COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
18e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 15 septembre 2015
N° 2015/510
Rôle N° 11/18661
[L] [M]
C/
SA DCNS
Grosse délivrée
le :
à :
- Me Fabien GUERINI, avocat au barreau de TOULON
- Me Frédéric LECLERCQ, avocat au barreau de PARIS
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section Encadrement - en date du 03 Octobre 2011, enregistré au répertoire général sous le n° 10/1453.
APPELANT
Monsieur [L] [M], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Fabien GUERINI, avocat au barreau de TOULON
INTIMEE
SA DCNS, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Frédéric LECLERCQ, avocat au barreau de PARIS ([Adresse 2]) substitué par Me Odile DUPEYRE, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 21 Mai 2015 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Hugues FOURNIER, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Fabienne ADAM, Conseiller
Monsieur Jean-Bruno MASSARD, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Mme Julia DELABORDE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 juin 2015 puis prorogé au 15 septembre 2015
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 septembre 2015.
Signé par Monsieur MASSARD Jean-Bruno, conseiller pour le président empêché et Mme BRETER Suzie, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Dans le délai légal et par déclaration écrite régulière en la forme reçue le 28 octobre 2011 au greffe de la juridiction, M. [L] [M] a relevé appel du jugement rendu le 3 octobre 2011 par le conseil de prud'hommes de Toulon qui l'a débouté de ses diverses demandes pécuniaires à l'encontre de la société SA DCNS.
Selon ses écritures déposées le 21 mai 2015, visées par la greffière, développées oralement et auxquelles il est renvoyé pour un exposé de ses moyens et prétentions, M. [M] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau, condamner la société DCNS à lui payer 628 € bruts à titre de rappel de salaire de janvier à mai 2010 par référence à l'indice 596 et 62,80 € bruts à titre de congés payés afférents, 2 400 € bruts à titre de rappel de salaire au titre de la liquidation de ses droits acquis dans le cadre de son contrat épargne temps (CET) et 240 € à titre de congés payés afférents, 26 306,58 € bruts à titre d'indemnité de préavis et 2 630,66 € à titre de congés payés afférents, 78 919,74 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 150 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif, 120 000 € à titre de dommages-intérêts « pour perte de la chance d'avoir liquidé sa pension de retraite militaire depuis le 1er avril 2008 », et 5 000 € sur le fondement de l'article 700 Code de procédure civile.
Selon ses écritures pareillement déposées, développées oralement et auxquelles il est renvoyé pour un exposé de ses moyens et prétentions, la société DCNS demande à la cour, d'une part de lui donner acte de ce qu'elle se reconnaît débitrice envers M. [M] de 515 € bruts à titre de rappel de salaire de janvier à mai 2010 par référence à l'indice 596 ainsi que des congés payés afférents et de 1 345,82 € bruts à titre de rappel de salaire au titre de la liquidation de ses droits acquis dans le cadre de son contrat épargne temps (CET), d'autre part de confirmer pour le surplus le jugement déféré, de condamner en outre M. [M] à lui payer 1 500 € sur le fondement de l'article 700 Code de procédure civile.
Sur ce :
M. [L] [M], depuis septembre 1979 militaire de carrière en qualité d'officier du corps technique et administratif de l'armement, était affecté à la Direction des constructions navales (DCN), entreprise nationale devenue société anonyme de droit privé (DCNS) en 2007.
Dans le cadre notamment de la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005 et du décret n° 74-338 du 22 avril 1974 réglementant le statut des militaires détachés, par arrêté du ministre de la Défense du 27 septembre 2005 il a été détaché à sa demande pour une période de cinq ans à partir du 1er juin 2005 à l'établissement de [Localité 1] de la DCN, un contrat de travail écrit dit « à durée indéterminée » ayant concomitamment été établi entre les parties.
Après avis défavorable de la société DCNS au renouvellement envisagé du détachement de M. [M] en son sein, selon l'article R 4138-44 du Code de la défense et par un nouvel arrêté du ministre de la Défense du 27 mai 2010 il a été réintégré dans le corps technique et administratif de l'armement, situation que l'intéressé estime devoir être analysée comme un licenciement de fait sans cause réelle et sérieuse à l'initiative de la société DCNS.
Sur les demandes de rappel de salaire et accessoires :
Il est établi et non contesté par la société DCNS que pendant la durée de son détachement, M. [M] devait contractuellement être rémunéré sur la base du montant de sa solde de militaire majorée de 2 %, soit à partir du 1er janvier 2010 par référence à l'indice 596 et non pas 580 comme appliqué à tort par l'employeur selon les mentions portées sur ses bulletins de paie.
De janvier 2010 à fin mai 2010, terme de son détachement, M. [M] est en conséquence fondé à solliciter le paiement suivant le calcul vérifié exact détaillé aux pages 31 et 32 de ses écritures, de 628 € bruts à titre de rappel de salaire ainsi que 62,80 € bruts à titre de congés payés afférents.
Selon les pièces produites, il est par ailleurs établi que pendant la durée de son détachement à la société DCNS M. [M] a acquis 52 jours de droits à repos dans le cadre du contrat épargne temps (CET) qui lui avait été ouvert, soit après déduction de 20 jours payés en septembre 2008, un solde à lui revenir équivalent à 32 jours de salaire à la fin de son détachement.
Le solde de tout compte remis à l'intéressé le 31 mai 2010 faisant apparaître de ce chef le paiement de 4 806,50 € équivalent à 25 jours de salaire au taux de 192,26 € - et non pas 20 jours comme mentionné par erreur sur le document ' M. [M] est donc fondé à solliciter le paiement d'un solde de 1 345,82 € bruts correspondant à sept jours, ainsi que 134,58 € bruts à titre de congés payés afférents.
Sur les demandes indemnitaires afférentes à la cessation du détachement à la société DCNS :
En application de l'article 54 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires, le militaire en service détaché est réintégré dans son corps d'origine à l'issue de son détachement, et ne peut bénéficier des règles attachées à la fonction sur laquelle il est détaché que dans la limite des droits et devoirs attachés au statut de cette fonction.
Selon les dispositions de l'article 51 de la loi n° 2005-270 du 25 mars 2005 codifiées à l'article L. 4138-8 du Code de la Défense, au terme de son détachement, le militaire ne bénéficie d'aucune indemnité de licenciement ou de fin de carrière, mais le temps par lui passé en détachement est pris en compte dans sa durée de service au sein de son corps d'origine.
Il résulte de ces dispositions que si le militaire détaché auprès d'un employeur privé se voit appliquer les dispositions du Code du travail pendant la durée de son activité au sein de cette entreprise, la rupture de son contrat de travail par l'effet de la seule arrivée du terme prévu de son détachement exclut l'application des règles relatives au licenciement, ce du fait même de sa réintégration de droit dans son corps d'origine (article R. 4138-44 du Code de la Défense).
En l'espèce M. [M] a été placé en position de détachement temporaire par arrêté du 27 septembre 2005 faisant expressément référence à ces dispositions légales, tandis que l'article 12 du contrat de travail écrit par lui conclu concomitamment avec la société DCNS réitérait à titre surabondant qu'« en application des dispositions légales applicables aux militaires en situation de détachement, il est rappelé que les articles L 122-3-5, L 12-3-8 et L 122-9 du Code du travail ou toute disposition législative réglementaire ou conventionnelle prévoyant le versement d'indemnité de licenciement ou de fin de carrière est inapplicable. ».
La circonstance ressortant de la correspondance échangée entre les parties que la société DCNS ait explicitement fait connaître tant à l'intéressé qu'au ministère de la Défense son avis défavorable à l'éventualité d'un renouvellement du détachement venant à terme n'est pas de nature à éluder l'application des dispositions légales susdites, seul apparaissant en effet déterminant l'arrêté du ministre de la Défense du 27 mai 2010 portant réintégration de M. [M] dans son corps d'origine avec effet immédiat.
M. [M] ne peut par suite qu'être débouté de ses demandes tendant en paiement d'une indemnité de préavis, d'une indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts pour prétendu licenciement abusif.
Sur la demande de dommages-intérêts pour perte alléguée « de la chance d'avoir liquidé sa pension de retraite militaire depuis le 1er avril 2008 » :
M. [M] soutient avoir souhaité faire valoir ses droits à la retraite en qualité de militaire auprès du ministère de la Défense sur le fondement de l'article 5 de la loi n° 75-1000 du 30 octobre 1975 applicable seulement jusqu'au 31 décembre 2008, mais y avoir renoncé sous la menace de la société DCNS, illégitime selon lui, de mettre alors fin à son contrat de travail à son service.
Selon la correspondance échangée entre les parties, M. [M] a effectivement notifié au ministère de la Défense par lettre du 20 août 2008 sa « candidature pour un départ en retraite » tout en continuant « à exercer au sein de la société DCNS », mais en ajoutant « si la présente demande devait susciter une difficulté, je privilégie la poursuite de mon CDI et le maintien en activité ».
En application de l'article 54 de la loi du 13 juillet 1972 régissant le statut général des militaires, la position du militaire en service détaché est « essentiellement révocable », l'intéressé continuant notamment selon ces dispositions légales à figurer sur la liste d'ancienneté de son corps d'origine et à bénéficier des droits à l'avancement et à pension de retraite.
La société DCNS a donc pu exactement avisé l'intéressé, notamment par courriel du 26 août 2008 que dans l'hypothèse où il souhaiterait prendre sa retraite, il serait mis fin à son détachement en conséquence de la cessation de son activité pour le ministère de la Défense, et ce changement de statut ayant alors nécessairement pour effet de mettre fin à sa relation de travail à son service.
De fait M. [M] a lui-même convenu en son temps de la pertinence de cette analyse puisque par lettre du 21 août 2008 au ministère de la Défense, il a notifié l'annulation de sa demande de mise à la retraite au motif ainsi libellé : « je privilégie en effet la poursuite de ma relation contractuelle avec DCNS.».
En préférant poursuivre jusqu'à son terme le détachement de cinq ans dont il bénéficiait au sein de la société DCNS plutôt que de faire valoir ses droits à la retraite et subir ainsi immédiatement une baisse de revenu, M. [M] n'a donc fait qu'exercer un choix personnel, libre et éclairé, à l'exclusion d'une quelconque perte de chance, et même au demeurant de tout préjudice puisque sa mise en position de retraite a pu intervenir à sa demande après sa réintégration dans son corps d'origine.
La demande indemnitaire formée de ce chef par l'intéressé ne peut donc qu'être rejetée comme infondée.
Sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, il est enfin équitable d'allouer 1 000 € à M. [M] au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale, par mise à disposition au greffe ;
Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté M. [L] [M] de ses demandes de rappel de salaire et accessoires ;
Statuant à nouveau de ces chefs ;
Condamne la société DCNS à payer à M. [M] à titre de rappel de salaire d'une part 628 € bruts pour la période de janvier à mai 2010 et 62,80 € bruts à titre de congés payés afférents, d'autre part 1 345,82 € bruts et 134,58 € bruts à titre de congés payés afférents du chef du solde de ses droits acquis fin mai 2010 dans le cadre du contrat épargne temps (CET) dont il était titulaire ;
Y ajoutant,
Condamne la société DCNS à payer M. [M] 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
La condamne aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE CONSEILLER
POUR LE PRESIDENT