COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
1re Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 03 MAI 2016
A.V
N° 2016/
Rôle N° 15/04278
[M], [L] [E]
C/
[K] [C]
Grosse délivrée
le :
à :Me Mas
Me Beluch
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 23 Février 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 12/02743.
APPELANT
Monsieur [M], [L] [E]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2015/3699 du 11/05/2015 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)
né le [Date naissance 2] 1949 à [Localité 1]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Bénédicte MAS, avocat au barreau de GRASSE
INTIMEE
Madame [K] [C]
née le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 2], demeurant [Adresse 1] - Chez Mme [I] [W] - [Adresse 3]
représentée par Me Marie BELUCH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Evelyne MARCHI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
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COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 14 Mars 2016 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame VIDAL, Président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Anne VIDAL, Présidente
Monsieur Olivier BRUE, Conseiller
Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Patricia POGGI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Mai 2016
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Mai 2016,
Signé par Madame Anne VIDAL, Présidente et Madame Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Suivant acte d'huissier du 18 avril 2012, M. [M] [E] a fait assigner Mme [K] [C] devant le tribunal de grande instance de Grasse pour obtenir sa condamnation à lui payer une somme de 70.000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de l'assignation correspondant aux sommes d'argent qu'il dit lui avoir prêtées au cours de leur vie commune.
Par jugement du 23 février 2015, le tribunal de grande instance de Grasse a débouté M. [M] [E] de toutes ses demandes et Mme [K] [C] de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts, a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et a mis les dépens à la charge du demandeur.
Il a considéré qu'à supposer que soit retenue l'impossibilité morale pour M. [M] [E] de se constituer un écrit, celui-ci n'apportait pas d'éléments suffisants démontrant l'existence d'un prêt de 70.000 euros à sa compagne, les déclarations de celle-ci aux services de police et sa lettre du 7 mars 2012 où elle évoque le paiement de 70.000 euros dès la vente d'un appartement ne suffisant pas à établir l'existence d'un prêt mais se rattachant à un problème de liquidation de biens communs.
M. [M] [E] a interjeté appel de cette décision suivant déclaration en date du 16 mars 2015.
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M. [M] [E], aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 1er octobre 2015, demande à la cour d'infirmer la décision entreprise et de condamner Mme [K] [C] à lui payer la somme de 70.000 euros assortie des intérêts légaux à compter de l'assignation, outre une somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir les éléments suivants :
- La nature des rapports entre concubins justifie l'impossibilité morale pour M. [M] [E] d'exiger de sa compagne un écrit constatant le prêt ;
- Il existe des commencements de preuve par écrit constitués par l'aveu exprimé à trois reprises par Mme [K] [C], dans deux PV de police de 2011 et dans un courrier du 7 mars 2012, ces écrits constituant des aveux au sens des articles 1354 et suivants exprimés sans contrainte et de manière explicite ;
- Il est justifié du transfert d'une somme d'argent de 50.000 euros au profit de Mme [K] [C] grâce à un document dénommé « Declaracion de Pagos Exteriores » ; le prétendu pouvoir daté du 17 février 2010 présenté par celle-ci pour acquérir une maison en [Localité 3] est un faux grossier dont elle est dans l'incapacité de produire l'original, de même que l'attestation du vendeur de la dite maison en [Localité 3] qui démontre au demeurant que la maison a été acquise par Mme [K] [C] ; d'ailleurs, les fonds ont été versés en janvier 2007, soit trois ans avant ;
- Le premier juge s'est trompé en retenant que le fait que Mme [K] [C] reconnaisse avoir des biens en commun avec lui venait contredire l'existence d'un prêt et l'obligation de remboursement corrélative.
Mme [K] [C], en l'état de ses écritures en réponse signifiées le 22 juin 2015, conclut au rejet des demandes de M. [M] [E] en application des articles 1348, 1354, 1355 et 1315 du code civil, l'appelant ne justifiant pas de l'impossibilité morale qu'il aurait eue à se procurer une reconnaissance de dette émanant de Mme [K] [C], ne rapportant pas la preuve d'avoir prêté à celle-ci la somme de 70.000 euros dont il réclame le remboursement et cette dernière n'ayant jamais reconnu devoir lui rembourser une quelconque somme d'argent.
Elle demande à la cour de constater que l'action de M. [M] [E] à son encontre est abusive et a été initiée à seule fin de lui nuire et de lui causer un grand préjudice, tant financier que moral, et de le condamner à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du code civil, outre une somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle indique que le couple s'est séparé en 2008 et qu'il battait déjà de l'aile depuis un ou deux ans, notamment en 2007, date à laquelle il dit lui avoir prêté de l'argent et où il aurait pu, si cela avait été le cas, établir un écrit, le couple étant par ailleurs en relations d'affaires ; au demeurant, la condamnation prononcée contre lui par le tribunal correctionnel démontre le peu de respect et de confiance qu'il avait à son égard ; elle en déduit que les dispositions de l'article 1348 du code civil doivent être écartées.
Elle oppose à la pièce dénommée « Declaracion de Pagos Exteriores » qu'il s'agit d'un virement opéré sur son compte en [Localité 3] par M. [M] [E] qui désirait acquérir, comme elle l'avait déjà fait, une maison dans ce pays mais n'y avait pas de compte bancaire ; M. [M] [E] lui a donné pouvoir d'acheter la maison de M. [A] [Q] et elle ne peut en produire que le double, l'original ayant été remis à celui-ci auquel il était destiné ; M. [A] [Q] reconnaît d'ailleurs, dans une attestation qu'elle a remise en original à M. [M] [E], avoir reçu, par l'intermédiaire de Mme [K] [C], la somme de 2.400.000 baths soit 60.000 euros à valoir sur le prix de sa maison, somme que celui-ci a finalement perdue pour n'avoir pas donné suite à l'opération.
Elle affirme que les déclarations faites devant les services de police ne constituent pas un aveu de reconnaissance de dette mais ont été faites alors qu'elle était à bout de nerfs, face au harcèlement dont elle était l'objet, M. [M] [E] ayant fixé à la somme de 70.000 euros le prix de son départ ; la lettre du 17 mars 2012 ne vaut pas non plus reconnaissance de dette mais prouve seulement qu'elle refuse de lui donner de l'argent.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 23 février 2016.
MOTIFS DE LA DECISION :
Attendu qu'aux termes de l'article 1315 du code civil, il appartient à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de prouver sa créance ; que la preuve par écrit est exigée au-delà du seuil de 1.500 euros en application de l'article 1341, sauf la possibilité pour le créancier de se prévaloir d'un commencement de preuve par écrit au sens de l'article 1347 du code civil qui se définit comme un écrit émanant du débiteur qui rend vraisemblable le contrat mais qui ne remplit pas les conditions pour valoir pleine preuve en lui-même, complété par tous autres moyens de preuve de l'engagement du débiteur ;
Que l'exigence d'un écrit peut être toutefois écartée, en application de l'article 1348 du code civil, si les circonstances de la conclusion du contrat rendent impossible la confection d'un écrit, pour des raisons matérielles ou morales ; que l'impossibilité morale résultant de l'existence de liens familiaux ou de relations sentimentales est appréciée souverainement par les juges, mais que la seule existence de relations de concubinage ne suffit pas à établir, à elle seule, la preuve d'une impossibilité de se procurer un écrit ;
Attendu, en l'espèce, que M. [M] [E] invoque à son profit les dispositions de l'article 1348 du code civil ; qu'il soutient en effet avoir prêté à Mme [K] [C] une somme de 70.000 euros en 2007, alors qu'ils vivaient en concubinage, et que cette circonstance l'a empêché d'établir un écrit constatant ce prêt ;
Qu'il est effectif que M. [M] [E] et Mme [K] [C] ont vécu en concubinage pendant plusieurs années et se sont séparés en 2008 ; mais que l'effectivité de leur vie commune ne suffit pas à établir que M. [M] [E] se serait trouvé dans l'impossibilité de faire rédiger par celle-ci une reconnaissance de dette pour obtenir le remboursement d'une somme aussi importante que 70.000 euros ; que les deux concubins se trouvaient en outre en relations d'affaires, ce qui devait permettre plus aisément au créancier d'obtenir l'écrit nécessaire pour justifier de l'obligation de remboursement de sa débitrice ;
Que l'impossibilité morale de l'article 1348 du code civil sera donc rejetée ;
Attendu que M. [M] [E] sollicite ensuite le bénéfice des dispositions de l'article 1347 du code civil et fait état de trois documents qu'il présente comme constituant des commencements de preuve par écrit ;
Qu'il est indéniable que, lors de son audition par les services de police, les 28 et 29 décembre 2011, à la suite des coups et blessures commis par M. [M] [E] sur sa personne, Mme [K] [C] a indiqué :
Lors de son audition, le lendemain des faits : « Je n'en peux plus, je veux que ça cesse. Je lui donnerais ces 70.000 euros dès la vente des appartements. »,
Lors de la confrontation entre les parties, le surlendemain des faits : « Je veux qu'il s'en aille, je lui parle car nous avons des biens en commun, je lui donnerais ses 70.000 euros. »,
sans pour autant que M. [M] [E] ait lui-même évoqué une créance de 70.000 euros ;
Que ces déclarations recueillies par les services de police constituent un commencement de preuve par écrit de l'existence d'une créance de 70.000 euros de M. [M] [E] sur Mme [K] [C], même si la cause n'en est pas exprimée ;
Que de même constitue un commencement de preuve rendant vraisemblable l'obligation de Mme [K] [C] de verser à M. [M] [E] la somme de 70.000 euros le courrier du 7 mars 2012 par lequel celle-ci l'exhorte de ne plus venir troubler la copropriété et termine sa lettre ainsi : « Si je perds l'achat des combles, tu peux dire adieu à tes 70.000 euros, tout cela est de ta faute ! » ;
Attendu qu'en l'état de ces commencements de preuve par écrit de la créance de 70.000 euros de M. [M] [E] à l'encontre de Mme [K] [C], il appartient à celui-ci de compléter la preuve de cette obligation par tous moyens ;
Qu'il produit une lettre de Mme [K] [C] lui demandant de partir en [Localité 3] dans les termes suivants : « Je te file 1.000 E par mois et tu pars en [Localité 3] en attendant que les affaires s'arrachent tu détruis tout ce que je construis en ce moment pars le plus vite possible », mais cette lettre, au demeurant non datée, n'apporte aucun élément venant corroborer l'existence d'une dette de celle-ci ; que la réponse ajoutée de manière manuscrite par M. [M] [E] en pied de ce courrier (« je ne partirai qu'avec mon argent ») ne peut constituer un élément probant, s'agissant d'une preuve que le demandeur se fait à lui-même ;
Que par contre, le document intitulé « Declaracion de pagos exteriores » établi à l'en-tête de la Banco Popular et daté « Roses, 03 de Enero de 2007 » établit l'existence d'un ordre de paiement d'une somme de 50.000 euros du compte de [M] [L] [E] (domicilié chez [R] [O]) au profit de [K] [Z] [R] [C] (demeurant en [Localité 3]) en vue de l'acquisition d'un immeuble à l'étranger ;
Que Mme [K] [C] se défend d'avoir reçu cette somme à des fins personnelles, soutenant que les fonds auraient été déposés sur son compte bancaire en [Localité 3] afin de permettre le financement de l'acquisition d'une maison par M. [M] [E] ; mais que les pièces qu'elle produit pour appuyer ses déclarations ne sont pas probantes ; qu'en effet, le pouvoir donné par M. [M] [E] à Mme [K] [C] pour acheter une maison en [Localité 3] est daté du 17 février 2010, soit trois années après le transfert des fonds, et l'attestation de M. [A] [Q] indique qu'il vend sa maison au prix de 3.500.000 Bts et qu'il a reçu de Mme [K] [C] la somme de 2.400.000 Bts (soit l'équivalent de 60.000 euros), mais ne précise pas pour le compte de qui cette remise de fonds a été effectuée ; qu'en outre, à la date du pouvoir et de l'attestation établie par M. [Q], les deux concubins étaient déjà séparés depuis un ou deux ans, ce qui exclut que l'acquisition ait été faite en commun ;
Qu'aucun élément de preuve n'est apporté en complément des commencements de preuve par écrit retenus plus haut concernant la somme de 20.000 euros ;
Qu'il sera donc retenu que M. [M] [E] établit, conformément aux règles de l'article 1347 du code civil, l'existence d'une créance de 50.000 euros à l'encontre de Mme [K] [C] et qu'il sera fait droit à sa demande en paiement pour ce montant, assorti des intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2012, date de l'assignation ;
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile,
PAR CES MOTIFS,
la cour statuant publiquement, contradictoirement,
et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Condamne Mme [K] [C] à payer à M. [M] [E] une somme de 50.000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2012 ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [K] [C] aux dépens de première instance et aux dépens d'appel lesquels seront recouvrés selon les règles de l'aide juridictionnelle.
LE GREFFIERLE PRESIDENT