COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
Délég.Premier Président
ORDONNANCE
DU 10 SEPTEMBRE 2015
N°2015 /28
Rôle N° 14/23630
Société JACCAR HOLDINGS
C/
DIRECTION NATIONALE D'ENQUÊTES FISCALES
Grosse délivrée
le :
à :
- Me Arnaud GERARDIN,
- Me Jean DI FRANCESCO
Décision déférée au Premier Président de la Cour d'Appel :
Ordonnance rendue le 25 novembre 2014 par le Juge des Libertés et de la Détention du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE
DEMANDERESSE
Société JACCAR HOLDINGS,
demeurant [Adresse 5]
ayant élu domicile au cabinet de Maître [E] [D] - [Adresse 1]
représentée par Me Arnaud GERARDIN, avocat au barreau de PARIS
DEFENDEUR
LE DIRECTEUR GÉNÉRAL DES FINANCES PUBLIQUES
Direction nationale des enquêtes fiscales,
sise [Adresse 7]
représenté par Me Jean DI FRANCESCO, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
DÉBATS ET DÉLIBÉRÉ
L'affaire a été débattue le 04 Juin 2015 en audience publique devant
Mme Geneviève TOUVIER, présidente,
délégué par ordonnance du premier président.
Greffier lors des débats : Madame Jennifer BERNARD.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 10 Septembre 2015.
ORDONNANCE
Contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 10 Septembre 2015
Signée par Mme Geneviève TOUVIER, présidente et Madame Jennifer BERNARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Par ordonnance en date du 25 novembre 2014, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Marseille a autorisé des agents de l'administration des finances publiques à procéder à des opérations de visite et de saisie domiciliaires à l'encontre de la SAS BOURBON OFFSHORE, de la SAS BOURBON OFFSHORE SURF, de la SA BOURBON, de la SA JACCAR HOLDINGS, de la société BOURBON OFFSHORE INTEROIL SHIPPING NAVEGACAO LDA et de la SARL BOURBON SERVICES LUXEMBOURG dans les locaux et dépendances situés :
- [Adresse 9], susceptibles d'être occupés par [H] [S] et/ou [Y] [O] [M],
- 23 et/ou [Adresse 4], susceptibles d'être occupés par [X] [C] et/ou [V] [W] et/ou la SAS MARINE et/ou la SCI SERRE DES AIGLES,
- 7 et /ou 7 B et/ou [Adresse 8], susceptibles d'être occupés par [P] [Z] et/ou [K] [A] et/ou [N] [Z],
- [Adresse 3], susceptibles d'être occupés par [B] [I] et/ou [T] [J],
- [Adresse 2], susceptibles d'être occupés par la SAS BOURBON OFFSHORE et/ou la SAS BOURBON OFFSHORE SURF et/ou BOURBON OFFSHORE INTEROIL SHIPPING NAVEGACAO LDA et/ou la SA BOURBON SERVICES LUXEMBOURG et/ou la SA JACCAR HOLDINGS et/ou les sociétés du même groupe.
Les opérations de visite et de saisie se sont déroulées le 26 novembre 2014 et ont été relatées par procès-verbal du même jour.
Par courrier recommandé expédié le 8 décembre 2014 et reçu le même jour au greffe de la cour d'appel, la SA JACCAR HOLDINGS a interjeté appel de cette ordonnance.
A l'audience, la SA JACCAR HOLDINGS a repris ses conclusions déposées le jour même aux termes desquelles elle sollicite :
- l'annulation de l'ordonnance querellée ;
- l'annulation de la saisie des pièces qui a été effectuée en vertu de cette ordonnance ;
- la condamnation du directeur général des finances publiques à lui verser la somme de
7 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en réparation du préjudice subi ainsi qu'aux dépens.
En défense, le directeur général des finances publiques a sollicité le bénéfice de ses conclusions déposées le 29 mai 2015 tendant :
- à la confirmation de l'ordonnance déférée ;
- au rejet des demandes de l' appelante ;
- à la condamnation de l'appelante au paiement de la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Il est fait référence aux écritures susvisées des parties pour l'exposé de leurs moyens.
MOTIFS DE LA DECISION
La recevabilité de l'appel contre l'ordonnance d'autorisation du juge des libertés et de la détention n'est pas contestée et les éléments du dossier ne font pas apparaître d'irrégularité. L'appel est ainsi recevable.
1- sur la présomption de fraude
Aux termes de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, l'autorité judiciaire peut autoriser l'administration à effectuer une visite domiciliaire lorsqu'il existe des présomptions qu'un contribuable se soustrait à l'établissement ou au paiement de l'impôt sur le revenu ou les bénéfices ou de la TVA pour rechercher la preuve de ces agissements.
Le juge des libertés et de la détention a autorisé la visite domiciliaire et la saisie de documents à l'encontre de diverses société dont la SA JACCAR HOLDINGS au motif que cette société est présumée exercer en France une activité commerciale, qu'elle déclare au travers de sa succursale française, et avoir omis de passer en France la totalité des écritures comptables correspondant à son activité sur le territoire. L'omission de passation d'écritures pour se soustraire à l'impôt rentre bien dans le champ d'application de l'article L. 16 B suvisé, contrairement à ce que soutient la société JACCAR HOLDINGS.
Pour étayer la présomption de fraude, l'administration fiscale fait valoir :
- que le siège social de la société JACCAR HOLDINGS à Luxembourg correspond à une adresse de domiciliation mais qu'en réalité le centre décisionnel de la société et sa direction effective se trouvent sur le territoire français ;
- que les actifs de la société constatés au traver des comptes consolidés laissent présumer que la société JACCAR HOLDINGS réalise tout ou partie de son activité en France et omet ainsi d'y passer des écritures comptables.
Il convient d'examiner ces deux points pour déterminer s'il existe bien une présomption de fraude.
1-1- sur la localisation du centre décisionnel
Depuis le 5 février 2013, la SA JACCAR HOLDINGS, dont le président est [G] [L] a son siège social [Adresse 5]. A cette adresse, l'appelante justifie qu'elle dipose d'un local comprenant 3 bureaux, une salle de réunion, une cuisine et un débarras, ainsi qu'une ligne téléphonique, la ligne étant active depuis l'entrée dans les lieux et étant mentionnée sur son site internet. L'administration fiscale n'a pas trouvé trace de cette ligne parce que ses recherches ont porté sur un numéro qui n'était manifestement plus attribué, sans doute depuis le changement de siège social, lequel se trouvait auparavant au domicile professionnel luxembourgeois de l'un des administrateurs de la société.
La société JACCAR HOLDINGS a pour activité toutes opérations se rapportant directement ou indirectement à la prise de participation sous quelque forme que ce soit, dans toute entreprise, ainsi que l'administration, la gestion, le contrôle et le développement de ces participations. Elle contrôle à 100 % une vingtaine de filiales et partiellement neuf autres sociétés, dont la société BOURBON à hauteur de 27 %. Son activité, portant sur l'investissement privé, se déploie essentiellement à l'international par le biais de ses filiales qui exploitent des navires affectés au trafic de marchandises. Elle compte 11 administrateurs, 4 résidant à [Localité 10], dont le président [G] [L], 2 au Luxembourg, et les 5 autres respectivement au Viet-Nam, en Chine, au Etats-Unis, à Hong Kong et en Belgique. Elle dispose d'un établissement secondaire situé [Adresse 6] qui dépose des comptes et des déclarations fiscales en France. Son capital social est principalement détenu par la SAS CANA TERA elle-même contrôlée directement et indirectement par par [G] et [F] [L].
Dans la mesure où la société JACCAR HOLDINGS gère ses investissements privés à travers ses filiales, les bureaux du siège social, où se réunit d'ailleurs le conseil d'administration, peuvent suffire à son fonctionnement, l'exploitation des bateaux notamment étant faite par les filiales. Le fait que le président de la société ainsi que trois autres administrateurs sur 11 soient domiciliés en France ne signifie pas que le centre décisionnel de la société se trouve également en France. De même, le fait que la société JACCAR HOLDINGS soit titulaire de plusieurs comptes bancaires en France peut aussi s'expliquer par l'activité de son établissement secondaire.
1-2- sur l'ommission de déclarations fiscales
La succursale française de la société JACCAR HOLDINGS a déclaré un chiffres d'affaires de 889 578 € en 2011, de 575 777 € en 2012 et de 488 099 € en 2013. L'administration fiscale relève que les comptes annuels déposés au Luxemboug par la société JACCAR HOLDINGS au titre des exercices 2012 et 2013 font état d'un résultat de l'exerice de 6 355 293 € et de 25 468 444 €. Elle en conclut que dès lors que la société JACCAR HOLDINGS a son centre décisionnel en France, l'écart entre l'activité déclarée par l'établisssement français et celle déclarée par la société au Luxembourg laisse présumer que la société qui réalise tout ou partie de son activité en France a omis de déclarer tous les revenus provenant de cette activité.
Mais d'une part, ainsi qu'il a été expliqué ci-dessus, la présomption d'un centre décisionnel en France n'est pas établie. Par ailleurs, l'écart entre le chiffre d'affaires réalisé en France et celui réalisé par la société luxembourgeoise peut s'expliquer par les activités et les revenus provenant de ses nombreuses filiales internationales. En l'absence d'élément plus précis portant notamment sur des écritures émises par la société luxembourgeoise pour une activité commerciale en France, la présomption d'une fraude fiscale en France par la société luxembourgeoise JACCAR HOLDINGS n'est pas établie.
L'ordonnance déférée, prise dans le cadre d'une procédure régulière, sera non pas annulée, mais infirmée en ce qu'elle a autorisé une visite et une saisie à l'encontre de la SA JACCAR HOLDINGS. En effet, l'ordonnance visant également d'autres sociétés qui n'ont pas fait appel de cette décision, demeure valable à l'égard des sociétés en question.
A défaut d'autorisation judiciaire, les opérations de visites et de saisies domiciliaires effectuées en vertu de l'ordonnance déférée sont nulles, mais uniquement en ce qu'elles concernent la SA JACCAR HOLDINGS contre laquelle il n'existe pas de présomption de fraude fiscale.
2- sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
L'appel étant fondé, le directeur général des finances publiques sera débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge la SA JACCAR HOLDINGS la totalité des frais, non compris dans les dépens, qu'elle a exposés pour la présente procédure. Il convient de lui allouer à ce titre la somme de 2 500 €.
L'administration fiscale supportera également les dépens de l'instance.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement,
Déclarons recevable l'appel formé par la SA JACCAR HOLDINGS contre l'ordonnance d'autorisation du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance Marseille en date du 25 novembre 2014 ;
Infirmons ladite ordonnance en ce qu'elle a autorisé des visites domiciliaires et des saisies à l'encontre de la SA JACCAR HOLDINGS ;
Disons n'y avoir lieu à visite domiciliaire à l'encontre de la SA JACCAR HOLDINGS ;
Déclarons nulles, mais uniquement en ce qu'elles concernent la SA JACCAR HOLDINGS, les visites et les saisies effectuées le 26 novembre 2014 par les agents de l'administration fiscale dans les locaux situés :
- [Adresse 9],
- 23 et/ou [Adresse 4],
- 7 et /ou 7 B et/ou [Adresse 8],
- [Adresse 3],
- [Adresse 2].
Déboutons le directeur général des finances publiques de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons le directeur général des finances publiques à payer à la SA JACCAR HOLDINGS la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons le directeur général des finances publiques aux dépens.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE