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13/10/2016 | FRANCE | N°14/06211

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 8e chambre c, 13 octobre 2016, 14/06211


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

8e Chambre C



ARRÊT AU FOND

DU 13 OCTOBRE 2016



N° 2016/574













Rôle N° 14/06211







SA BANQUE POPULAIRE DES ALPES (BPA)





C/



[K] [L] épouse [I]





















Grosse délivrée

le :

à : Me BUVAT

Me TARTANSON















Décision déférée à la Cour :
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Jugement du Tribunal de Grande Instance de Digne en date du 12 Mars 2014 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 13/393.





APPELANTE



SA BANQUE POPULAIRE DES ALPES (BPA), prise en la personne de son président,

dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Robert BUVAT, avocat au barreau d'AIX-EN...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

8e Chambre C

ARRÊT AU FOND

DU 13 OCTOBRE 2016

N° 2016/574

Rôle N° 14/06211

SA BANQUE POPULAIRE DES ALPES (BPA)

C/

[K] [L] épouse [I]

Grosse délivrée

le :

à : Me BUVAT

Me TARTANSON

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de Digne en date du 12 Mars 2014 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 13/393.

APPELANTE

SA BANQUE POPULAIRE DES ALPES (BPA), prise en la personne de son président,

dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Robert BUVAT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

Madame [K] [L] épouse [I]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2014/5412 du 23/05/2014 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

née le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 1],

demeurant Chez Monsieur [E] [H] - [Adresse 2]

représentée par Me Colette TARTANSON de la SELARL CABINET D'AVOCATS TARTANSON, avocat au barreau d'ALPES DE HAUTE-PROVENCE substituée par Me Muriel MANENT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 06 Septembre 2016 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Dominique PONSOT, Président

Mme Françoise DEMORY-PETEL, Conseiller

Madame Claudine PHILIPPE, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Octobre 2016

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Octobre 2016,

Signé par Monsieur Dominique PONSOT, Président et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Vu le jugement du 12 mars 2014, par lequel le tribunal de grande instance de Digne-les-Bains a :

- fixé à la somme de 143 592,19 euros le montant des sommes dues par [K] [L] épouse [I] à la SA Banque Populaire des Alpes,

- fixé à la somme de 135 000 euros le montant des sommes dues par la SA Banque Populaire des Alpes à [K] [L] épouse [I],

- après compensation, condamné [K] [L] épouse [I] à payer à la SA Banque Populaire des Alpes la somme de 8 592,19 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement,

- reporté avec intérêts la créance à 24 mois à compter de la date de signification du jugement,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- fait masse de dépens et dit qu'ils seront supportés par moitié par chacune des parties,

Vu la déclaration du 27 mars 2014 par laquelle la SA Banque Populaire des Alpes a interjeté appel de cette décision,

Vu les dernières conclusions du 10 août 2016, aux termes desquelles la SA Banque Populaire des Alpes (la Banque Populaire) demande à la cour de :

A titre principal,

- juger que les dispositions de l'article L 650-1 du code de commerce font obstacle à toute recherche de responsabilité hors les cas, non établis en l'espèce, de fraude, d'immixtion et de garanties disproportionnées,

- débouter [K] [L] épouse [I] de l'intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire,

- juger que [K] [L] épouse [I] est un emprunteur averti,

- juger qu'il n'y avait aucun schéma d'endettement excessif au regard du patrimoine et des revenus que le couple tirait de l'exploitation du fonds de commerce et de leurs placements immobiliers,

- juger qu'elle n'avait aucun devoir de mise en garde à l'égard de [K] [L] épouse [I],

- rejeter en conséquence les demandes de [K] [L] épouse [I],

A titre plus subsidiaire,

- juger que les époux [I] étaient déjà endettés auprès de la BNP et qu'ils ne l'ont pas tenue informée de cette situation,

- rejeter les demandes formées par [K] [L] épouse [I],

-rejeter la demande de délai de paiement,

- condamner [K] [L] épouse [I] à lui payer la somme de 130 199,93 euros au titre du prêt Socoma et la somme de 13 392,26 euros au titre du prêt Express, outre intérêts au taux contractuels à compter du 24 novembre 2011, date du dernier décompte,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner [K] [L] épouse [I] à lui payer la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1153 al4 du code civil,

- condamner [K] [L] épouse [I] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et la somme de 4 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

- condamner [K] [L] épouse [I] au paiement des dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions du 30 août 2016 aux termes desquelles [K] [L] épouse [I] demande à la cour de :

- débouter la banque de ses demandes,

- confirmer le jugement déféré,

- en conséquence constater que la banque a manqué à son devoir de mise en garde à son égard,

- condamner la banque à lui payer la somme de 135 000 euros de dommages et intérêts,

- après compensation entre les créances respectives des parties, la condamner à payer à la banque la somme de 8 592,19 euros,

- reporter le paiement de la créance à 24 mois à compter de la date de signification du jugement déféré,

- condamner la banque au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des dépens,

Vu l'ordonnance de clôture en date du 30 août 2016,

MOTIFS

Attendu que pour un plus amples exposé des faits, des moyens et des prétentions des parties la cour se réfère aux conclusions visées ci-dessus ;

Attendu qu'il résulte des pièces communiquées aux débats, que [Q] [I], qui exploitait en nom personnel depuis 2004 un fonds de commerce de restauration situé à [Localité 2] (04), et son épouse [K] [L] épouse [I], ont souscrit, par acte sous seing privé du 16 octobre 2009, les deux emprunts suivants auprès de la Banque Populaire :

- un prêt Socoma Transmission d'un montant de 150 000 euros amortissable sur 84 mois au taux de 3,9 %,

- un prêt Express Socoma d'un montant de 15 000 euros amortissable sur 84 mois au taux de 4,05 %,

Que ces prêts étaient destinés à financer, d'une part, l'acquisition d'un droit au bail et, d'autre part, des travaux d'agrandissement dans le restaurant ;

Que par jugement du 17 mai 2011 le tribunal de commerce de Manosque a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de [Q] [I], convertie en liquidation judiciaire le 22 novembre 2011 ;

Que par courrier du 22 juin 2011 la Banque Populaire a déclaré sa créance d'un montant total de 151 571,42 euros au titre des deux prêts et du solde des comptes bancaires ;

Que par courriers des 16 juin 2011 et 24 novembre 2011 la Banque Populaire a adressé une mise en demeure à [K] [L] épouse [I] en sa qualité de co-emprunteur, en vain ;

Sur la demande en paiement formée par la banque populaire

Attendu que la Banque Populaire sollicite la condamnation de [K] [L] épouse [I], en sa qualité de co-emprunteur, au paiement des sommes suivantes :

- 130 199,93 euros outre intérêts au taux contractuels de 3,90 % à compter du 24 novembre 2011, au titre du prêt Socoma Transmission,

- 13 392,26 euros outre intérêts au taux de 4,05 % à compter du 24 novembre 2011, au titre du prêt Express Socoma ;

Qu'elle sollicite en outre la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civile ;

Attendu qu'il sera fait droit à ces demandes, la créance alléguée par la Banque Populaire n'étant contestée ni dans son principe ni dans son quantum ;

Attendu que les éléments produits par [K] [L] épouse [I] ne justifient pas l'octroi de délais de paiement supplémentaires, l'intéressée ayant déjà bénéficié de 5 années depuis sa mise en demeure pour commencer à régler sa dette ;

Sur la demande formée par [K] [L] épouse [I] à l'encontre de la banque

Attendu que sur le fondement de l'article 1147 du code civil et non sur le fondement de l'article L 650-1 du code de commerce, [K] [L] épouse [I] soutient que la Banque Populaire a manqué à son devoir de mise en garde à son égard ;

Qu'elle précise que lors de la souscription des prêts litigieux, elle était un emprunteur non averti et disposait de capacités financières limitées de sorte que la banque aurait dû l'alerter sur les risques d'endettement nés de ces prêts, lesquels étaient réels au regard de la situation économique du restaurant géré par M. [Q] [I] ;

Que la Banque Populaire fait valoir qu'elle n'était débitrice d'aucune obligation de mise en garde, ajoutant que [K] [L] épouse [I] était un emprunteur averti, en sa qualité de conjoint collaborateur, et disposait d'un patrimoine qui lui permettait de rembourser les prêts souscrits ;

Attendu que l'établissement bancaire qui consent un crédit est tenu envers un emprunteur non averti d'une obligation de mise en garde au regard des capacités financières de ce dernier et du risque d'endettement né de l'octroi du prêt ;

Que l'obligation de mise en garde est ainsi subordonnée à deux conditions, la qualité d'emprunteur non averti et l'existence d'un risque d'endettement ;

Sur la qualité d'emprunteur averti

Attendu qu'il ressort des documents communiqués que [K] [L] épouse [I] a travaillé en qualité de préparatrice de commandes pour la société Alliance Santé de septembre 1976 au 3 novembre 2003 avant de s'inscrire au registre du commerce et des sociétés, en janvier 2008, comme conjointe collaboratrice de son époux ;

Que contrairement aux allégations de la Banque Populaire, aucune pièce produite ne vient établir, qu'en sa qualité de conjointe collaboratrice, [K] [L] épouse [I] était effectivement impliquée dans l'administration du fonds de commerce géré par son mari ;

Qu'une telle implication ne peut résulter du seul fait, pour [K] [L] épouse [I], d'avoir co-signé, avec [Q] [I], avec lequel elle est mariée sous le régime de la communauté, un contrat de cession de bail et les actes de prêts litigieux ;

Que s'il est démontré qu'elle était la gérante de la SCI Laetisteph, il convient de relever que cette société familiale avait comme seule activité la location d'un local commercial au bénéfice de [Q] [I] pour les besoins de son restaurant, ce qui n'exigeait pas de la part de sa gérante des compétences particulières en matière financière ;

Que ce parcours professionnel n'a pas permis à [K] [L] épouse [I] d'acquérir des compétences et une expérience lui permettant d'appréhender les risques financiers inhérents à l'opération financée par les prêts litigieux, et ce, même si elle pouvait obtenir tous renseignements de la part de son mari ;

Que [K] était ainsi un emprunteur non averti lorsqu'elle a souscrit en octobre 2009 les prêts litigieux ;

Sur l'existence d'un risque d'endettement

Attendu que la Banque Populaire n'invoque ni ne produit aucune fiche de renseignements remise par les époux [I] lors de la conclusion des contrats de prêts ni aucune pièce susceptible de démontrer que les emprunteurs lui auraient dissimulé des éléments sur leur patrimoine ;

Attendu qu'il ressort du rapport rédigé par le mandataire judiciaire qu'en 2009 le fonds de commerce de [Q] [I] a généré des bénéfices d'environ 18 000 euros pour l'année ;

Que les capacités d'autofinancement de ce restaurant étaient par conséquent limitées au regard de la charge supplémentaire que représentait le remboursement des prêts litigieux, les échéances prévues étant d'un montant total de 2 451,86 euros par mois, assurances comprises, soit d'un montant annuel de 29 422,32 euros ;

Que si le prévisionnel remis à la banque faisait état d'une progression des résultats comptables et de la capacité d'autofinancement pour les exercices 2010, 2011 et 2012, ces résultats étaient aléatoires ;

Qu'au regard de cette situation, il était prévisible que les emprunts seraient, au moins pour partie, remboursés par prélèvements sur les revenus des époux [I] ou sur leur patrimoine ;

Qu'il convient de noter que leurs revenus professionnels, évalués à un montant total de 25 414 euros pour l'année 2007, provenaient exclusivement du fonds de commerce géré par [Q] [I] et que leur patrimoine était constitué directement ou indirectement de ce fonds, du local commercial et d'un capital de 203 000 euros issu de la vente d'un bien immobilier ;

Que les capacités de remboursement des époux [I] dépendaient ainsi, pour une large part, directement de la situation économique du restaurant géré par [Q] [I] ;

Qu'au regard de ces éléments, il convient de constater que les prêts litigieux faisaient naître un risque d'endettement, de sorte que la Banque Populaire était débitrice, à l'égard de [K] [L] épouse [I], d'un devoir de mise en garde ;

Que la banque ne produit aucun élément permettant d'établir qu'elle a effectivement respecté cette obligation en avertissant expressément [K] [L] épouse [I] des risques liés à l'opération économique envisagée par son époux ;

Que c'est à juste titre que le premier juge a retenu la responsabilité de la Banque Populaire et l'a condamnée à payer à [K] [L] épouse [I] la somme de 135 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de chance de ne pas signer l'acte de prêt ;

Qu'il convient d'ordonner la compensation entre les créances réciproques détenues par la Banque Populaire et [K] [L] épouse [I] ;

Attendu que la Banque Populaire, qui est sanctionnée en raison d'un manquement à son obligation de mise en garde, est mal fondée à invoquer la résistance de sa débitrice et à réclamer des dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1154 du code civil ;

Qu'elle sera déboutée de sa demande indemnitaire formée en application de ce texte ;

Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles d'appel ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- Condamne [K] [L] épouse [I] épouse [I] à payer à la SA Banque Populaire des Alpes les sommes suivantes:

* 130 199,93 euros outre intérêts au taux contractuels de 3,90 % à compter du 24 novembre 2011, au titre du prêt SOCOMA Transmission,

* 13 392,26 euros outre intérêts au taux de 4,05 % à compter du 24 novembre 2011, au titre du prêt EXPRESS SOCOMA,

- Dit que les intérêts seront capitalisés en application de l'article 1154 du code civil,

- Condamne la SA Banque Populaire des Alpes à payer à [K] [L] épouse [I] épouse [I] la somme de 135 000 euros,

- Ordonne la compensation entre ces créances réciproques,

- Déboute [K] [L] épouse [I] épouse [I] de sa demande de délais de paiement et de sa demande au titres des frais irrépétibles d'appel,

- Déboute la SA Banque Populaire des Alpes de sa demande en dommages et intérêts et de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,

- Dit qu'il sera fait masse des dépens de première instance et que ces derniers seront supportés par moitié par chacune des parties,

- Condamne la SA Banque Populaire des Alpes au paiement des dépens d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 8e chambre c
Numéro d'arrêt : 14/06211
Date de la décision : 13/10/2016

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 8C, arrêt n°14/06211 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-10-13;14.06211 ?
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