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22/09/2015 | FRANCE | N°12/24430

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 18e chambre, 22 septembre 2015, 12/24430


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre



ARRÊT AU FOND

DU 22 SEPTEMBRE 2015



N° 2015/













Rôle N° 12/24430





[K] [C]



C/



SELARL SMJ



[Q] [F]



Syndicat CGT ALCATEL SPACE

[Localité 2]



AGS - CGEA DE

[Localité 5]



AGS- CGEA [Localité 4]



















Grosse délivrée

le :





à :>


Me Emmanuelle BOUSSARD-VERRECCHIA, avocat au barreau de PARIS



SELARL SMJ



Me James TURNER, avocat au barreau de TOULON



Me Josette PIQUET, avocat au barreau de TOULON



Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :



Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 22 SEPTEMBRE 2015

N° 2015/

Rôle N° 12/24430

[K] [C]

C/

SELARL SMJ

[Q] [F]

Syndicat CGT ALCATEL SPACE

[Localité 2]

AGS - CGEA DE

[Localité 5]

AGS- CGEA [Localité 4]

Grosse délivrée

le :

à :

Me Emmanuelle BOUSSARD-VERRECCHIA, avocat au barreau de PARIS

SELARL SMJ

Me James TURNER, avocat au barreau de TOULON

Me Josette PIQUET, avocat au barreau de TOULON

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section AD - en date du 11 Décembre 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 11/1669.

APPELANT

Monsieur [K] [C], demeurant [Adresse 4]

comparant en personne,

assisté de Me Emmanuelle BOUSSARD-VERRECCHIA, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

SELARL SMJ, prise en la personne de Me [Z], mandataire liquidateur de la société GERT, demeurant [Adresse 3]

non comparante- ni représentée

Maître [Q] [F], es qualité de mandataire liquidateur de la SAS GECI SERVICES, demeurant [Adresse 5]

représenté par Me James TURNER, avocat au barreau de TOULON

PARTIE(S) INTERVENANTE(S)

Syndicat CGT ALCATEL SPACE [Localité 2], demeurant Thales Alenia Space [Adresse 1]

représentée par Me Emmanuelle BOUSSARD-VERRECCHIA, avocat au barreau de

AGS - CGEA [Localité 5], demeurant [Adresse 6]

représenté par Me Josette PIQUET, avocat au barreau de TOULON

AGS- CGEA [Localité 4], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Josette PIQUET, avocat au barreau de TOULON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 18 Juin 2015 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Hugues FOURNIER, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Fabienne ADAM, Conseiller

Monsieur Jean-Bruno MASSARD, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Fabienne MICHEL.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2015.

ARRÊT

Réputé Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2015.

Signé par Monsieur Hugues FOURNIER, Conseiller faisant fonction de Président et Madame Fabienne MICHEL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [K] [C] était mis à la disposition de la société Alcatel Space, devenue Thalès Alénia Space (TAS), depuis le mois de juillet 2001, d'abord dans le cadre d'une mission d'intérim, puis dans celui de différents contrats de travail à durée déterminée puis indéterminée conclus successivement avec les sociétés Gert et Gert Ingénierie (Gert), en qualité de « contrôleur mécanique ».

Par courriers du 8 septembre 2010, le syndicat CGT adressait aux sociétés TAS et Gert sa liste de candidats aux élections des délégués du personnel du site de la société TAS à [Localité 2], sur laquelle figurait Monsieur [C] en qualité de titulaire.

Dans un courriel du 3 janvier 2011, le dirigeant de la société Gert informait Monsieur [C], faisant rappel d'échanges qui avaient eu lieu entre eux à ce sujet notamment en novembre et décembre 2010, de ce que « les activités de contrôle GERT pour TAS [Localité 3] se sont définitivement rompus le 31.1.2010 », et lui indiquant qu'il était dorénavant « dispensé de (se) rendre sur (son) précédent lieu de travail, le temps pour nous de vous proposer une solution de reclassement ... ».

Diverses propositions de reclassement étaient faites à Monsieur [C] au début de l'année 2011, qui les refusait.

Un courrier du 24 février 2011 lui notifiait son licenciement économique.

Avisée de ce que Monsieur [C] bénéficiait de la protection attachée à sa qualité de candidat aux élections professionnelles au sein de la société TAS, la société Gert revenait sur sa décision de le licencier et lui adressait le 11 avril 2011 un courrier l'informant de ce qu'il faisait toujours partie de ses effectifs, et un courrier le 18 avril 2011 pour lui proposer un poste d'ajusteur monteur à [Localité 2], toutes autres conditions de son contrat de travail demeurant inchangées.

Dans un courrier du 19 avril 2011, Monsieur [C] déclarait accepter que l'on revienne sur la décision de le licencier, et demandait expressément à retrouver un poste sur le site de TAS à [Localité 2].

Par courrier du 28 avril 2011, il sollicitait l'organisation d'élections de délégués du personnel au sein de la société Gert.

Cette dernière formulait des propositions de reclassement en mai 2011 et juin 2011 que Monsieur [C] refusait.

Le 1er juillet 2011, la société Gert était rachetée par la société Geci Services (Geci), qui devenait le nouvel employeur de Monsieur [C].

Elle présentait à ce dernier de nouvelles propositions de reclassement en septembre et novembre 2011, qui étaient rejetées.

Le 14 novembre 2011, elle lui notifiait un avertissement aux motifs qu'il s'était rendu à deux reprises, sans autorisation ou sans ordre de mission, sur le site de la société TAS, et qu'il avait refusé de se rendre dans ses locaux d' [Localité 1] le 24 octobre 2011, au prétexte de difficultés de déplacement.

Monsieur [C] était placé en arrêt maladie du 23 novembre 2011 au 6 décembre 2011.

Le 26 décembre 2011, il saisissait le conseil des prud'hommes de Toulon pour demander sa réintégration sur le site de la société TAS et le paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaire et de dommages et intérêts.

Le 30 janvier 2012, il était convoqué pour un entretien préalable à son licenciement.

Le 31 janvier 2012, le bureau de conciliation ordonnait à la société Geci de lui payer la somme de 622,48 euros nette correspondant à 10 jours de RTT au titre du mois de décembre 2011 et la somme de 81,60 euros représentant des frais de déplacement exposés en novembre 2011 pour les besoins d'une mission.

Le 12 mars 2012, la société Geci demandait l'autorisation de le licencier à l'inspection du travail.

Dans une décision du 3 mai 2012, l'inspecteur du travail disait que Monsieur [C] bénéficiait du statut de salarié protégé, que le lien entre le statut de demandeur d'organisation des élections de délégué du personnel puis de candidat à celles-ci et la demande d'autorisation de le licencier était établi, et refusait de donner son autorisation au licenciement.

Sur recours hiérarchique de la société Geci, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, dans une décision du 15 octobre 2012, annulait la décision de l'inspecteur du travail du 3 mai 2012, mais rejetait néanmoins la demande d'autorisation de licenciement, au motif que Monsieur [C] ne bénéficiait pas de la protection accordée aux représentants du personnel.

A compter du mois de novembre 2012 et jusqu'au mois de septembre 2013 la société Geci proposait quatre missions (identiques) à Monsieur [C], qui les refusait.

Elle le licenciait pour faute grave le 12 décembre 2013 aux motifs suivants :

« '

Par courrier du 26 septembre, nous vous avons confié une mission d'un mois à compter du 14 octobre 2013 auprès de GECI Systèmes [Localité 1].

'

Par courrier du 7 octobre, vous avez refusé cette mission, en prétendant quelle constituerait une discrimination syndicale.

C'est un prétexte que vous avez utilisé à plusieurs reprises pour vous dispenser d'exécuter votre contrat de travail.

Pourtant, par jugement du 11 décembre 2012, le Conseil de prud'hommes de Toulon a clairement jugé que vous ne faisiez l'objet d'aucune discrimination ni d'aucun harcèlement dans l'entreprise.

Il a au contraire relevé, je cite, notre « grande patience » à votre égard.

Aujourd'hui, nous ne sommes plus disposés à faire preuve d'une telle patience.

C'est la raison pour laquelle, par courrier du 9 octobre 2013, nous vous avons mis en demeure de vous présenter le 14 octobre sur le site d'[Localité 1], conformément à votre ordre de mission.

Vous ne vous y êtes pas rendu.

Depuis cette date, vous êtes donc en abandon de poste.

C'est d'autant plus grave que notre client GECI Systèmes, pour qui vous auriez dû intervenir, est actuellement en période de référencement par son propre client, la société Eurocopter. Vous lui avez donc fait courir le risque de perdre en crédibilité devant celui-ci.

'

Pour l'ensemble de ces raisons, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave.

... ».

*

Dans le jugement précité du 11 décembre 2012, le conseil de prud'hommes de Toulon a :

mis hors de cause la société Gert;

donné acte à la société Geci de la reprise du paiement des salaires de Monsieur [C];

constaté l'impossibilité d'ordonner à la société Geci la réintégration de Monsieur [C] au sein de la société TAS;

débouté Monsieur [C] de l'ensemble de ses demandes, dommages et intérêts en réparation des préjudices liés à la discrimination syndicale, au harcèlement moral, à la violation de l'obligation de sécurité, à l'impossibilité d'exercer le droit à la participation, à la sous-évaluation de la classification, et de la confirmation de l'ordonnance du bureau de conciliation;

a débouté le syndicat CGT Alcatel Space [Localité 2] de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral et financier, direct ou indirect;

débouté Monsieur [C] et le syndicat CGT Alcatel Space [Localité 2] de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

condamné Monsieur [C] aux dépens et à payer à la société Geci une somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [C] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 24 décembre 2012.

Les sociétés Gert et Geci ont respectivement fait l'objet d'une liquidation judiciaire les 6 février 2014 et 18 novembre 2014.

Dans des écritures du 18 juin 2015, reprises oralement à l'audience de ce même jour, Monsieur [C] demande à la cour de dire qu'il a fait l'objet d'un traitement discriminatoire en raison de son engagement syndical, de dire caractérisés des faits de harcèlement moral à son encontre, à titre subsidiaire, de dire que l'employeur a violé son obligation de sécurité de résultat en matière de santé et de sécurité visée à l'article L.4121-1 du code du travail, d'annuler son licenciement, de fixer au passif de la société Geci les sommes de 1.216 euros de dommages et intérêts pour absence d'évolution salariale, 25.000 euros de dommages et intérêts pour perte de chance d'obtenir un emploi stable et évolutif au sein de l'entreprise utilisatrice Thalès, 4.547,07 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 14 octobre 2013 au 11 décembre 2013, 13.200 euros de dommages et intérêts pour le licenciement nul, 4.400 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 440 euros au titre des congés payés y afférents, 6.073 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, 25.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral lié à la discrimination syndicale, 25.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice lié au harcèlement moral, à titre subsidiaire, 50.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la violation de l'obligation de sécurité de résultat, 64,60 euros au titre du remboursement de frais de déplacement, 500 euros de dommages et intérêts pour remise tardive et non conforme des documents de fin de contrat, 3,000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, les dépens, y compris les frais d'exécution éventuels, de fixer au passif de la société Gert les sommes de 25.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral lié à la discrimination syndicale, de 25.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice lié au harcèlement moral, de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, les dépens, y compris les frais d'exécution éventuels, d'ordonner sous astreinte la communication d'une attestation Pôle Emploi et d'un certificat de travail conformes, de confirmer l'ordonnance rendue le 31 janvier 2012 par le bureau de conciliation, d'ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, de dire que l'arrêt sera opposable aux AGS.

Dans des écritures du 18 juin 2015, reprises oralement à l'audience de ce même jour, le syndicat CGT Thalès Space [Localité 2] (le syndicat) demande à la cour de dire recevable son intervention volontaire, de fixer aux passifs des sociétés Gert et Geci les sommes de 5.000 euros de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice moral et financier, direct ou indirect, de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et les dépens, y compris les frais d'exécution éventuels.

Dans des écritures du 18 juin 2015, reprises oralement à l'audience de ce même jour, la Selu [Q] [F], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Geci, conclut à la confirmation du jugement, au débouté de Monsieur [C] et du syndicat CGT de l'ensemble de leurs demandes, à leur condamnation aux dépens.

Dans des écritures du 18 juin 2015, reprises oralement à l'audience de ce même jour, le CGEA AGS [Localité 5] demande à la cour de débouter Monsieur [C] de toutes ses demandes, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de dire que l'astreinte, l'article 700 et le préjudice moral du syndicat ne rentrent pas dans le cadre de sa garantie, de dire que cette garantie ne pourra intervenir que dans le cadre du plafond 6, subsidiairement et en tout état de cause, de fixer toutes créances en deniers ou quittance, de dire qu'il ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L.3253-6 à 8 du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L.3253-15 et L.3253-17 du code du travail, de dire que son obligation de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement.

Dans des écritures du 18 juin 2015, reprises oralement à l'audience de ce même jour, le CGEA AGS [Localité 4] demande à la cour de débouter Monsieur [C] de toutes ses demandes dirigées contre la société Gert, de le mettre ainsi que cette société hors de cause, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, subsidiairement et en tout état de cause, de fixer toutes créances en deniers ou quittance, de dire qu'il ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L.3253-6 à 8 du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L.3253-15 et L.3253-17 du code du travail, de dire que son obligation de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement.

La Selarl SMJ, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Gert, convoquée pour l'audience du 18 juin 2015 et ayant signé l'avis de réception de cette convocation, n'a pas comparu ni personne pour elle.

MOTIFS

1 / Aux termes de l'article L.1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions relatives au principe de non-discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Monsieur [C] présente un certain nombre de faits qu'il estime discriminatoires, à savoir : son éviction injustifiée du site de la société TAS à la suite du dépôt de sa candidature aux élections professionnelles, son premier licenciement illicite, des propositions de reclassement faites de mauvaise foi et constituant une « véritable mise au placard », la notification d'un avertissement injustifié, une absence de fourniture de travail et de versement, dans un premier temps, de son salaire du mois de décembre 2011 au mois de mai 2012, une absence d'évolution de sa carrière depuis la manifestation de son engagement syndical, son licenciement pour faute grave.

*

La cessation de la mise à disposition de Monsieur [C] sur le site de la société TAS, au tout début du mois de janvier 2011, a suivi de quelques semaines l'annonce de sa candidature à des élections professionnelles au sein de cette société.

Il n'est nullement établi, contrairement à ce que prétend la société Geci, que la mission de Monsieur [C] devait « naturellement prendre fin le 31 décembre 2010, terme originel du contrat entre la Société et la société THALES », quand ledit contrat originel n'est pas fourni aux débats, et quand Monsieur [C] démontre au contraire par des attestations de Monsieur [L] [X], ayant travaillé à la direction des achats au sein de la société TAS, et la production de « demande d'achat » émanant de cette société au profit de la société Gert, et portant sur des « prestations de contrôle en production », que la société Gert a maintenu à la disposition de la société TAS un contingent significatif de ses employés, en particulier dans le domaine d'activité dans lequel Monsieur [C] avait travaillé durant de nombreuses années, tout au long des années 2011 et 2012.

Il a été proposé à Monsieur [C] une première mission de contrôleur au sein de la société TAS le 24 juin 2011, qu'il a refusée, et une seconde mission de même nature le 27 septembre 2011, qu'il a acceptée.

Cependant cette seconde mission, prévue à l'origine pour durer deux mois, s'est terminée au bout de deux jours, pendant lesquels aucun travail n'a été confié à Monsieur [C], sur décision de la société TAS, au motif qu'elle n'avait finalement pas besoin de mise à disposition d'un contrôleur.

Pourtant, quelques jours plus tard, le 6 octobre 2011, un responsable d'activité de la société Geci proposait à un certain Monsieur [U], et non à nouveau à Monsieur [C], une mise à disposition au profit de la société TAS pour un poste de contrôleur, alors que cette mise à disposition nécessitait de former Monsieur [U] pendant un mois, ce qui n'aurait pas été nécessaire s'il avait été fait appel à Monsieur [C].

Si celui-ci ne peut en conclure que ces deux propositions de poste avaient été « fictives » et n'avaient pas correspondu à une réelle demande de la société TAS, il découle néanmoins de l'ensemble de ces éléments que le refus de la société TAS de poursuivre la mission à la fin du mois de septembre 2011 a été dicté par la considération de ce que c'était lui, et non un autre employé de la société Geci, qui avait été mis à disposition, et par suite, qu'est révélée la supposition d'une discrimination tenant à son engagement syndical, mais de la part de la seule société TAS, et non de celle des sociétés Gert et Geci, qui ne pouvaient imposer la mise à disposition de Monsieur [C] à leur cliente.

*

L'engagement d'une procédure de licenciement de Monsieur [C] pour motif économique dans les premiers mois de l'année 2011 sans autorisation préalable de l'inspection du travail, alors qu'il n'est pas discuté qu'il bénéficiait de la protection attachée à celui qui se porte candidat aux fonctions de délégué du personnel, laisse supposer l'existence d'une discrimination à raison de son appartenance syndicale, et la société Gert, dont il est rappelé qu'elle avait à l'époque tenté de justifier son omission de demander ladite autorisation en expliquant qu'elle avait cru que cette dernière n'était requise qu'en cas de licenciement pour motif personnel et non de licenciement pour motif économique, n'établit pas que sa décision de licencier Monsieur [C] aurait été fondée sur des éléments objectifs étrangers à cette discrimination, sa décision ultérieure d'annuler le licenciement ne pouvant valoir à cet égard.

En revanche, dès l'instant de cette annulation, et jusqu'au licenciement finalement décidé pour faute grave, aucune supposition de discrimination syndicale ne peut être retenue, quand on considère le nombre, la nature, et la localisation des propositions de reclassement qui ont été faites, tant par la société Gert que par la société Geci, à Monsieur [C], qui n'est pas fondé à soutenir qu'elles auraient été fictives ou proposées de mauvaise foi et correspondu à une « mise au placard », alors qu'il ressort au contraire des écritures et des productions que l'inaboutissement de ces diverses propositions a trouvé sa cause dans les exigences et l'intolérance de Monsieur [C] lui-même, qui, au fil du temps, s'est faussement convaincu de ce qu'on cherchait à l'isoler et à le mettre à l'écart, quand l'avertissement du 11 novembre 2011 était parfaitement justifié par son refus de se rendre à une convocation de la société, motivé par le fait que l'endroit fixé pour l'entrevue ne lui convenait pas, quand le défaut de paiement momentané de ses salaires entre le mois de décembre 2011 à mai 2012 n' a pas trouvé sa cause dans une prétendue discrimination mais dans le fait qu'il avait cessé de justifier de ses absences pour maladie, et quand enfin il ne peut soutenir que son absence d'évolution de carrière serait à mettre en lien avec la connaissance par son employeur de son appartenance syndicale alors qu'il ressort de ses propres écritures que la stagnation de sa rémunération remonte à l'année 2009, soit bien avant le courrier du 8 septembre 2010 dans lequel il figurait pour la première fois comme candidat aux fonctions de délégué du personnel sur le site de la société TAS.

2/ Aux termes des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, et lorsque survient un litige à ce sujet, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, au vu de ces éléments il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Monsieur [C] invoque les faits suivants qui seraient constitutifs selon lui de harcèlement à son encontre: son éviction subite, injustifiée et humiliante du site de la société TAS, des propositions de poste ne correspondant pas à sa qualification et destinées à n'engendre qu'un refus de sa part, des affectations sur des postes fictifs, isolés, sans fourniture réelle de travail, une absence de fourniture de travail, une absence de versement de salaire, une sanction disciplinaire infondée, une remise en cause explicite de la légitimité de son arrêt pour maladie, un ton particulièrement agressif dans les courriers qui lui ont été adressés, une formation accordée tardivement et après de multiples relances de sa part, des notes de service du site de [Localité 2] qui ont continué de lui être adressées, l'absence de paiement du solde de ses congés payés et de remboursement de ses frais de déplacement, l'ayant obligé à solliciter une ordonnance du bureau de conciliation.

Mais l'ensemble de ces faits ne font présumer aucun harcèlement, rappel étant fait qu'une illégitimité de l'éviction de Monsieur [C] du site de la société TAS ne peut être imputée aux sociétés Gert ou Geci, qui ne pouvaient imposer la mise à disposition de celui-ci à une société cliente contre son gré, et également que l'avertissement n'était nullement injustifié, et alors que les propositions de reclassement ont été particulièrement nombreuses, diverses, et la plupart d'entre elles en rapport avec sa qualification professionnelle, qu'il y a lieu de considérer qu'il a été lui-même l'artisan de sa mise à l'écart, en raison de ses refus majoritairement injustifiés d'accepter lesdites propositions de reclassement, de son intransigeance et de ses prétentions excessives, ainsi qu'à l'origine du défaut temporaire de versement de ses salaires (faute de justification de ses certificats médicaux), et alors enfin que si le ton employé par la société Geci dans ses courriers en réponse, en particulier, à ses accusations de discrimination et de harcèlement a pu parfois être vif (par le fait notamment de stigmatiser le caractère mensonger et de mauvaise foi desdites accusations), il s'est toujours inscrit dans le cadre d'une position de réaction défensive.

*

Par ailleurs, le seul fait d'avoir été arrêté médicalement au motif d'un « conflit professionnel/retentissement émotionnel » ou encore d'un « état anxieux en rapport avec conflit professionnel », ne suffit pas à établir un manquement de la société Geci à son obligation de sécurité de résultat au titre des conditions de travail de Monsieur [C].

3/ Il découle de ce qui précède que Monsieur [C] doit être débouté :

de sa demande d'annulation de son licenciement, lequel est sans lien avec la discrimination imputable à la seule société TAS, ou même avec la discrimination initiale de la société Gert, et ne trouve pas sa cause dans un harcèlement moral;

de sa demande en fixation de dommages et intérêts pour perte de chance d'avoir pu obtenir un emploi stable et évolutif au sein de la société TAS en raison de la discrimination syndicale dont il a fait l'objet de la part de cette dernière, non imputable aux sociétés Gert et Geci;

de sa demande de fixation de dommages et intérêts pour licenciement nul;

de sa demande de fixation de salaires pour la période du 14 octobre au 11 décembre 2013;

de sa demande de fixation d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés s'y rapportant;

de sa demande de fixation d'une indemnité conventionnelle de licenciement;

de sa demande de fixation de dommages et intérêts formée contre la société Geci en réparation d'un préjudice découlant d'une discrimination syndicale ou d'un harcèlement moral, ou d'un manquement de la société Geci à son obligation de sécurité;

de sa demande de remise d'une attestation de Pôle Emploi et d'un certificat de travail conforme, aucune mention de « date d' ancienneté », renvoyant à une période travaillée durant laquelle la société Geci n'était pas encore l'employeur de Monsieur [C], n'étant requise pour l'établissement de ces deux documents;

de sa demande de fixation de dommages et intérêts pour remise tardive ou non conforme de ces deux documents,

de sa demande de fixation de dommages et intérêts formée contre la société Gert en réparation d'un préjudice moral découlant d'un harcèlement;

de sa demande de fixation d'une somme de 64,60 euros en remboursement de ses frais de déplacement pour le scrutin aux élections professionnelles et pour son entretien préalable à son licenciement du 9 décembre 2013, dont il n'apporte aucune justification qu'ils doivent être mis à la charge de l'employeur.

Il est en revanche fondé à demander la fixation au passif de la société Gert de dommages et intérêts réparant son préjudice découlé de la discrimination dont il a été l'objet à l'occasion de son premier licenciement pour motif économique, évalué à la somme de 3.000 euros.

Aucun intérêt moratoire n'est du sur cette somme, dont le point de départ ne pourrait être que le prononcé du présent arrêt, en application de l'article 1153-1 du code civil, soit postérieurement au prononcé du jugement de liquidation judiciaire.

Sa demande tendant à voir confirmer l'ordonnance du bureau de conciliation du 31 janvier 2012, contre laquelle aucun appel n'a été formé, et qu'il n'entrait pas dans les pouvoirs du bureau de jugement de confirmer, est irrecevable.

4/ Le syndicat CGT Thalès Space [Localité 2] demande la fixation aux passifs des sociétés Gert et Geci d'une créance de dommages et intérêts de 5.000 euros au titre d'un préjudice moral et financier du fait de la discrimination syndicale subie par Monsieur [C] au titre de sa candidature aux élections professionnelles de la société TAS.

Faute de déclaration de sa créance aux procédures collectives des deux sociétés Gert et Geci, alors que son préjudice a pris naissance avant l'ouverture desdites procédures collectives, sa demande est irrecevable.

A titre superfétatoire, elle est également infondée dès lors qu'aucune discrimination syndicale n'est imputable à ces deux sociétés au titre de l'engagement syndical de Monsieur [C] sur le site de la société TAS.

5/ L'AGS [Localité 4] ne devra procéder le cas échéant à l'avance des des créances visées aux articles L,3253-6 à 8 du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L,3253-15 et L,3253-17 du code du travail, et son obligation de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement.

6/ La société Gert, représentée par son mandataire liquidateur, supporte les dépens de première instance et d'appel.

Il est équitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

**

Il suit de l'ensemble de ce qui précède que le jugement doit être confirmé sauf en ce qu'il a mis hors de cause la société Gert Ingénierie, débouté Monsieur [C] de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de cette société au titre d'une discrimination syndicale, l'a condamné aux dépens et à payer une somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à la société Geci Services.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, en matière prud'homale, par arrêt réputé contradictoire, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a mis hors de cause la société Gert Ingénierie, débouté Monsieur [C] de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de cette société au titre d'une discrimination syndicale, l'a condamné aux dépens et à payer une somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à la société Geci Services,

Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées et y ajoutant,

Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société Gert Ingénierie une créance de Monsieur [C] d'un montant de 3.000 euros,

Dit que l'AGS [Localité 4] ne devra procéder le cas échéant à l'avance des des créances visées aux articles L.3253-6 à 8 du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L.3253-15 et L.3253-17 du code du travail, et son obligation de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,

Dit que la société Gert Ingénierie, représentée par son mandataire liquidateur, supporte les dépens de première instance et les dépens d'appel,

Dit que chaque partie supporte la charge de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE CONSEILLER POUR LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 18e chambre
Numéro d'arrêt : 12/24430
Date de la décision : 22/09/2015

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 18, arrêt n°12/24430 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-09-22;12.24430 ?
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