COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 02 FEVRIER 2017
N°2017/86
NT/FP-D
Rôle N° 15/02142
[E] [U]
C/
SAS FACONNABLE
Grosse délivrée le :
à :
Me Marc TURQUAND D'AUZAY, avocat au barreau de LYON
Me Solenne RIVAT, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE - section E - en date du 18 Décembre 2014, enregistré au répertoire général sous le n° 14/646.
APPELANTE
Madame [E] [U], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Marc TURQUAND D'AUZAY, avocat au barreau de LYON ([Adresse 2]) substitué par Me Mireille GOUTAILLER, avocat au barreau D'AVIGNON
INTIMEE
SAS FACONNABLE, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Solenne RIVAT, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 21 Novembre 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président
Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller
Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Février 2017
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 Février 2017
Signé par Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président et Madame Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Mme [E] [U] a été embauchée par la SAS Façonnable à compter du 22 octobre 2007, d'abord dans le cadre d'un contrat à durée déterminée renouvelé puis suivant contrat à durée indéterminée daté du 20 septembre 2008, en qualité de responsable du service comptabilité à temps partiel, catégorie cadre.
Reprochant à la société Façonnable de lui avoir imposé, à compter du mois de février 2010, un temps complet rémunéré à un taux horaire inférieur à celui prévu par son contrat de travail à temps partiel du 20 septembre 2008 ainsi que le non-paiement d'heures supplémentaires, Mme [E] [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Nice le 30 avril 2014 afin d'obtenir le paiement de divers rappels de salaire et indemnités ainsi que la résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur.
Par jugement du 18 décembre 2014, Mme [E] [U] a été déboutée de toutes ses demandes, la juridiction prud'homale ayant néanmoins décidé, à titre subsidiaire, « de son replacement sous son contrat à temps partiel et au taux horaire d'origine ».
Par lettre dont le cachet postal est daté du 5 février 2012, Mme [E] [U] a relevé appel de cette décision qui lui a été notifiée le 16 janvier 2015.
Elle maintient devant la cour que la SAS Façonnable a failli à ses obligations contractuelles en lui imposant unilatéralement et sans conclusion d'un avenant modifiant son contrat de travail à temps partiel, un horaire à temps complet et un taux horaire réduit à 30,42 € à partir du mois de février 2010 et en ne lui payant pas ses heures supplémentaires induites par sa charge de travail.
Ayant fait l'objet en 2015 d'un licenciement économique non discuté dans le cadre de cette instance, la salariée ne soutient plus en cause d'appel sa demande de résiliation du contrat de travail mais sollicite la condamnation de la SAS Façonnable à lui payer, avec capitalisation des intérêts échus :
55 607,87 € à titre de rappel de salaire sur taux horaire,
4 589,74 € à titre de rappel de salaire sur prime,
6 019,75 € au titre des congés payés afférents,
80 322,60 € à titre de rappel d'heures supplémentaires,
8 032,26 € u titre des congés payés afférents,
39 654,83 € au titre de la contrepartie obligatoire en repos,
34 981,14 € à titre d'indemnité de travail dissimulé,
5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Façonnable conclut à la confirmation de la décision prud'homale, au rejet de toutes les demandes de Mme [E] [U] et à sa condamnation au paiement de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour renvoie pour plus ample exposé aux écritures reprises et soutenues oralement par les conseils des parties à l'audience d'appel tenue le 21 novembre 2016.
MOTIFS DE LA DECISION
1) Sur le rappel de salaire compte tenu du taux horaire
Attendu que Mme [E] [U] qui a été engagée par la SAS Façonnable à compter du 22 octobre 2007, d'abord dans le cadre d'un contrat à durée déterminée renouvelé puis suivant contrat à durée indéterminée daté du 20 septembre 2008, en qualité de responsable du service comptabilité à temps partiel, soutient que l'employeur lui aurait imposé unilatéralement à la faveur d'une réorganisation et sans conclusion d'un avenant un horaire à temps complet avec un taux horaire réduit de 36,38 € à 30,42 € à partir du mois de février 2010 ; que la société Façonnable objecte que la salariée a accepté une diminution de son taux horaire dans la cadre de son passage à un horaire à temps complet dont elle souhaitait bénéficier et qui vaut novation de son contrat de travail à temps partiel ;
Attendu qu'il ne résulte d'aucune des pièces produites que Mme [E] [U], qui travaillait depuis son recrutement en 2007 à temps partiel et dont les bulletins de salaire, à partir du mois de février 2010, mentionnent un horaire à temps complet de 151,67 heures, ait explicitement formulé la moindre demande au cours de la relation contractuelle pour travailler à temps complet voire pour obtenir une modification de son temps partiel ; qu'aucun document émanant de l'employeur ne comporte une quelconque proposition de modification de la relation contractuelle adressée à la salariée ; que par courriel du 19 décembre 2013 (pièce 6) cette dernière se plaint, au contraire, auprès du gérant de l'entreprise que la modification de son temps partiel et de son taux horaire lui a été imposée contre sa volonté ; que la longue attestation de M. [D] [T], directeur des ressources humaines, dont se prévaut la société Façonnable (sa pièce 11) qui évoque, notamment, des discussions avec Mme [E] [U] en vue de son passage à un horaire à temps complet et un accord des parties sur ce point mais qui n'en précise ni la date ni le contenu exact est insuffisamment précise et convaincante pour pouvoir être retenue ;
Attendu qu'en l'état de l'ensemble de ces éléments, la cour ne constatant pas l'existence d'un accord des parties ayant pu modifier ou opérer novation du contrat de travail à temps partiel du 20 septembre 2008 sur un de ses points essentiels à savoir le taux horaire de la rémunération, il y a lieu de considérer que Mme [E] [U], quand bien même aurait-elle tardivement émis sur ce point des protestations auprès de l'employeur ainsi que celui-ci le lui reproche, est fondée à se prévaloir des conditions de rémunération fixées par le contrat du 20 septembre 2008 ; qu'en conséquence, il sera fait intégralement droit à sa demande en paiement d'un rappel de salaire et de prime fixé, pour la période de février 2010 à février 2015 et sur la base des taux horaire indexés résultant du contrat du 20 septembre 2008 (36,36 € pour 2010, 37,10 € pour 2011, 37,83 € pour 2012, 38,44 € à partir de 2013), à la somme de 60 197,61 €, outre l'indemnité de congés payés afférente, les calculs détaillés en pages 15 à 17 des conclusions de l'appelante étant retenus ;
2) Sur les heures supplémentaires et la contrepartie obligatoire en repos
Attendu que Mme [E] [U] soutient qu'en raison d'une charge de travail alourdie, d'un sous-effectif chronique et d'un manque de moyens, signalés de façon réitérée à la direction de l'entreprise, elle a été conduite à accomplir des heures supplémentaires qui ne lui ont pas été payées ; que la SAS Façonnable objecte que la salariée n'étaye pas sa demande, n'a jamais formulé la moindre réclamation relative à des heures supplémentaires au cours de la relation de travail, n'avait aucune surcharge de travail, n'était confrontée à aucun sous-effectif et a bénéficié de récupérations pour les heures supplémentaires autorisées par le service des ressources humaines ;
Attendu que selon l'article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; qu'au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ;
Attendu que Mme [E] [U] qui avait la responsabilité du service comptabilité de l'entreprise, verse aux débats de nombreux courriels alertant la direction de l'entreprise, à partir de l'année 2010, sur les difficultés rencontrées par les différents pôles du service, en termes d'effectif, d'horaires, de charge de travail et de retards (pièces 11,12,13, 14, 17,18, 19, 20, 21) ainsi que des copies de ses agendas des années 2010 à 2013 mentionnant des tâches accomplies avant 9 h 15 et après 17h 30 ; que ces pièces, contrairement à ce que soutient l'employeur, sont de nature à étayer suffisamment le fait que Mme [E] [U] a pu être amenée à accomplir des heures supplémentaires induites par sa charge de travail et ses responsabilités ; que la société Façonnable ne justifie par aucune pièce, ainsi que les dispositions susvisées lui en font obligation, le temps de travail réel de Mme [E] [U] comme d'ailleurs les récupérations qui ont pu lui être octroyées au titre d'heures supplémentaires demandées ; que d'autre part, il est indifférent que les heures supplémentaires accomplies n'aient pas été autorisées par l'employeur dès lors qu'elles pouvaient être induites par les responsabilités et charges induites par le poste de travail insuffisamment prises en compte par l'employeur ; qu'en l'état de ces constatations et compte tenu des éléments dont la cour dispose, il sera alloué à Mme [E] [U] un rappel d'heures supplémentaires qui sera fixé, pour les années 2010 à 2014, à 12 048€, outre l'indemnité de congés payés afférente ; qu'en revanche, la demande au titre de la contrepartie obligatoire en repos compensateurs en repos, insuffisamment fondée, sera rejetée ;
3) Sur le travail dissimulé
Attendu qu'en l'absence de preuve suffisante qui ne saurait seulement résulter de l'existence de créances salariales, d'une volonté de la société Façonnable de dissimuler, au sens de l'article L8221-5 du code du travail, le temps de travail de Mme [E] [U], la demande d'indemnité de travail dissimulé sera rejetée ;
4) Sur les autres demandes
Attendu que l'équité exige d'allouer à Mme [E] [U] 3 000 € en compensation de ses frais non compris dans les dépens par en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que les créances fixées par cette décision produiront intérêts au taux légal à compter de son prononcé en l'absence de demande visant à fixer le point de départ de l'intérêt légal à une date antérieure ; que les intérêts échus pourront être capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1154 ancien du code du travail ;
Attendu que les entiers dépens seront laissés à la charge de la société Façonnable qui succombe à l'instance.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile :
-Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Nice du 18 décembre 2014 et statuant à nouveau
-Condamne la société Façonnable à payer à Mme [E] [U] :
60 197,61 € à titre de rappel de salaire et de primes
6 019,76 € au titre des congés pays afférents,
12 048 €à titre de rappel d'heures supplémentaires,
1 204,80 € au titre des congés payés afférents,
3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;.
-Dit que les créances susvisées porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé de cette décision et que les intérêts échus pourront être capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1154 ancien du code civil ;
-Rejette toute demande plus ample ou contraire ;
-Condamne la société Façonnable aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT