COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 24 FEVRIER 2017
N°2017/
Rôle N° 14/24563
[J] [Q]
C/
SNC TRAVAUX PUBLICS DE PROVENCE
Grosse délivrée le :
à :
Me Jérôme FERRARO, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Anne VINCENT-IBARRONDO, avocat au barreau de PARIS
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES - section I - en date du 01 Décembre 2014, enregistré au répertoire général sous le n° 13/1051.
APPELANT
Monsieur [J] [Q], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Jérôme FERRARO, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
SNC TRAVAUX PUBLICS DE PROVENCE, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Anne VINCENT-IBARRONDO, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 04 Janvier 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Marie-Agnès MICHEL, Président
Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller
Monsieur David MACOUIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Guy MELLE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Février 2017
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Février 2017
Signé par Madame Marie-Agnès MICHEL, Président et Monsieur Guy MELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [J] [Q] a été engagé par la société SATPP, initialement suivant contrat de chantier du 24 mai 1993, en qualité d'ouvrier d'exécution N1P1. Le contrat de travail a été transféré à compter du 8 août 1995 à la SNC TRAVAUX PUBLICS DE PROVENCE, société spécialisée dans les travaux de terrassement et de canalisation.
En dernier lieu, le salarié exerçait la fonction de conducteur d'engins, classification ouvrier, niveau 2, position 2, coefficient 140 de la convention collective des ouvriers des travaux publics, moyennant un salaire mensuel brut de 1 786,55 €.
Le 16 mai 2013, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire et il a été licencié pour faute grave par lettre du 11 juin 2013 ainsi rédigée : « Lors de notre entretien du 3 juin 2013, entretien au cours duquel vous étiez assisté de M. [D] [M], nous vous avons exposé les motifs pour lesquels nous envisagions de vous licencier, à savoir : Le 16 mai dernier, sur le chantier « le quai de l'olivier » à [Localité 1], vous avez eu une violente altercation avec votre collègue de travail M. [I] [U], vous vous en êtes pris physiquement à lui de telle sorte qu'il a souffert de nombreux traumastismes et subi une ITT de 8 jours. Par la présente, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave, sans préavis ni indemnité. Votre contrat de travail dans notre société prendra fin à la date de première présentation du présent courrier. Nous vous informons enfin que vous disposez à la date de rupture de votre contrat, d'un crédit de 120 heures au titre du DIF. Vous pourrez utiliser ce crédit pour réaliser un bilan de compétence, une action de V.A.E., ou suivre une formation, à condition de nous en faire la demande dans les deux mois suivants ce courrier, à défaut vos droits acquis au titre du DIF pourront être utilisés conformément aux dispositions de l'article L. 6323-18 du code du travail. Nous tiendrons à votre disposition votre certificat de travail, votre solde de tout compte et l'ensemble des documents liés à la rupture de votre contrat. »
Contestant son licenciement, M. [J] [Q] a saisi le 16 octobre 2013 le conseil de prud'hommes de Martigues, section industrie, lequel, par jugement rendu le 1er décembre 2014, a :
requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
condamné l'employeur à payer au salarié les sommes suivantes :
'1 569,06 € à titre de salaire durant la mise à pied conservatoire ;
' 156,60 € à titre de congés payés y afférents ;
'3 695,00 € à titre d'indemnité de préavis ;
' 369,50 € au titre des congés payés y afférents ;
'9 904,65 € à titre d'indemnité légale de licenciement ;
' 35,00 € à titre de remboursement du timbre fiscal ;
dit que ces sommes produiront intérêts de droit à compter de la demande de saisine, avec capitalisation ;
ordonne l'exécution provisoire de droit ;
condamné l'employeur à payer au salarié la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles ;
mis les dépens à la charge des parties ;
débouté le salarié du surplus de ses demandes ;
débouté l'employeur de sa demande reconventionnelle.
M. [J] [Q] a interjeté appel de cette décision suivant déclaration du 19 décembre 2014.
Vu les écritures déposées à l'audience et soutenues par son conseil aux termes desquelles M. [J] [Q] demande à la cour de :
confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement des sommes suivantes :
'1 569,06 € à titre de salaire durant la mise à pied conservatoire ;
' 156,60 € à titre de congés payés y afférents ;
'3 695,00 € à titre d'indemnité de préavis ;
' 369,50 € au titre des congés payés y afférents ;
'1 500,00 € au titre des frais irrépétibles ;
' 35,00 € à titre de remboursement du timbre fiscal ;
condamner l'employeur au paiement des sommes suivantes :
'dommages et intérêts pour violation de la prescription légale des sanctions disciplinaires (article L. 1332-5 du code du travail) : 1 000,00 € ;
'indemnité légale de licenciement : 10 007,28 € ;
'dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 60 000,00 € ;
'frais irrépétibles : 1 500,00 € ;
fixer les intérêts de droit commun à compter de la demande en Justice et ordonner leur capitalisation.
Vu les écritures déposées à l'audience et reprises par son conseil selon lesquelles la SNC TRAVAUX PUBLICS DE PROVENCE demande à la cour de :
infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
dire que le licenciement pour faute grave est fondé et justifié ;
débouter le salarié de l'intégralité de ses demandes ;
condamner le salarié à lui verser la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur la faute grave
L'employeur reproche au salarié d'avoir, sur son lieu de travail, commis des actes de violence physique sur la personne d'un collègue. Il produit en ce sens les déclarations de la victime aux services de police ainsi qu'un certificat médical.
Entendu le 17 mai 2013, M. [I] [U] déclarait : « Je suis employé par TP Provence en tant que ravitailleur et hier sur le chantier situé esplanade Sainte Catherine j'ai été agressé physiquement par un collègue de travail, M. [Q] [J]. Je me trouvais à proximité de mon camion citerne et M. [Q] a manipulé son godet et ce alors que je me trouvais juste dessous. Je lui ai dit et il m'a déclaré en ces termes : « Toi tu es un idiot tu n'avais rien à faire sous ma pelle » et ce sur un ton agressif. Il est alors descendu de sa machine, m'a poussé violemment me faisant chuter à terre, a tenté de me porter un coup de pied, il m'a sauté dessus. Je suis parvenu à me relever après l'avoir maîtrisé au moyen d'une clé de jambe. Alors que je me dirigeais vers mon camion, il est arrivé en courant par-derrière et m'a donné un coup de pied au niveau de la cuisse, me projetant contre ma citerne, je tapais la tête contre la citerne, un témoin était présent, M. [R] [P]. Un collègue de travail, témoin des faits, s'est interposé, il s'agit de M. [X] [W], je recevais encore des coups de pied et ce de la part de M. [Q], je précise qu'il avait des chaussures de sécurité. J'avisais par la suite mon supérieur qui me reconduisait au dépôt et j'allais par la suite consulter auprès de mon médecin. Je précise être handicapé et ce à hauteur de 10 %. »
Entendu le même jour le salarié répondait : « Hier, le camion d'approvisionnement d'essence pour les engins est venu sur place et je m'y suis rendu afin d'effectuer mon plein. L'employé qui s'occupe de faire le plein est M. [U] [I]. Je précise avoir déjà eu un différend avec cet individu car il y a environ un an je l'ai blessé involontairement avec mon engin. Il n'y a eu aucune procédure. Hier pendant qu'il faisait mon plein il m'a reproché ces faits. Le ton est monté entre nous, nous nous sommes disputé mais sans insultes, je lui ai juste dit « tu es un abruti ». Nous étions tout deux énervés et nous nous sommes mutuellement saisi par le col. Nous avons fini par chuter ensemble au sol mais je précise qu'aucun coup n'a été échangé. M. [U] m'a menacé de me retrouver et qu'il fallait que je fasse attention. Une fois au sol, un collègue de travail est arrivé et nous a séparé. Nous nous sommes tous les deux relevés et chacun est parti de son côté. Je suis remonté dans mon engin et j'ai quitté les lieux. M. [U] ne semblait pas blessé, personne n'a eu besoin d'assistance. »
Réentendu le lendemain, M. [I] [U] ajoutait : « Avant que M. [Q] me déclare : « Toi, tu es idiot, tu n'avais rien à faire sous ma pelle », je lui ai dit : « Tu pourrais attendre deux minutes avant que je m'en aille ! ». Il m'a répondu : « Je te vois. J'ai jamais blessé personne ». Je précise qu'il y a un an, il avait failli me tuer en me percutant avec cette même pelle. J'ai eu deux côtes cassées dans le dos à un centimètre de la colonne. J'ai eu 4 mois d'arrêt de travail. Je lui ai rappelé ces faits c'est alors qu'il m'a traité d'idiot, que je n'avais rien à foutre derrière sa pelle, et m'a traité de : « trou du cul » sur un ton agressif. Je lui ai répondu : « Eh c'est bon ! Ne me parle plus ! Il a rétorqué : « Quoi c'est bon, quoi c'est bon ! » et il est descendu de sa machine et m'a poussé violemment comme je l'ai dit dans ma plainte. Je précise que lorsqu'il me donnait des coups de pied, il m'a menacé : « Tu vas voir ta gueule si j'ai des problèmes ! ». À chaque coup de pied, il me répétait cette phrase avec toujours plus de violence dans ses coups et dans ses propos. Il avait ses chaussures de sécurité, ne m'a donné que des coups de pied au moins trois. Quand j'ai tapé la tête contre la citerne, j'ai été sonné et je n'ai pas pu le neutraliser. Je n'ai eu que la fuite comme option. Je suis monté dans mon camion et j'ai fait 200 mètres au niveau de l'étang de l'Olivier et j'ai appelé mon chef puis j'ai consulté le docteur [L], mon médecin traitant. Je tiens à dire que sur la première attaque, j'ai réussi à le maîtriser avec une clé de jambe, sans violence ; et qu'à la deuxième attaque, je n'ai pas riposté, je ne lui ai porté aucun coup et j'ai choisi de partir. Je ne veux pas être licencié, j'ai deux enfants en bas âge et ne peux risquer de perdre mon travail. »
Le jour des faits, le docteur [C] [L] examinait M. [I] [U] et notait : « Il existe un syndrome vagal avec sueurs, pâleur, et tension artérielle à 15/9.5 (alors que d'habitude il a 12.5/7.5). À l'examen, il présente plusieurs lésions :
' Tuméfaction rouge avec, déjà, hématome de 5 cm au niveau frontal gauche ;
' Aspect rougeâtre de la peau au niveau du cou et du thorax ;
' Lésion cutanée avec abrasion au niveau du coude droit de 5 × 2 cm ;
' Lésion cutanée au niveau du même coude de 1 cm de diamètre d'abrasion ;
' Au niveau de la main droite, face palmaire, lésion avec abrasion de 5 × 5 cm, ayant nécessité, outre une désinfection, ablation de la peau déchirée ;
' Il existe par ailleurs une tuméfaction importante de 8 cm au niveau de la cuisse externe, tiers inférieur ;
' Également, sur cette même cuisse, rougeur du tiers moyen, zone externe ;
' Nombreuses petites abrasions cutanées au niveau externe du genou ;
Le patient dit également avoir mal à la nuque : il existe des contractures des muscles para-vertébraux du rachis cervical. Il existe une limitation de la mobilité du rachis cervical à gauche en flexion mais surtout en extension. Ceci confère à l'intéressé une I.T.T. de 8 jours à dater de ce jour. »
La cour retient que ni l'employeur ni le salarié ne produisent de témoignages de tiers, circonstanciés, concernant des faits de violence relatés par les antagonistes. Mais la version présentée par M. [J] [Q] n'est pas compatible avec les constatations médicales qui font état de deux lésions à la cuisse et d'une lésion au front, lésions qui, par contre, correspondent aux deux épisodes relatés par le salarié, le choc de la tête contre la citerne et les coups de pied à la cuisse.
Le certificat médical produit par le salarié ainsi que les attestations concernant son comportement en général ne sont pas de nature à faire planer un doute sur les affirmations circonstanciées de M. [I] [U] étayées par le certificat médical de son médecin traitant.
En conséquence, l'employeur, qui est tenu d'une obligation de sécurité au bénéfice de ses salariés, laquelle constitue une obligation de moyen renforcée, avait l'obligation d'écarter immédiatement son collaborateur dès lors que ses actes de violence ne permettaient plus sa présence dans l'entreprise. En conséquence, le licenciement pour faute grave est fondé.
2/ Sur le rappel d'une sanction prescrite dans les conclusions de l'employeur
Le salarié reproche à l'employeur d'avoir fait état dans ses conclusions d'un avertissement du 20 juin 2008 qui constitue une sanction disciplinaire prescrite et il sollicite la somme de 1 000 € à titre de dommages et intérêts de ce chef.
L'article L. 1332-5 du code du travail dispose qu'aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l'appui d'une nouvelle sanction.
En l'espèce, la lettre de licenciement ne fait nullement état de la sanction prescrite.
Par contre, évoquant lui-même la période prescrite, le salarié a affirmé dans le cadre du présent débat judiciaire qu'il n'avait jamais rencontré la moindre difficulté avec sa hiérarchie ou ses collègues de travail et qu'il avait donné toute satisfaction à son employeur. Ce dernier, dans le cadre d'un débat loyal, n'a pas commis de faute en faisant étant d'un avertissement, prescrit mais non amnistié, pour répondre aux affirmations du salarié, lequel sera en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts.
3/ Sur les autres demandes
L'équité commande d'allouer à l'employeur la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le salarié supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau,
Dit que le licenciement est bien fondé sur une faute grave.
Déboute M. [J] [Q] de l'ensemble de ses demandes.
Condamne M. [J] [Q] à payer à la SNC TRAVAUX PUBLICS DE PROVENCE la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Condamne M. [J] [Q] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT