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27/04/2017 | FRANCE | N°16/10166

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 17e chambre, 27 avril 2017, 16/10166


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

17e Chambre







ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION

ARRÊT AU FOND

DU 27 AVRIL 2017



N°2017/306

JLT/FP-D













Rôle N° 16/10166







SARL SALONS PRESTIGE





C/



[K] [O]



































Grosse délivrée le :

à :

Me Dominique IMBERT-REBOUL, avocat au

barreau de TOULON



Me François TENDRAIEN, avocat au barreau D'AIX-EN-

PROVENCE



Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :



Arrêt en date du 27 avril 2017 prononcé sur saisine de la cour suite à l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 16 mars 2016, qui a cassé l'arrêt rendu le 28 août 2014 par la cour d'appel d...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

17e Chambre

ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION

ARRÊT AU FOND

DU 27 AVRIL 2017

N°2017/306

JLT/FP-D

Rôle N° 16/10166

SARL SALONS PRESTIGE

C/

[K] [O]

Grosse délivrée le :

à :

Me Dominique IMBERT-REBOUL, avocat au barreau de TOULON

Me François TENDRAIEN, avocat au barreau D'AIX-EN-

PROVENCE

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Arrêt en date du 27 avril 2017 prononcé sur saisine de la cour suite à l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 16 mars 2016, qui a cassé l'arrêt rendu le 28 août 2014 par la cour d'appel de la Cour d'Appel d'AIX-EN-PROVENCE

APPELANTE

SARL SALONS PRESTIGE N°siret 45008736600016, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège sis, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Dominique IMBERT-REBOUL, avocat au barreau de TOULON substitué par Me Estelle VALENTI, avocat au barreau de TOULON

INTIMEE

Madame [K] [O], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me François TENDRAIEN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786, 910 et 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 12 Février 2014, en audience publique, les avocats ayant été invités à l'appel des causes à demander à ce que l'affaire soit renvoyée à une audience collégiale s'ils n'acceptaient pas de plaider devant les magistrats rapporteurs et ayant renoncé à cette collégialité, l'affaire a été débattue devant Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président, et Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller, chargés d'instruire l'affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président

Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller

Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 Avril 2017

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Avril 2017

Signé par Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président et Madame Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [K] [O] a été embauchée, en qualité de vendeuse, par la S.A.R.L. SALONS PRESTIGE, selon contrat de travail à durée indéterminée du 25 octobre 2005.

Par requête du 10 décembre 2010, Mme [O] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Fréjus pour obtenir la condamnation de l'employeur à lui payer diverses sommes à titre de rappel de commissions et d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 1er septembre 2011, le conseil de prud'hommes a dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Mme [O] est effective suite à la saisine du conseil de prud'hommes, qu'elle est justifiée et qu'elle doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il a condamné la S.A.R.L. SALONS PRESTIGE à payer à Mme [O] les sommes de :

- 1 228,20 € brut à titre de rappel de salaire d'heures supplémentaires,

- 122,82 € brut au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante,

- 3 125,40 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 12 000,00 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 700,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La juridiction a ordonné l'établissement des documents de fin de contrat (attestation Pôle Emploi, certificat de travail, solde de tout compte).

Sur appel de la S.A.R.L. SALONS PRESTIGE, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, par arrêt du 28 août 2014, a :

- confirmé partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la S.A.R.L. SALONS PRESTIGE à payer à Mme [O] les sommes de 1 228,20 € brut à titre de rappel de salaire d'heures supplémentaires, 122,82 € brut au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante, 700,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et débouté la salariée de sa demande d'indemnité pour complément de repos hebdomadaire non pris,

- l'a infirmé pour le surplus et statuant à nouveau, y compris sur les demandes nouvelles de Mme [O],

* condamné la S.A.R.L. SALONS PRESTIGE à Mme [O] d'une part 14 045,87 € brut à titre d'indemnité complémentaire de rémunération équivalente au maintien de sons salaire du 1er octobre 2010 au 14 novembre 2011, d'autre part, en deniers ou quittance, 500,00 € à titre du rappel de salaire de novembre 2010,

* débouté Mme [O] de ses autres demandes.

Sur pourvoi de Mme [O], la Cour de cassation, par arrêt du 16 mars 2016, a cassé l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 28 août 2014, mais seulement en ce qu'il juge infondée la demande de Mme [O] en résiliation judiciaire et la déboute de ses réclamations y afférentes et condamne la société SALONS PRESTIGE à payer à Mme [O] la somme de 14 045,87 € à titre d'indemnité complémentaire de rémunération équivalente au maintien de son salaire du 1er octobre 2010 au 14 novembre 2011, et a renvoyé les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

La Cour de cassation a retenu, sur le premier moyen du pourvoi principal de la salariée, que 'pour déclarer infondée la demande de la salariée en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, l'arrêt énonce que pour s'être elle-même considérée demandeuse d'emploi à partir de cette époque, et avoir bénéficié d'allocations subordonnées à cette qualité, l'intéressée a donc nécessairement et sans équivoque pris à ce moment l'initiative de mettre fin à sa relation de travail avec la société, que, dès lors sa demande réitérée devant la cour tendant à voir résilier judiciairement son contrat de travail aux torts de la société ne peut qu'être rejetée comme infondée faute d'objet à ce jour, le contrat liant les parties ayant en effet déjà été rompu par elle-même au plus tard le 14 novembre 2011 et qu'il s'ensuit que Mme [O] ne peut qu'être déboutée de ses demandes.

La Cour de cassation a estimé 'qu'en statuant ainsi alors qu'elle énonçait que les parties avaient repris et développé oralement à l'audience leurs écritures, et que celles ci ne comportent aucun moyen selon lequel le contrat de travail aurait été rompu à l'initiative de la salariée par suite de son inscription comme demandeur d'emploi auprès de l'organisme Pôle Emploi rendant sans objet sa demande antérieure de résiliation, ce dont il résulte qu'elle a soulevé ce moyen d'office sans avoir recueilli préalablement les observations des parties, la cour d'appel a violé le texte susvisé'.

La Cour de cassation a retenu, sur le premier moyen du pourvoi incident de l'employeur, que, 'pour condamner la société à payer à la salariée une certaine somme à titre d'indemnité complémentaire de rémunération équivalente au maintien de son salaire du 1er octobre 2010 au 14 novembre 2011, l'arrêt retient que du fait de son arrêt de travail la salariée avait droit au-delà du versement des indemnités journalières de sécurité sociale au paiement d'indemnité complémentaire prévue par l'article L 1126-1 du code du travail, que la société adhérait à un régime de prévoyance complémentaire, que la salariée justifie avoir régulièrement transmis à son employeur le décompte de ses indemnités journalières afin de lui permettre de mettre en oeuvre la garantie souscrite auprès de la société mutuelle AG2R, que la salariée est fondée dans ces conditions à prétendre en sus des indemnités journalières reçues de la sécurité sociale au paiement par la société d'une indemnité complémentaire équivalente au maintien de son salaire pendant la durée de sa maladie, que, sur la base d'un salaire mensuel brut moyen de 2 885 euros et déduction faite des indemnités journalières, il lui reste dû une indemnité complémentaire de 14 045,87 euros'.

La Cour de cassation a estimé 'qu'en statuant ainsi alors que la salariée réclamait, d'une part, un rappel de salaire depuis la fin de son arrêt maladie le 15 octobre 2011 jusqu'au prononcé de l'arrêt sur sa demande en résiliation de son contrat de travail sur la base d'un salaire mensuel de 2 885 euros, et d'autre part, une somme de 68 916 euros au titre de l'intéressement sur les résultats de l'entreprise dû, selon elle, même en son absence pour arrêt maladie, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige tel que déterminé par les conclusions de la salariée et violé le texte susvisé'.

Par acte du 2 juin 2016, Mme [O] a saisi la cour d'appel d'Aix-en-Provence, désignée comme cour de renvoi.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses conclusions reprises oralement lors de l'audience, la S.A.R.L. SALONS PRESTIGE, concluant à la réformation du jugement, sollicite de :

- réformer le jugement en ce qu'il a statué ultra petita en disant que la prise d'acte de rupture du contrat de travail est effective suite à la saisine du conseil de prud'hommes, soit le 10 décembre 2010, qu'elle est justifiée et qu'elle doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- réformer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser à la salariée les sommes de:

* 3 125,40 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,

* 12 000,00 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 700,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [O] de ses autres demandes.

- dire, en conséquence, qu'elle n'a pas manqué à ses obligations contractuelles à l'égard de Mme [O] susceptibles de justifier la résiliation judiciaire des relations contractuelles à ses torts,

- dire, si la cour devait prononcer la résiliation, qu'en tout état de cause, à compter du 14 octobre 2011, la salariée n'a plus fourni d'arrêt de travail, s'est inscrite à Pôle Emploi et a donc manifesté et exprimé son intention de ne pas reprendre l'exécution de son contrat de travail,

- débouter par conséquent Mme [O] de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 3 500,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions reprises oralement lors de l'audience, Mme [O], concluant à l'infirmation du jugement, demande de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et de condamner la S.A.R.L. SALONS PRESTIGE à lui payer les sommes de :

- 5 770,00 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 577,00 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante,

- 138 480,00 € à titre de rappel de salaire pour la période du 15 octobre 2011 au 13 octobre 2015,

- 107 876,53 € au titre de l'intéressement pour la période d'octobre 2010 au 13 octobre 2015, ou subsidiairement la somme de 86 788,44 € pour la période du 15 octobre 2011 au 13 octobre 2015 si la prime d'intéressement était exclue durant la période d'arrêt maladie,

- 4 039,00 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 28 850,00 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3 000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir qu'elle a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail face aux manquements de l'employeur à ses obligations (brutalité, injures, menaces, conditions de travail inacceptables, heures supplémentaires non payées, congés payés non pris, etc.).

Elle fait valoir qu'aucune faute ne lui est reprochée et qu'il n'existe aucune démission claire et non équivoque, l'inscription à Pôle Emploi ne permettant pas de lui imputer la rupture.

Elle souligne que cette situation a conduit à un arrêt de travail pour dépression et qu'elle a subi un préjudice important.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure et des prétentions et moyens antérieurs des parties, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux conclusions déposées, oralement reprises.

DISCUSSION

Sur la saisine de la cour

L'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 28 août 2014 n'ayant été cassé qu'en ce qui concerne ses dispositions relatives à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, à la demande de rappel de salaire depuis la fin de l'arrêt maladie du 15 octobre 2011 et à celle au titre de l'intéressement, la cour ne se trouve saisie que de ces points.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail

Il résulte des pièces produites que le conseil de prud'hommes a été saisi par Mme [O] pour obtenir la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, la salariée invoquant divers manquements de celui-ci à ses obligations contractuelles.

Il ne ressort nullement des éléments versés aux débats que la salariée aurait pris acte de la rupture du contrat de travail, ayant seulement sollicité que la juridiction prononce la résiliation judiciaire dudit contrat.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a dit que 'la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Mme [O] est effective suite à la saisine du conseil de prud'hommes, qu'elle est justifiée et qu'elle doit produire les effets d'un licenciement'.

Il ne ressort pas davantage des pièces produites que la salariée aurait notifié à l'employeur son intention de démissionner.

Postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes, par lettre du 3 décembre 2011, Mme [O] a informé l'employeur de ce qu'elle ne se trouvait plus en arrêt maladie depuis le 14 octobre 2011 et qu'elle entendait s'enregistrer auprès de Pôle Emploi. Toutefois, une telle démarche qui ne visait qu'à préserver les droits sociaux de la salariée pendant la procédure suivie devant le conseil de prud'hommes, ne peut s'interpréter comme une manifestation claire et non équivoque de démissionner.

Dès lors, lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, sans que le contrat de travail soit rompu par ailleurs, il y a lieu de rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée et si les griefs articulés à l'encontre de l'employeur sont de nature à justifier celle-ci, la résiliation du contrat de travail ne pouvant être prononcée qu'en présence de fautes commises par l'employeur suffisamment graves pour emporter la rupture du contrat de travail.

Mme [O] se plaint d'abord de l'attitude de M. [J], gérant de la société, qu'elle qualifie de 'blessante, violente, intimidante par des paroles, des actes, de gestes, en présence ou non du public, portant atteinte à la personnalité, à la dignité et même à l'intégrité psychique de ses employés'.

Elle explique que les relations se sont détériorées lorsque l'épouse du gérant a engagé la procédure de divorce en juin 2009 et que M. [J] a appris qu'elle continuait à entretenir des relations amicales avec elle.

Elle rapporte que le 8 septembre 2010, M. [J] est arrivé plus tôt alors qu'elle prenait son service à 9h15, qu'il a été menaçant physiquement et particulièrement injurieux, la traitant de 'salope', de 'pourriture', de 'bordille', la sommant de quitter l'entreprise et de fournir sa démission.

Elle ne conteste pas qu'aucun témoin n'a assisté à cette scène mais elle justifie qu'elle a fait l'objet d'un arrêt de travail prescrit médicalement à compter du 8 septembre 2010 et qu'elle a adressé à l'employeur une lettre recommandée le jour même pour relater les faits sans que l'employeur ne fournisse une quelconque réponse. Elle se prévaut également de l'attestation de M. [X] rapportant 'avoir vu M. [J] dépité de la 'trahison' de [K]'.

Elle justifie que son arrêt de travail a été prolongé jusqu'au 31 décembre 2010 pour 'burn out', 'état dépressif sérieux', 'état anxio-dépressif sérieux'.

Elle verse, en outre, aux débats des attestations d'anciens salariés faisant état du comportement général qu'elle impute à l'employeur :

- M. [W] : 'très vite je me suis rendu compte de son agressivité auprès des livreurs et des vendeurs 'tous des cons', (...) persuadé que tout le monde le volait'.

- Mlle [E] atteste de 'conditions de travail inacceptables, ce monsieur se montrait à notre égard et envers les clients insultant, rabaissant, irrespectueux (...)je n'ai jamais travaillé dans de telles conditions pour un patron aussi irrespectueux envers son personnel'.

- Mlle [R] : 'j'ai travaillé dans une ambiance malsaine, j'ai vu éclater des disputes, M.[J] a viré comme des malpropres plusieurs employés sous mes yeux, me faisant comprendre que si je n'exécutais pas ses ordres, je serais virée sur le champ. Je venais travailler la peur au ventre au magasin car, à la moindre erreur, je savais quel serait mon sort (...) La seule réponse était t'es pas contente la porte est là (...) J'ai donc décidé de quitter cette entreprise au plus vite, sinon je serais entrée en dépression face à un comportement inhumain et méchant'.

- Mme [T] 'atteste avoir subi par (son) employeur, M. [J], des agissements répétés de harcèlement moral ayant pour effet une dégradation de (ses) conditions de travail. Beaucoup de propos diffamants tel apparence physique ou ma corpulence (...) Beaucoup de propos injurieux à longueur de journée, sans parler du fait qu'il me dénigrait toujours en ma qualité de vendeuse (...) Mais encore des menaces de licenciement à répétition (...) En plus d'avoir blessé ma personne, il a porté atteinte à ma qualité de femme en me disant je cite 'si tu as un enfant tu dégages'.

Mme [O] produit également des courriers adressés par deux salariés à l'employeur:

- M. [D] : 'vous m'avez coupé la parole en m'insultant devant les employés (...) Vous ne savez qu'humilier votre personnel. C'est à ce moment là que vous m'avez déclaré 'tu passeras demain matin prendre ton compte, tu es viré'.

- M. [M] rapporte la réaction de l'employeur lorsqu'il a évoqué la détérioration des relations de travail : 'vous m'avez alors fait savoir, de façon très violente que 'si je ne partais pas en livraison avec mon coéquipier' je devais 'prendre la porte' en accompagnant (ses) propos des termes suivants : 'me fais pas chier', 'dégage', 'je vais te péter la gueule' (...) Vous m'avez alors demandé de quitter votre entreprise'.

Mme [O] produit par ailleurs des témoignages de clients :

- Mme [Y] explique être venue à plusieurs reprises 'prendre divers renseignements sur des produits auprès de [K]' et avoir 'été très surprise' que 'le gérant' fasse 'preuve d'un grand manque de respect et d'humanité envers ses employés devant même la clientèle du magasin en s'adressant à eux de manière agressive et humiliante'.

- Mme [L] témoigne que 'parlant avec [K] [O] (...) nous avons été interrompu par son gérant. Il s'est adressé à elle de manière très agressive, en la rabaissant devant moi'.

- Mme [Q] : 'il y avait deux vendeuses qui m'ont renseigné et bien reçu. Est arrivé un homme les interpellant d'une manière très désagréable à la limité de l'insulte (...) J'ai appris que c'était le patron'.

Il est vrai que l'employeur qui conteste les faits qui lui sont reprochés en invoquant l'absence de témoins, produit lui-même plusieurs attestations de personnes affirmant que 'la relation de M. [J] avec les employés est tout-à-fait normale' (M. [H]), disant entretenir avec M. [J] 'des rapports normaux' (M. [C]), estimant qu' 'apparemment ses employés sont très satisfaits de leur relation envers leur patron' (M. [K]) ou rapportant avoir constaté à chacune de ses visites au magasin 'une ambiance très chaleureuse entre M. [J] et [K]' (M. [X]).

Mais il ne s'agit là que d'opinions personnelles ou d'appréciations individuelles d'ordre général qui ne sont pas de nature à remettre en cause l'existence des faits rapportés dans les attestations produites par Mme [O] qui font état de circonstances de fait précises. Ces témoignages sont concordants pour décrire un comportement habituel de l'employeur, blessant, injurieux et agressif à l'égard de ses salariés.

Il est vrai que, pour la plupart, ces témoignages ne concernent pas directement Mme [O] mais ils décrivent néanmoins un comportement compatible avec celui dénoncé par la salariée à l'occasion des faits du 8 septembre 2010. Compte tenu de l'arrêt de travail débuté ce même 8 septembre 2010 pour un syndrome dépressif et de l'absence de réponse à la lettre du même jour par laquelle la salariée a dénoncé les faits à l'employeur, l'ensemble de ces éléments est de nature à apporter la preuve de la réalité des faits dénoncés et à justifier du grief invoqué par Mme [O] qui doit dès lors être retenu.

Mme [O] se plaint également de ce que, le 4 janvier 2011, lors de la reprise du travail, M. [J] l'a contrainte à rester debout pendant toute la matinée dans le hall du magasin avec l'interdiction de s'adresser à la clientèle. Là encore, l'employeur fait valoir qu'aucun témoin ne vient corroborer les dires de la salariée laquelle justifie néanmoins d'un nouvel arrêt de travail à compter de cette date. Toutefois, en l'absence de tout élément de nature à attester de l'existence de ces faits alors que l'employeur les a contestés par lettre du 12 janvier 2011, ce grief ne peut être retenu.

Par ailleurs, il est établi que la salariée a effectué des heures supplémentaires entre 2005 et 2010 qui ne lui ont été payées qu'en octobre 2011 suite au jugement du conseil de prud'hommes condamnant l'employeur sur ce point.

Il apparaît, par conséquent, même en excluant les faits du 4 janvier 2011, que l'employeur a manqué à ses obligations contractuelles et que ces manquements présentent un caractère de gravité tel qu'ils justifient la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts.

Une telle résiliation judiciaire du contrat de travail à l'initiative de la salariée et aux torts de l'employeur doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La prise d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail doit être fixée à la date de la décision judiciaire la prononçant si, à cette date, le salarié est toujours au service de son employeur. Dans le cas contraire, elle doit être prononcée à la date à laquelle le salarié a cessé de se tenir à la disposition de l'employeur.

En l'espèce, en l'absence de toute rupture antérieure du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation judiciaire sera fixée au 13 octobre 2015, date à laquelle Mme [O] indique et justifie avoir retrouvé un emploi et à laquelle elle a arrêté sa demande en paiement d'un rappel de salaires.

Dès lors que la résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée aux torts de l'employeur, Mme [O] est en droit de solliciter une indemnité compensatrice de préavis qui, eu égard à son salaire (2 885,00 € brut par mois), sera fixée à la somme de 5 570,00 € (deux mois de salaire) à laquelle s'ajoute l'indemnité compensatrice de congés payés afférente, soit 557,00 €. Le jugement sera infirmé en ce qu'il l'a déboutée sur ce point.

Elle est également bien fondée à solliciter l'indemnité conventionnelle de licenciement prévue par la convention collective du Négoce d'Ameublement (1/5ème de mois par année d'ancienneté). Sa demande en paiement à ce titre de la somme de 4 039,00 €, fondée sur un salaire de 2 885,00 € et une ancienneté de 7 ans, sera accueillie. Le jugement sera infirmé en ce qu'il lui a alloué une somme inférieure.

Mme [O] justifie qu'elle a fait l'objet d'un arrêt de travail pour maladie jusqu'au 15 octobre 2011. Elle a été ensuite prise en charge par Pôle Emploi et s'est inscrite en qualité d'étudiante à l'université de [Localité 1] pour l'année universitaire 2012-2013. Elle a retrouvé un emploi (à temps partiel) à compter du 13 octobre 2015.

Compte tenu des circonstances de la rupture, de la rémunération que percevait Mme [O], de son ancienneté (10 ans) au sein d'une entreprise comptant moins de 11 salariés, et de son âge (31 ans lors de la rupture), le préjudice résultant pour elle de la rupture de son contrat de travail sera réparé en lui allouant la somme de 18 000,00 €. Le jugement sera infirmé en ce qu'il lui a alloué une somme inférieure.

Sur la demande au titre du rappel de salaires

La demande de Mme [O] porte sur la période du 15 octobre 2011, date de la fin de son arrêt de travail pour maladie au 13 octobre 2015, date à laquelle elle a retrouvé un emploi, sur la base de 2 885,00 € brut par mois, soit la somme totale 138 480,00 €.

Pour s'opposer à cette demande, l'employeur fait valoir que la salariée n'a plus fourni de travail à compter du 16 octobre 2011 et qu'elle lui a notifié par écrit qu'elle percevait désormais des indemnités de Pôle Emploi.

Une telle information donnée à l'employeur ne pouvant nullement révéler une volonté claire et non équivoque de démissionner, il convient de relever qu'il n'est pas justifié que Mme [O] aurait à un quelconque moment manifesté une telle volonté et que l'employeur n'a, de son côté n'a pas enjoint à l'intéressée de reprendre son poste de travail ni procédé à son licenciement de sorte que le contrat de travail s'est poursuivi jusqu'au 13 octobre 2013 et que l'employeur reste débiteur du salaire jusqu'à cette date.

La demande en paiement sera, en conséquence, accueillie et le jugement sera infirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande en paiement des salaires à compter du 15 octobre 2011.

Sur la demande au titre de l'intéressement

L'article 5 du contrat de travail prévoit la stipulation suivante :

'En rémunération de son travail, l'employé percevra un salaire mensuel brut de 1 218,85 € plus 1,5% du chiffre d'affaires TTC (porté à 2% à compter du mois de janvier 2008) pour un horaire mensuel de 151 heures 67".

Alors que la demande de Mme [O] porte sur la période d'octobre 2010 à décembre 2015, l'employeur fait valoir que la part variable de la rémunération est versée en rémunération du travail et que, par conséquent, la salariée ne peut y prétendre ni pendant son arrêt de travail pour maladie ni pendant la période postérieure au 13 octobre 2013 puisqu'elle n'a fourni aucun travail.

Il est constant qu'aucun accord d'intéressement ne s'applique au sein de la société et que les droits de la salariée à la part variable litigieuse ne peuvent résulter que du contrat de travail.

Dans la mesure où l'article 5 précité prévoit que la part variable est versée 'en rémunération' du travail de la salariée, il s'ensuit que cette part variable est une contrepartie du travail fourni par la salariée même si elle est calculée sur le chiffre d'affaires de la société. Mme [O] ne peut donc pas y prétendre pendant les périodes où le contrat de travail était suspendu pour cause de maladie.

En revanche, pour la période postérieure eu 15 octobre 2011, postérieure à l'arrêt de travail, Mme [O] n'a, certes, pas fourni de travail mais il incombait à l'employeur de lui en fournir ou à tout le moins de lui enjoindre de reprendre son poste de travail. Dans la mesure où le contrat de travail s'est maintenu pendant cette période, Mme [O] est en droit de prétendre au paiement de la part variable comme de son salaire.

Il sera, en conséquence, fait droit à sa demande subsidiaire en paiement de la somme de 86 788,44 €.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

L'employeur devra supporter les entiers dépens de première instance et d'appel ce qui exclut qu'il puisse prétendre bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il serait par contre inéquitable de laisser Mme [O] supporter l'intégralité des frais qu'elle a dû exposer pour faire assurer la défense de ses intérêts. Ainsi outre la somme de 700,00 € déjà allouée par les premiers juges, laquelle mérite confirmation, une indemnité supplémentaire de 2 000,00 € lui sera accordée en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile,

Infirme le jugement :

- en ce qu'il a dit que 'la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Mme [O] est effective suite à la saisine du conseil de prud'hommes, qu'elle est justifiée et qu'elle doit produire les effets d'un licenciement',

- en ce qu'il a débouté Mme [K] [O] de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante,

- en ce qui concerne le montant des sommes allouées au titre de l'indemnité de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Statuant à nouveau sur ces points,

- Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la S.A.R.L. SALONS PRESTIGE,

- Condamne la S.A.R.L. SALONS PRESTIGE à payer à Mme [K] [O] les sommes de:

* 5 570,00 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 557,00 € brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférente,

* 4 039,00 € net au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 18 000,00 € net à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 138 480,00 € à titre de rappel de salaires,

* 86 788,44 € au titre de la prime d'intéressement,

Y ajoutant,

- Condamne la S.A.R.L. SALONS PRESTIGE à payer à Mme [K] [O] les sommes de 2 000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit que la S.A.R.L. SALONS PRESTIGE doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

F. PARADIS-DEISS J.L. THOMAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 16/10166
Date de la décision : 27/04/2017

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 17, arrêt n°16/10166 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-04-27;16.10166 ?
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