COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 13 OCTOBRE 2015
G.T
N° 2015/
Rôle N° 14/15035
[R] [G]
[D] [L] épouse [G]
C/
SCP [J] [R] [J] [O]
Grosse délivrée
le :
à :Me Alligier
Me Guedj
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 24 Juin 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 12/01920.
APPELANTS
Monsieur [R] [G], demeurant [Adresse 1] ( RUSSIE)
représenté par Me Gilles ALLIGIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Estelle CIUSSI, avocat au barreau de NICE
Madame [D] [L] épouse [G], demeurant [Adresse 1] ( RUSSIE)
représentée par Me Gilles ALLIGIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me Estelle CIUSSI, avocat au barreau de NICE
INTIMEE
S.C.P [J] [R] [J] [O] , notaires associés, prise en la personne de Maître [T] [R]
demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me Philippe DUTERTRE, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 08 Septembre 2015 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, M.TORREGROSA, Président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Georges TORREGROSA, Président
Monsieur Olivier BRUE, Conseiller
Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mademoiselle Patricia POGGI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Octobre 2015
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Octobre 2015,
Signé par Monsieur Georges TORREGROSA, Président et Mademoiselle Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Les faits, la procédure et les prétentions :
Les époux [G] ont acquis de Madame [M] une propriété sise à [Adresse 3] , selon acte authentique reçu le 1er février 2005 par Maître [T] [R], notaire.
Ils exposent que pendant six années, ils ont bénéficié d'une rampe d'accès goudronné pour accéder à leur propriété , ce qui n'a plus été le cas à partir de 2011 , par l'effet d'un portail électrique placé sur le chemin par des propriétaires voisins, les consorts [S], ce qui les oblige à emprunter un escalier étroit de 99 marches pour arriver chez eux, cette montée étant impossible à Madame [G] à cause de son état de santé.
Les époux [G] ont tenté d'obtenir la consécration d'un droit de passage par voie judiciaire à l'encontre des époux [S] , et par acte en date du 4 avril 2012 ils ont assigné la société civile professionnelle notariale instrumentaire sur le fondement de l'article 1382 du Code civil , pour obtenir la réparation de leur préjudice en termes de pertes de valeur du bien, préjudice de jouissance, montant des dépenses dans le cadre des procédures engagées à l'encontre de leurs voisins, le tout après expertise et contre versement d'une provision de 75'000 €.
Par jugement contradictoire en date du 24 juin 2014, le tribunal de grande instance de Nice a prononcé un débouté global, et fait droit à une demande de dommages-intérêts pour procédure abusive à hauteur de 2000 €.
Les époux [G] ont relevé appel le 30 juillet 2014 de façon régulière et non contestée. Il sera fait application de l'article 455 du code de procédure civile.
Les appelants ont conclu le 28 octobre 2014 à la réformation, la cour retenant les fautes du notaire de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, avec condamnation indemniser l'ensemble des conséquences préjudiciables, à savoir la perte de la valeur du bien suite à la perte du droit d'usage du chemin d'accès, seul accès routier à la propriété, sous réserve de l'obtention par eux d'une décision judiciaire définitive à l'encontre des consorts [S] , et la perte du droit de jouissance de leurs biens, ainsi que l'immobilisation du bien qui en l'état ne peut être vendu, sauf à subir une décote ;
un expert sera désigné pour chiffrer le préjudice patrimonial et le préjudice de jouissance, et une provision de 75'000 € sera d'ores et déjà accordée , outre 7500 au titre des frais inéquitablement exposés.
La société civile professionnelle notariale [J] [R] , intimée , a conclu le 26 décembre 2014 à la confirmation , avec allocation d'une somme de 4000 € au titre des frais inéquitablement exposés.
L'ordonnance de clôture est en date du 8 septembre 2015 .
SUR CE :
Attendu que la vente authentique a été précédée d'un compromis en date du 17 décembre 2004, mentionnant in fine que :
« après lecture faite, les parties ont certifié exactes, chacune en ce qui la concerne, les déclarations contenues au présent acte, avec l'assistance de Madame [A], traductrice assermentée près la cour d'appel d'Aix... Laquelle a traduit et reproduit oralement et littéralement, du français au russe, l'entier contenu des présentes à Monsieur et Madame [G], qui ont déclaré bien comprendre le tout et l'approuver » ;
Attendu que ce compromis concerne la vente d'une propriété prenant son accés sur la route nationale et composée d'une maison et d'un terrain en nature de jardin « et escalier d'accès »;
Attendu qu'en page 12, l'acquéreur déclare avoir été parfaitement informé qu'une procédure a opposé la société venderesse à la propriété mitoyenne appartenant à Monsieur [S] concernant l'utilisation d'une voie d'accès par la route située entre ces deux propriétés, et qu'aux termes d'un arrêt, devenu définitif, rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 29 avril 76, la société demanderesse a été déboutée de ses prétentions ;
Attendu que l'acquéreur a déclaré en faire son affaire personnelle à l'entière décharge du vendeur et du notaire;
Attendu qu'il est enfin noté que « cependant, le vendeur confirme expressément avoir, depuis l'issue de ce procès, utilisé cet accès de manière paisible, publique et continue jusqu'à ce jour » ;
Attendu que l'acte authentique est intervenu le 1er février 2005, soit plus d'un mois plus tard, sans que les acheteurs ne se plaignent d'une quelconque entrave ou dissimulation à l'occasion des visites qu'ils ont pu exercer, sachant que les déclarations du vendeur sur le caractère paisible, public et continu de l'accès ne peuvent être prises en défaut, tant au moment du compromis qu'au moment de l'acte authentique , puisque les acheteurs concluent eux même avoir pu utiliser cet accès pendant six ans après leur achat ;
Attendu que l'acte authentique a été lui aussi passé avec la collaboration de la traductrice et comporte la même mention in fine ;
Attendu que l'acte authentique comporte la même mention sur l'information relative à l'arrêt de la cour en date du 29 avril 1976, avec la précision supplémentaire :
« l'acquéreur déclarant faire son affaire personnelle à l'entière décharge du vendeur et du notaire, desquels il déclare avoir reçu toutes informations ainsi que par lecture qu'il a pu faire tant de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 29 avril 76 que du jugement réformé du tribunal de grande instance de Nice en date du 15 janvier 1975, dont copies demeureront ci-jointes et annexées après mention »;
Attendu que le vendeur a réitéré sa déclaration relative à l'utilisation de cette route d'accès de manière paisible, publique et continue jusqu'à ce jour, depuis l'issue du procès , déclaration dans la véracité est justifiée par les propres conclusions des appelants , qui indiquent que les [S] ont installé un portail, mais seulement six ans après leur achat ;
Attendu qu'il se déduit tout d'abord de ce rappel que le notaire a entendu prendre toutes précautions, s'agissant d'acheteurs de nationalité russe , et qu'ainsi la collaboration d'une traductrice assermentée a été requise , les acheteurs soutenant maintenant que les annexes, à savoir les deux décisions de justice essentielles , n'auraient pas été traduites , alors que l'acte authentique comporte en page 14 mention de la lecture par l'acheteur de l'arrêt et du jugement;
Attendu qu'il suffit de lire le compromis et l'acte authentique pour établir qu'aucun accès carrossable n'y était mentionné, mais un escalier d'accès , ce qui n'a pu échapper aux acheteurs, puisque précisément le jugement qu'ils ont lu après traduction et l'arrêt évoquent de façon centrale l'insuffisance de cet accès , selon l'argumentation à l'époque de leur auteur, argumentation similaire à celle soutenue à ce jour à l'encontre des époux [S] dans une instance distincte ;
Attendu que de façon expresse et parfaitement claire même après traduction , les décisions de justice annexées ont débouté la société auteur des appelants , le terme de débouté , aisément compréhensible après traduction même pour des acheteurs russes profanes en matière juridique, signifiant bien que leur auteur n'avait pas prospéré dans son action visant à consacrer l'état d'enclave et à obtenir l'accès carrossable ;
Attendu que l'arrêt de 1976 dispose bien que la société civile particulière l'heure bleue n'est pas enclavée et que cette société n'a pas la possession de la voie privée appartenant à [S] ;
Attendu que les acheteurs appelants soutiennent pour autant qu'ils ont été en quelque sorte rassurés par la déclaration de leur vendeur sur l'utilisation paisible de l'accès routier depuis le procès , ce qui aurait du donner lieu à quelques vérifications, et même interrogation et investigation du notaire auprès des [S] ;
Mais attendu que le notaire n'a aucune obligation de visiter les lieux, pas plus qu'il n'avait à interroger des tiers à l'acte , sachant qu'en toute hypothèse ils n'auraient pu que le renvoyer à l'arrêt intervenu , sans pouvoir contester de fait la déclaration de leurs voisins sur la continuation d'un accès paisible, continu et paisible , ni pouvoir augurer de leur décision prise six ans plus tard de mettre fin à cet accès par la pose d'un portail;
Attendu que s'agissant de la déclaration elle-même faite par leur vendeur, il a été motivé supra sur sa réalité, la cour relevant d'ailleurs que ce dernier n'est pas dans la procédure, et n'est pas recherché en termes de consistance du bien vendu ou de garantie d'éviction, sans même évoquer le dol ou l'erreur ;
Attendu que dans ce contexte reprécisé , il convient de rappeler que le notaire était tenu de prêter son concours à la volonté d'authentification des parties d'un compromis comportant déjà l'information de l'existence d'un arrêt ayant statué sur l'accès routier par le fonds [S];
Attendu que sauf à minimiser la portée authentique des mentions relatives à la lecture des décisions de justice et à l'intervention d'une traductrice assermentée, la cour ne discerne pas l'information supplémentaire qui aurait dû être prodiguée , pas plus qu'elle ne discerne l'ambiguïté résultant de de la déclaration du vendeur, la seule certitude étant que les acheteurs ont accepté, tant lors du compromis que de l'acte authentique, d'acheter un bien disposant d'un accès par l'escalier, sans mention d'un autre accès, sinon par référence précisément à un arrêt ayant débouté leur auteur de ses prétentions quant à un état d'enclave permettant la possession de la voie privée appartenant au [S] ;
Attendu que même par le biais de l'obligation de conseil, l'argumentation des appelants consiste en réalité à exiger du notaire qu'il se livre à un commentaire des décisions de justice annexées , en augurant de la qualification de tolérance et de la révocabilité toujours possible en conséquence par les époux [S] , alors qu'il et vrai, ainsi que le déclare le vendeur dans l'acte , que depuis la décision de justice en 1976, il avait la possibilité d'accéder de façon paisible et continue par la voie carrossable des [S] , la situation de droit et de fait au moment de l'acte authentique étant ainsi parfaitement connue des acheteurs;
Attendu qu'au surplus, l'arrêt de 1976 a sous toutes réserves statué en matière possessoire , et la situation de droit n'est pas définitivement consacrée puisqu'un pourvoi en cassation est pendant dans le litige distinct opposant les acheteurs appelants et les voisins [S] ;
Attendu que le manquement du notaire à son obligation d'information et de conseil n'est donc pas établi, sachant qu'en toute hypothèse les appelants ont la charge de rapporter la preuve d'un lien direct avec le dommage allégué ;
qu'en d'autres termes , rien ne démontre avec certitude qu'à la date de l'acte authentique, une information qu'ils estiment plus complète , c'est-à-dire intégrant le risque qu'ils auraient ignoré (à supposer franchi l'obstacle résultant d'une absence de faute du notaire sur ce volet, ci-dessus motivée ) les aurait amenés soit à ne pas contracter , soit à contracter à d'autres conditions , hypothèse résultant de la définition qu'ils ont adoptée pour partie principale des dommages subis, à savoir une perte de valeur du bien , l'action visant en réalité dans ce dernier cas à un rééquilibrage de la convention qui n'est d'ailleurs pas opposable au notaire;
Attendu qu'enfin, et dés lors que le pourvoi est en cours , la cour ne peut que constater que la perte de valeur du bien allégué n'a aucun caractère actuel et certain ;
Attendu que c'est donc une confirmation du jugement de premier ressort qui s'impose , sans qu'il soit donc nécessaire d'ordonner une expertise sur la quantification des dommages allégués, la cour n'estimant pas en revanche qu'il convient de faire droit à la demande de confirmation de l'intimée sur le caractère abusif de la procédure , qui ne résulte pas ipso facto du caractère mal fondé de l'action ;
Attendu qu'il sera fait application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, pour un montant raisonnable que la cour estime à 2000 €.
PAR CES MOTIFS, LA COUR statuant contradictoirement :
Déclare l'appel partiellement fondé ;
Statuant à nouveau de ce seul chef, dit n'y avoir lieu à condamnation à dommages-intérêts pour procédure abusive;
Confirme pour le surplus le jugement de premier ressort ;
Condamne les appelants aux entiers dépens, qui seront recouvrés au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile, outre le paiement à l'intimée d'une somme de 2000 € au titre des frais inéquitablement exposés en cause d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT