COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
8e Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 26 NOVEMBRE 2015
N° 2015/ 632
Rôle N° 13/13299
SA BANQUE POPULAIRE PROVENCALE ET CORSE
C/
[U] [U]
Grosse délivrée
le :
à :BOLLET
BENHAMOU-KOSKAS
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 10 Juin 2013 enregistré au répertoire général sous le n° 12/06905.
APPELANTE
SA Banque Populaire Provençale et Corse, prise en la personne de son représentant légal, dont le siège est sis [Adresse 1]
représentée par Me Marc BOLLET, avocat au barreau de MARSEILLE et assistée de Me Jérôme DE MONTBEL, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
Madame [U] [U]
née le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 1], demeurant [Adresse 2]
représentée et assistée de Me Karen BENHAMOU-KOSKAS, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 20 Octobre 2015 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Claudine PHILIPPE, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Hélène COMBES, Président
Madame Françoise DEMORY-PETEL, Conseiller
Madame Claudine PHILIPPE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 Novembre 2015
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Novembre 2015,
Signé par Madame Hélène COMBES, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Le 15 juillet 2009, [U] [U] a ouvert un compte dans les livres de la Banque Populaire Provençale et Corse ( la banque populaire).
A compter de décembre 2010, plusieurs incidents de paiement sont intervenus et ont été notifiés par la banque à [U] [U].
S'apercevant que des opérations bancaires avaient frauduleusement été effectuées pour son compte par son frère [Y] [U] au moyen d'une procuration datée du 19 octobre 2009, [U] [U] a déposé plainte le 14 décembre 2010 contre ce dernier.
[Y] [U] a été condamné le 9 juillet 2012 par le tribunal correctionnel de Marseille, des chefs de faux et usage de faux, la prévention visant expressément la procuration établie au préjudice de [U] [U].
Par acte d'huissier du 24 mai 2012, [U] [U] a assigné la banque populaire devant le tribunal de grande instance de Marseille afin de voir reconnaître la responsabilité contractuelle et, subsidiairement, delictuelle de l'établissement bancaire.
Par jugement du 10 juin 2013, cette juridiction a retenu la responsabilité contractuelle de la banque populaire et a :
-débouté cette dernière de toutes ses prétentions,
-l'a condamnée à payer à [U] [U] la somme de 33 399,18 euros au titre du préjudice matériel, la somme de 2 500 euros au titre du préjudice moral, la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
-ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Le 26 juin 2013, la banque populaire a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions du 13 janvier 2014, elle demande à la Cour de :
- infirmer la décision déférée sauf en ce qu'elle a déclaré que la responsabilité délictuelle de la banque ne peut être recherchée,
- débouter [U] [U] de ses prétentions et condamner cette dernière au paiement :
d'une somme de 1 429,26 euros au titre du solde débiteur du compte bancaire outre intérêts au taux légal,
d'une somme de 1 249,27 euros au titre du prêt consenti le 25 octobre 2009, outre intérêts au taux conventionnel,
d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et des entiers dépens de première instance et d'appel,
- ordonner la capitalisation des intérêts.
La banque populaire soutient qu'aucune responsabilité ne peut être retenue à son encontre dans la mesure où elle a respecté toutes ses obligations contractuelles.
S'agissant de la procuration litigieuse, elle conteste le fait que ce document ait pu être signé en dehors de ses locaux et ajoute que les signatures qui y figurent ne présentent pas d'anomalie flagrante.
Elle fait valoir que le prêt dont elle réclame le paiement a effectivement été signé par [U] [U], qu'il n'est pas concerné par la prévention du chef de laquelle [Y] [U] a été condamné pénalement et qu'il doit être réglé par sa cliente.
La banque conteste par ailleurs l'existence d'un préjudice en lien de causalité avec son comportement prétendument fautif.
Subsidiairement, elle demande à la Cour de retenir que [U] [U] a commis une faute en tardant à alerter la banque sur les mouvements opérés sur son compte alors qu'elle recevait chaque mois un relevé de ces opérations et de dire que cette inertie, qui est la cause de l'éventuel préjudice subi, ne décharge pas [U] [U] de son obligation de régler le solde débiteur du compte et les sommes dues au titre de son emprunt.
Par ses dernières conclusions du 13 mars 2014 [U] [U] demande à la Cour de :
- confirmer le jugement déféré sauf en ce qui concerne le montant des sommes allouées au titre du préjudice matériel,
- condamner la banque à lui verser, à ce titre, la somme globale de 48 463,10 euros,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- condamner la banque au paiement d'une somme de 3 000 Euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.
[U] [U] conteste avoir signé une procuration au profit de son frère et reproche à l'établissement bancaire d'avoir manqué à ses obligations en ne procédant à aucune vérification quant aux signatures apposées sur le document et quant aux opérations effectuées sur son compte.
S'agissant des prêts conclus en son nom, elle conteste en être la signataire et, en tout état de cause, reproche à la banque de ne pas avoir respecté son obligation de mise en garde lors de leur souscription.
Elle indique qu'aucune faute ne peut lui être reprochée dans la mesure où, du fait de son handicap, elle n'a jamais eu connaissance des courriers simples de la banque, qui étaient relevés par son frère.
Enfin, elle indique que le juge civil n'est pas tenu par l'évaluation du dommages retenue par le juge pénal dans la mesure où les actes litigieux qui sont soumis à son appréciation sont plus larges que ceux reprochés à [Y] [U] dans le cadre de la procédure correctionnelle.
L'ordonnance de clôture est en date du 13 octobre 2015.
MOTIFS
Sur la responsabilité de la banque quant à la procuration litigieuse
Attendu que [U] [U] soutient que la banque populaire a manqué à son devoir de vigilance en ne vérifiant ni les signatures apposées sur la procuration litigieuse ni l'utilisation qui a été faite de ce mandat ;
Que [Y] [U] a été condamné pénalement pour avoir établi et utilisé frauduleusement cette procuration de sorte qu'il convient de considérer que ce document est un faux ;
Attendu que dans le cadre du litige soumis à la Cour, il y a lieu de rechercher si la banque a commis une faute, sachant que tout établissement bancaire est tenu à un devoir de vigilance dans le cadre du fonctionnement des comptes bancaires de ses clients et qu'il lui appartient de vérifier l'authenticité apparente des signatures et mentions apposées sur les documents bancaires ;
Qu'en l'espèce, l'examen de la procuration révèle que cette dernière comporte une signature présentant des similitudes certaines avec des signatures non contestées par l'intimée, telles que les signatures figurant sur la fiche d'ouverture du compte chèque (pièce 1 de l'appelante), sur la photocopie de la pièce d'identité de [U] [U] (pièce 6 de l'appelante), ou sur les conditions particulières de la convention de compte de dépôt (pièce 4 de l'appelante) ;
Que la forme des lettres est la même et qu'il existe à la fin de la signature le même trait particulier incliné vers la gauche ;
Qu'en outre, la mention manuscrite ' Lu et approuvé ' rédigée sur l'acte litigieux au nom de [U] [U] présente un graphisme identique à celui de la même mention écrite sur le document intitulé 'conditions particulières de la convention de compte de dépôt', que [U] [U] ne conteste pas avoir rempli ;
Que l'on se reportera à la façon dont la barre du 't' est placée ;
Qu'au surplus, la procuration litigieuse a été rédigée le même jour qu'une procuration inverse, par laquelle [Y] [U] donnait pouvoir à sa soeur pour le représenter dans la gestion de ses comptes ; Que l'intimée demeure silencieuse quant à ce deuxième mandat émis à son profit de manière concomitante et qu'elle ne conteste pas ;
Qu'au regard de ces éléments, il convient de considérer qu'une lecture normalement attentive de la procuration litigieuse ne permettait pas à la banque de déceler des anomalies apparentes ;
Qu'aucun défaut de vigilance ne peut être retenu à l'encontre de la banque populaire tant en ce qui concerne l'établissement de cette procuration que son utilisation ;
Qu'il sera relevé à cet égard :
1) que le seul fait d'avoir transféré une somme du PEL de [U] [U] vers le compte bancaire de cette dernière n'avait pas, en lui-même, un caractère anormal,
2) que les prélèvements effectués sur le compte de [U] [U] au profit de son frère n'étaient pas de nature à alerter l'établissement bancaire dans la mesure où ces prélèvements existaient déjà avant la rédaction de la procuration litigieuse,
Qu'aucune demande indemnitaire ne peut, dès lors, être formée à l'encontre de la banque populaire et [U] [U] sera déboutée de ce chef ;
Qu'en exécution de la convention de compte de dépôt la liant à [U] [U], la banque est en droit de lui réclamer le solde débiteur de ce compte ;
Qu'à ce titre, la banque populaire réclame le paiement d'un solde à hauteur de 1420,62 euros arrêté au 22 mars 2011 ;
Que cependant, le solde débiteur d'un compte de dépôt ne devient exigible qu'à la clôture du compte et les pièces produites par la banque elle-même démontrent que le compte de [U] [U] a continué à fonctionner après cette date ;
Que ce n'est que par courrier du 12 mai 2014 (pièce 26 de l'intimée) que la banque populaire a résilié la convention de compte de dépôt et mis en demeure sa cliente de lui régler le solde débiteur de 3,61 euros ;
Que [U] [U] sera condamnée à payer cette somme avec les intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2014 ;
Qu'en application de l'article 1154 du Code Civil, les intérêts seront capitalisés ;
Sur la responsabilité de la banque quant au prêt
Attendu que la Banque Populaire demande, reconventionnellement, la condamnation de [U] [U] au paiement d'une somme de 1 249,27 euros avec intérêts au taux conventionnel de 3,64 % à compter du 9 janvier 2013, et ce, au titre du prêt n° 116445 souscrit au nom de [U] [U] le 21 octobre 2009 pour un montant de 2500 euros ;
Que l'intimée s'oppose au règlement de cette somme en soutenant, d'une part, que ce n'est pas elle qui a signé ce contrat de prêt, et, d'autre part, que lors de la conclusion de cet emprunt la banque a manqué à son devoir de mise en garde ;
Attendu que s'agissant du premier moyen de défense, il y a lieu de constater que [U] [U] ne communique à la Cour aucun élément permettant de démontrer qu'elle n'est pas la signataire du contrat de prêt alors que la signature apposée sur ce document est similaire à d'autres signatures non contestées par elle ;
Qu'il ne ressort pas des pièces produites par les parties que le prêt litigieux était visé dans la citation à comparaître devant le tribunal correctionnel, délivrée à [Y] [U] ;
Que rien ne permet de retenir que [U] [U] n'a pas souscrit le prêt litigieux et que la banque a manqué à son devoir de vigilance ;
Attendu que s'agissant du devoir de mise en garde, il est subordonné à deux conditions, la qualité d'emprunteur non averti et l'existence d'un risque d'endettement ;
Qu'il n'est pas contesté que [U] [U] était un emprunteur non averti ;
Que s'il n'a pas été communiqué de renseignements précis sur les revenus et charges de [U] [U] en octobre 2009, les pièces produites aux débats permettent d'établir que l'intimée percevait une allocation adulte handicapé et une allocation pour le logement et qu'elle devait verser une somme mensuelle de 207,95 euros au titre d'un premier prêt souscrit en juillet 2008 auprès de la banque populaire ;
Qu'il n'est pas démontré que cet établissement de crédit ait eu connaissance d'autres charges grevant le budget de [U] [U] ;
Qu'au regard de ces éléments, il convient de considérer que le prêt litigieux, portant sur un montant de 2 500 euros remboursable en 30 mensualités de 87,31 euros, n'était pas inadapté aux capacités de remboursement de l'intimée ;
Que la banque populaire n'était tenue à aucun devoir de mise en garde et que la demande en dommages et intérêts formée de ce chef par [U] [U] sera rejetée ;
Que la banque populaire peut à juste titre réclamer, au titre du prêt, la somme de 1 249,27 euros avec intérêts au taux conventionnel de 3,64 % à compter du 9 janvier 2013, date des conclusions valant mise en demeure ;
Que [U] [U] sera condamnée à régler cette somme dont elle ne conteste pas le
quantum ;
Que les intérêts seront capitalisés en application de l'article 1154 du Code civil ;
Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les frais irrépétibles exposés par elle.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement et contradictoirement,
- Infirme le jugement déféré,
- Statuant à nouveau déboute [U] [U] de ses demandes indemnitaires,
- Condamne [U] [U] à payer à la société Banque Populaire Provençale et Corse la somme de 1 249,27 euros avec intérêts au taux conventionnel de 3,64 % à compter du 9 janvier 2013, au titre du prêt n° 116445, et la somme de 3,61 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2014, au titre du compte bancaire,
- Ordonne la capitalisation des intérêts,
- Déboute les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles,
- Condamne [U] [U] au paiement de dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT