012 mentionnent également au titre de la cause ou de la prolongation de l'arrêt de maladie pour accident du travail : « malaise dans un contexte de stress professionnel ».

La déclaration d'accident du travail faite par l'employeur, en date du 8 mars 2012 indique : « La victime exerçait normalement son activité et dit avoir eu un entretien, être retournée à son bureau et avoir eu un malaise (n'en a informé personne de la direction présente) ».

[X] [P] produit également un organigramme daté d'octobre 2011, dans lequel il n'apparaît plus qu'en marge de l'organisation, et dans un cadre en pointillés, l'organigramme étant intitué : « Objectif : simplifier, clarifier, une responsabilité = 1 personne, renforcer la production/productivité/flux; réduction des coûts de structure ».

Il produit une attestation de l'ancien directeur général en retraite de l'entreprise, : « Mercredi 15 février 2012, Monsieur [Z], président du groupe, m'a invité, moi et Monsieur [C] [C] à un entretien à la holding du groupe à Stuttgart. C'est lors de cet entretien que Monsieur [Z] nous a informé qu'il désirait se séparer dans un délai court, fin mars 2012, de M. [C], Mme [G] et de Monsieur [X] [P] contre un versement de 12 mois de salaire en contrepartie. Déjà le 10 octobre 2010, quelques jours seulement après l'arrivée de Monsieur [U] à la tête de la SAS [R], dans une présentation faite à Stuttgart et planifiée par Monsieur (un nom illisible), Monsieur [U] présentait la stratégie de réorganisation de la SAS [R]. C'est dans cette présentation et document que le licenciement de Monsieur [X] [P] est clairement demandé et notifié en le qualifiant comme faisant partie de la « bande des quatre ». [X] [P] n'était ni membre de la direction de la SAS [R] ni mentionné dans un quelconque rapport lié aux problèmes psychosociaux dans l'entreprise. Il n'y avait aucune raison de le mêler dans les problèmes prétendus de la SAS [R]. J'ai embauché [X] [P] le 3 octobre 2006. Dans son témoignage, Monsieur [D], ancien directeur de production de l'usine indienne du groupe, qui a quitté cette entreprise sous la pression du harcèlement par le manager directeur qui a dit que Monsieur [T] a demandé de licencier tous les salariés dans le groupe [Z] que j'ai embauchés. » (Attestation [K])

Il produit la lettre de démission adressée le 25 mars 2012 à l'employeur, par un autre salarié, [G] [E], en raison « de la pression morale constante sur les employés (résultant du management de Monsieur [U] notamment) et des crises d'énervement quotidienne ne lui permettant plus de rester pour cause d'effet sur sa santé ».

Enfin, les conclusions du rapport d'expertise diligentée par le tribunal des affaires de sécurité sociale indiquent : « Inaptitude déclarée le 14 novembre 2012 et en relation directe et certaine avec l'accident du travail du 22 février 2012. »

Il produit des offres d'emploi correspondant à son poste, diffusées par l'entreprise sur les réseaux sociaux, les 6, 8 et 19 mars 2012. Il produit également les lettres qu'il a adressées au médecin du travail, le 29 février 2012, et à l'inspection du travail, le 28 avril 2012, faisant

état des différents incidents précités, ainsi que la plainte déposée auprès du procureur de la république de [Localité 2], le 27 mai 2012.

En revanche, la cour ne peut tenir compte des photographies de bureaux produites par [X] [P], qui ne permettent pas d'établir la situation antérieure du salarié et celle qui lui a été faite selon lui.

La SAS [R] réplique que c'est au contraire [X] [P] qui harcelait moralement les autres salariés de l'entreprise. Elle produit à l'appui de ses affirmations le compte-rendu de la réunion du CHSCT du 26 avril 2012 indiquant :

« 1/sujet ouvert demandé par le comité d'entreprise en relation avec les RPS : interrogations et crainte de la part d'une partie du personnel de voir revenir les membres de l'ancienne direction.

Suggestions de l'inspecteur du travail : il faudrait une décision officielle pour rassurer le personnel ; communiquer sur les procédures (indiquer les choix, ne pas trop tarder) ; préconisations sur la prévention des risques psychosociaux ; prévoir un calendrier de prise de décision ; communication pour informer le personnel.

2 / Le médecin du travail constate qu'il y a trop d'arrêts et qu'il y a un problème. 14 personnes sont concernées.

LMG propose : visite tous les 15 jours de la médecine du travail avec E. [H] et [B] [Q] et Dr [J] accepte.

L'inspecteur du travail aimerait un indicateur sur les arrêts à courte durée pour observer si se manifestent des phénomènes de décompensation.

L'inspecteur du travail recommande la venue d'une assistance sociale pour l'accompagnement des salariés. »

L'employeur produit également une lettre de l'inspectrice du travail du 2 mai 2012, adressée à M. [P] [Z], directeur général de l'entreprise, qui indique :

« En 2010, je vous avais alerté sur la situation que je jugeais particulièrement inquiétante sur votre site de [Localité 3], les salariés exprimant une souffrance mentale intolérable. (...) Je souhaite par ce courrier dont M. [U] sera également destinataire, vous informer de mon point de vue sur l'évolution de la situation.

Depuis l'arrivée de ce dernier, les choses ont beaucoup changé notamment en termes d'organisation du travail, les salariés semblent apprécier ces changements. Une dynamique que je pense positive est créée, les gens s'impliquent beaucoup et dépensent toute leur énergie pour avancer. Cela se voit sur les chiffres de la production.

Cependant si les progrès sont là et visibles par chacun, il y a encore beaucoup à faire.

Le médecin du travail a alerté à l'occasion du CHSCT du 26 avril 2012 sur la situation d'une vingtaine de salariés, tant en production que dans les services administratifs qui expriment une souffrance anormale et qui est liée au travail. Selon le Docteur [J], la situation de certains d'entre eux est grave.

J'avais incisé (sic) dès l'arrivée de M. [U] sur la nécessité d'accompagner le changement. (...)

Par ailleurs, les salariés expriment des inquiétudes quant :

- à la possibilité de retour de l'ancienne équipe dirigeante au départ de M. [U] qui est chargé par le groupe [Z] d'une mission temporaire

- à l'arrivée, au départ de M. [U], de dirigeants liés (amicalement) à l'ancienne équipe dirigeante.

Ces inquiétudes impactent directement la sérénité des salariés dont la santé est très fragile compte tenu de ce qu'ils ont vécu et des efforts importants qu'ils fournissent pour redresser la situation.

Le fait que, malgré son comportement, Mme [G] soit toujours dans l'effectif de la société aggrave la situation. Des décisions sont à prendre par la direction générale, elles sont importantes.'

Il résulte des documents produits par l'employeur que des difficultés relationnelles importantes existaient au sein de l'entreprise, depuis 2010, difficultés qui se sont atténuées avec l'arrivée de M. [U], chargé d'une mission d'audit de l'entreprise (et non nouveau dirigeant de celle-ci, comme soutenu par le salarié). Les pièces produites par la SAS [R] ne permettent pas cependant de mettre en cause [X] [P] pour des faits de harcèlement, son nom n'étant jamais cité, et la seule allusion faite par l'inspectrice du travail à 'l'ancienne équipe dirigeante' n'établissant rien à cet égard ; les fonctions de 'responsable process industrialisation' ne donnant par ailleurs aucune indication sur une éventuelle implication du salarié dans 'l'équipe dirigeante' mise en cause. Enfin, en l'absence d'élément précis sur l'implication du salarié dans le harcèlement allégué, la seule coïncidence des dates des documents produits (26 avril et 2 mai 2012) avec l'arrêt de travail du salarié, le 22 février 2012, ne suffit pas là encore à permettre de mettre en cause celui-ci.

En revanche, les pièces produites par [X] [P], ne sont pas non plus de nature à établir l'existence d'agissements de harcèlement commis à son encontre : aucun élément n'établit la privation de son bureau ni sa rétrogradation de fait dans la hiérarchie de l'entreprise, par l'éviction des réunions et la diminution de ses responsabilités. L'organigramme sur lequel il figure dans un cadre en pointillés, et la présentation Powerpoint qui le désigne comme 'une mauvaise référence' (formulation certes regrettable, mais non constitutive de harcèlement dans le contexte d'une entreprise privée où les relations professionnelles sont des plus directes) ont manifestement été élaborés dans le cadre d'une réorganisation de l'entreprise, objet de la mission temporaire de M. [U], et ne sauraient à eux seuls constituer agissement de harcèlement, s'agissant d'un projet qui n'a d'ailleurs manifestement pas été mené à bien. Aucun élément n'établit non plus la teneur de la conversation avec celui-ci du 20 février 2012, ni l'altercation qui aurait eu lieu le 22 février, lors de la demande d'une après-midi de congés.

L'unique attestation produite aux débats, de M. [K], indiquant que le président du groupe l'avait informé, 'fin mars 2012", qu'il voulait se séparer de [X] [P], dans le cadre manifestement d'une rupture conventionnelle, non plus que des annonces d'offre d'emploi, postérieures à l'arrêt de travail du salarié, et qui ne concernaient d'ailleurs pas nécessairement son poste, ne manifestent pas davantage l'existence d'un harcèlement, dès lors qu'une réorganisation de l'entreprise était précisément envisagée, qui pouvait conduire l'entreprise à envisager la rupture conventionnelle de certains contrats de travail, (d'ailleurs évoquée par les dirigeants de l'entreprise, ainsi qu'en atteste le témoin [K]) ou au contraire l'embauche d'un nouveau salarié, et que d'ailleurs [X] [P] se trouvait déjà à cette date en arrêt de travail pour maladie.

Enfin, les certificats médicaux produits aux débats ne font que reprendre les affirmations du salarié, les médecins n'ayant pu constater que la réalité de son état de santé, et non l'origine des troubles constatés.

Il ne résulte donc pas des éléments fournis par le salarié l'existence d'agissements caractérisant le harcèlement. Les mêmes faits étant invoqués à l'appui de la demande en dommages-intérêts pour harcèlement et de celle en paiement de dommages-intérêts pour discrimination, les deux demandes seront rejetées.

Sur les autres demandes

Chacune des parties échouant partiellement en ses prétentions, il convient de les débouter de leurs demandes réciproques en paiement de sommes sur la base de l'article 700 du code de procédure civile. Pour le même motif, les dépens de première instance et d'appel, engagés à ce stade de l'instance, seront partagés par moitié entre elles.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale,

Réforme le jugement déféré, et statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension,

Constate que notre formation n'est pas compétente, en l'état de la saisine d'une autre formation de la cour statuant en matière d'appel de jugement des affaires de Sécurité sociale, pour connaître de la demande en paiement de dommages-intérêts reposant sur le caractère infondé du licenciement ; renvoie le salarié à former cette demande en paiement de dommages-intérêts devant la formation de la cour statuant sur l'appel du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale du 26 septembre 2016, en ordonnant de ce chef le dessaisissement de notre formation au profit de la 14ème chambre de la cour d'appel,

Constate la connexité de la demande en paiement d'indemnité spéciale de licenciement, formée dans la présente instance, avec celle en paiement de dommages-intérêts pour licenciement infondé dont est compétente pour connaître la formation de notre cour saisie de l'appel du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale du 26 septembre 2016,

Sursoit à statuer sur la demande en paiement d'une indemnité spéciale de licenciement, et dit que la cour sera ressaisie à l'initiative de la plus diligente des parties, après le prononcé de l'arrêt de cette cour, dans l'instance d'appel interjetée à l'encontre de la décision du tribunal des affaires de sécurité sociale du 26 février 2016,

Déboute [X] [P] de toutes ses autres demandes,

Déboute les parties de leurs demandes réciproques en paiement de sommes sur la base de l'article 700 du code de procédure civile,

Partage par moitié entre elles les dépens de première instance et d'appel engagés au jour du présent arrêt.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 18e chambre
Numéro d'arrêt : 14/19224
Date de la décision : 28/04/2017

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 18, arrêt n°14/19224 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-04-28;14.19224 ?
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