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17/12/2015 | FRANCE | N°13/13130

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 8e chambre c, 17 décembre 2015, 13/13130


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

8e Chambre C



ARRÊT AU FOND

DU 17 DECEMBRE 2015



N° 2015/ 676













Rôle N° 13/13130







[C] [U] veuve [N]

[K] [N]

[Z] [N]





C/



SASU CDR CREANCES





















Grosse délivrée

le :

à :LATIL

BUVAT

















Décision déférée à la Cour

:



Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 27 Avril 2000 enregistré au répertoire général sous le n° 94/05530 et 99/03230.





APPELANTS



Madame [C] [U] veuve [N] intervenant tant en son nom personnel qu'en qualité d'ayant droit de Feu [I] [N], décédé le [Date décès 1] 1995,

demeurant [Adresse 2]

représenté...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

8e Chambre C

ARRÊT AU FOND

DU 17 DECEMBRE 2015

N° 2015/ 676

Rôle N° 13/13130

[C] [U] veuve [N]

[K] [N]

[Z] [N]

C/

SASU CDR CREANCES

Grosse délivrée

le :

à :LATIL

BUVAT

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 27 Avril 2000 enregistré au répertoire général sous le n° 94/05530 et 99/03230.

APPELANTS

Madame [C] [U] veuve [N] intervenant tant en son nom personnel qu'en qualité d'ayant droit de Feu [I] [N], décédé le [Date décès 1] 1995,

demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Jérôme LATIL de la SCP LATIL PENARROYA-LATIL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et assistée de Me Ghislaine GAGLIARDI, avocat au barreau de GRASSE

Monsieur [K] [N] intervenant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'ayant droit de feu [I] [N], décédé le [Date décès 1] 1995,

né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 1] (Congo)

demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Jérôme LATIL de la SCP LATIL PENARROYA-LATIL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et assisté de Me Ghislaine GAGLIARDI, avocat au barreau de GRASSE

Monsieur [Z] [N] intervenant tant en son personnel qu'en qualité d'ayant droit de feu [I] [N], décédé le [Date décès 1] 1995,

né le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 1] (Congo)

demeurant Chez Mme [N] [C] - [Adresse 2]

représenté par Me Jérôme LATIL de la SCP LATIL PENARROYA-LATIL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et assisté de Me Ghislaine GAGLIARDI, avocat au barreau de GRASSE

INTIMEE

SASU CDR CREANCES, venant aux droits de la Société BANQUE COLBERT, prise en la personne de son président, dont le siège est sis [Adresse 3]

représentée par Me Robert BUVAT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et assistée de Me Colette BRUNET DEBAINES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN,

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 17 Novembre 2015 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Hélène COMBES, Président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Hélène COMBES, Président

Mme Françoise DEMORY-PETEL, Conseiller

Madame Cathy CESARO-PAUTROT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Décembre 2015

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Décembre 2015,

Signé par Madame Hélène COMBES, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Le 20 décembre 1991, [I] [N] a ouvert un compte de dépôt dans les livres de la banque Saga.

Le même jour, il a conclu avec elle un contrat de gestion de titres et lui a donné un mandat d'administration de titres nominatifs.

Au mois de janvier 1993, la banque Colbert, filiale du Crédit Lyonnais est venue aux droits de la banque Saga à la suite d'une opération de fusion.

Le 3 juin 1994, la banque Colbert a mise en demeure [I] [N] de lui payer la somme de 824.404,99 francs et le 28 novembre 1994, elle l'a assigné devant le tribunal de grande instance de Draguignan pour obtenir le paiement de la somme de 839.526,44 francs et de l'équivalent en francs français de la somme de 1.763,81 francs suisses, ces deux sommes correspondant aux soldes débiteurs de deux comptes bancaires portant les numéros 7396-00001 et 7396-00003.

En cours de procédure, la banque Colbert a ramené le montant de sa réclamation de 839.526,44 francs à 740.962,98 francs et à maintenu sa demande au titre de l'équivalent en francs français de la somme de 1.763,81 francs suisses.

[I] [N] est décédé le [Date décès 1] 1995 et sont intervenus à la cause en qualité d'héritiers son épouse [C] [U] veuve [N] et de ses deux fils [Z] et [K] [N].

Le 17 décembre 1996, la société CDR Créances est venue aux droits de la banque Colbert.

Le 19 décembre 1997, les consorts [N] ont introduit une action en responsabilité devant le tribunal de grande instance de Paris à l'encontre de la société CDR Créances.

Le 2 juillet 1999, le tribunal de grande instance de Paris constatant la litispendance, s'est dessaisi au profit du tribunal de grande instance de Draguignan.

Par jugement du 27 avril 2000, le tribunal de grande instance de Draguignan a rejeté la demande de la banque au titre des intérêts contractuels, a alloué aux consorts [N] la somme de 88.050,82 francs à titre de dommages-intérêts et après compensation des créances respectives des parties, a condamné les consorts [N] à payer à la société CDR Créances la somme de 484.498,74 francs outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure ainsi que l'équivalent en francs français de la somme de 1.580 francs suisses.

Les consorts [N] ont relevé appel le 14 septembre 2000.

Par arrêt du 14 décembre 2004, la cour a ordonné le sursis à statuer jusqu'à ce qu'une décision pénale intervienne sur les poursuites diligentées à l'encontre de [O] [B], ancien directeur d'agence de la banque Colbert.

L'affaire a fait l'objet d'une radiation le 23 novembre 2005, d'une remise au rôle en 2008 et d'une nouvelle radiation le 23 juin 2011.

[O] [B] condamné par le tribunal correctionnel de Draguignan du chef d'escroquerie a été relaxé par la cour par arrêt du 29 janvier 2013 et l'affaire a été remise au rôle au mois de juin 2013.

Dans leurs dernières conclusions du 13 novembre 2015, les consorts [N] demandent à la cour d'infirmer le jugement, de débouter la société CDR Créances de ses demandes et sollicitent sa condamnation à leur payer :

- la somme de 2.270.927 euros au titre de l'obligation de restituer l'intégralité des fonds déposés par [I] [N],

- la somme de 719.782 euros à titre de dommages intérêts pour fautes de gestion

- la somme de 457.347 euros en réparation de leur préjudice moral

- la somme de 60.000 euros au titre des frais irrépétibles

Après avoir indiqué que l'état de santé de [I] [N] était défaillant lorsqu'il a contracté avec la Banque Saga, ils font valoir que le tribunal n'a pas répondu à leur argumentation sur l'aveu de sa responsabilité par la banque Colbert.

Ils invoquent la gestion catastrophique qui a été faite du portefeuille de titres par [O] [B], directeur d'agence que la banque Colbert a licencié le 29 novembre 1993 et indiquent qu'avec des dépôts de 15 millions de francs et un portefeuille de titres de 1.456.229 francs, le compte est en quelques mois devenu débiteur de 734.815 francs, alors qu'aucun découvert n'était autorisé ;

que le portefeuille de titre a été réduit à 125.709 francs.

Ils exposent que lorsqu'ils se sont aperçus de la gestion catastrophique, ils ont entrepris plusieurs démarches auprès de la Banque Colbert qui est restée dans une position de déni, mais a fait établir un audit au vu duquel elle a licencié [O] [B] le 29 novembre 1993.

Pour s'opposer à la demande en paiement de la société CDR Créances ils font valoir :

- qu'au jour du transfert de la banque Saga à la banque Colbert, il n'existait pas de convention de découvert autorisé,

- que la société CDR Créances ne peut dès lors prétendre au paiement d'intérêts contractuels,

- qu'une somme de 337.824,78 euros a été indûment prélevée sur les dépôts confiés par [I] [N],

- que la demande au titre du solde débiteur du compte en francs suisses ne peut prospérer, ce compte ne figurant pas dans le transfert de la banque Saga et aucune convention ou accord de [I] [N] n'étant produit en vue de l'ouverture de ce compte.

Sur l'obligation de restituer, ils font valoir que la banque a failli à ses obligations de dépositaire, qu'elle doit justifier de chaque ordre donné et que ce sont ses erreurs qui ont contribué à rendre le compte débiteur de 3.168.090 euros.

Sur leurs demandes indemnitaires, ils font valoir que la société CDR Créances a commis des fautes et des négligences en raison de la gestion désastreuse du compte par [O] [B] et en raison de la faille dans le dispositif de contrôle.

Ils exposent sur ce point que [O] [B] a été licencié pour avoir accordé des concours sans l'accord préalable du comité de crédit.

Ils invoquent les conclusions de l'audit du 9 novembre 1993 qui établit à lui seul la preuve des griefs invoqués contre la banque et des fautes qu'elle a commises :

- dans la gestion du compte,

- dans la souscription prématurée d'un contrat d'assurance vie sur le rachat duquel une pénalité a été appliquée,

- dans la gestion patrimoniale marquée par une utilisation abusive des pouvoirs et des mandats,

- par la violation du secret bancaire

Ils en concluent que la société CDR Créances doit restituer l'intégralité des fonds remis soit 14.896.307 francs et leur payer des dommages intérêts réparant leur préjudice financier (4.714.574 francs) et leur préjudice moral (3 millions de francs).

Dans ses dernières conclusions du 13 novembre 2015, la société CDR Créances demande à la cour de débouter les consorts [N] de toutes leurs demandes de confirmer le jugement, sauf en ses dispositions relatives aux intérêts contractuels et aux dommages intérêts et statuant à nouveau de condamner les consorts [N] à lui payer :

- la somme de 112.959,08 euros (740.962,98 francs)

- l'équivalent en euros de 1.763,81 francs suisses

- 10.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Elle rappelle que le 20 décembre 1991, [I] [N] a ouvert un compte dans les livres de la Banque Saga et lui a le même jour confié un mandat d'administration de titres nominatifs et un mandat de gestion d'un portefeuille de valeurs mobilières.

Elle expose que le compte de [I] [N] a enregistré de nombreux retraits et dépôts du jour de son ouverture au 20 juillet 1994, date à laquelle il présentait un solde débiteur de 839.526 euros qui n'a pas été régularisé en dépit de mises en demeure.

Elle observe que les consorts [N] ont pour la première fois au mois de juin 2013 développé une argumentation sur le contrat de dépôt et invoqué quelques faits fautifs selon eux, sans pour autant justifier du montant de leur préjudice.

Elle fait valoir que [I] [N] était un homme rompu aux affaires et conteste que la banque Colbert ait pu profiter de son état de faiblesse, observant qu'il n'a jamais été invoqué d'insanité d'esprit ou vice du consentement.

Sur sa demande en paiement

Elle soutient que c'est à juste titre que le tribunal a estimé fondées ses demandes au titre des soldes débiteurs des comptes, mais conteste le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande au titre des intérêts contractuels et en ce qu'il a alloué 88.050,82 francs à titre de dommages-intérêts aux consorts [N].

- Sur les intérêts contractuels, elle fait valoir que [I] [N] a régulièrement reçu ses relevés de compte sans jamais émettre de protestation, de sorte que les intérêts ont fait l'objet d'une approbation tacite ;

que le taux effectif global qui figure sur les relevés de compte vaut information suffisante.

- Sur les dommages-intérêts alloués, elle rappelle qu'au mois de mars 1993, il avait été proposé à [I] [N] de souscrire un contrat d'assurance vie, ce qu'il a fait à hauteur de 2.000.000 francs ;

que ce contrat devait garantir le remboursement d'un prêt de 1.800.000 francs destiné à l'acquisition d'un appartement, mais que [I] [N] ayant renoncé à la demande de crédit, c'est en toute connaissance de cause qu'il a procédé au rachat du contrat, ce qui a entraîné l'application d'une pénalité de 88.050 francs qui n'a profité qu'à l'assureur.

Sur les demandes des consorts [N]

Elle fait valoir successivement :

- qu'outre qu'ils n'expliquent pas comment ils chiffrent leur demande au titre de la restitution des fonds, le montant de 14.896.307 francs est inexact,

- que surtout, cette demande est infondée, les consorts [N] méconnaissant le principe du fonctionnement d'un compte bancaire qui est mouvementé au crédit et au débit, de sorte que c'est un non sens de réclamer la restitution du dépôt d'origine,

- que le dépôt d'origine a été diminué de tous les importants retraits faits par [I] [N] pendant 3 ans, qui ont abouti à la liquidation progressive de ses avoirs et à la situation négative dans laquelle il s'est retrouvé,

- que [O] [B] poursuivi pour avoir détourné ou dissipé au préjudice de [I] [N] des deniers qui lui avaient été remis à titre de dépôt, a été relaxé par la cour le 29 janvier 2013,

- que [I] [N] n'a jamais contesté les opérations faites sur son compte, ni le solde débiteur alors qu'il recevait régulièrement ses relevés de compte,

- qu'il n'est pas démontré que la contrepassation de l'écriture de 1.168.090 francs a été faite à tort,

- que le chèque de 500.000 francs libellé par [I] [N] 'à l'ordre de moi-même' a été régulièrement débité,

- que la banque ne disposait pas d'un mandat général pour administrer le patrimoine de [I] [N] et qu'elle ne pouvait elle-même mouvementer le compte en dehors des opérations liées au mandat de gestion,

- que le mandat de gestion n'implique pas pour la banque l'obligation de maintenir constamment le solde créditeur,

- que la banque Colbert n'a jamais reconnu sa responsabilité dans la gestion du compte de [I] [N],

- que le rapport d'audit établit que [I] [N] a bénéficié d'une certaine complaisance de la banque qui lui a permis des engagements supérieurs à ceux auxquels il aurait dû avoir droit, mais que les carences dans les procédures internes ont uniquement préjudicié à la banque,

- qu'aucune société n'a été constituée à l'insu de [I] [N]

- que le grief concernant la violation du secret bancaire n'est étayé par aucun commencement de preuve,

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 novembre 2015.

DISCUSSION

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées.

La demande de la société CDR Créances porte sur le solde débiteur du compte de dépôt n° 7396-00001 au 21 juillet 1994 (soit 839.526 francs ramenés à 740.962,98 francs) et sur le solde du compte n° 7396-00003 tenu en francs suisses (1.763,81 francs suisses).

Les consorts [N], héritiers de [I] [N] répliquent que non seulement ils ne doivent rien de ce chef, mais que la société CDR Créances doit encore leur restituer l'intégralité des fonds déposés à la banque lors de l'ouverture du compte qu'ils évaluent à 14.896.307,15 francs et les indemniser du préjudice matériel et du préjudice moral causés par les fautes de gestion.

Le montant total de leurs réclamations s'élève à 3.448.805,56 euros (22.622.677 francs).

Sur la demande de restitution du dépôt initial

Leur réclamation au titre de l'obligation de restituer prévue par l'article 1937 du code civil procède de l'affirmation selon laquelle la banque Colbert est responsable de « l'hémorragie » des comptes de [I] [N] et qu'elle n'a rien mis en 'uvre pour l'éviter.

Ils soutiennent encore que des fonds se sont volatilisés.

Les relations de [I] [N] avec la banque Saga ont débuté le 20 décembre 1991 par l'ouverture d'un compte de dépôt ordinaire, la conclusion d'un mandat de gestion d'un portefeuille de valeurs mobilières et le mandat d'administration de titres nominatifs.

La société CDR Créances écrit en page 10 de ses conclusions, sans être contredite par les appelants, que les apports faits par [I] [N] se sont en réalité élevés à 12.271.988 francs en espèces et 1.456.229 francs en titres et non à 14.896.307,15 francs comme il est soutenu.

Les consorts [N] ne formulent aucune critique sur la gestion de la banque Saga au cours de l'année 1992, alors même que dans un courrier du 14 octobre 1992, [I] [N] reconnaissait qu'après une période de débit, son compte était devenu créditeur (pièce appelants 42).

Le relevé de compte établi par la banque Saga le 31 décembre 1992 (il s'agit du dernier relevé de compte avant la poursuite des relations contractuelles avec la banque Colbert) mentionne qu'à cette date [I] [N] détenait 899.485 francs en actions, 3.479.937,51 francs en Sicav et que son compte bancaire était créditeur de la somme de 6.033,65 francs, soit un montant total de 4.385.456 ,16 francs.

Cette pièce établit qu'au cours de l'année 1992, les avoirs de [I] [N] étaient de son fait, passés de 13.728.217 francs à 4.385.456 ,16 francs, de sorte que la demande de restitution de l'intégralité du dépôt d'origine n'a aucune pertinence.

Les relevés du compte de dépôt du mois de janvier 1993 au mois de juillet 1994 mentionnent des opérations au crédit caractérisées par des remises de chèques, des rachats de placement, la perception de dividendes, des virements, des ventes de titres.

Les opérations au débit sont constituées par l'émission de chèques, la réalisation de virements, des retraits, l'achat de titres.

Du mois de janvier 1993 au mois de juillet 1994, date de la clôture du compte, [I] [N] n'a jamais émis la moindre protestation sur la tenue de ses comptes et il résulte des pièces produites aux débats de part et d'autre, qu'il suivait ses affaires avec diligence, sans donner aucun signe de faiblesse, ainsi qu'il résulte des nombreux échanges avec sa banque, illustrés notamment par :

- un courrier du 15 janvier 1993 dans lequel il donne son accord pour l'ouverture d'un compte au sein de la filiale de la banque au Luxembourg dans le but d'y transférer différents titres dont il dispose dans ce pays dans deux banques et dans lequel il évoque la possibilité de se défaire de certains titres dont le rendement s'est avéré médiocre,

- un chèque de 500.000 francs daté du 10 mai 1993 et établi à l'ordre de 'moi-même',

- un courrier du 24 mai 1993 dans lequel il indique au siège parisien de la banque Colbert qu'il renonce à un projet à Méribel s'étant engagé dans un autre investissement,

- un courrier manuscrit du 25 juin 1993 dans lequel il sollicite une avance de 80 % sur le montant de la souscription du contrat Elysis, ce qui a donné lieu à un virement de 835.902 francs,

- la procuration qu'il a donnée le 30 juin 1993 à la banque Colbert en vue de la constitution et de la gestion d'une Sarl de patrimoine dénommée JPB.

- un courrier du 10 novembre 1993 dans lequel il demande d'annuler un contrat d'assurance et de recréditer son compte de la somme de 600.000 francs,

- un courrier du 28 novembre 1993 dans lequel il annule une demande de crédit de 1.800.000 francs et demande que le montant du contrat d'assurance vie soit reversé sur son compte 7396-00001. Il sollicite également un transfert avec la banque Colbert Luxembourg auprès de laquelle il détient des comptes.

- un courrier du 31 décembre 1993 dans lequel il formule diverses réclamations.

Non seulement aucun de ces documents n'établit que [I] [N] en état de faiblesse, a été tenu éloigné de la gestion de ses comptes, mais les consorts [N] produisent eux-mêmes les nombreux chèques établis de la main de [I] [N] et signés par lui courant 1993 (35 copies).

C'est à juste titre que la société CDR Créances fait valoir que la demande des consorts [N] procède d'une méconnaissance du principe du fonctionnement d'un compte qui est mouvementé au crédit comme au débit.

L'ensemble des pièces produites établit que c'est [I] [N] et lui seul qui a rendu son compte débiteur, ainsi qu'il l'avait précédemment fait avec la banque Saga.

Rien dans les quelques pages du rapport d'audit interne établi par la banque Colbert et abondamment commenté par les consorts [N], ne corrobore l'affirmation selon laquelle 9.941.706 francs se sont volatilisés à l'insu de [I] [N].

Si des défaillances ont été mises en évidence, elles concernent la progression du débit du compte à l'initiative de [I] [N], raison pour laquelle [O] [B] directeur d'agence a été licencié pour insuffisance professionnelle.

Contrairement à ce que soutiennent les appelants, la banque Colbert n'a jamais reconnu sa responsabilité dans la position débitrice des comptes.

Au surplus, elle n'avait pas à alerter [I] [N] homme d'affaires avisé, sur la diminution de ses actifs dont il était seul responsable.

Quant à l'argumentation que les appelants développent sur le rôle spoliateur de [O] [B], elle ne peut prospérer en l'état de l'arrêt rendu le 29 janvier 2013 par la cour d'appel d'Aix en Provence, qui a jugé qu'il ne peut être considéré que des espèces ont été prélevées sur les fonds déposés sur les comptes de [I] [N] et à l'insu de celui-ci.

S'agissant du portefeuille de titres, les consorts [N] qui procèdent par affirmation d'une gestion catastrophique concentrent toute leur argumentation sur le compte de dépôt sans détailler en quoi la banque a été défaillante dans la gestion du portefeuille de valeurs mobilières et dans l'administration des titres nominatifs.

La demande de restitution de la somme de 2.270.927 euros (14.896.307,15 francs) ne peut manifestement pas prospérer.

Il n'est pas nécessaire d'insister davantage sur son absence de cohérence, les consorts [N] ne s'expliquant pas sur la différence entre la somme de 14.896.307,15 francs qu'ils réclament et les 9.941.706 francs qui se seraient selon eux 'volatilisés'.

Sur la demande de dommages-intérêts en raison des fautes de gestion.

Les consorts [N] sollicitent l'indemnisation à hauteur de 719.782 euros du préjudice financier que leur ont causé les fautes de gestion de la banque.

- Sur la perception d'intérêts contractuels

Les appelants font valoir que la banque ne pouvait en l'absence de convention de découvert prétendre au paiement d'intérêts contractuels.

Ils évaluent à 337.824,78 francs le montant des intérêts indûment prélevés.

Certes le 14 octobre 1992, il a été mis un terme par les parties à la convention de découvert signée le 31 janvier 1992 avec la banque Saga.

Mais il ressort des pièces 23, 24 et 25 produites par les appelants que [I] [N] recevait des relevés de compte à son domicile à [Localité 2].

Sur ces relevés apparaissent à la fois le montant des intérêts prélevés et le taux effectif global pratiqué.

Il s'en déduit que la convention portant stipulation d'un taux d'intérêt conventionnel s'est valablement formée par la réception des relevés de compte sans protestation de la part du titulaire du compte.

La demande de la société CDR Créances au titre des intérêts contractuels est justifiée et le jugement sera infirmé en ce qu'il l'a rejetée.

- Sur les erreurs dans la tenue du compte

Il ressort d'un relevé de compte du mois de janvier 1993, que le 11 janvier 1993, ont été portés au crédit du compte 7696-01 un chèque de 214.676 francs et un chèque de 953.414 francs. Le montant cumulé de ces chèques est de 1.168.090 francs.

La société CDR Créances explique sans être contredite que par suite d'une erreur la somme de 1.168.090 francs a été créditée une seconde fois, ce qui apparaît sur le relevé de compte à la date du 12 janvier sous la mention « remise chèques ».

La contrepassation de l'écriture a été faite au mois de septembre 1993 lorsque la banque Colbert s'est aperçue de son erreur. Une mention «Annul écriture du 12/01/93 » apparaît effectivement sur le relevé de compte du mois de septembre 1993.

Mais l'erreur n'aurait pas été préjudiciable, si [I] [N] qui ne pouvait l'ignorer compte tenu du montant important de la somme créditée à tort, l'avait signalée à la banque plutôt que l'utiliser comme il l'a fait pendant plusieurs mois.

Cette attitude que la banque n'a pas manqué de lui reprocher dans un courrier du 25 janvier 1994, est seule à l'origine du préjudice causé par la contrepassation tardive et aucune demande de dommages-intérêts de ce chef ne peut prospérer.

Au demeurant, la banque a tenu compte de son erreur en ramenant sa réclamation initiale de 839.526,44 francs à 740.962,98 francs.

- Sur la souscription d'un contrat d'assurance vie

Les consorts [N] reprochent à la banque d'avoir fait souscrire à [I] [N] un contrat d'assurance vie pour un montant de 2 millions de francs en garantie d'un prêt immobilier de 1.800.000 francs qui n'a finalement pas été contracté.

Mais aucun élément ne vient corroborer l'affirmation selon laquelle la banque est fautive, alors qu'il résulte d'un courrier du 21 octobre 1993 que la banque avait donné son accord pour le prêt, (pièce 55), mais que c'est [I] [N] qui y a renoncé le 28 novembre 1993 pour des raisons qui lui appartiennent.

Il a, à cette occasion, adressé à la banque un courrier dépourvu de toute ambiguïté :

« Je vous prie de bien vouloir annuler ma demande de crédit de Frs 1.800.000 et par la même occasion de verser les 2.000.000 d'assurance vie souscrite chez ELYSIS pour garantir ce crédit.

Veuillez créditer mon compte N ° 00739600001-44 de ce montant et transférer de Colbert Luxembourg le solde de mon compte sur celui de [Localité 3]. Ensuite je vous solderai le compte débiteur restant .»

[I] [N] ayant agi en toute connaissance de cause, ses héritiers ne peuvent solliciter à titre de dommages-intérêts, le montant de la pénalité que lui a appliquée l'assureur pour le rachat du contrat.

Les consorts [N] seront déboutés de leur demande de ce chef et le jugement infirmé en ce qu'il a condamné la banque au paiement de la somme de 88.050,82 francs à titre de dommages intérêts.

Sur les fautes dans la gestion patrimoniale

Les consorts [N] reprochent à la banque Colbert d'avoir effectué des opérations en utilisant abusivement des mandats.

Mais aucune société n'a été constituée sans que [I] [N] en soit à l'origine.

Ainsi qu'il a été vu précédemment, [I] [N] a le 30 juin 1993 donné procuration à la banque Colbert en vue de la constitution et de la gestion d'une EURL de patrimoine dénommée JPB.

Il n'est pas étonnant dès lors que ce soit la signature du représentant de la banque Colbert à laquelle il a donné pouvoir, qui figure sur l'acte de constitution de la société et ce n'est pas sans une certaine légèreté que les appelants se livrent en page 16 de leurs conclusions à des comparaisons de signatures, pour soutenir que [I] [N] ne peut être le signataire des statuts.

Aucun abus n'est établi et [I] [N] a d'ailleurs rappelé à sa banque dans un courrier du 21 juin 1994 qu'elle assumait la constitution et la gestion de cette société.

S'agissant de l'opération que les appelants dénomment « La Tarentaise » dans leurs écritures, il résulte d'un courrier du 24 mai 1993 que [I] [N] qui s'était engagé sur un autre investissement n'a pas donné suite au projet.

Il s'en est d'ailleurs excusé en ces termes :

'J'en suis désolé et vous prie de m'excuser de ce contretemps, restant néanmoins convaincu que vous trouverez facilement un ou plusieurs autres investisseurs pour cette affaire qui m'avait, je dois dire, beaucoup plu, lors de ma visite.'

En l'absence de toute faute dans la gestion patrimoniale, les appelants ne sont pas fondés à réclamer des dommages intérêts, étant de surcroît observé qu'aucune pièce ne vient illustrer le montant de 18.835,74 francs qu'ils avancent.

Sur la violation du secret bancaire

Ce grief part du postulat que [I] [N] accordait des prêts à des personnes physiques ou morales clientes de la banque Colbert et que son compte 'était devenu la béquille des comptes débiteurs ouverts à la banque Colbert'.

Mais aucune pièce n'est produite pour établir la réalité de la faute invoquée et pour justifier l'allocation à chacun des héritiers de [I] [N] de la somme de un million de francs.

***

Il résulte de tout ce qui précède que les héritiers de [I] [N] doivent être condamnés au paiement des soldes débiteurs des deux comptes et déboutés de toutes leurs demandes à l'encontre de la société CDR Créances.

Leur contestation de l'existence du compte n° 7396-00003 tenu en francs suisses ne peut prospérer, [I] [N] n'ayant jamais protesté quant à l'existence de ce compte à réception des relevés de compte à son domicile (pièce 25).

Ainsi, il sera fait droit à la demande de la société CDR Créances et les consorts [N] condamnés à lui payer :

- la somme de 112.959,08 euros outre intérêts au taux légal à compter du 28 novembre 1994 au titre du solde du compte n° 7396-00001

- l'équivalent en euros de la somme de 1.763,81 francs suisses, outre intérêts au taux légal à compter du 28 novembre 1994 au titre du solde du compte n° 7396-00003.

Il sera alloué à la société CDR Créances la somme de 8.000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement

- Infirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société CDR Créances de sa demande au titre des intérêts contractuels et en ce qu'il a alloué aux consorts [N] la somme de 88.050,82 francs à titre de dommages intérêts.

- Statuant à nouveau, déboute les consorts [N] de toutes leurs demandes et les condamne à payer à la société CDR Créances :

la somme de 112.959,08 euros outre intérêts au taux légal à compter du 28 novembre 1994 au titre du solde du compte n° 7396-00001.

l'équivalent en euros de la somme de 1.763,81 francs suisses outre intérêts au taux légal à compter du 28 novembre 1994 au titre du solde du compte n° 7396-00003.

- Condamne les consorts [N] à payer à la société CDR Créances la somme de 8.000 euros au titre des frais irrépétibles.

- Les condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 8e chambre c
Numéro d'arrêt : 13/13130
Date de la décision : 17/12/2015

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 8C, arrêt n°13/13130 : Autres décisions constatant le dessaisissement en mettant fin à l'instance et à l'action


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-12-17;13.13130 ?
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