La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/03/2016 | FRANCE | N°13/20707

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 17e chambre, 24 mars 2016, 13/20707


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

17e Chambre



ARRÊT AU FOND

DU 24 MARS 2016



N°2016/

NT/FP-D













Rôle N° 13/20707







[M] [Y]





C/



Association L'ELF (L'EGALITE LIBERTE FRATERNITE)



































Grosse délivrée le :

à :

Me [K] FLAGEOLLET, avocat au barreau de MARSEILLE



Me C

écile BAESA, avocat au barreau de MARSEILLE



Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :



Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE - section AD - en date du 12 Septembre 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 12/425.





APPELANTE



M...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

17e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 24 MARS 2016

N°2016/

NT/FP-D

Rôle N° 13/20707

[M] [Y]

C/

Association L'ELF (L'EGALITE LIBERTE FRATERNITE)

Grosse délivrée le :

à :

Me [K] FLAGEOLLET, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Cécile BAESA, avocat au barreau de MARSEILLE

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE - section AD - en date du 12 Septembre 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 12/425.

APPELANTE

Mademoiselle [M] [Y], demeurant [Adresse 1]

comparante en personne, assistée de Me [K] FLAGEOLLET, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

Association L'ELF (L'EGALITE LIBERTE FRATERNITE), demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Cécile BAESA, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786, 910 et 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 1er février 2016, en audience publique, les avocats ayant été invités à l'appel des causes à demander à ce que l'affaire soit renvoyée à une audience collégiale s'ils n'acceptaient pas de plaider devant les magistrats rapporteurs et ayant renoncé à cette collégialité, l'affaire a été débattue devant Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller, et Sylvie BLUME, Conseiller , chargés d'instruire l'affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller faisant fonction de Président

Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller

Madame Sylvie BLUME, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Mars 2016

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Mars 2016

Signé par Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller faisant fonction de Président et Madame Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Mme [M] [Y] a été embauchée par l'association l'ELF suivant contrat à durée indéterminée daté du 8 janvier 2007 en qualité d'éducatrice spécialisée.

Ayant fait l'objet d'un avis d'inaptitude définitive à son poste de travail le 7 février 2012, elle a été licenciée pour inaptitude par lettre du 5 avril 2012

Contestant le bien fondé de son licenciement et soutenant que son inaptitude est consécutive à un harcèlement moral dont elle a été l'objet, elle a saisi le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence, qui par décision du 12 septembre 2013, notifiée le 1er octobre 2013, a rejeté toutes ses demandes.

Mme [M] [Y] a formé appel par lettre reçue au greffe de la cour reçue le 16 octobre 2013.

Elle demande à la cour de dire et juger qu'elle a bien été victime d'un accident du travail le 23 mai 2011 et qu'ayant été victime de harcèlement moral, son licenciement doit être tenu pour nul.

Subsidiairement elle fait valoir que l'association l'ELF a failli à son obligation de reclassement et sollicite sa condamnation au paiement de :

23 640 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et à titre subsidiaire abusif,

15 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi,

3 940 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

394 € au titre des congés payés y afférents,

438,57 € au titre du maintien de son salaire pour la période du 10 juin au 16 septembre 2011,

2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'association l'ELF conclut à la confirmation de la décision prud'homale, demande qu'il soit constaté que l'accident du 23 mai 2011 n'est pas professionnel, conclut au rejet de toutes les demandes de Mme [M] [Y] et à sa condamnation au paiement de 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La cour renvoie pour plus ample exposé aux écritures reprises et soutenues oralement par les conseils des parties à l'audience d'appel tenue le 1er février 2016.

MOTIFS DE LA DECISION

1) Sur le harcèlement moral

Attendu que Mme [M] [Y], embauchée par l'association l'ELF suivant contrat à durée indéterminée daté du 8 janvier 2007 en qualité d'éducatrice spécialisée, soutient avoir été victime de manière répétée, notamment lors d'entretiens les 9 mars et 23 mai 2011, de l'attitude agressive, menaçante, infantilisante et insultante de M. [I] [K], directeur général de l'association, qui lui aurait, en outre, retiré ses responsabilités de référent du territoire de [Localité 1] et l'usage de son bureau, occupé à son retour d'arrêt maladie le 28 mars 2011, par M. [X] [M] recruté le 14 mars 2011 en qualité de coordonnateur, circonstances caractérisant une situation de harcèlement à l'origine de son inaptitude professionnelle constatée par la médecine du travail lors de visites médicales datées des 24 janvier et 7 février 2012.

Attendu que Mme [M] [Y] verse aux débats, outre des pièces médicales faisant état d'une dégradation de son état de santé psychologique en lien avec sa situation professionnelle (certificats médicaux des 30 mai 2011, 27 octobre 2011, 7 novembre 2011, 13 janvier 2012, compte-rendu médical du 12 mars 2012 - pièces 62 à 66 -), de nombreuses attestations, courriels et lettres de salariés, ex-salariés ou collaborateurs de l'association l'ELF décrivant de façon concordante et crédible le caractère colérique, emporté et harcelant du directeur général de l'association, M. [I] [K] (MM. et Mmes [C] [U], [G] [C], [F] [P], [P] [G], [E] [E], [L] [S], [D] [H], [T] [Q] ) ; que relativement à l'attitude de ce dernier envers Mme [M] [Y], la cour retiendra l'attestation convaincante de Mme [O] [N], éducatrice spécialisée, datée du 25 juillet 2011 (pièce 56), évoquant de façon circonstanciée :

-l'attitude humiliante de M. [I] [K] envers Mme [M] [Y] « devenue la cible de (sa) maltraitance verbale et psychologique  » à partir du mois de mars 2011,

-les hurlements de M. [I] [K] lors d'un entretien avec Mme [M] [Y] le 9 mars 2011, ainsi que l'attitude défaite de cette dernière à la sortie du bureau du directeur,

-l'occupation par M. [X] [M], recruté le 14 mars 2011 en qualité de coordonnateur, du bureau auparavant occupé par Mme [M] [Y] qui s'est retrouvée, à son retour de congé maladie le 28 mars 2011, sans place définie pour accomplir son travail administratif,

-le fait que le travail de coordinatrice sur [Localité 1] qu'exerçait Mme [M] [Y], lui a été confié par M. [I] [K] à partir du 25 mars 2011 ;

ainsi que celle du salarié de l'association Laurent Ghiazza, datée du 22 juillet 2011 (pièce 40), rapportant la sortie en pleurs de Mme [M] [Y] du bureau de M. [I] [K] le 9 mars 2011, ainsi que son attitude « démontée », en pleurs et tremblante après un nouvel entretien avec ce directeur le 23 mai 2011, les pièces médicales produites par l'association l'ELF indiquant que M. [I] [K] subissait des soins médicaux (fibroscopie) dans l'après midi du 23 mai 2011 ne prouvant en rien l'impossibilité du déroulement de ce dernier entretien, en fin d'après-midi dans les locaux aixois de l'association  ;

Attendu que les éléments susvisés sont de nature à faire présumer, au sens de l'article L 1152-1 du code du travail, une situation de harcèlement moral ayant conduit à la dégradation de l'état de santé de Mme [M] [Y] ; que selon l'article L 1154-1 du code du travail, il appartient à l'employeur de prouver que les agissements invoqués par la salariée ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'à cet égard, il convient d'observer que les attestations produites par l'association ELF relatives au comportement de M. [I] [K] émanant de partenaires extérieurs ou collaborateurs occasionnels de l'association (MM. [U] [A], directeur de collectivité territoriale, [H] [J], formateur, Mme [K] [T], psychanalyste) n'ayant eu qu'une expérience partielle ou limitée des relations de travail au sein de l'association ou de salariées (Mme [J] [V], assistante de direction, [R] [Z], éducatrice spécialisée) ou ex-salariée (Mme [S] [I]) louant les qualités professionnelles de M. [I] [K] ou précisant ne pas avoir constaté de situation de harcèlement ne sauraient convaincre de l'absence de faits de harcèlement subis par Mme [M] [Y] dès lors qu'elles n'évoquent ni les entretiens des 9 mars et 23 mai 2011 avec Mme [M] [Y], ni la situation professionnelle de cette dernière au sein de l'association ;

Attendu d'autre part, que l'association Elf ne verse aux débats ni fiche de poste, ni organigramme, ni document interne relatif à son organisation matérielle et fonctionnelle, permettant de s'assurer de la permanence des tâches confiées à Mme [M] [Y] avant et après son arrêt maladie du mois mars 2011 et de vérifier que les fonctions attribuées aux salariés [N] et [M] n'ont pas conduit à restreindre celles de l'appelante ;

Attendu qu'en l'état de l'ensemble de ces constatations, et compte tenu des insuffisantes explications de l'employeur quant au comportement et à l'attitude de M. [I] [K] envers Mme [M] [Y], il sera retenu l'existence de faits ayant affecté la santé et la situation professionnelle de cette dernière caractérisant une situation de harcèlement moral et un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, ce qui justifie sa condamnation au paiement, en réparation du préjudice subi par la salariée, d'une indemnité fixée à 10000 € ;

2) Sur le licenciement

Attendu qu'il est constant que Mme [M] [Y], en arrêt de travail du 9 mars 2011 jusqu'au 28 mars 2011, puis à compter du 30 mai 2011 jusqu'à son licenciement le 5 avril 2012, a été déclarée inapte, temporairement, à son poste de travail le 10 juin 2011 par le médecin du travail qui évoque dans un certificat du même jour « un syndrome anxio-dépressif important réactionnel à un conflit avec l'employeur » (pièces 9 et 10), a obtenu de la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône le 2 mai 2012 la reconnaissance du caractère professionnel de sa déclaration d'accident du travail consécutive à son entretien du 23 mai 2011 avec M. [I] [K], puis a été finalement déclarée « inapte définitive à tous postes de travail dans l'association (sans )reclassement ni aménagement à prévoir » à la suite de 2 avis de la médecine du travail datés des 24 janvier et 7 février 2012 (pièces 27 et 28) ;

Attendu que les certificats médicaux datés des 30 mai 2011, 27 octobre 2011, 7 novembre 2011, 13 janvier 2012 (pièces 62 à 66 de la salariée), ainsi que le « compte rendu dossier médical » du médecin du travail du 12 mars 2012 dont fait état Mme [M] [Y], établissent un lien indéniable entre son inaptitude et le harcèlement moral, lien que l'employeur n'était pas sans ignorer lors du licenciement, ainsi qu'en témoignent ses nombreuses correspondances antérieures échangées avec la caisse primaire d'assurance maladie et la salariée relatives à la déclaration d'accident du travail (pièces 23 à 30 de l'appelante) ;

Attendu qu'en l'état de l'ensemble de ces constatations le licenciement pour inaptitude de Mme [M] [Y] sera déclaré pour nul en application de l'article L1152-3 du code du travail ;

Attendu que les dispositions de l'article L 1226-15 du code du travail relatives au défaut de reclassement du salarié en raison d'une inaptitude d'origine professionnelle invoquées par Mme [M] [Y] n'étant pas en l'espèce applicables dès lors que son licenciement est tenu pour nul en raison du harcèlement dont elle a été victime, il lui sera alloué, en réparation de l'intégralité de son préjudice, une indemnité qui ne saurait être inférieure à 6 mois de salaire et qui sera fixée, compte tenu de sa rémunération mensuelle brute s'élevant à 1 790 € et des pièces relatives à sa situation personnelle et professionnelle, à 12 000 € ;

Attendu qu'il sera également accordé à la salariée, une indemnité de préavis d'un montant de 3 580 € outre l'indemnité de congés payés afférente ;

3) Sur la demande de rappel de salaire

Attendu que Mme [M] [Y] réclame le paiement d'un rappel de salaire de 438, 57 €, outre l'indemnité de congés payés afférente, correspondant à un trop perçu par l'employeur d'indemnités journalières pour la période du 10 juin au 16 septembre 2011 ayant fait l'objet d'une revalorisation (32,19 € à 36,62 €) et que la salariée estime devoir lui revenir, ce que l'association l'ELF conteste ;

Attendu qu'il est confirmé par un relevé « d'indemnités journalières subrogés » de la caisse primaire d'assurance maladie (pièce 58), que le montant de l'indemnité journalière versée à Mme [M] [Y] a été rétroactivement augmenté de 32,19 € à 36,62 € à compter du 10 juin 2011 ; qu'il doit être observé que l'association l'ELF, ayant perçu, pour la période du 10 juin au 16 septembre 2011, les indemnités journalières servies par la caisse primaire d'assurance maladie, ne fournit ni pièce, ni décompte permettant de vérifier le calcul comme le niveau du maintien de la rémunération de Mme [M] [Y] sur la période, les bulletins de salaire des mois de juin à août 2011 n'étant pas produits ; que la cour n'étant pas ainsi en mesure de s'assurer que la salariée a pu bénéficier de l'augmentation rétroactive de ses indemnités journalières, il sera fait droit à la demande en paiement d'un rappel de 438 € 57 €, outre les congés payés afférents (99 jours x (36,62 € -32,19 €)) ;

4) Sur les autre demandes

Attendu que l'équité exige d'allouer à M. [M] [Y] 1 800 € en compensation de ses frais non compris dans les dépens en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Attendu que les entiers dépens seront laissés à la charge de l'association l'ELF qui succombe à l'instance ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile :

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence du 12 septembre 2013, statuant à nouveau :

-Constate que Mme [M] [Y] a été victime de harcèlement moral,

-Déclare son licenciement pour inaptitude nul en raison du harcèlement moral dont elle a été l'objet ;

-Condamne l'association l'ELF à payer à Mme [M] [Y] :

10 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

12 000 € à titre d'indemnité de licenciement nul,

3 580 € à titre d'indemnité de préavis

358 € au titre des congés payés afférents ;

438,57 € à titre de rappel de salaire pour la période du 10 juin au 16 septembre 2011,

43,85 € au titre des congés payés afférents,

1 800 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute demande plus ample ou contraire ;

Condamne l'association l'ELF aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIERLE CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRESIDENT

G. BOURGEOIS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 13/20707
Date de la décision : 24/03/2016

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 17, arrêt n°13/20707 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-24;13.20707 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award