COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 13 MAI 2016
N° 2016/309
Rôle N° 14/20097
[V] [J]
C/
Société CTSI
Grosse délivrée le :
13/05/2016
à :
Me Jean-philippe GOUTX, avocat au barreau de TOULON
Me Philippe RIVIERE, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
13/05/2016
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de TOULON - section - en date du 12 Septembre 2014,enregistré au répertoire général sous le n° F 12/00023.
APPELANT
Monsieur [V] [J] APPEL SUR LA TOTALITE DU JUGEMENT, demeurant [Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Jean-philippe GOUTX, avocat au barreau de TOULON
INTIMEE
Société CTSI, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Philippe RIVIERE, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION substitué par Me Olivier SINELLE, avocat au barreau de TOULON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 17 Mars 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Thierry CABALE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Chantal BARON, Présidente de chambre
Monsieur Jean-Bruno MASSARD, Conseiller
Monsieur Thierry CABALE, Conseiller qui en a rapporté
Tous ces magistrats désignés pour assurer le service allégé par Ordonnance du Premier Président en date du .
Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 6 Mai 2016 puis prorogé au 13 Mai 2016
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Mai 2016
Signé par Madame Chantal BARON, Présidente de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur [V] [J] a été embauché par la Sarl Compagnie de Travaux Subaquatiques International par contrat à durée indéterminée du 3 septembre 2009 pour l'exécution d'un chantier à Mayotte de pose d'une conduite d'eau potable et réhabilitation du «'Sea Line-Mayotte'», en tant que «'chef d'équipe plongée'»'.
Le 14 janvier 2010, le salarié a été victime d'un accident du travail lors d'un incendie sur un bateau, pris en charge par la caisse de sécurité sociale de Mayotte au titre du risque professionnel suivant une décision de sa commission de recours amiable du 30 septembre 2010, qui lui a versé des indemnités journalières à compter du 15 janvier 2010.
Le conseil de prud'hommes de Toulon, par jugement de départage du 12 septembre 2014, a condamné l'employeur à payer au salarié la somme de 2449 euros outre intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement au titre du matériel de plongée perdu lors de l'accident du travail, a débouté le salarié de ses autres demandes et a condamné l'employeur aux dépens sans faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 20 octobre 2014, le salarié a relevé appel de ce jugement qui lui a été notifié le 27 septembre 2014.
Par des conclusions écrites reprises oralement à l'audience aux fins de réformation, le salarié sollicite de la cour qu'elle condamne l'employeur à lui payer la somme de 101.721 euros au titre du manque à gagner correspondant à la différence, en prenant pour base de calcul le salaire acquis en décembre 2009, entre les indemnités journalières perçues de la caisse de Mayotte du 15 janvier 2010 au 31 janvier 2013, et celles auxquelles il aurait pu prétendre en métropole avec des cotisation adaptées, la somme de 3274,03 euros au titre du remboursement du matériel perdu, la somme de 482 euros au titre des frais médicaux demeurés à sa charge ainsi que la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile avec mise des dépens à la charge de l'employeur.
Il soutient que l'employeur a manqué à son obligation d'information en s'étant borné à mentionner, dans le contrat de travail, une inscription à la caisse de Mayotte, qu'il a été abusé et trompé sur les conséquences financières de cette affiliation au régime local, qu'il a perçu de manière différée après diverses démarches et procédures des indemnité journalières inférieures à celles du régime social métropolitain, que son employeur ne lui a consenti d'autre soutien qu' une aide financière de 13.000 euros en 2010, que celui-ci n'a pas apporté de réponses à des interrogations sur la couverture maladie par courriel du chef de chantier du 7 janvier 2010, et enfin qu'il aurait souscrit une assurance volontaire complémentaire ou une assurance privée s'il avait été informé du particularisme du régime d'assurance obligatoire de Mayotte.
Au moyen de conclusions écrites reprises oralement à l'audience, l'employeur demande à la cour de confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, de débouter le salarié de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il soutient'que le contrat de travail informait à suffisance son cocontractant de la déclaration de son embauche à la caisse de Mayotte avec droit d'accès et de rectification de la déclaration, ce qui avait recueilli son acceptation expresse par la signature du contrat, que le salarié a perçu des indemnités journalières de cette caisse dont il a accepté les règlements pendant trois années, que les calculs du salarié sont contestés dans leur principe et dans leurs montants, que la caisse du Var a confirmé l'application du régime de sécurité sociale de Mayotte, et enfin qu'une instance est en cours devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Mayotte devant statuer sur la demande du salarié de majoration de sa rente.
Il ajoute ne pas avoir relevé appel de sa condamnation au titre du matériel de plongée qu'il accepte.
MOTIFS :
Sans remettre en cause l'exécution par l'employeur de ses obligations, notamment déclaratives, afin d'assurer l'effectivité d'une prise en charge au titre du régime de sécurité sociale du territoire de Mayotte tel qu'il était applicable aux relations de travail, le salarié lui reproche de l'avoir trompé et abusé, outre une absence d'information sur les conséquences d'une affiliation au régime de sécurité sociale territorial et un manque de communication dans sa mise en oeuvre.
Il y a lieu d'en déduire que le salarié dénonce l'attitude frauduleuse et dolosive de l'employeur, ainsi que le non-respect de ses obligations d'information et d'exécution loyale et de bonne foi du contrat de travail dès l'embauche sur le fondement, ensemble, des articles 1134 et 1147 du code civil outre L 1222-1 du code du travail.
Toutefois, le salarié n'apporte aucun élément permettant d'imputer à l'employeur un comportement frauduleux dans l'application du régime de sécurité sociale de Mayotte ni, plus largement, dans l'exécution de la relation de travail.
Il ne justifie pas davantage d'un vice du consentement.
Sur l'obligation d'information, le principe de territorialité en matière de sécurité sociale française découle des dispositions de l'article L 111-2-2 du code de la sécurité sociale qui prévoit que toute personne exerçant sur le territoire français doit être affiliée à un régime obligatoire de sécurité sociale. Ainsi, sauf dispositions légales ou conventionnelles contraires, non démontrées en l'espèce, et sous réserve d'adaptations par des conventions de sécurité sociale bilatérales, une personne exerçant son activité à l'étranger ou sur un territoire français doté d'une législation sociale distincte, même partiellement, du régime de sécurité sociale obligatoire métropolitain, n'est pas affiliée à ce régime obligatoire métropolitain.
Tenu d'une exécution de bonne foi du contrat de travail, comme d'une obligation d'information et de conseil, en application des articles, ensemble, 1134 et 1147 du code civil outre L 1222-1 du code du travail, l'employeur mahorais qui emploie un salarié venant de métropole, affilié à la sécurité sociale française, doit l'informer de manière positive, claire et suffisante sur l'étendue de sa protection sociale sur le territoire mahorais pour lui permettre d'apprécier, le cas échéant, la nécessité de souscrire volontairement des garanties insuffisamment couvertes afin de maintenir des garanties équivalentes à celles qu'il aurait eues s'il était resté en métropole.'
Conformément à l'article 1315 du Code civil, il revient à l'employeur, débiteur de l'obligation d'information, de prouver qu'il a respecté cette obligation.
En l'espèce, le salarié, qui travaillait en métropole avec une affiliation au régime de sécurité sociale métropolitain, et qui ne disposait d'aucune qualification particulière pour apprécier l'étendue de sa couverture sociale sur le territoire mahorais, n'a pas bénéficié d'une information positive et claire sur l'étendue de sa protection sociale notamment en matière d'accident du travail, sur le territoire mahorais, ni sur ses conséquences financières et'sur la faculté d'adhérer volontairement'à des assurances complémentaires pour lui permettre d'obtenir des garanties équivalentes à celles auxquelles il aurait pu prétendre en métropole, obligations que l'employeur n'a pas respectées par la seule insertion au contrat de travail d'une mention sur la déclaration du salarié à la caisse générale de sécurité sociale de Mayotte avec pour corollaire un droit d'accès et de rectification des données contenues dans la déclaration préalable à l'embauche, sans lien avec l'étendue de sa couverture sociale.
L'employeur, qui a recruté le salarié venant de métropole en raison de son expérience dans le domaine très particulier de la plongée subaquatique, pour exécuter une prestation l'exposant de manière importante au risque d' accident du travail, a donc failli à son obligation d'information et à son devoir de conseil envers son salarié en s'abstenant d'attirer spécialement son attention sur les conséquences potentiellement préjudiciables du dispositif mahorais, incontestablement moins favorable que le régime obligatoire de sécurité sociale métropolitain en matière de couverture du risque d'accident du travail, s'agissant spécifiquement des prestations en espèces.
Il en résulte un préjudice certain et direct par la perte d'une chance réelle et sérieuse d'obtenir des prestations en espèces d'un montant plus important du 15 janvier 2010 au 31 janvier 2013, au regard des données chiffrées très précises apportées par le salarié, non-utilement contredites par l'employeur, ce qui justifie l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi à concurrence de la somme de 50.000 euros.
S'agissant de la prise en charge du coût de la perte du matériel de plongée du salarié, considérant l'absence de contestation de l'employeur sur le principe d'une indemnisation, il sera alloué au salarié, au vu des pièces versées aux débats, non-sérieusement critiquées, la somme de 3274,03 euros.
En revanche, la dette au titre du forfait hospitalier et des actes médicaux de janvier 2010 ne relève pas d'une obligation contractuelle ou statutaire de l'employeur dont les manquements à l'origine de l'absence d'une prise en charge par la caisse de sécurité sociale ne sont pas démontrés. Le salarié sera donc débouté de sa demande de remboursement d'une somme de 482 euros à ce titre.
En considération de l'équité, la somme de 2.000 euros sera allouée au salarié en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens seront mis à la charge de l'employeur, qui succombe.
PAR CES MOTIFS:
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale et par mise à disposition au greffe:
Réforme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit qu'en tant qu'employeur de Monsieur [V] [J], la Sarl Compagnie de Travaux Subaquatiques International a manqué à ses obligations d'exécution de bonne foi du contrat de travail, d'information et de conseil, en application des articles, ensemble, 1134 et 1147 du code civil outre L 1222-1 du code du travail.
Condamne la Sarl Compagnie de Travaux Subaquatiques International à payer à Monsieur [V] [J] la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif à une perte de chance d'obtenir des prestations en espèces plus importantes au titre du risque accident du travail relevant du régime de sécurité sociale.
Condamne la Sarl Compagnie de Travaux Subaquatiques International à payer à Monsieur [V] [J] la somme de 3.274,03 euros au titre du coût représenté par la perte de son matériel de plongée.
Condamne la Sarl Compagnie de Travaux Subaquatiques International à payer à Monsieur [V] [J] la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier.
Déboute les parties de leurs autres demandes.
Condamne la Sarl Compagnie de Travaux Subaquatiques International aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLA PRESIDENTE