COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 14 JANVIER 2016
N° 2016/55
JPM
Rôle N° 14/01557
[O] [D]
C/
Société CARREFOUR HYPERMARCHES
UNION LOCALE CGT [Localité 1]
Grosse délivrée
le :
à :
Monsieur [O] [D]
Me Marielle WALICKI, avocat au barreau de NICE
UNION LOCALE CGT [Localité 1]
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de NICE - section CO - en date du 06 Novembre 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 11/918.
APPELANT
Monsieur [O] [D], demeurant [Adresse 1]
comparant en personne
INTIMEE
Société CARREFOUR HYPERMARCHES, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Marielle WALICKI, avocat au barreau de NICE
PARTIE(S) INTERVENANTE(S)
UNION LOCALE CGT [Localité 1], demeurant [Adresse 3]
non comparante
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 03 Novembre 2015 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller
Madame Sophie PISTRE, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Caroline LOGIEST.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Janvier 2016.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Janvier 2016.
Signé par Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre et Madame Caroline LOGIEST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Monsieur [O] [D] a été embauché par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du1er avril 1981, par la société Carrefour Hypermarchés en qualité d'employé libre-service. A compter du 1er juin 1999, une nouvelle classification des emplois étant applicable , le salarié a été affecté sur l'emploi de conseiller-vente, niveau 3 de la catégorie employés.
Le 28 avril 1999, le salarié a été victime d'un accident du travail.
Le 29 juillet 1999, le médecin du travail l'a déclaré apte à la reprise mais inapte au port de charges supérieures à 5 kgs.
Cet avis médical a été maintenu à l'occasion des visites médicales des 8 octobre 1999, 7 décembre 2000, 6 juin 2006, 12 juillet 2006, 1er août 2007, 26 août 2008 et 4 septembre 2012.
Le 30 juillet 1999, le salarié a été élu délégué titulaire du personnel.
Reprochant à l'employeur d'avoir commis divers manquements à ses obligations de reclassement et de sécurité ainsi que de l'avoir discriminé et lui avoir fait perdre une chance, Monsieur [D] a saisi, le 13 mai 2011, le conseil de prud'hommes de Nice lequel, par jugement de départage du 6 novembre 201, l'a débouté de toutes ses demandes et l'a condamné solidairement avec l'Union Locale CGT, partie intervenante volontaire, à payer à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 2000€ au titre de l'article 700 du code procédure civile.
C'est le jugement dont Monsieur [D] a régulièrement interjeté appel.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Monsieur [O] [D] demande à la cour de réformer le jugement, de condamner la société intimée à lui payer les sommes de:
-15000€ à titre de dommages-intérêts pour non respect de l'obligation de reclassement;
-15000€ à titre de dommages-intérêts pour non respect de l'obligation de sécurité;
-50000€ à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de carrière et discrimination liée à l'état de santé;
-1500€ au titre de l'article 700 du code procédure civile.
Il sollicite en outre l'attribution d'un poste de travail compatible avec son état de santé sous astreinte de 500€ par jour de retard.
Il expose qu'il avait été victime d'un accident du travail le 28 avril 1999; qu'à la suite de la visite de reprise, le médecin du travail avait conclu à une aptitude au poste de vendeur EPCS à l'essai avec une inaptitude au port de charges supérieures à 5 kgs; qu'en réalité, dans le secteur de vente dit EPCS, composé lui même du rayon gros électro-ménager, du rayon petit électro-ménager, du rayon télé-hifi et du rayon micro- informatiqu, le seul poste qui était compatible avec les préconisations du médecin du travail, était celui de vendeur micro-informatique; qu'à sa reprise du travail, le 6 décembre 1999, il avait constaté que l'employeur l'avait affecté sur le poste de vendeur au rayon petit électro-ménager; que toutefois, ce poste n'était pas compatible avec son état de santé puisqu'il n'excluait pas le port de charges de plus de 5 kgs; qu'en effet, le rayon petit électro-ménager concernait des petits fours électriques, des fours à micro-ondes, des chauffages à bain d'huile ou encore des appareils de climatisation; que malgré ses protestations par divers courriers adressés tant à son employeur qu'au médecin du travail , il n'avait pas été affecté au rayon micro-informatique qui était le seul à ne nécessiter aucun aménagement ; que la société Carrefour se gardait bien d'ailleurs de produire aux débats l'étude de poste réalisée par le médecin du travail qui avait préconisé son affectation au rayon micro-informatique; que même l'inspecteur du travail était intervenu, lors de la réunion du CHSCT du 16 mai 2000, pour demander à l'employeur d'améliorer son poste de travail sans port de charges de plus de 5 kgs; qu'il en résultait bien la reconnaissance que le poste de vendeur au rayon petit électro-ménager ne correspondait pas aux préconisations du médecin du travail; que Monsieur [D] ayant refusé dès le mois de décembre 1999 de rejoindre le poste au rayon petit électro-ménager, l'employeur allait le laisser sans travail jusqu'en 2006 mais tout en lui versant son salaire ce qui équivalait, selon l'appelant, à une véritable mise au placard; que le 12 juillet 2006, le médecin du travail, saisi à l'initiative de l'employeur, l'avait à nouveau déclaré apte mais sans port de charges supérieures à 5 kgs avec au besoin un aménagement des horaires de travail; que l'employeur avait toutefois maintenu l'affectation au rayon petit électro-ménager et avait écrit au salarié, le 22 août 2006, pour l'informer qu'il restait de la 'responsabilité (de Monsieur [D]), au vu de son état de santé, de s'organiser avec ses collègues afin de lui éviter tous ports de charges'; que de telles motivations de la part de l'employeur contrevenaient au droit du salarié à obtenir des conditions de travail équitables et satisfaisantes, respectant sa santé, sa sécurité et sa dignité, telles que prévues tant par le droit du travail interne que par la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme ou encore reconnues par la charte des droits fondamentaux de l'union Européenne ; que cette situation avait perduré; que le 22 juillet 2008, il avait dû refuser la proposition de l'employeur de l'affecter sur le poste de vendeur 'front office' au rayon petit électro-ménager au lieu du poste de vendeur 'back-office' dans ce même rayon; qu'en effet, le poste proposé ne correspondait pas davantage aux préconisations du médecin du travail et n'était accompagné d'aucune étude de poste; que contrairement à ce qui était soutenu par la société Carrefour, dès lors que l'avis d'aptitude du médecin du travail, du 29 juillet 1999, était émis avec réserve et qu'il équivalait à une inaptitude à tout poste dans l'entreprise, l'employeur était tenu de le faire convoquer à une seconde visite médicale dans un délai de 15 jours;
qu'au regard des explications qui précédaient, il était constant que l'employeur avait manqué à ses obligations de reclassement et de sécurité;
qu'en outre, il existait dans l'entreprise un système d'entretien annuel appelé 'suivi individuel de progrès et de professionnalisation' (sipp) comptant pour la carrière du salarié; que malgré ses diverses demandes de communication de tous ses sipp, se trouvant dans son dossier individuel, notamment ceux réalisés depuis 1999 et dans lesquels il avait demandé l'attribution d'un poste de travail conforme à son état de santé, la société Carrefour n'avait produit que les sipp de 2009 et 2010 n'ayant fait l'objet d'aucun entretien individuel; que si la société Carrefour y faisait le reproche à Monsieur [D] d'être absent sur son rayon depuis longtemps, de refuser les horaires de travail, de rester dans le local syndical au motif, selon les sipp, d'un litige avec l'employeur, ce dernier avait cependant omis de s'engager à respecter l'état de santé du salarié et ne lui avait pas permis de progresser au sein du magasin; que la raison pour laquelle société Carrefour prétendait ne pas avoir conservé tous les sipp était déloyale et discriminatoire; que le comportement de l'employeur était en lien avec son état de santé; que la disparition volontaire des sipp ne permettait pas de faire une réelle comparaison avec les autres salariés.
La Sas Carrefour Hypermarchés demande à la cour de dire que l'intervention volontaire de l'ULCGT est nulle et que l'ULCGT est irrecevable en son appel; de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et, en tout état de cause, débouter Monsieur [D] et l'ULCGT de leurs demandes et les condamner in solidum à lui payer la somme de 3000€ au titre de l'article 700 du code procédure civile.
Elle fait valoir que l'ULCGT , qui était intervenue à l'instance, n'avait pas justifié avoir donné mandat de la représenter en justice dans la présente affaire; qu'en cause d'appel, cette justification n'est pas apportée.
Elle expose sur le fond du litige que, le 29 juillet 1999, le médecin du travail avait déclaré Monsieur [D] apte à la reprise de son travail; qu'à compter de ce moment, le salarié avait essayé de trouver le moindre prétexte pour créer la polémique avec son employeur; que de même, élu en qualité de délégué du personnel, il s'était autorisé à s'affranchir de tout lien de subordination juridique à son employeur; que Monsieur [D] était loin d'être irréprochable puisque depuis sa protection en tant que délégué du personnel, il avait adopté un comportement intolérable avec la clientèle et ses collègues de travail; qu'il avait dû être rappelé à l'ordre dès 1999 ainsi qu' en 2007 ; qu'il avait été sanctionné d'un avertissement en 2009;que surtout, la cour devait savoir que depuis l'apparition du litige ,Monsieur [D] se cantonnait à ses heures de délégation, ne se présentait plus sur son poste de travail et n'avait pas fourni la moindre minute de travail depuis plusieurs années tout en continuant de percevoir son salaire.
Elle soutient ensuite que l'obligation de reclassement invoquée par le salarié ne s'appliquait qu'en présence d'un avis d'inaptitude, ce qui en l'espèce n'était pas le cas puisque le médecin du travail avait seulement émis, le 29 juillet 1999, un avis d'aptitude avec réserve; que l'employeur n'avait donc pas à organiser une seconde visite médicale dans les 15 jours qui suivaient cette visite ; que le 8 octobre 1999, le salarié ayant été déclaré 'inapte au port de charges supérieures à 5 kgs', l'employeur l' avait dispensé d'activité dans l'attente d'une proposition de poste et avait sollicité le médecin du travail, dès le 11 octobre 1999, pour une étude de poste dans le magasin; que le salarié avait été finalement convoqué à une seconde visite médicale fixée au 21 octobre 1999 à laquelle il ne s'était pas présenté pas plus qu'à celle du 27 octobre 1999; que dans ces conditions, en refusant de répondre aux convocations du médecin du travail, le salarié ne pouvait pas soutenir que son employeur l'aurait reclassé sur un poste inadapté à son état de santé; que finalement, la société Carrefour, désireuse de mettre un terme aux polémiques à répétition suscitées par Monsieur [D], lui avait proposé, le 23 novembre 1999, de l'affecter, à compter du 6 décembre 1999, à un poste de vente au secteur EPCS, rayon petit électro-ménager; que ce poste était conforme à l'avis du médecin du travail et avait d'ailleurs été revendiqué, le 22 octobre 1999, par le salarié lui même; que ce dernier avait toutefois refusé contre toute attente de signer l'avenant de modification; que quelques années plus tard, en juin 2006, il avait à nouveau refusé ce poste alors qu'il avait été encore déclaré apte avec les seules restrictions d'éviter le port de charges de plus de 5 kgs; qu'il avait multiplié les courriers pour solliciter l'adaptation de son poste lequel avait bien été aménagé par l'employeur; qu'en 2007, par suite d'une restructuration du rayon petit électro-ménager en 'back office' et en 'front office', Monsieur [D] avait été affecté en 'back office'; que ce poste comprenant surtout de la manipulation et pour répondre aux contestations incessantes de Monsieur [D], il lui avait été alors proposé, en juillet 2008, d'être affecté sur un poste du rayon petit électro-ménager mais en 'front office' lequel consistait essentiellement en de la vente; qu'une fois de plus, il avait refusé ce poste allant jusqu'à dire qu'il s'agissait d'une sanction déguisée; qu'il n'avait saisi le juge prud'homal qu'en mai 2011 et avait alors demandé pour la première fois, outre des sommes 'ahurissantes', la communication des sipp;
que l'employeur n'avait donc manqué ni à son obligation de reclassement ni à son obligation de sécurité;
que les faits de discrimination qui auraient consisté à avoir refusé de l'affecter à un poste compatible avec son état de santé étaient prescrits , l'affection litigieuse ayant été réalisée fin 1999;qu'au demeurant, la preuve qu'il s'agirait d'un fait discriminatoire n'était pas rapportée; que les faits de discrimination qui auraient consisté à l'affecter sur un poste 'back office' totalement incompatible, selon le salarié, avec son état de santé, étaient eux aussi prescrits; qu'au demeurant, la preuve de leur caractère discriminatoire n'était pas davantage rapportée; qu'en tout état de cause, cette affectation était compatible avec son état de santé; que ce poste ne concernait que la vente de petits appareils (robots, sèche-cheveux, aspirateurs, machines à café...) dont le poids est quasiment inférieur à 5 kgs; que 'la mise au placard' invoquée par le salarié était sans fondement dès lors que le poste qui lui avait été proposé en juillet 2008 et qu'il avait refusé existait bien; qu'il s'était toujours vu accorder les mêmes droits en matière de rémunération, notamment variable, que les autres salariés; que le grief tiré de ce que l'employeur ne lui aurait pas permis de progresser au sein du magasin n'était pas démontré par des éléments de fait attestant de cette situation.
SUR CE
Sur l'intervention de l'UL CGT [Localité 1]
L'intervention volontaire de l'UL CGT [Localité 1] qui était représentée par un avocat en première instance était bien recevable. En cause d'appel, si des conclusions ont été déposées avant l'audience au nom de l'UL CGT [Localité 1] par Monsieur [D] lui même, il convient de constater que ce dernier ne produit pour autant aucun mandat spécial ni statut ou délibération lui donnant le pouvoir de représenter l'UL CGT [Localité 1] devant la cour d'appel étant ajouté que l'UL CGT [Localité 1] n'a pas interjeté appel, principal ou incident, du jugement. Son intervention devant la cour est donc irrecevable.
Sur le fond
Il convient, à titre préliminaire, de constater que si Monsieur [O] [D] invoque, au soutien de ses prétentions, des faits qui auraient été commis dès 1999, il résulte aussi de ses moyens et prétentions que ces mêmes faits avaient eu lieu sans discontinuer jusqu'à la saisine au fond du conseil de prud'hommes de Nice, le 13 mai 2011. Il s'en suit que la période comprise entre le 13 mai 2006 et le 13 mai 2011 n'est pas prescrite au sens de la loi du 17 juin 2008 entrée en vigueur le 19 juin 2008. Il sera en outre rappelé qu'en matière de discrimination, si l'action se prescrit désormais par cinq ans, les dommages-intérêts alloués doivent réparer l'entier préjudice résultant de cette discrimination pendant toute sa durée de sorte que la cour doit analyser l'ensemble de la période litigieuse.
En l'espèce, l'avis du médecin du travail du 29 juillet 1999 qui avait déclaré Monsieur [D] ' apte à la reprise du travail avec restriction . Inapte au port de charges supérieures à 5 kgs.' s'analysait bien en une déclaration d'aptitude, fut elle émise avec réserve, autorisant la reprise du travail sans nécessité d'une seconde visite médicale et mettant fin en principe à la période de suspension du contrat de travail. A compter de cette date, l'employeur était donc tenu de suivre les préconisations du médecin du travail soit en proposant au salarié un poste sans port de charges supérieures à 5 kgs soit en aménageant son poste aux fins de respecter cette restriction. Il résulte ensuite d'un avis du médecin du travail, émis le 8 octobre 1999 à l'issue d'une visite demandée par le médecin du travail, que ce dernier avait déclaré Monsieur [D] 'Inapte au port de charges supérieures à cinq kilos. Apte à un essai au poste de vendeur EPCS.' Quelle que soit l'exacte qualification à donner à cette visite médicale, il n'en demeure pas moins qu'il s'agissait d'un avis d'aptitude associé à des réserves explicites ayant eu pour effet de mettre l'employeur dans l'obligation, d'une part, de prendre en compte les recommandations du médecin du travail et, d'autre part, en cas de contestation par le salarié, de justifier de la mise en oeuvre effective des adaptations demandées. Il n'est pas discuté que le poste proposé par l'employeur à compter du 6 décembre 1999 était un poste de vendeur du secteur EPCS, rayon petit électro-ménager. Or, l'étude de poste que la société Carrefour avait demandée, le 11 octobre 1999, au médecin du travail de réaliser et qui aurait conclu, selon elle, à la conformité d'un tel poste, n'a jamais été produite aux débats par cette société. En outre, alors que Monsieur [D] avait toujours soutenu que le poste qui lui était ainsi proposé n'était pas compatible avec l'avis du médecin du travail, motif pour lequel il le refusait, la société Carrefour s'était simplement contentée de lui affirmer le contraire et force est de constater aujourd'hui qu'elle ne justifie pas par ses pièces les mesures effectives qu'elle aurait prises pour que Monsieur [D] ne soit pas confronté au port d'une charge de plus de cinq kilos. Il ne saurait se déduire de la seule dénomination de petit électro-ménager la preuve que les matériels concernés auraient tous été d'un poids nécessairement inférieur à cinq kilos. La société Carrefour ,qui ne conteste pas que ce rayon concernait aussi la vente de petits fours électriques, de fours à micro-ondes, de chauffages à bain d'huile, de petits appareils de climatisation ou encore d'aspirateurs, ne produit pour autant aucun justificatif d'un poids inférieur à 5 kilos. D'ailleurs, le 22 février 2000, Monsieur [D] avait demandé par écrit à son employeur de lui indiquer la manière dont il devait procéder pour mettre à disposition de la clientèle tout produit vendu pour un poids supérieur à cinq kilos. Or, la réponse faite par l'employeur, le 20 mars 2000, s'était bornée à répondre, sans pour autant contester la vente dans le rayon concerné de matériels d'un poids supérieur à cinq kilos, que le poste avait été validé après une étude par le médecin du travail (celle déjà visée plus haut) et que le salarié se mettait en position fautive de refuser ce poste proposé au titre de son reclassement. De même, le 16 mai 2000, l'inspecteur du travail avait alerté l'employeur sur l'obligation de respecter l'avis du médecin du travail. Aucune pièce n'est produite pour justifier de la suite réservée par l'employeur à cette demande de l'inspecteur du travail. Il s'en suit que face à cette carence de l'employeur dans la charge de la preuve lui incombant, le refus du salarié, manifesté dès le mois de décembre 1999, de signer l'avenant lui confiant les fonctions de vendeur au rayon petit électro-ménager était légitime.
Il résulte de leurs explications respectives que les parties étaient ensuite restées dans cet état de leur relations jusqu'en 2006 . Pendant cette période, l'employeur n'avait proposé aucun poste à son salarié et n'avait engagé contre lui aucune procédure tandis que le salarié, qui continuait à percevoir sa rémunération, n'avait pas davantage engagé d'action contre son employeur.
Ce n'est que le 6 juin 2006 qu'une visite médicale avait été organisée à l'initiative de l'employeur, le médecin du travail déclarant, à cette date, le salarié 'apte avec restriction. Eviter le port de charges supérieures à cinq kilos'. Cet avis était confirmé par lui lors de la visite médicale du 12 juillet 2006 avec l'observation complémentaire suivante ' en aménageant au besoin les horaires de travail.' Les échanges de courriers entre les parties démontrent qu'en août 2006, l'employeur persistait à vouloir affecter son salarié dans les mêmes conditions qu'en 1999 sur le poste de vendeur au rayon petit électro- ménager alors que le salarié maintenait son refus pour le même motif de non conformité à l'avis médical. Ainsi, le 9 août 2006, Monsieur [D] avait écrit à l'employeur pour dénoncer le comportement de son supérieur hiérarchique, Monsieur [Q], lequel lui aurait dit à l'issue de la visite médicale du 12 juillet 2006 'qu'il en avait rien à cirer de mon état de santé, que les horaires de travail étaient adaptés au regard des flux clients et non de mon état de santé , que le cas échéant il ferait une étude de poste.' Par lettre du 22 août 2006, l'employeur lui avait répondu dans les termes suivants: 'je vous confirme que nos impératifs de fonctionnement du rayon petit électro-ménager étant induit à la fréquentation du magasin par nos clients. Nous avons revu l'organisation de l'équipe du petit électro-ménager afin de prendre en considération les remarques de la médecine du travail. Ce fonctionnement a pour but de ne pas vous laisser seul sur la surface de vente et afin d'éviter toute manipulation allant à l'encontre de votre restriction. Il reste de votre responsabilité, au vu de votre état de santé de vous organiser avec vos collègues afin de vous éviter tous ports de charges. De ce fait, je vous demande donc de respecter les horaires de travail (...)'
Toutefois, il suit de cette réponse la démonstration, en premier lieu, de l'absence de contestation de la part de l'employeur des propos tenus par le supérieur hiérarchique déclarant en avoir 'rien à cirer de l'état de santé' de Monsieur [D], en second lieu, de l'absence de recherche d'horaires aménagés en contradiction avec les recommandations du médecin du travail, l'employeur se limitant à des considérations d'ordre général non adaptées à la situation particulière du salarié et, en dernier lieu, de ce que l'employeur, pourtant tenu personnellement à l'obligation d'adapter le poste de son salarié à son état de santé et aux préconisations du médecin du travail, avait transféré cette obligation sur le salarié en le rendant responsable de l'adaptation de son poste et en lui demandant de réclamer lui même les mesures qui auraient dû incomber au seul employeur. Au demeurant, aucune des pièces produites par la société Carrefour ne démontre la réalité et l'effectivité des prétendues mesures annoncées par l'employeur dans cette lettre. En l'état de ce refus persistant du salarié, qui soutenait depuis plusieurs années la non conformité médicale du poste proposé et du refus tout aussi persistant de l'employeur de prendre en compte les objections du salarié, il appartenait à l'employeur de solliciter soit une nouvelle étude de poste actualisée par le médecin du travail soit ses préconisations écrites ou son avis au regard des contestations du salarié, ce qu'il ne justifie pas avoir demandé. Ainsi, les manquements de l'employeur, apparus en 1999, avaient été réitérés par lui de manière ininterrompue jusqu'à la période non prescrite.
Par une note de service du 2 octobre 2007, la société Carrefour avait décidé, sous couvert d'une réorganisation de son secteur EPCS , d'affecter Monsieur [D] en 'back office blanc'
sans aucune sollicitation de l'employeur auprès du médecin du travail ni étude de poste. Or, il est démontré que ce poste induisait davantage de manutention que le poste de 'front office' comme l'avait reconnu expressément la société Carrefour dans sa lettre adressée ultérieurement au salarié le 16 juillet 2008 puisqu'elle y indiquait 'sachant que dans votre poste actuel en back office, certaines tâches ne sont pas compatibles avec les contraintes de charges prescrites par le médecin du travail, nous vous proposons de retrouver votre poste antérieur qui ne vous posait pas de problèmes médicaux à savoir conseiller de vente du PEM sur le front office (...)Bien entendu les restrictions de port de charges de plus de 5 kg préconisées par le médecin du travail seront appliquées.' Ainsi, la société Carrefour avait elle reconnu, à tout le moins implicitement, avoir affecté le salarié sur un poste au 'back office' susceptible d'être en contradiction avec l'avis du médecin du travail. Elle ne peut pas pour autant reprocher à son salarié d'avoir également refusé le poste au 'front office' dès lors qu'en juillet 2008, les interrogations soulevées en 1999 par Monsieur [D] sur le port de charges de plus de 5 kilos, y compris au rayon petit électro-ménager, restaient posées dans les mêmes termes. D'ailleurs, dans sa lettre du 16 juillet 2008, la société Carrefour ne décrivait aucunement les conditions de travail qui auraient pu être de nature à rassurer le salarié mais énonçait seulement les qualités requises pour occuper ce poste. Enfin, si la société Carrefour reconnaît dans ses conclusions reprises oralement à l'audience que le poste au 'front office consiste essentiellement en de la vente' elle n'exclut pas formellement pour autant qu'il puisse induire des tâches de manutention ou de port de charges au sujet desquelles elle ne donne aucune précision.
Il résulte de l'analyse de tous ces faits que la société Carrefour ne rapporte pas la preuve que le poste de vendeur du secteur EPCS, rayon petit électro-ménager, sur lequel elle avait voulu affecter Monsieur [D], non seulement en 1999, mais aussi en 2006, 2007 et 2008 était conforme aux préconisations du médecin du travail et notamment qu'elle avait adapté ce poste en prenant de manière précise et concrète des mesures propres à éviter le port de charges supérieures à 5 kilos. De même, alors que Monsieur [D] avait invoqué plusieurs fois que le poste de vendeur du rayon micro-informatique appartenant aussi au secteur EPCS était celui qui correspondait le mieux aux préconisations du médecin du travail, elle ne rapporte pas la preuve de l'impossibilité de l'affecter sur ce poste ni même avoir sollicité le médecin du travail sur ce point. D'une manière constante, elle s'était d'ailleurs abstenue de solliciter l'avis du médecin du travail sur les contestations du salarié .
En se comportant ainsi, la société Carrefour a commis des manquements caractérisés et réitérés à son obligation d'adapter le poste de son salarié à son état de santé donc à son obligation de reclassement et à son obligation d'assurer la santé et la sécurité de ce dernier. En l'état des circonstances ci-dessus, il y a lieu de condamner la société Carrefour à payer à Monsieur [D] la somme de 5000€ à titre de dommages-intérêts pour le manquement à son obligation de reclassement et celle de 5000€ à titre de dommages-intérêts pour le manquement à l'obligation de sécurité.
S'agissant du moyen tiré de la discrimination et de la perte d'une chance, il est vient d'être démontré que par suite de l'absence de proposition de poste conforme à l'état de santé de Monsieur [D], la société Carrefour avait contraint ce dernier à ne pas rejoindre le seul poste qu'elle lui proposait. Comme elle le reconnaît elle-même dans ses écritures judiciaires reprises oralement, cette situation avait eu pour effet d'amener Monsieur [D] à se tenir passif sur les lieux du travail et à être rémunéré sans travailler. Ce paradoxe issu exclusivement d'un litige sur son état de santé, sans que l'employeur en tire les conséquences légales, avait nécessairement placé Monsieur [D], fut il payé à ne rien faire, à l'écart des autres salariés dans l'entreprise en l'excluant de fait de la communauté du travail créant ainsi une discrimination en raison de son état de santé. Cette situation, que l'employeur a laissé sciemment perdurer, avait eu également et nécessairement pour effet d'impacter négativement la carrière de Monsieur [D] comme le montrent les observations défavorables faites par ses supérieurs sur les sipp 2009 et 2010 au seul motif de la situation décrite précédemment, le privant ainsi d'une chance d'évoluer dans l'entreprise au même rythme que les autres vendeurs présentant le même profil d'ancienneté et/ou de compétences. Compte tenu des éléments ci-dessus analysés et de la durée des faits, la société Carrefour sera condamnée à lui payer la somme de 5000€ à titre de dommages-intérêts pour discrimination et perte d'une chance.
En l'état de l'arrêt rendu dont les motifs suffisent, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de voir 'ordonner l'attribution d'un poste de travail compatible avec l'état de santé de Monsieur [D] sous astreinte'
L'équité commande d'allouer à l'appelant la somme de 2000€ au titre de l'article 700 du code procédure civile. La société intimée qui succombe sera déboutée de ses demandes reconventionnelles.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale,
Reçoit Monsieur [O] [D] en son appel
Déclare irrecevable en cause d'appel l'intervention de l'UL CGT [Localité 1].
Réforme le jugement du le conseil de prud'hommes de Nice du 6 novembre 2013 en toutes ses dispositions , statuant à nouveau, condamne la Sas Carrefour Hypermarchés à payer à Monsieur [O] [D] les sommes de:
-5000€ à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de reclassement;
-5000€ à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité;
-5000€ à titre de dommages-intérêts pour discrimination et perte d'une chance;
-2000€ au titre de l'article 700 du code procédure civile.
Déboute les parties de leurs autres demandes.
Condamne la Sas Carrefour Hypermarchés aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT