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17/12/2015 | FRANCE | N°13/24998

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 17e chambre b, 17 décembre 2015, 13/24998


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

17e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 17 DÉCEMBRE 2015



N°2015/807

SP













Rôle N° 13/24998







SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE





C/



[A] [V]























Grosse délivrée le :

à :

Me Jacques BISTAGNE, avocat au barreau de MARSEILLE



Me Jean claude GUARIGLIA, avocat au barreau de MARSEILLE
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Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :



Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section C - en date du 05 Décembre 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 12/1367.





APPELANTE



SAS DISTRIBUTION CASINO...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

17e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 17 DÉCEMBRE 2015

N°2015/807

SP

Rôle N° 13/24998

SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE

C/

[A] [V]

Grosse délivrée le :

à :

Me Jacques BISTAGNE, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Jean claude GUARIGLIA, avocat au barreau de MARSEILLE

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section C - en date du 05 Décembre 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 12/1367.

APPELANTE

SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Jacques BISTAGNE, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

Monsieur [A] [V], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Jean claude GUARIGLIA, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 08 Octobre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sophie PISTRE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller

Madame Sophie PISTRE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Caroline LOGIEST.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Décembre 2015

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Décembre 2015

Signé par Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre et Madame Caroline LOGIEST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Madame [L] [J] et Monsieur [A] [V], concubins, ont conclu le 4 décembre 2001 avec la société Distribution Casino France un contrat de cogérance, statut non-salarié, aux termes duquel ils acceptaient conjointement et solidairement le mandat d'assurer la gestion et l'exploitation d'un magasin de vente au détail, dit « superette », situé à [Localité 1].

Le contrat prévoyait que les relations étaient régies par l'article L782'1 du code du travail, alors en vigueur, et par les dispositions de l'accord collectif national des maisons d'alimentation du 18 juillet 1963.

Madame [J] a été en congé maternité du 24 mars 2003 au 16 novembre 2003.

Monsieur [V] a signé avec la société Distribution casino France un contrat de gérance non salariée le 17 novembre 2003 aux termes duquel l'intéressé assumait seule la gestion de la supérette, sa compagne se trouvant en congé parental pour une durée maximale de 3 ans.

Le 9 avril 2008, le couple [J]-[V] signait un nouveau contrat de cogérance non-salariée, concernant une supérette située à [Localité 2].

En dernier lieu, le 19 juin 2009, le couple [V]- [J] signait un contrat de cogérance non salariée, concernant une supérette située à [Localité 3].

Tous ces contrats prévoyaient une rémunération de 6% du chiffre d'affaires, repartie entre les deux gérants (50/50 pour le dernier contrat du 19 juin 2009). Un minimum mensuel était garanti en application de l'article 5 de l'accord collectif du 18 juillet 1963.

Le 9 aout 2012, Mme [J] a adressé un courrier de rupture à la SAS Casino Distribution France (ci-après désignée « la société Casino »). Celle-ci, par courrier en retour du 16 aout 2012, en a pris acte.

Le même jour, la société Casino a adressé un courrier à M. [V] l'informant qu'en application de l'article 15 du contrat de cogérance, son propre mandat de cogérance non salarié prenait fin en même temps que celui de sa conjointe.

Le 23 octobre 2012, M. [V] a saisi le conseil des prud'hommes de Toulon en vue d'obtenir le paiement de différentes sommes notamment à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre d'indemnité de résiliation, à titre de rappel de revenu minimum garanti, et de dommages-intérêts pour clause de non-concurrence illicite. Par jugement assorti de l'exécution provisoire en date du 5 décembre 2013, le conseil des prud'hommes de Toulon a condamné la SAS Distribution casino France à lui payer les sommes de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture illicite du contrat, de 4 490 € au titre du préavis, de 449 € au titre des congés payés sur préavis, de 3 180, 42 € à titre d'indemnité de résiliation, et de 1500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Le conseil des Prud'hommes a en outre ordonné à la société Casino de remettre les documents de rupture, l'attestation Pôle emploi, le certificat de travail, les bulletins de paye, et a laissé les dépens à la charge de la société Casino, le surplus des demandes des parties étant rejeté.

La SAS Distribution casino (ci-après désignée « la société Casino ») a régulièrement interjeté appel de cette décision.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

La société Casino appelante demande à la cour de réformer le jugement entrepris, et :

-du fait de l'existence d'un seul contrat de gérance, prononcer la jonction des deux affaires concernant M. [V] d'une part et Mme [J] d'autre part

-dire que la résiliation du contrat s'est imposée aux parties du fait de la volonté de Madame [J] de mettre fin au contrat, selon les termes du courrier du 9 août 2012

-dire que la résiliation du contrat de cogérance vis-à-vis de Monsieur [V] est justifiée par les clauses du contrat liant les parties, l'article 15 du contrat n'étant qu'une conséquence de l'indivisibilité du mandat

-reconnaître comme valablement fondée la rupture du contrat de cogérance mandataire non-salariée

-rejeter l'ensemble des prétentions de Monsieur [V]

-condamner M. [V] à payer la somme de 1500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance « distraits au profit » de l'avocat de la société Casino.

A l'appui de sa demande de jonction, la société Casino expose que Mme [J] a également saisi le conseil des prud'hommes de Toulon, et soutient que M. [V] et Mme [J] ayant signé un contrat unique de cogérance, cela implique le caractère indivisible du mandat et la solidarité les cogérants, et le fait que la rupture, si elle est constatée ou prononcée, l'est à l'encontre du contrat.

Sur le fond, la société Casino soutient que les intéressés ne sont pas des salariés, et qu' il ressort des nouvelles dispositions de l'article L7322'1 du code du travail, la nécessité d'apprécier la pertinence de l'application de telle ou telle disposition du code du travail au gérants non-salariés, en recherchant la finalité de cette disposition, et en vérifiant que sa mise en 'uvre est compatible avec leur statut.

La société Casino soutient que M. [V] ne peut invoquer les dispositions de l'ancien article L 782'7 du code du travail, qui stipulaient que les gérants non-salariés « bénéficiaient de tous les avantages accordés aux salariés par la législation sociale, notamment en matière de congés payés », car ces dispositions ont été abrogées par les nouvelles dispositions, et que la recodification n'a pas été faite à droit constant. La société Casino ajoute que le dernier contrat conclu l'a été le 19 juin 2009, c'est-à-dire postérieurement à la codification, et que dès lors c'est l'article L 7322-1 du code du travail qui s'applique. La société Casino ajoute que le législateur n'a pas voulu étendre l'ensemble des dispositions du code du travail au gérant mandataire non-salarié, notamment les règles relatives au licenciement, et que les gérants mandataires non-salariés ne bénéficient plus de tous les avantages accordés aux salariés par la législation sociale, mais seulement des droits qui leur sont confiés au titre II du livre III de la 7eme partie, relatif aux gérants de succursales.

En ce qui concerne la qualification de la rupture du contrat, la société Casino invoque l'article 14 de l'accord collectif national, aux termes duquel lorsqu'une partie souhaite mettre fin au contrat de gérance, elle en informe l'autre par courrier recommandé avec accusé de réception un mois à l'avance, et soutient que c'est ainsi que Madame [J] a clairement notifié son intention de rompre unilatéralement le contrat, utilisant le terme « démissionner ». L'appelante ajoute que par courrier du 16 aout 2012, elle a pris acte de cette rupture, et que par courrier du même jour, elle a informé M. [V] de la décision de Mme [J] et lui a notifié la rupture simultanée de son mandat en vertu de l'article 15 du contrat. La société Casino prétend que Monsieur [V] ne pouvait ignorer le caractère indivisible du mandat et que la rupture du contrat de cogérance s'est imposée à la société Casino aussi bien qu'à lui ; qu'il n'a d'ailleurs pas contesté le courrier du 16 août 2012 et que la rupture du contrat doit être reconnue comme valablement fondée.

En ce qui concerne le rappel de revenu minimum garanti, la société Casino soutient que le minimum est prévu pour la commission globale, et non pour chacun des cogérants en cas de cogérance, et qu'en l'espèce les commissions perçues par M. [V] dépassent la rémunération minimale garantie sur la part de répartition choisie, à savoir 50 % de la commission globale. La société Casino s'oppose également à la demande subsidiaire d'application du SMIC, soutenant que contrairement aux gérants mandataires salariés, les gérants mandataires non-salariés ne bénéficient pas de ce salaire minimum, et que l'indépendance laissée aux cogérants d'une succursale unique, exclut toute possibilité d'un contrôle horaire sur la durée véritable du travail, alors même que l'application du SMIC suppose au contraire un horaire de travail qui relève précisément de la réglementation de la durée du travail.

En ce qui concerne la demande de M. [V] au titre de la clause de non-concurrence, la société Casino soutient que le contrat de gérance signé entre les parties le 19 juin 2009 ne contient pas de clause de non rétablissement.

M. [V] intimé, demande à la cour de confirmer le jugement du conseil des prud'hommes en ce qu'il a condamné la société Casino à lui verser les sommes de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture illicite du contrat, de 4 490 € au titre du préavis outre 449 € au titre des congés payés sur préavis, de 3 180, 42 € à titre d'indemnité de résiliation, et de 1500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour le surplus, M. [V] sollicite la reformation du jugement et la condamnation de la Sté Casino à lui verser les sommes suivantes :

à titre principal, 21 948,21 € à titre de rappel de revenu minimum garanti (article 5 de l'accord collectif), outre 2194,82 euros de congés payés y afférents, et subsidiairement 4594,74 euros à titre de rappel de SMIC outre 459,47 euros de congés payés y afférents

-12 000 € à titre de dommages-intérêts pour clause de non-concurrence illicite

-1500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans le corps de ses écritures, oralement reprises, Monsieur [V] sollicite en outre la condamnation de la société Casino à verser la somme de 1500 € à titre de dommages et intérêts pour défaut d'entretien préalable à la rupture.

À cet effet, il fait valoir, en ce qui concerne la demande de jonction, que le refus des premiers juges de joindre cette instance avec celle opposant la société Casino à Mme [J], ne peut donner lieu à réformation s'agissant d'une décision d'administration judiciaire non sujette à recours, et qu'en outre cette jonction ne se justifie pas, car la résolution des 2 instances, relève, malgré quelques points communs, de situations juridiques différentes.

Sur le fond, M. [V] soutient qu'il n'existe aucune contestation sur le fait que les parties ne sont pas liées par un contrat de travail, mais bien par un contrat de cogérance, lequel prévoyait que les relations étaient régies par l'article L782'1 du code du travail, alors en vigueur, et par l'accord collectif national des maisons d'alimentation du 18 juillet 1963 ; que toutefois le législateur a fait le choix d'assimiler à des salariés ceux que le nouveau code du travail appelle « les gérants de succursale », et qu'assimilés à des salariés, ces gérants mandataires n'acquièrent pas pour autant cette qualité.

M. [V] affirme que la nouvelle codification a repris les dispositions de l'article L782-1 du code du travail, certes en des termes différents, mais pour une finalité semblable ; que la cour de cassation ( AP 9 janvier 2015 n°13-80967) estime que les articles L7321'1 et 7322'1 du code du travail, concernant les gérants non-salariés de succursale de mise en alimentation de détail, sont issues d'une codification à droit constant, et que les articles L 1231-1 et suivants du code du travail relatifs à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée, sont applicables à ces gérants non-salariés, et que ( soc.28 septembre 2011 numéro 10/21 294) le gérant non-salarié de succursale bénéficie de tous les avantages accordés aux salariés par la législation sociale.

M. [V] ajoute que la juridiction prud'homale est compétente pour statuer sur les conditions de la rupture du contrat de gérants mandataires, sans pour autant lui conférer le caractère de contrat de travail ; que la clause d'indivisibilité de l'article 15, support juridique organisant la rupture automatique des relations contractuelles avec le second cogérant lorsque celles afférentes au premier n'existent plus, doit être réputée non écrite comme comportant renonciation anticipée prohibée aux dispositions d'ordre public du code du travail sur le licenciement ; que par assimilation avec le statut du salarié, les règles de protection d'ordre public relatives au licenciement sont applicables aux gérants non-salariés d'une succursale alimentaire ; qu'en l'espèce, la société Casino est seule à l'origine de la rupture, et qu'en l'absence de toute faute grave ou lourde commise par Monsieur [V], celui-ci doit bénéficier d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts.

En ce qui concerne le revenu minimum conventionnel, M. [V] soutient que, contrairement à ce qu'indique la société Casino, l'article 5 du contrat prévoit un revenu minimum garanti à chacun des co gérants, et non pas au couple de cogérant, et que l'accord collectif du 18 juillet 63 (article 7), prévoit seulement la répartition du commissionnement sur les ventes entre les co gérants, et non pas la répartition du revenu minimum ; que le préambule de l'accord du 18 juillet 1963 fait référence aux « contrats individuels » passés entre les entreprises et les gérants non-salariés, et qu'il en résulte que la société Casino devait établir un contrat pour chaque cogérant ; que l'article 29 de ce même accord, précise que le logement est assuré gratuitement à tous les gérants et qu'il ne peut venir sous aucune forme en déduction du minimum garanti ou du montant des commissions, et que dès lors, pour le calcul du revenu minimum garanti, la société Casino ne pouvait y inclure l'avantage en nature constitué par le logement ; que subsidiairement M. [V] devait au moins bénéficier du Smic.

En ce qui concerne la clause de non-concurrence, M. [V] soutient qu'au visa du principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, et de l'article L782'7, recodifié L7322'1 du code du travail, la Cour de cassation juge qu'une clause de non-concurrence stipulée dans le contrat d'un gérant non-salarié de succursale de maison d' alimentation de détail, n'est licite que si elle comporte l'obligation pour la société de distribution de verser au gérant une contrepartie financière ; qu'une clause nulle cause nécessairement un préjudice au salarié et que la société Casino ne démontre pas avoir libéré de façon claire et non équivoque M. [V] de cette obligation de non-concurrence.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des demandes et moyens des parties, il convient de se référer aux écritures des parties, oralement reprises.

SUR CE

Sur la demande de jonction

La jonction et la disjonction sont des mesures d'administration judiciaire, insusceptibles de recours.

En l'espèce, même si les deux cogérants ont signé un même contrat de cogérance, il existe un point de divergence important quant aux circonstances de la rupture. Dans le cas de Mme  [J], la rupture fait suite à un courrier adressé par celle-ci à la société Casino ; dans le cas de M. [V] la rupture est imposée par la société Casino.

Dès lors, il n'apparait pas être de l'intérêt de l'administration d'une bonne justice de faire juger ensemble ces deux affaires.

La demande tendant à voir infirmer la décision du conseil de prud'hommes sur ce point, sera rejetée de même que la demande de jonction expressément formée devant la cour par la société Casino.

Sur la recodification

Au dernier état de la relation contractuelle, la société Casino était liée avec M. [V] par un contrat de cogérance en date du 19 juin 2009.

Ce contrat énonce que les rapports entre la société Casino et les cogérants sont régis par les dispositions des articles L7322'1 et suivants du code du travail, et les clauses de l'accord national du 18 juillet 1963 et ses différents avenants.

Il n'est pas contesté que M. [V] n'a pas le statut de salarié, mais bien celui de cogérant non-salarié d'une succursale de commerce d'alimentation de détail. Aucune des parties ne soulève l'incompétence de la juridiction prud'homale. En tout état de cause cette compétence résulte dispositions de l'article L7322'5 du code du travail.

Les parties s'opposent sur le fait de savoir si les articles L7322'1 et suivants du code du travail, résultent ou non d'une codification à droit constant au regard des anciennes dispositions des articles L782-1 et suivants du code du travail, et sur le fait de déterminer si le législateur a voulu ou non étendre l'ensemble des dispositions du code du travail au gérant mandataire non-salarié, notamment les règles relatives au licenciement. La société Casino soutient à cet égard que les gérants mandataires non-salariés ne bénéficient plus de tous les avantages accordés aux salariés par la législation sociale, mais seulement des droits qui leur sont confiés au titre II du livre III de la 7eme partie, relatifs aux gérants de succursales.

Il apparaît toutefois que la recodification du code du travail, est, sauf dispositions expresses contraires, intervenue à droit constant.

Ainsi, il résulte des dispositions de l'article L. 782-7, recodifié L. 7322-1 du code du travail, que les dispositions de ce code bénéficiant aux salariés s'appliquent en principe aux gérants mandataires non-salariés de succursales de maisons d'alimentation de détails.

Ce n'est que lorsque des dispositions n'ont été ni reprises, ni transférées qu'elles doivent être considérées comme abrogées.

Sur les demandes de rappel de rémunération

Aux termes de son dispositif, le conseil des prud'hommes a débouté M. [V] de sa demande de rappel de rémunération. M. [V] sollicite la réformation du jugement de ce chef, et la condamnation de la société Casino à lui payer, à titre principal, la somme de 21 948,21 € à titre de rappel de revenu minimum garanti (article 5 de l'accord collectif), outre celle de 2194,82 euros au titre des congés payés y afférents, et subsidiairement, la somme de 4594,74 euros à titre de rappel sur le fondement du SMIC outre celle de 459,47 euros de congés payés y afférents.

Sur le revenu minimum garanti

L'article 9 du contrat de cogérance dispose que les cogérants sont rémunérés par une commission fixe sur les ventes qui sera déterminée par avenant. Cette condition est acquise pour le point de vente et sera perçue par les cogérants ainsi qu'ils n'en seront convenus entre eux par délégation.

Par avenant au contrat de cogérance du 19 juin 2009, signé le même jour, il est stipulé que la commission sur le chiffre d'affaires sera calculée sur l'ensemble des ventes à un taux unique de 6 %.

Il est indiqué en outre au paragraphe « minimum mensuel garanti » : « les minima mensuels garantis seront ceux de l'article 5 de l'accord collectif du 18 juillet 1963 modifié par les avenants subséquents ».

Au paragraphe « répartition de la commission entre les cogérants » il est indiqué : « en raison des aménagements convenus entre eux pour la gestion du magasin qui leur est confié et pouvant conduire à une activité incomplète de l'un ou l'autre, les cogérants ont décidé que la commission globale acquise par le point de vente sera répartie entre eux sur les bases ci-après :

pour le cogérant, le montant de la commission globale déduction faite de la part de la cogérante

pour la cogérante : 50 % de la commission globale. »

L'article 5 de l'accord collectif du 18 juillet 1963, modifié, énonce : « les sociétés garantissent à leurs gérants mandataires non-salariés une commission mensuelle minimum, tant pour la gérance d'appoint que pour la gérance normale. Ces minima sont au 1er janvier 2011 les suivants :

'gérance première catégorie : 1545 € par mois

'gérance 2e catégorie : 2245 € par mois

clause de révision : les minima sont révisables une fois par an sauf circonstances exceptionnelles »

La définition des gérances qui résulte de l'article 4, est la suivante :

'gérance de première catégorie : gérance d'appoint. Elle est attachée à une succursale dont l'importance et les modalités d'exploitation n'exigent que l'activité d'une seule personne

'2e catégorie : gérance normale : elle est attachée à une succursale nécessitant l'activité effective de plus d'une personne. La gérance normale assurée par 2 gérants mandataires non-salariés au minimum fait l'objet d'un contrat de cogérance.

Il résulte de ces éléments que la rémunération se fait sous la forme d'une commission unique, versée par point de vente, et qui est répartie ensuite entre les 2 cogérants en fonction de leur accord. Cette commission est calculée sur le montant des ventes, mais un montant minimal est garanti. Ce montant minimal est déterminé en fonction en réalité du nombre de personnes qui exploitent le point de vente :

'gérance d'appoint (dit encore gérance de première catégorie) qui concerne l'exploitation par une seule personne : 1545 € par mois

'gérance normale (dit encore gérance de 2e catégorie) qui concerne la gestion par 2 gérants au minimum : 2245 € par mois.

Il y a lieu dès lors juger que le minimum conventionnel prévu pour la commission, est global pour le point de vente, et non pas pour chacun des cogérants en cas de cogérance.

Sur le SMIC

M. [V] soutient qu'en application des dispositions de l'article L7322'3 du code du travail, la rémunération convenue ne peut jamais être inférieure au SMIC.

La société Casino s'oppose à cette demande, et soutient que l'intéressé fait volontairement une confusion entre la rémunération des gérants mandataires salariés, dont le statut est codifié sous l'article L7321 du code du travail, qui bénéficie d'une rémunération mensuelle au moins égale au SMIC quelle que soit l'importance du déficit imputable à leur gestion, et celle des mandataires gérants non-salariés dont le statut est codifié par les articles L7322'1 et suivants du code du travail. La société Casino fait valoir que l'indépendance laissée aux cogérants d'une succursale unique, la faculté de pouvoir s'assurer de concours extérieurs en engageant du personnel, excluent toute possibilité d'un contrôle sérieux horaire sur la durée véritable du travail ainsi accompli par un couple de cogérants.

Si les accords collectifs peuvent déterminer la rémunération minimum garantie des gérants non-salariés compte tenu de l'importance de la succursale et des modalités d'exploitation de celle-ci, il demeure qu'en application de l'article L. 782-3 du Code du travail, la rémunération convenue ne peut jamais être inférieure au SMIC (cass. Soc 2 mars 1994, n° 88-43739). Les dispositions de l'article L782-3 ont été reprises à droit constant par les dispositions de l'article L7322'3 du code du travail.

C'est donc à bon droit que M. [V] invoque le bénéfice du SMIC. Au soutient de sa demande chiffrée, il propose un calcul précis (tableau page 20 de ses écritures oralement reprises). La société Casino n'apporte aucune contradiction aux montants énoncés dans ces tableaux. La demande de M. [V] qui est fondée dans son principe et son montant, sera donc accueillie à hauteur de 4 594, 74 euros, outre la somme de 459, 47 euros au titre des congés payés y afférents.

La cour constate que l'application du SMIC, les mois où la rémunération conventionnelle se trouve inférieure à ce seuil, rend sans effet le moyen, au demeurant bien fondé, tiré de ce que l'avantage en nature lié à de l'attribution en nature d'un logement, ne peut venir en déduction du minimum garanti.

Sur la rupture

Il est constant qu'à l'égard de M. [V], c'est bien la société Casino qui a pris l'initiative de la rupture en lui adressant un courrier RAR le 16 aout 2012, en ces termes :

« nous vous informons que nous avons bien reçu le 13 août 2012 la lettre recommandée avec accusé de réception du 9 août 2012 de votre conjointe Madame [J] par laquelle elle nous fait part de la rupture unilatérale à son initiative du contrat de cogérance mandataire non-salariée de notre Groupe signé le 19 juin 2009.

Nous en avons pris note.

Conformément aux dispositions de l'article 15 du contrat de cogérance signé par le 19 juin 2009, votre mandat de cogérant mandataire non-salarié prendra fin en même temps que celui de votre conjointe.

En conséquence, nous vous indiquons que, suite à la demande de Madame [J] de ne pas effectuer son préavis, votre inventaire de cession départ congés effectué le 10 août 2012 tiendra lieu d'inventaire de cession définitive. (') »

Le gérant non salarié de succursale de commerce de détail alimentaire, qui bénéficie des avantages accordés aux salariés par la législation sociale, ne peut être privé, dès l'origine, par une clause du contrat, du bénéfice des règles de protection d'ordre public relatives à la rupture des relations contractuelles. Constitue dès lors un licenciement la rupture du contrat de gérance à l'initiative de l'entreprise propriétaire de la succursale.

En l'absence en l'espèce, de respect de la procédure et de motifs réels et sérieux justifiant ce licenciement, la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes indemnitaires de M. [V]

Dommages et intérêts

M. [V] invoque son ancienneté et son âge au moment de la rupture, et soutient que celle-ci lui a en outre fait perdre son logement de fonction.

Il ne précise toutefois pas si il a ou non retrouvé un emploi, et ne verse aucune pièce pour justifier de sa situation actuelle.

Au regard de son ancienneté, non contestée, de 11 années, de son âge au moment de la rupture à savoir 42 ans, de la perte brutale du logement de fonction, et en l'absence toutefois d'autres éléments quant à son préjudice, il y a lieu d'allouer la somme de 25 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Indemnité de préavis et de congés payés y afférents

Aux termes de l'article 14 de l'accord collectif du 18 juillet 1963, « en cas de rupture du contrat de gérance par l'entreprise, les gérants mandataires non-salariés comptant 2 ans d'ancienneté à la date de rupture bénéficieront d'un préavis de 2 mois ». L'article 34 de l'accord collectif stipule en outre que les congés payés sont accordés suivants les modalités prévues par la loi.

Pour solliciter au titre de l'indemnité de préavis de 2 mois, la somme de 4490 €, M. [V] invoque le montant minimum garanti pour une gérance de 2e catégorie, soit 2245 €. Il a toutefois été analysé ci-dessus le fait qu'il ne pouvait revendiqué pour lui seul, ce montant minimum garanti, qui est en réalité attribué au point de vente. Pour établir le montant de l'indemnité de préavis, il y a lieu de rechercher le montant brut moyen de la rémunération perçue par l'intéressé, ou à laquelle il avait droit lorsque ce montant est inférieur au SMIC. L'examen des pièces versées aux débats (bulletins mensuels des commissions perçues par M. [V]) permet de retenir une rémunération moyenne mensuelle brute de 1600, 18 €.

Il y a donc lieu de condamner la société Casino à verser la somme de 3200, 36 euros au titre de l'indemnité de préavis outre 320 € au titre des congés payés y afférents.

Indemnités de résiliation

Aux termes de l'article 15 de l'accord collectif du 18 juillet 1963, l'entreprise qui résilie le contrat d'un gérant mandataire non-salarié comptant au moins 2 ans d'ancienneté ininterrompue à la date de la résiliation, doit verser, sauf en cas de faute grave, une indemnité dite de résiliation du contrat dans les conditions suivantes :

'3/30eme de mois par année de présence pour la tranche de 1 à 5 ans d'ancienneté

'plus 5/30eme de mois par année de présence pour la tranche + 5 ans à 15 ans d'ancienneté

'plus 10/30eme de mois par année de présence pour la tranche supérieure à 15 ans d'ancienneté. L'indemnité totale ne peut dépasser un maximum de 7 mois.

Pour s'opposer à la demande d'indemnité de résiliation, la société Casino soutient qu'il s'agit d'une indemnité à caractère forfaitaire, qui ne peut se cumuler avec les dommages et intérêts pour rupture illicite ou abusive. Aucun élément légal ou conventionnel ne permet toutefois de retenir le caractère non cumulatif des indemnités. Ce moyen doit être rejeté.

En application de ces dispositions, la société Casino doit être condamnée à payer à M. [V] la somme de : 2400, 27 €.

Défaut d'entretien préalable

La demande doit être rejetée dès lors que l'indemnité pour violation de la procédure de licenciement ne se cumule pas avec l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Indemnités pour clause de non-concurrence illicite

M. [V] invoque l'article 18 des contrats de cogérance des 4 décembre 2001 et 17 novembre 2003 et soutient que la société Casino ne démontre pas l'avoir libéré de façon claire et non équivoque de cette obligation de non-concurrence.

Les contrats des 4 décembre 2001 et 17 novembre 2003 sont versés aux débats. Ils ont été établis au profit de Monsieur [A] [V] et comportent la clause ainsi rédigée :

« en cas de résiliation pour une cause quelconque, le gérant s'interdit de s'établir durant une période de 3 années dans le rayon ci-dessous précisé de l'établissement qu'il quitte :

'1 km pour les villes de 10 000 habitants et plus

'2 km pour les villes de moins de 10 000 habitants

'3 km pour les Petit Casino avec tournée à domicile »

La société Casino qui répond seulement que le contrat du 19 juin 2009 ne contient pas de clause de non rétablissement, ne réplique donc pas au moyen tiré de l'existence d'une clause de non-concurrence dans les contrats des 4 décembre 2001 et 17 novembre 2003.

En vertu du principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle et de l'article L l'article L. 782-7, recodifié L. 7322-1, du code du travail, une clause de non-concurrence stipulée dans le contrat d'un gérant non salarié de succursale de maison d'alimentation de détail n'est licite que si elle comporte l'obligation pour la société de distribution de verser au gérant une contrepartie financière. La validité d'une telle clause doit être appréciée à la date de sa conclusion.

En l'espèce, en l'absence d'une telle contrepartie financière, la stipulation litigieuse encourt la nullité.

La société Casino n'allègue pas ni ne justifie, que Monsieur [V] n'aurait pas respecté cette clause illicite. De sorte que celui-ci peut prétendre à des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

En ce qui concerne l'évaluation de ce préjudice, la cour constate que Monsieur [V] n'apporte aucun élément quant aux répercussions qu'a pu avoir concrètement l'entrave à la liberté de se réinstaller. Il est constant que postérieurement aux contrats des 4 décembre 2001 et 17 novembre 2003, l'intéressé a poursuivi son activité professionnelle en qualité de gérant non-salarié de succursales Casino, et qu'au dernier état de la relation, les parties étaient liées par un contrat du 19 juin 2009 ne comportant plus de clause de non-concurrence.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la société Casino sera condamnée à payer la somme de 1 500 € de ce chef.

Article 700 du code de procédure civile

Il serait inéquitable de laisser supporter à M. [V] la charge des frais irrépétibles par lui exposée à l'occasion de la présente procédure. La société Casino devra lui verser la somme de 1500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Casino qui succombe, verra sa demande formée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, rejetée.

Sur les dépens

Les dépens tant de première instance que d'appel seront mis à la charge de la société Casino qui succombe.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale,

Reçoit les parties en leurs appels

Sur le fond,

Dit n'y avoir lieu à jonction avec le dossier concernant Mme [J]

Confirme le jugement du conseil des prud'hommes de Toulon en ce qu'il a condamné la société SAS Distribution Casino France à payer à M. [V] la somme de 1 500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Le réforme sur le surplus,

Statuant à nouveau,

Condamne la société Distribution Casino France SAS à payer à M. [A] [V] la somme de 4594, 74 euros à titre de rappel de rémunération outre celle de 459, 47 euros au titre des congés payés y afférents

Juge que la résiliation du contrat de gérance de M. [V] par la société Distribution Casino France produit les effets d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse

Condamne la société Distribution casino France, SAS à payer à M. [A] [V] les sommes suivantes :

-25 000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse

-3 200, 36 euros au titre de l'indemnité de préavis outre 320 € au titre des congés payés y afférents

-2400, 27 € au titre de l'indemnité conventionnelle de résiliation

-1 500 € de dommages et intérêts pour clause de non concurrence illicite

-1 500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Déboute M. [V] du surplus de ses demandes

Déboute la société Distribution Casino France de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne la société Distribution Casino France aux entiers dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 17e chambre b
Numéro d'arrêt : 13/24998
Date de la décision : 17/12/2015

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 7B, arrêt n°13/24998 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-12-17;13.24998 ?
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