La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/02/2016 | FRANCE | N°14/08263

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 17e chambre b, 04 février 2016, 14/08263


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

17e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 04 FEVRIER 2016



N° 2016/128













Rôle N° 14/08263





[R] [O]





C/



La SA ORPEA prise en son établissement secondaire L'INSTITUT HELIO MARIN DE LA COTE D'AZUR

































Grosse délivrée

le :

à :

Me Christelle ZINTHALER, avocat au barre

au de TOULON



Me Cédric PORTERON, avocat au barreau de NICE



Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section E - en date du 31 Mars 2014, enregistré au répertoire général sous le ...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

17e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 04 FEVRIER 2016

N° 2016/128

Rôle N° 14/08263

[R] [O]

C/

La SA ORPEA prise en son établissement secondaire L'INSTITUT HELIO MARIN DE LA COTE D'AZUR

Grosse délivrée

le :

à :

Me Christelle ZINTHALER, avocat au barreau de TOULON

Me Cédric PORTERON, avocat au barreau de NICE

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section E - en date du 31 Mars 2014, enregistré au répertoire général sous le n° 13/1934.

APPELANTE

Madame [R] [O], demeurant [Adresse 1]

comparante en personne, assistée de Me Christelle ZINTHALER, avocat au barreau de TOULON, vestiaire : 0141

INTIMÉE

La SA ORPEA prise en son établissement secondaire L'INSTITUT HELIO MARIN DE LA COTE D'AZUR, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Cédric PORTERON, avocat au barreau de NICE substitué par Me Audrey MALKA, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 01 Décembre 2015 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller

Madame Sophie PISTRE, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Caroline LOGIEST.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Février 2016.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Février 2016.

Signé par Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre et Madame Caroline LOGIEST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Madame [R] [O] a été embauchée en qualité de médecin spécialisé en rééducation fonctionnelle, responsable de service, le 4 mai 1992 par la société INSTITUT HELIO MARIN DE LA COTE D'AZUR.

Par courrier du 14 mars 2013 remis en main propre, Madame [R] [O] a été convoquée à un entretien préalable pour le 25 mars à une mesure de licenciement avec mise à pied à titre conservatoire, puis elle a été licenciée pour faute grave le 15 avril 2013, en ces termes exactement reproduits :

« En effet, nous avons constaté de graves dysfonctionnements dans l'exercice de vos fonctions de Médecin Responsable de service au sein de l' « Institut [Adresse 3] ».

Le mercredi 13 mars 2013, à 17h50, nous avons été alertés par l'alarme « incendie » d'un départ de feu au 2ème étage du bâtiment « Jaubert », lequel s'est avéré, après que plusieurs membres du personnel soient intervenus pour prendre les mesures nécessaires, provenir de votre bureau.

Dans le temps qu'a nécessité l'intervention, dans la mesure où la porte de votre bureau était fermée à clé et ne pouvait être ouverte que par un digicode, une épaisse fumée s'est répandue dans les couloirs du 2ème étage.

Une fois la porte de votre bureau ouverte, il a été constaté que l'incendie provenait d'un mégot de cigarette jeté dans la poubelle qui s'était par la suite consumé puis embrasé en votre absence.

Cet incendie a provoqué de graves dégâts matériels : outre la poubelle totalement brûlée et l'envahissement par la fumée du couloir du 2ème étage au sein duquel une cinquantaine de patients étaient hospitalisés, le revêtement du sol a brûlé sur plusieurs dalles et des cartons de papier à proximité de la poubelle se sont immédiatement enflammés.

Afin de mettre un terme à l'incendie, le personnel a été contraint de se munir de plusieurs récipients d'eau et d'utiliser un extincteur.

Cet incident a mis plusieurs heures à être contrôlé, puisque, à 18h50, des panneaux d'extraction de fumée ne pouvaient encore être fermés, alors même que nous avons aéré l'ensemble des pièces du 2ème étage pendant plus d'une heure pour évacuer la fumée qui s'était dégagée et ainsi protéger les patients d'une éventuelle intoxication.

Alors que nous vous avons interrogée sur les circonstances de l'incendie, vous avez reconnu, en présence de plusieurs membres du personnel présent, que vous aviez fumé dans votre bureau et aviez jeté le mégot encore incandescent dans la poubelle.

Un comportement d'une telle gravité ne peut en aucun cas être toléré au sein de notre établissement, et ce alors même que vous ne pouviez ignorer l'interdiction de fumer au regard de l'ensemble des normes d'ordre public en vigueur sur le tabagisme, et cela a fortiori dans un établissement de santé.

En effet, l'article L.3511-7 du Code de la santé publique dispose qu' « il est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment scolaire, et dans les moyens de transport collectif, sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs », principe d'ordre public rappelé par la Circulaire du 29 novembre 2006 relative à l'interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif et les panneaux d'affichage disposés dans les locaux de la Clinique.

De même, le décret du 15 novembre 2006, applicable depuis le 1er février 2007, a renforcé l'interdiction de fumer dans tous les établissements de santé. Le non respect de cette règle peut aller jusqu'à engager la responsabilité pénale du Chef d'établissement dès lors que la carence a pour conséquence de mettre en danger les usagers et les salariés, ce qui a été avéré en l'espèce.

En outre, vous ne pouviez ignorer les dispositions du règlement intérieur en vigueur au sein de la Clinique et régulièrement porté à la connaissance des salariés, lesquelles sont parfaitement claires sur l'interdiction générale de fumer dans les locaux de la clinique :

Article 13 : « Il est strictement interdit de fumer dans l'établissement » ;

Article 12 : « Toute infraction aux règles d'hygiène et de sécurité sera considérée comme une faute grave, susceptible d'entraîner leur renvoi immédiat ».

Pire, votre manquement à ces obligations fondamentales relatives à l'hygiène et à la sécurité tant des salariés que des patients de l'établissement a eu des conséquences graves puisque du matériel a été incendié et que, sans l'intervention rapide du personnel de l'établissement, l'incendie aurait pu se propager dans la Clinique et mettre en danger la sécurité des usagers de l'établissement, tant par le risque évident d'embrasement que par l'éventualité d'une intoxication, lesquels pourraient être mortels.

Vos agissements portent gravement atteinte aux soins et à la qualité de prise en charge que nos patients, déjà fragilisés par leur âge et leur état de santé, sont en droit d'attendre d'un d'établissement tel que le nôtre.

De plus, devant la gravité de cet incident, les équipes ont dû intervenir d'urgence au 2ème étage de la Clinique afin de stopper l'incendie, ce qui a particulièrement et gravement désorganisé les services.

Pire encore, par votre attitude totalement irresponsable et leurs dangereuses conséquences, vous avez gravement entaché l'image de la Clinique auprès des patients qui ont été contraints d'assister à cet épisode, lesquels seraient en droit de remettre en cause la qualité des soins qui sont dispensés au sein de notre établissement mais également leur sécurité en nos locaux.

Lors de notre entretien, vous avez tenté de limiter votre responsabilité en indiquant que vous n'aviez pas jeté de mégot dans la poubelle, en totale contradiction avec les déclarations que vous aviez tenues le jour de l'incident, pourtant en présence de plusieurs témoins, et n'avez à aucun moment semblé prendre conscience de la gravité de cet événement, ce qui ne nous a pas permis de modifier notre appréciation des faits.

Eu égard à l'irresponsabilité dont vous avez fait preuve et des conséquences de vos agissements pour la sécurité de l'ensemble des usagers de la Clinique, nous avons décidé de vous licencier pour faute grave' ».

Contestant le bien-fondé de la mesure ainsi prise à son encontre, Madame [R] [O] a saisi la juridiction prud'homale.

Par jugement du 31 mars 2014, le Conseil de prud'hommes de Toulon a jugé que le licenciement de la salariée reposait sur une faute grave, en conséquence, a débouté Madame [R] [O] de l'ensemble de ses demandes, a débouté la SA INSTITUT HELIO MARIN DE LA COTE D'AZUR de sa demande reconventionnelle et a laissé à chaque partie la charge de ses dépens.

Ayant relevé appel, Madame [R] [O] conclut à l'infirmation du jugement aux fins de voir juger que le licenciement pour faute grave est dépourvu de cause réelle et sérieuse, de voir constater en conséquence que la mise pied conservatoire d'un mois était injustifiée, de voir constater le caractère vexatoire du licenciement, à la condamnation de la SA ORPEA prise en son établissement secondaire, IHMCA, à lui payer les sommes suivantes :

-56 646,68 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-8391,11 € bruts à titre de rappel de salaire suite à la mise à pied conservatoire injustifiée,

-125 866,65 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

-25 173,33 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis (3 mois prévus par la convention collective),

-2797,03 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis (8 jours de CP),

-5000 € de dommages intérêts au titre du caractère vexatoire du licenciement,

à ce que toutes les demandes en paiement soient assorties des intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud'hommes avec anatocisme conformément à l'article 1154 du Code civil et à la condamnation de la SA ORPEA prise en son établissement secondaire, IHMCA, à lui payer la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Madame [R] [O] fait valoir que l'employeur ne rapporte pas la preuve de la faute grave, qu'aucune pièce versée aux débats par l'employeur ne permet de corroborer que l'origine de l'incendie provient d'un mégot dans une poubelle, que la concluante n'a jamais reconnu avoir fumé dans son bureau ni jeté un mégot incandescent dans la poubelle, qu'aucun salarié n'atteste de la réalité de ses propos, que les attestations rédigées par des salariés placés sous le lien de subordination de l'employeur ne sont pas fiables et sont contredites par les attestations versées par la concluante, qu'aucun témoin ne précise avoir vu Madame [O] fumer dans son bureau et encore moins jeter un mégot dans sa poubelle le 13 mars 2013, que la « fiche de signalement des événements indésirables » rédigée de la main de la représentante de la SA ORPEA n'est pas probante, que la concluante n'était pas la seule à détenir le code d'accès à son bureau, que l'employeur ne démontre pas l'imputabilité des faits du 13 mars à Madame [O], que son licenciement était motivé par des considérations subjectives étrangères à l'existence d'une faute grave, que Madame [D], ancienne directrice d'exploitation de l'établissement, atteste que son licenciement faisait partie des objectifs qui lui avaient été assignés par la direction, que l'employeur a invoqué une prétendue faute grave dans le but de faire l'économie de ce que coûterait le licenciement pour motif personnel d'une salariée accusant une ancienneté de plus de 30 ans, que son licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse et qu'elle doit être reçue en ses demandes.

La SA ORPEA prise en son établissement secondaire INSTITUT HELIO MARIN DE LA COTE D'AZUR, venant aux droits de la SA INSTITUT HELIO MARIN DE LA COTE D'AZUR, conclut à ce que soit déclaré recevable mais mal fondé l'appel formé par Madame [R] [O], à la confirmation en son intégralité de la décision rendue le 31 mars 2014 par le conseil de prud'hommes de Toulon en ce qu'il a reconnu le licenciement de la salariée reposant sur une faute grave et débouté en conséquence la salariée de l'ensemble de ses demandes, en conséquence, à ce qu'il soit constaté que Madame [R] [O] a méconnu les dispositions légales et réglementaires quant à l'interdiction de fumer au sein de l'Institut Helio Marin, à ce qu'il soit constaté que Madame [R] [O] a fait preuve de négligence en ne s'assurant pas de l'extinction totale de son mégot de cigarette avant de le jeter dans sa corbeille, à ce qu'il soit constaté que Madame [R] [O] a commis de graves manquements à ses obligations professionnelles en qualité de médecin responsable du service, à ce que soit constatée la réalité des faits allégués, en conséquence, à ce que soit constaté le caractère réel et sérieux du licenciement pour faute grave, au débouté de Madame [R] [O] de l'intégralité de ses demandes et à sa condamnation au paiement de la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

La SA ORPEA fait valoir que la pièce n° 13 produite par l'appelante, qui serait une liste de noms de personnes à évincer, n'émane ni de l'institut ni du groupe ORPEA, que rien ne permet d'identifier l'origine de cette pièce dactylographiée, que les deux attestations du Docteur [A] et de Madame [H] qui auraient été témoins d'une vague de licenciements abusifs, ne sont pas circonstanciées et ne répondent pas à l'exigence de fiabilité que recommande l'article 202 du code de procédure civile, que l'article de presse relatant le licenciement de 17 salariées de l'institut correspond à un licenciement des salariés n'ayant pas accepté leur mutation à la suite du transfert de 50 lits décidé par l'Agence Régionale de Santé de [Localité 1] vers [Localité 2], qu'en aucune manière les salariés ont été licenciés en raison de pressions ou acharnement de la part de la direction à leur égard, qu'il résulte des différentes pièces versées par la société concluante que la faute grave est établie, que seules pouvaient attester des personnes présentes sur les lieux, ayant personnellement assisté aux faits, à savoir des salariés en poste le jour des faits, que le licenciement de la salariée est bien fondé sur une faute grave et que Madame [R] [O] doit être déboutée de l'ensemble de ses réclamations.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il y a lieu de se référer au jugement du conseil de prud'hommes et aux écritures déposées, oralement reprises.

SUR CE :

La SA ORPEA, à laquelle incombe la charge de la preuve de la faute grave, produit les éléments suivants :

-un compte rendu d'entretien préalable du 25 mars 2013, auquel est agrafée une feuille de « réunion convocation » avec émargement des personnes présentes ; les signatures de Mesdames [O] et [I], cette dernière assistant la salariée durant l'entretien, sur la feuille d'émargement, témoignent tout au plus de leur présence à l'entretien et non de leur approbation du compte rendu d'entretien, non signé y compris même par son rédacteur non identifié ;

Ce compte rendu d'entretien ne présente aucune valeur probatoire ;

-une « fiche de signalement des événements indésirables » établie le 13 mars 2013 par Madame [R] [C], Directrice Exploitation, ayant initié la procédure de licenciement à l'encontre de Madame [R] [O] et signé la lettre de rupture ;

Ce document rempli par la seule représentante de l'employeur n'a pas de valeur probante, car nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ;

-la « fiche de signalement des événements indésirables » établie le 14 mars 2013 par Monsieur [Q] [U] [X], agent de maintenance du service entretien, mentionnant :

« déclenchement de l'alarme incendie à 17h48, localisation du sinistre au 2ème étage (bureau du Dr [O]) via la baie SSI au R.D.C. ouverture de la porte par Dr [O]. Intervention sur feu de poubelle », ainsi que l'attestation du 14 mars 2013 de Monsieur [Q] [U] [X], qui rapporte : « être intervenu sur un départ de sinistre au 2ème étage dans le bureau du Dr [O] le 13 mars 2013 vers 17h50 l'alarme incendie s'est déclenchée, suite à la localisation du sinistre sur la baie SSI au R.D.C. Je suis monté devant le bureau, il y avait déjà des employés du service qui essayaient de rentrer dans le bureau mais nous n'avions pas le code d'accès. Le Dr [O] entre-temps a été prévenue et est arrivée. En ouvrant la porte il s'agissait d'un départ de feu dans une poubelle. Je suis allé chercher une bassine d'eau avec une employée, puis l'extincteur pour tout sécuriser. Ensuite, j'ai procédé au réarmement de la baie SSI. J'ai également effectué une ronde de sécurité au 1er, 2ème et 3ème étage » ;

-l'attestation du 14 mars 2013 de Madame [E] [B], gouvernante, qui déclare :

« mercredi 13 mars vers 18h, la Directrice Mme [C] m'a informée du lieu du départ incendie qui s'est déclaré dans le bureau du Dr [L] au 2ème étage. Je suis allée sur le lieu pour constater que le feu avait été maîtrisé. Une corbeille à papier avait fondu sur le linoléum brûlé sur une surface de 50 cm² » ;

-l'attestation du 13 mars 2013 de Madame [V] [M], agent de collectivité, qui témoigne : « un garçon de l'atelier m'a demandé si je connaissais le n° de code du bureau du médecin Dr Mme [O]. Ne le connaissant pas, je suis montée au 2ème étage car ce garçon était nouveau dans l'établissement, ne connaissant pas tout arriver au 2ème les filles du 2ème ont essayé l'extincteur tout en ayant enlevé la goupille celui-ci n'a pas fonctionné. Elles ont éteint le feu avec des bassines + bassins. Mme [O] les a aidées, j'ai actionné l'extincteur en soulevant la poignée. Le feu a été maîtrisé au moment des repas. Le garçon s'appelle [Q]. Il a regardé les appareils au RdC » ;

-l'attestation du 22 mars 2013 de Madame [J] [R], agent de collectivité, qui relate :

« Début Incendie Bureau Mme [O] qui se trouve au 2ème étage, le début d'incendie étant éteint, j'ai donc nettoyé le bureau » ;

-l'attestation du 19 août 2013 de Madame [N] [N], agent de collectivité, qui témoigne : «Madame le Docteur [O] a dit oui je crois que j'ai fait une bêtise, le 13/03/2013 vers 18H » ;

-l'attestation non datée de Monsieur [K] [Z], Directeur, qui rapporte : « J'ai accompagné le Dr [O] [R] [R] à son bureau, le 14/03/2013 afin qu'elle puisse récupérer ses effets personnels suite à la notification de mise à pied dans les suites de l'incendie. Elle a déclaré à son interlocuteur, au téléphone : je cite « viens, je suis virée, j'ai mis le feu » » ;

-l'attestation du 18 mars 2013 de Madame [X] [K], chef du personnel, qui témoigne « le 14 mars 2013 j'ai accompagné le Dr [O] M. [R] dans son bureau suite au courrier remis en main propre de mise à pied, afin de récupérer ses effets personnels. Elle a contacté ses collègues de travail par téléphone afin qu'ils viennent la rejoindre en leur disant qu'elle était virée car elle avait mis le feu ».

Il résulte des témoignages ainsi produits par l'employeur qu'un incendie s'est déclaré le 13 mars 2013, dans le bureau de Madame [R] [O] (départ de feu dans la poubelle) et que la porte du bureau était fermée, les personnes présentes n'ayant pas le code d'accès. Par ailleurs, deux témoins rapportent avoir entendu Madame [R] [O] dire à un tiers, au téléphone, qu'elle était « virée » car elle avait mis le feu, un troisième témoin rapportant l'avoir entendu dire « je crois que j'ai fait une bêtise ».

Madame [R] [O], qui conteste les faits qui lui sont reprochés, affirme qu'elle n'était pas la seule à disposer du code d'accès de son bureau et qu'elle n'a jamais déclaré à un tiers qu'elle avait mis le feu. Elle verse les éléments suivants :

-l'attestation du Docteur [I] [E] rapportant que « de nombreux employés (IDE et personnel d'entretien) détenaient le code (du bureau de Mme [O])' », l'attestation de Monsieur [S] [F], ingénieur informatique, témoignant « qu'en tant qu'informaticien à l'Institut [Adresse 3] (il) connaissait le numéro du digicode du bureau du Docteur [O] », l'attestation de Madame [B] [I], pharmacien, qui atteste que « dans le cadre de (sa) fonction de vice président du CLIN et comme d'autres membres de ce comité, (elle) avait accès au bureau du Dr [O], présidente du CLIN, où étaient archivés des documents de travail. (Elle) avait donc, sur son autorisation, connaissance du code d'accès, ceci pendant toute la période où elle a occupé et partagé ce bureau avec un autre médecin » et l'attestation du Docteur [G] [A], qui rapporte que « lors de son activité à l'Institut [Adresse 3] au premier trimestre 2013 (il) exerçait au 2ème étage du bâtiment principal puis au « Parc » en remplacement du Dr [Y]. (Il) avait sur (son) carnet de visites (détruit depuis lors) les codes d'accès -au même étage- de l'infirmerie, du bureau du Dr [P]-alors médecin coordonnateur et avec lequel (il) partageait l'activité du 2ème étage-et le code du bureau du Dr [Y] où des réunions se tenaient régulièrement' (Ses) autres confrères (1er et 3e étages) avaient de même les codes de chacun de (leurs) bureaux » de même que l'attestation de Madame [D] [D], directeur général, qui précise que « Mme [O] n'était pas la seule à détenir le code. Les équipes de maintenances, les équipes de ménages possédaient tous les accès et avaient une liste complète de combinaisons des digicodes. (Elle) précise par ailleurs que Mr [T] collègues de Mme [O] avait lui aussi les codes pour ouvrir ce bureau » ;

-l'attestation du 24 janvier 2014 de Monsieur [A] [Q], médecin, qui témoigne : « le 14 mars 2013 ma cons'ur [O] [R] m'a contacté par téléphone en me disant « Ils me virent, ils disent que j'ai mis le feu ». Les faits se sont déroulés ainsi », ce témoignage venant contredire les témoignages de Madame [X] [K] et de Monsieur [K] [Z], salariés de la SA ORPEA, déclarant que Madame [R] [O] avait dit à son interlocuteur qu'elle avait mis le feu.

Au vu de l'ensemble des éléments versés par les parties, il n'est pas établi que Madame [R] [O], dont il n'est pas discuté qu'elle était absente de son bureau lors du départ du feu, ne pouvait être que la seule responsable de cet incendie alors qu'elle n'était pas la seule à disposer du code d'accès à son bureau, pas plus qu'il n'est démontré que la salariée aurait reconnu être responsable de ce départ de feu.

Au surplus, le licenciement de Madame [R] [O] est intervenu dans un contexte professionnel délétère, tel que rapporté par certains témoins :

-Madame [D] [D], ancienne directrice d'exploitation de la SA ORPEA, témoigne :

« Quelques jours après ma prise de fonction [G] [W] (Directeur Régional d'Exploitation) m'a remis une liste des personnels à licencier dans les plus brefs délais. Mme [O] faisait partie de cette liste et j'avais mission de la licencier pour incompétence (j'avais un budget de 100K€ pour transiger après ce licenciement). J'ai pour ma part refusé de licencier Mme [O]... » ;

-Monsieur [I] [E], médecin, rapporte : « Depuis la reprise de l'institut par le groupe ORPEA, l'environnement professionnel m'était devenu insupportable en raison d'une pression à la rentabilité qui nous était directement imposée et qui s'accompagnait d'une politique de diminution du personnel médical (licenciements, démissions successives). J'ai donc mis un terme à ma relation contractuelle avec l'IHM fin décembre 2012 dans des circonstances dont je ne peux parler en raison d'une clause de confidentialité. Pour autant il est cependant permis de dire que M. [D] m'a confié que ce n'était pas moi qui avais été PROGRAMMÉ pour partir' Des départs de médecins étaient donc bien programmés à cette époque par la direction. En outre, cette annonce fait l'écho aux menaces dont avait fait l'objet M.H. [O] et dont elle s'était confiée : à l'été 2012, lors d'une réunion médicale, le docteur [V], médecin coordonnateur national et le docteur [J] médecin coordonnateur régional avaient dit à ma cons'ur que « son nom circulait en haut lieu » et lui avaient demandé de « calmer ses confrères ». Malheureusement, après mon départ, et sans grande surprise, M.H. [O] a été licenciée. Quelle récompense alors que cette dernière n'a jamais cessé de recentrer son équipe sur l'importance de la qualité des soins aux patients, malgré le climat de stress au sein de l'IHM et qu'elle se savait menacée » ;

-l'attestation du 4 mai 2013 de Madame [E] [G], infirmière libérale, qui témoigne : « je soussignée Mme [E] [G], ancienne cadre des services de soins au centre Helio [Localité 3] sur le port d'[Localité 1], atteste avoir travaillé de 1992 à 2012 avec le Dr [R] [O] tout d'abord en tant qu'infirmière puis en tant que responsable... Dès l'achat du centre par le groupe Orpea-Clinea et le changement de direction, j'ai rencontré beaucoup de difficultés pour mener à bien les projets commencés. J'étais malmenée psychologiquement par la nouvelle direction. De ce fait, j'ai décidé de donner ma démission, au bout de 20 ans d'ancienneté » ;

-l'attestation du 15 juin 2013 de Madame [W] [S], IDE, qui témoigne : « je déclare avoir quitté l'Institut Helio Marin suite au changement de direction (groupe Orpéa). En effet, les attentes de ce nouveau groupe ne correspondaient plus à mes valeurs professionnelles. Ils ont créé une ambiance de « terreur » accompagnée d'une vague de licenciement intensif. Un manque important d'infirmier ne permettait plus d'effectuer un travail complet, c'est-à-dire le « prendre soin », soit être à l'écoute, disponible, afin de prendre le patient dans sa globalité' » ;

-l'attestation du 26 mai 2013 du Docteur [G] [A], qui rapporte : « ce management très agressif m'a dissuadé de prolonger ma période d'essai' Finalement j'ai assisté, sans grande surprise, au licenciement concret de mon confrère (Dr [O]) que nous savions sur la sellette pour une raison qui m'échappe' » ;

-une pétition du 10 mai 2013 de membres du « collectif infirmier » dénonçant auprès de la direction la dégradation des conditions de travail et indiquant : « de nombreux départs de personnels ont eu lieu depuis un an, dont de nombreux cadres. À titre d'exemple, la liste n'étant pas exhaustive, nous pouvons citer les cadres de santé, les chefs d'atelier, la cadre kiné, le responsable du service qualité, la secrétaire du CHSCT, le responsable du service informatique, un médecin présent depuis plus de 15 ans' certains en larmes, certains ayant démissionné, d'autres ayant carrément abandonné leur poste, tous présents depuis longtemps au sein de l'établissement, c'est dire l'ampleur de la dégradation des conditions de travail' ».

Si la SA ORPEA conteste la portée de ces témoignages, il n'en reste pas moins qu'elle n'a pas démontré que que le départ de feu le 13 mars 2013 ne pouvait être imputable qu'à Madame [R] [O], qui n'était pas la seule à détenir le code de son bureau, ni même que l'incendie qui a débuté dans la poubelle du bureau avait pour origine un mégot de cigarette, en l'absence de toute constatation effectuée sur les lieux dans le cadre d 'une enquête contradictoire.

Il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement et de dire que le licenciement de Madame [R] [O] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La Cour alloue à la salariée la somme brute de 8391,11 € de rappel de salaire sur la période de mise à pied à titre conservatoire, la somme de 125 866,65 € d'indemnité conventionnelle de licenciement et la somme brute de 25 173,33 € d'indemnité compensatrice de préavis, dont le calcul des montants n'est pas discuté par l'employeur, outre la somme de 2517,33 € de congés payés sur préavis correspondant à 1/10ème de l'indemnité de préavis.

Madame [R] [O] produit un courrier du 25 novembre 2013 du Pôle emploi d'ouverture de droit à l'allocation d'aide au retour à l'emploi pour un montant journalier net de 140,06 € à partir du 2 juin 2013 et un relevé de situation du 19 décembre 2013 mentionnant le versement d'allocations pour un montant de 2941,27 € pour 21 jours indemnisés sur le mois de juin 2013.

En considération des éléments fournis, de l'ancienneté de la salariée de 21 ans dans l'entreprise occupant plus de 10 salariés et du montant de son salaire mensuel brut s'élevant à 8391,11 €, la Cour accorde Madame [R] [O] la somme de 50 646,68 € à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Au vu de la position de Madame [R] [O], responsable de service au sein de la SA ORPEA exerçant depuis 21 ans, qui s'est vu brutalement notifier une mise à pied à titre conservatoire et raccompagner par le Directeur, Monsieur [K] [Z], et la Responsable du personnel, Madame [X] [K], jusqu'à son bureau afin de récupérer ses affaires personnelles avant de devoir quitter l'établissement, et ce devant l'ensemble du personnel dont certains membres témoignent avoir été « choqués » des conditions dans lesquelles la salariée a été « virée », la Cour alloue à Madame [R] [O] la somme de 5000 € à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral résultant des conditions brutales et vexatoires de son licenciement.

Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, tel que précisé au dispositif.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

STATUANT PUBLIQUEMENT, EN MATIERE PRUD'HOMALE, PAR ARRET CONTRADICTOIRE,

Reçoit l'appel en la forme,

Infirme le jugement,

Dit que le licenciement pour faute grave de Madame [R] [O] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la SA ORPEA à payer à Madame [R] [O] :

-8391,11 € bruts de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire,

-25 173,33 € bruts d'indemnité compensatrice de préavis,

-2517,33 € bruts de congés payés sur préavis,

-125 866,65 € d'indemnité conventionnelle de licenciement,

-50 646,68 € de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-5000 € de dommages intérêts pour préjudice moral distinct,

Dit que les sommes allouées de nature salariale produiront des intérêts au taux légal à compter de la citation devant le bureau de conciliation, soit à compter du 8 juillet 2013, avec capitalisation des intérêts échus et dus pour plus d'une année à compter de la demande en justice formée devant le bureau de jugement du conseil de prud'hommes de Toulon en date du 27 janvier 2014,

Condamne la SA ORPEA aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Madame [R] [R] [O] 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 17e chambre b
Numéro d'arrêt : 14/08263
Date de la décision : 04/02/2016

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 7B, arrêt n°14/08263 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-02-04;14.08263 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award