COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
1re Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 20 SEPTEMBRE 2016
A.V
N° 2016/
Rôle N° 15/07262
[Q] [O]
C/
Etablissement Public DIRECTION GENERALE DES FINANCES PUBLIQUES
Grosse délivrée
le :
à :Me Juston
Me Desombre
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 15 Avril 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 15/168.
APPELANT
Monsieur [Q] [O]
né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 1], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Sandra JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
Etablissement Public DIRECTION GENERALE DES FINANCES PUBLIQUES Direction Départementale des Finances Publiques des Alpes Maritimes, représentée par son Directeur en exercice domicilié en cette qualité en ses bureaux situés au [Adresse 2],
représentée par Me Martine DESOMBRE de la SCP DESOMBRE M & J, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 20 Juin 2016 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Anne VIDAL, Président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Anne VIDAL, Présidente
Monsieur Olivier BRUE, Conseiller
Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Patricia POGGI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Septembre 2016
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Septembre 2016,
Signé par Madame Anne VIDAL, Présidente et Madame Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCEDURE et PRETENTIONS,
M.[Q] [O], né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 1], a reçu en 2004 une somme de 600.000 euros de sa grand-mère Mme [Y] [H], née en 1916. Cette somme était déclarée comme étant un prêt remboursable en deux ans selon un acte du 26 novembre 2004.
Ce prêt n'était toujours pas remboursé en 2007 et M.[Q] [O] l'a déclaré à son passif dans le cadre des déclarations relatives à l'Impôt de Solidarité pour la Fortune de 2007 à 2011.
L'administration fiscale a requalifié ce prêt en donation indirecte et a procédé à une rectification de l'impôt de solidarité sur la fortune . Une proposition de rectification a été établie le 7 juin 2012 avec réintégration de 600.000 euros à l'actif de M.[O] au titre des déclarations ISF 2007 à 2011. Trois avis de mise en recouvrement ont été émis le 24 octobre 2012 au titre de l'ISF, soit pour 16.160 euros dont 6.156 euros de pénalités pour 2007/2008, pour 17.341 euros dont 5.362 euros de pénalités pour 2009/2010, et pour 8.478 euros dont 2.623 euros de pénalités pour 2011.
M.[Q] [O] a formé une réclamation le 20 décembre 2012.
Cette réclamation a fait l'objet d'une décision de rejet le 16 janvier 2013.
M.[Q] [O] a contesté cette décision de rejet par assignation le 4 mars 2013 de la direction générale des Finances publiques, direction départementale des Alpes Maritimes, devant le tribunal de grande instance de Nice.
Par jugement en date du 15 avril 2015, prononcé de manière contradictoire, le tribunal de grande instance de Nice a :
-débouté M.[Q] [O] de l'intégralité de ses demandes,
-condamné M.[Q] [O] aux entiers dépens de l'instance.
Dans ses motifs le tribunal a dit que la procédure de redressement était régulière et que l'administration fiscale qui avait qualifié ce prêt de donation indirecte n'avait pas à utiliser la procédure de l'abus de droit. Le tribunal a dit que les éléments de fait prouvaient la donation, de sorte que l'ISF devait être corrigé.
Par déclaration de Me Sandra JUSTON, avocat au barreau d'Aix-en-Provence, en date du 24 avril 2015, M.[Q] [O] a relevé appel général de ce jugement.
Par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 9 juin 2015, M.[Q] [O] demande à la cour, au visa des articles 894 et 932 du code civil, L.20, L.55, L.64 du livre des procédures fiscales, 750 ter, 768, 773 et 885 Z du code général des impôts, de :
-infirmer en toutes ses dispositions le jugement,
-dire que la procédure d'imposition est irrégulière, le service vérificateur ayant pratiqué l'abus de droit implicite sans offrir à l'appelant les garanties auxquelles il avait droit en application de l'article L.64 du livre des procédures fiscales,
-dire que le service n'a pas établi que les conditions d'une donation indirecte ou déguisée sont remplies aux termes des articles 894 et 932 du code civil, dire que l'intention frauduleuse de l'appelant n'est pas établie,
-ce faisant accorder à l'appelant la décharge de l'imposition mise en recouvrement pour un montant de 41.979 euros,
-condamner l'intimée au paiement d'une somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner l'intimée aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD & JUSTON, avocats.
M.[O] estime que l'administration fiscale, en considérant que le prêt consenti par sa grand-mère constituait en réalité une donation, a invoqué la simulation et aurait dû placer la procédure de rectification dans le cadre de l'article L.64 du livre des procédures fiscales. M.[O] considère que l'administration fiscale, en ayant mis en oeuvre une procédure de rectification de droit commun a pratiqué $gt; ce qui rend la procédure irrégulière et entraîne la décharge de l'imposition.
M.[O] estime que l'intention libérale n'est pas établie. Il fait observer que le prêt a été enregistré, qu'il avait procédé à un remboursement partiel de 310.000 euros et qu'un acte de prolongation de prêt a été établi et qu'il n'y a pas eu acceptation de la donation.
M.[O] estime que la réalité de la dette étant établie, celle-ci est déductible de l'assiette de l'ISF. M.[O] fait observer que la majoration de 40% n'est pas motivée alors que la mauvaise foi ne peut être présumée.
Par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 26 juin 2015, la Direction Générale des Finances Publiques direction départementale des finances publiques des Alpes Maritimes demande à la cour de :
-confirmer en toutes ses dispositions le jugement,
-dire que l'imposition supplémentaire, objet du présent litige, est fondée,
-par conséquent, prononcer son rétablissement,
-condamner M.[O] aux entiers dépens, dont distraction de ceux d'appel au profit de Me Martine DESOMBRE et Me Julien DESOMBRE.
La direction des finances publiques rappelle que la donation indirecte est une libéralité entre vifs qui se réalise au moyen d'un acte juridique différent dont elle emprunte la forme. Elle estime qu'en l'occurrence l'intention libérale est établie par l'âge de la grand-mère, le lien de parenté, l'absence de prise de garantie et sa volonté de renoncer à demander le remboursement du prêt et des intérêts. L'administration fiscale estime que le défaut d'enregistrement de la prolongation du prêt équivaut à une acceptation de la donation par M.[O] . L'administration fiscale considère que la renonciation à demander le remboursement d'un prêt constitue une donation indirecte.
L'administration fiscale estime qu'elle n'a pas procédé à un détournement de la procédure de l'abus de droit, alors qu'elle ne prétend pas qu'il y a eu dissimulation d'une donation en un prêt mais constatation que le prêt dont le remboursement n'était toujours pas demandé à son terme avait l'effet d'une donation.
L'administration fiscale estime que M.[O] ne pouvait ignorer que le défaut de remboursement du prêt constituait une libéralité et qu'il s'est agi d'un manquement délibéré de sa part.
L'instruction de l'affaire a été close le 24 mai 2016.
MOTIFS
I) Les faits :
Mme [Y] [H] veuve [C], née le [Date naissance 2] 1916, demeurant à [Localité 1] (Iran), a remis à son petit-fils, M.[Q] [O], né le [Date naissance 1] 1967, demeurant à [Localité 2], une somme de 600.000 euros. Ce versement a été formalisé par une convention de prêt sous seing privé datée du 26 novembre 2004 et enregistrée le 5 décembre 2004.
Cette convention de prêt prévoyait un remboursement en une seule fois le 1er décembre 2006, avec un taux d'intérêts de 2% l'an.
Par acte sous seing privé daté du 6 avril 2006, les parties à ce contrat de prêt ont convenu d'une prorogation du prêt pour une durée de 10 années au plus et jusqu'au 30 novembre 2015, date à laquelle il devrait être remboursé en totalité, capital, plus intérêts maintenus à 2% l'an.
En 2011, M.[Q] [O] n'avait toujours rien remboursé à sa grand-mère, alors âgée de 95 ans.
Dans ses déclarations d'ISF souscrites au titre des années 2007, 2008, 2009, 2010 et 2011, M.[Q] [O] a minoré son actif du fait de cette somme de 600.000 euros présentée comme un passif.
-II) Sur la régularité de la procédure de rectification:
Pour procéder à la rectification et décider de considérer cette somme de 600.000 euros versée par sa grand-mère à M.[Q] [O] comme une donation indirecte, augmentant d'autant l'actif patrimonial de M.[Q] [O], l'administration fiscale a appliqué la procédure de droit commun prévue aux articles L.55 et suivants du livre des procédures fiscales et non celle de la répression des abus de droit prévue aux articles L.64 et suivants dudit livre.
La procédure de répression des abus de droit suppose une requalification d'un acte dont la réelle nature serait déguisée. En l'occurrence l'administration fiscale n'a pas considéré que l'acte de prêt du 26 novembre 2004 était en réalité une donation déguisée mais simplement constaté en 2011 que, du fait de l'absence totale de remboursement de la somme prêtée de 600.000 euros, sept ans après son versement, cet acte de prêt s'était progressivement transformé et depuis 2007 au moins en donation. L'administration fiscale n'a pas dit que l'acte initial de prêt avait été conçu comme une donation déguisée, mais constaté que l'avantage provenant de cette somme d'argent s'était de fait transformé en une donation indirecte de celle-ci, faute du moindre remboursement.
Dès lors la procédure de rectification de droit commun des articles L.55 et suivants du livre des procédures fiscales était applicable.
La procédure de rectification est régulière.
-III) Sur le montant de l'actif taxable au titre de l'ISF :
Fin novembre 2004, M.[Q] [O] a reçu de sa grand-mère demeurant en Iran la somme de 600.000 euros. Il devait rembourser cette somme le 1er décembre 2006.
A cette date du 1er décembre 2006, il n'a rien remboursé. Le prêt a été reconduit pour une durée pouvant aller jusqu'à dix ans de plus, de sorte que la prêteuse aurait 99 ans si elle était encore en vie à la date de remboursement.
A la date du 20 décembre 2011, M.[Q] [O] n'avait remboursé à sa grand-mère âgée de 95 ans aucun centime sur les 600.000 euros versés.
Le fait pour M.[O] de détenir encore, plusieurs années après son versement, l'intégralité de la somme versée, sans avoir restitué le moindre centime, payé le moindre intérêt, le grand âge de la prêteuse, le lien de parenté avec elle, tous ces éléments permettaient à juste titre à l'administration fiscale de considérer cet avantage comme une donation indirecte.
Le remboursement partiel intervenu seulement le 29 août 2012, soit après la rectification, ne peut être considéré que comme une tentative tardive pour essayer de contester l'impôt devant les juridictions.
Dès lors cette somme de 600.000 euros ne pouvait être considérée comme étant au passif de M.[O] et son patrimoine devait être majoré d'autant.
Il en résulte un supplément d'impôt de solidarité sur la fortune dont le calcul n'est pas discuté.
-IV) Sur la majoration :
L'article 1729 du code général des impôts dispose que les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de 40% en cas de manquement délibéré.
C'est cette majoration de 40% pour manquement délibéré qui a été appliquée par l'administration fiscale à M.[O].
Il n'est pas contesté par l'administration fiscale qu'à l'origine, en 2004, il n'avait pas été envisagé de camoufler en prêt une donation, mais que c'est par la suite, notamment compte tenu de la prorogation convenue en 2006 et de l'absence totale de remboursement pendant des années que, progressivement, ce bénéfice d'une somme de 600.000 euros est devenu une donation déguisée.
Il ne peut être présumé que M.[O], qui continuait de considérer, à tort, comme n'étant pas une donation de fait, le bénéfice de la somme de 600.000 euros, aurait commis un manquement délibéré pour se soustraire à l'impôt.
En conséquence cette majoration de 40% n'a pas à s'appliquer.
Au vu de cette décision, chaque partie conservera ses dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu le 15 avril 2015 par le tribunal de grande instance de Nice en ce qu'il a rejeté la contestation de M.[Q] [O] de la décision de rejet de l'administration fiscale du 16 janvier 2013, sauf en ce qui concerne la majoration de 40% pour manquement délibéré,
Dit en conséquence que les trois avis de mise en recouvrement du 24 octobre 2012 au titre de l'ISF s'appliquent, à l'exclusion de la majoration de 40 %, pour manquement délibéré,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article700 du code de procédure civile,
Dit que chaque partie conservera ses dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT