COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre
ARRÊT SUR CONTREDIT
DU 25 NOVEMBRE 2016
N°2016/644
CB
Rôle N° 16/06296
[R] [A] [J]
C/
Société NOURAH LIMITED
Grosse délivrée le :
à :
Me Claude EGLIE-RICHTERS avocat au barreau de GRASSE
Me Albert HINI, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Contredit à l'encontre d'un jugement rendu par le Tribunal d'Instance de CANNES le 10 Mars 2016, enregistré au répertoire général sous le n° 11-15-473.
APPELANT
Monsieur [R] [A] [J], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Claude EGLIE-RICHTERS avocat au barreau de GRASSE
INTIMEE
Société NOURAH LIMITED, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Albert HINI, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 18 Octobre 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Chantal BARON, Président de chambre, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Chantal BARON, Présidente de chambre
Monsieur Thierry CABALE, Conseiller
Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2016
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2016
Signé par Madame Chantal BARON, Présidente de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Par jugement du tribunal d'instance de Cannes du 10 mars 2016, la juridiction, saisie par acte du 21 avril 2015, a accueilli l'exception d'incompétence soulevée par l'employeur, au profit des juridictions anglaises, pour connaître de l'action en paiement de diverses sommes au titre de la rupture irrégulière et infondée du contrat de travail, action entreprise à l'encontre de son employeur la société Nourah Limited, par [R] [A] [J], de nationalité philippine, qui exerçait dans l'entreprise, par contrat à durée indéterminée conclu le 1er décembre 2009, et pour une rémunération mensuelle brute de 4000 euros, les fonctions de second cuisinier.
Par acte du 25 mars 2016, dans le délai légal et par déclaration régulière en la forme, le salarié a régulièrement formé contredit à l'encontre de la décision.
Soutenant, par conclusions déposées le jour de l'audience, visées par le greffe, développées oralement et auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions :
' que la clause attributive de compétence figurant à l'article 15 du contrat d'engagement maritime conclu entre les parties le 1er décembre 2009, prévoyant que le contrat serait régi et interprété conformément au droit anglais et que les parties devraient soumettre tous différends à la compétence exclusive des tribunaux anglais, ne saurait recevoir application,
' qu'en effet, le contrat avait été rédigé et signé par le capitaine du navire, dont il n'est pas justifié qu'il ait eu, pour ce faire, délégation de pouvoir, à date certaine, du représentant légal de la société, la clause étant ainsi nulle,
' que le règlement du 22 décembre 2000 sur la compétence judiciaire au sein de la Communauté européenne prévoit, en ses articles 18 et 19, que le salarié est habilité à attraire l'employeur, qui dispose d'une succursale, d'une agence ou de tout autre établissement dans un État membre, devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail, les articles R221 ' 13 et R221 ' 49 du code de l'organisation judiciaire attribuant par ailleurs compétence exclusive au tribunal d'instance dans le ressort duquel la convention a été passée ou exécutée, lorsqu'une des parties est domiciliée en ce ressort,
' que ces textes doivent recevoir application ; que le litige doit être jugé conformément à la loi française par le tribunal français territorialement compétent, l'employeur devant être considéré comme ayant, du fait d'une convention annuelle d'amarrage du navire au port [Localité 1] et de la disposition d'une boîte postale à la Capitainerie du port, un établissement dans un État membre, peu important que le siège social de l'entreprise soit implanté aux Iles Vierges Britanniques,
' que la clause attributive de compétence ne saurait d'ailleurs avoir aucune portée, comme ne précisant pas la juridiction anglaise compétente, ratione materiae et ratione loci,
' que la loi anglaise n'est pas davantage applicable, au regard de l'article 6 ' 1 de la convention de Rome, la loi française étant plus favorable au salarié que la loi anglaise,
' qu'en l'espèce, le contrat de travail ne présente pas de lien avec un pays autre que la France, la loi française étant par conséquent applicable aux relations contractuelles des parties,
le salarié demande à la Cour de dire que le tribunal d'instance de Cannes est compétent pour trancher le litige entre les parties, en appliquant la loi française.
Répliquant, par conclusions déposées le jour de l'audience, visées par le greffe, développées oralement et auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions :
' que, conformément au contrat conclu entre les parties, qui prévoyait la possibilité d'une résiliation sans motif particulier, sous condition de respecter un délai de préavis de quatre semaines, le contrat de [R] [A] [J] a été résilié le 30 mars 2013, à effet du 1er mai 2013.
' que les juridictions françaises sont incompétentes, au regard des dispositions de l'article 4 et de l'article 18 du règlement du 22 décembre 2000, un navire ne pouvant constituer un établissement au sens du paragraphe 2 de l'article 18 de ce texte, qui suppose l'exercice effectif d'une activité économique au moyen d'une installation stable dans un État membre, pour une durée indéterminée,
' que la clause attributive de compétence incluse dans un contrat de travail désignant expressément une juridiction étrangère est valide dès lors qu'elle est écrite, précise, et qu'elle a été acceptée par le salarié, par contrat valablement conclu avec le capitaine du navire, qui avait pouvoir pour représenter l'armateur,
' subsidiairement, que le tribunal d'instance doit être déclaré incompétent, au profit du conseil des prud'hommes de Cannes, la compétence du tribunal d'instance ne pouvant être retenue que dans le cas où le salarié est employé sur un navire battant pavillon français, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, le navire étant immatriculé aux Iles Caïmans,
' qu'en tout état de cause, la loi anglaise est applicable, le salarié ne rapportant pas la preuve de ce que cette loi lui serait moins favorable que la loi française,
' subsidiairement, sur ce point, que si la loi choisie par les parties n'était pas applicable, la loi des Îles Caïmans devrait recevoir application compte tenu du pavillon du bateau ; à titre infiniment subsidiaire, que la loi philippine pourrait être applicable, en raison de la nationalité du salarié,
l'employeur demande, à titre principal, à la Cour de confirmer la décision des premiers juges dans toutes ses dispositions , subsidiairement, de dire que le conseil des prud'hommes de Cannes est seul compétent ; de dire en tout état de cause que la loi applicable à la relation contractuelle est la loi anglaise - subsidiairement la loi des Iles caïmans ; de façon infiniment subsidiaire, la loi philippine, et de condamner [R] [A] [J] à lui verser la somme de 4000 euros représentant ses frais irrépétibles sur la base de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la validité du contrat
En droit, l'article 6 de la loi du 3 janvier 1969, relative à l'armement et aux ventes maritimes, dispose, dans sa rédaction applicable à la date de signature du contrat, que, hors des lieux où l'armateur a son principal établissement ou une succursale, le capitaine pourvoit aux besoins normaux du navire et de l'expédition.
Les besoins normaux du navire comprennent nécessairement l'engagement de marins ; le siège social de la société employeur est situé aux Îles Vierges Britanniques, de sorte que le capitaine avait pouvoir de signer le contrat litigieux, dont les clauses doivent par conséquent recevoir application.
Sur la juridiction compétente
En droit, le texte applicable est le règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, applicable depuis le 10 janvier 2015, donc au présent litige, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. Ce texte dispose en son article 20, en matière de contrats individuels de travail, que, lorsqu'un travailleur conclut un contrat de travail avec un employeur qui n'est pas domicilié dans un État-membre mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État membre, l'employeur est considéré, pour les contestations relatives à leur exploitation, comme ayant son domicile dans cet État membre.
L'article 21 du même texte prévoit qu'un employeur domicilié sur le territoire d'un État membre
peut être attrait, notamment, devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli
habituellement son travail.
Enfin, l'article 23 du même texte dispose qu'il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section
que par des conventions:
1) postérieures à la naissance du différend; ou
2) qui permettent au travailleur de saisir d'autres juridictions que celles indiquées à la présente section.
En application de l'article 23 du texte précité, la clause attributive de compétence, dont la conclusion est antérieure à la naissance du différend, est de nul effet.
Par ailleurs, il n'est pas contesté que le navire était à l'attache à l'année au port [Localité 1].
Or, le navire, qui se trouvait en permanence à [Localité 1], constitue un établissement au sens de l'article 20 du texte précité. C'est en outre le lieu de travail habituel du salarié, qui était donc bien fondé à saisir la juridiction cannoise.
En droit, il résulte des articles R221 ' 13 et 221 ' 49 du code de l'organisation judiciaire que le tribunal d'instance connaît les contestations relatives aux contrats d'engagement entre armateur et marins, la demande devant être portée devant le tribunal dans le ressort duquel la convention a été passée ou exécutée, lorsqu'une des parties est domiciliée en ce ressort.
En l'espèce, la convention a été exécutée à [Localité 1], donc dans le ressort du tribunal d'instance. L'employeur doit être considéré comme également domicilié à [Localité 1], par le biais de son établissement.
C'est donc le tribunal d'instance de Cannes qui est compétent, et non le conseil des prud'hommes de cette même ville.
Sur la loi applicable
En droit, il résulte du règlement du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles que le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l'article 3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable.
Le paragraphe 2 de l'article 8 du texte précité dispose : « À défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail.
En l'espèce, la loi applicable à défaut de choix est la loi française, la France étant le lieu d'exécution habituel du contrat. Le fond du litige porte sur la régularité et le bien-fondé de la résiliation du contrat conclu entre les parties. Or, le contrat conclu entre les parties prévoit notamment : « Pendant les premiers mois, les sociétés et le salarié pourront résilier le présent contrat sans motif en adressant à l'autre partie un préavis d'une semaine. Ensuite, le délai de préavis sera porté à quatre semaines. »
Une telle disposition du contrat, conforme à la loi anglaise, prive à l'évidence le travailleur de la protection contre le licenciement irrégulier et infondé que lui assure la loi française. Il s'ensuit que la loi anglaise, choisie par les parties, mais moins favorable au salarié, ne peut recevoir application.
Il convient donc de faire application de la loi française.
Il y a lieu par conséquent d'infirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 10 mars 2016 par le tribunal d'instance de Cannes, et de renvoyer l'affaire devant cette juridiction pour être jugée conformément à la loi française.
Sur les autres demandes
La société Nourah Limited, qui échoue en ses prétentions, sera déboutée de sa demande en paiement de sommes sur la base de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale,
Infirme dans son intégralité le jugement déféré,
Dit le tribunal d'instance de Cannes compétent pour connaître du présent litige,
Dit la loi française applicable au présent litige,
Condamne la société Nourah Limited aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE