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25/06/2015 | FRANCE | N°15/00227

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 1re chambre c, 25 juin 2015, 15/00227


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE



1ère Chambre C



ARRÊT

DU 25 JUIN 2015



N° 2015/527

S. K.



Rôle N° 15/00227





Association CLUB TAURIN PAUL RICARD LA BOURGINE



ASSOCIATION COMITÉ DES FÊTES D'[Localité 3]



C/



ASSOCIATION ALLIANCE ANTICORRIDA



ASSOCIATION OEUVRE D'ASSISTANCE AUX BÊTES D'ABATTOIRS



ASSOCIATION SOCIÉTÉ PROTECTRICE DES ANIMAUX DU PAYS D'ARLES ET DE LA VALLÉE DES BAUX







Grosse délivr

ée

le :

à :







Maître RAYBAUD



Maître SEMMEL









DÉCISION DÉFÉRÉE À LA COUR :



Ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de grande instance de Tarascon en date du 08 janvier 2015 enregistrée ...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

1ère Chambre C

ARRÊT

DU 25 JUIN 2015

N° 2015/527

S. K.

Rôle N° 15/00227

Association CLUB TAURIN PAUL RICARD LA BOURGINE

ASSOCIATION COMITÉ DES FÊTES D'[Localité 3]

C/

ASSOCIATION ALLIANCE ANTICORRIDA

ASSOCIATION OEUVRE D'ASSISTANCE AUX BÊTES D'ABATTOIRS

ASSOCIATION SOCIÉTÉ PROTECTRICE DES ANIMAUX DU PAYS D'ARLES ET DE LA VALLÉE DES BAUX

Grosse délivrée

le :

à :

Maître RAYBAUD

Maître SEMMEL

DÉCISION DÉFÉRÉE À LA COUR :

Ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de grande instance de Tarascon en date du 08 janvier 2015 enregistrée au répertoire général sous le N° 14/00403.

APPELANTES :

ASSOCIATION CLUB TAURIN PAUL RICARD LA BOURGINE,

dont le siège est [Adresse 3]

[Localité 3]

ASSOCIATION COMITÉ DES FÊTES D'[Localité 3],

dont le siège est [Adresse 4]

représentées par Maître Cédrine RAYBAUD, avocat au barreau de TARASCON, plaidant par Maître Ludovic PARA, avocat au barreau de NÎMES

INTIMÉES :

ASSOCIATION ALLIANCE ANTICORRIDA,

dont le siège est [Adresse 2]

ASSOCIATION OEUVRE D'ASSISTANCE AUX BÊTES D'ABATTOIRS, dont le siège est [Adresse 1]

ASSOCIATION SOCIÉTÉ PROTECTRICE DES ANIMAUX DU PAYS D'ARLES ET DE LA VALLÉE DES BAUX,

dont le siège est [Adresse 5]

[Localité 1]

représentées et plaidant par Maître Julien SEMMEL de la SELARL CLERGERIE & SEMMEL, avocat au barreau de TARASCON, substitué par Maître Alain CLERGERIE, avocat au barreau de TARASCON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 11 mai 2015 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Monsieur Serge KERRAUDREN, président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La cour était composée de :

Monsieur Serge KERRAUDREN, président

Madame Laure BOURREL, conseiller

Madame Dominique KLOTZ, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Serge LUCAS.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 juin 2015.

ARRÊT :

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 juin 2015,

Signé par Monsieur Serge KERRAUDREN, président, et Monsieur Serge LUCAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*-*-*-*-*-*

EXPOSE DE L'AFFAIRE :

Le comité des fêtes d'[Localité 3] avait prévu pour le 15 janvier 2015 l'organisation par le club taurin Paul Ricard la bourgine d'un 'encierro à l'eyraguaise,' à savoir une manifestation consistant à faire circuler sur la voie publique un taureau entravé par une corde, au niveau des cornes et du front, pouvant être tenue à son extrêmité par une ou plusieurs personnes.

Faisant valoir que cette pratique était interdite par un arrêté préfectoral du 4 juin 1966, était contraire aux dispositions légales et constitutive de mauvais traitements à animal, les associations l'Alliance anticorrida, l'Oeuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs et la Société protectrice des animaux du pays d'Arles et de la Vallée des Baux ont saisi en référé le président du tribunal de grande instance de Tarascon, en vue de la cessation d'un trouble manifestement illicite sur le fondement de l'article 809 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 8 janvier 2015, la juridiction a statué comme suit :

'Déclarons l'action de l'Assistance anticorrida, de l'Oeuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs et de la S.P.A. du pays d'Arles et de la Vallée des Baux recevable,

Interdisons toute annonce, quel qu'en soit le support ou organisation d'une 'encierro à l'Eyraguaise'qui contreviendrait aux dispositions de l'arrêté préfectoral du 4 juin 1966 sous peine d'une astreinte de 3.000 € par infraction constatée par huissier judiciairement commis à cet effet dont les frais seront à la charge exclusive de l'Association contrevenante,

Ordonnons la publication par voie de presse dans le quotidien 'La Provence' édition du 11 janvier 2015 en rubrique '[Localité 3]' de la présente décision aux frais du comité des fêtes d'[Localité 3] et du club taurin Paul Ricard la bourgine tenus in solidum d'en supporter le coût,

Rejetons toute autre demande,

Condamnons in solidum comité des fêtes d'[Localité 3] et du club taurin Paul Ricard la bourgine à verser à chacune des associations demanderesses la somme de 400 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamnons in solidum comité des fêtes d'[Localité 3] et du club taurin Paul Ricard la bourgine au paiement des entiers dépens.'

Le comité des fêtes d'[Localité 3] et le club taurin Paul Ricard la bourgine ont relevé appel de cette ordonnance. Aux termes de leurs dernières écritures, en date du 4 mai 2015, elles prient la cour, au visa des articles 808 et 809 du code de procédure civile, de l'ancien article 453 du code pénal devenu article 521-1, de :

- Sur la recevabilité :

Constater que l'objet social des associations intimées rend leur action irrecevable,

- Pour le surplus :

Vu l'illégalité de l'arrêté préfectoral du 4 juin 1966,

Vu l'ancienneté de la manifestation, remontant à 1850,

Vu la répartition de cette manifestation biannuelle depuis 1966,

Vu la tolérance de cette manifestation par la préfecture depuis 1966,

Vu l'existence d'une tradition locale ininterrompue,

Constater la tradition locale ininterrompue,

Constater l'absence d'urgence,

Constater l'existence d'une contestation sérieuse,

Constater l'absence de trouble manifestement illicite,

En conséquence,

Réformer l'ordonnance du 8 janvier 2015,

Dire et juger qu'il n'y avait pas lieu à référé.

Condamner les requérantes chacune au paiement d'une somme de 2000 € sur la base des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens.

Les associations intimées ont conclu le 6 mai 2015 en demandant à la cour, au visa des articles L214-3, R214-17 3° et 4°, R 214-85 et R215-9 du code rural, 111-4 et R654-1 du code pénal, de l'arrêté préfectoral du 4 juin 1966, de :

- débouter les associations de leurs demandes,

- confirmer l'ordonnance et y ajoutant en tant que de besoin :

* interdire toute annonce, quel qu'en soit le support, ou organisation d'une 'encierro à l'eyraguaise' sous peine d'une astreinte de 5000 € par infraction constatée par huissier judiciairement commis à cet effet dont les frais seront à la charge exclusive de l'association contrevenante,

* ordonner la publication par voie de presse dans le quotidien'La Provence,'en rubrique '[Localité 3]', de la décision à intervenir, aux frais des appelantes, tenues in solidum d'en supporter le coût,

* condamner in solidum les appelantes à verser à chacune des associations intimées la somme de 2000 € au titre de ses frais irrépétibles,

* les condamner en outre aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La cour renvoie, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, à leurs écritures précitées.

MOTIFS

Attendu que les appelantes concluent à l'irrecevabilité de l'action des associations intimées au motif qu'elles ne prouvent pas que la manifestation contestée génère une maltraitance envers les animaux ;

Mais attendu qu'une association peut agir en justice au nom d'intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans un son objet social ;

Qu'il est constant qu'en l'espèce l'alliance anticorrida a pour objet de protéger et de défendre les droits à la vie, à la liberté, au bien-être et au respect de tous les animaux et des taureaux de corrida en particulier, la Société protectrice des animaux [Localité 2] a pour objet notamment de protéger, de secourir les animaux, de provoquer les lois et arrêtés qui protègent les animaux et inciter des poursuites contre les individus coupables de mauvais traitements envers eux ;

Qu'enfin l'oeuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs a notamment pour objet d'assister, défendre et protéger, par tous les moyens appropriés que permet la loi, les animaux destinés... à l'équarrissage, tous les animaux dont la chair est destinée à la consommation, aux divers stades de leur existence ;

Attendu que l'action des associations est donc bien recevable, sans pouvoir être subordonnée à la démonstration préalable de son bien-fondé, contrairement à ce que prétendent les appelantes ;

Attendu que celles-ci arguent inutilement de l'absence d'urgence puisque l'action des trois associations est fondée sur les dispositions de l'article 809 alinéa 1er du code de procédure civile, lesquelles ne nécessitent aucunement la preuve de l'urgence ;

Attendu qu'il convient de rechercher si la manifestation en cause est constitutive d'un trouble manifestement illicite, c'est-à-dire d'une perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit ;

Attendu que le premier juge a retenu à cet égard une violation patente de l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 4 juin 1966 qui, en son article 1er, prévoit que, lors des fêtes locales à caractère taurin, les animaux utilisés à ces jeux, sur la voie publique ou à l'intérieur d'arènes doivent être absolument libres de toute entrave, et interdisant en ces circonstances de les faire courir attachés à une corde ;

Attendu que les appelantes concluent en vain à l'illégalité de cet acte administratif réglementaire devant la juridiction civile qui ne peut l'apprécier ;

Qu'au demeurant le moyen n'est pas sérieux puisque, par une décision du 2 mars 2004, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté des requêtes tendant à l'annulation d'un arrêté du préfet de L'Hérault du 11 avril 2000 qui a interdit le jeu dit 'du taureau ou vachette à la corde', similaire à celui actuellement contesté ;

Attendu cependant que cet arrêté a été expressément pris au visa de l'article 453 du code pénal (devenu 521-1), selon lequel les dispositions répressives en matière de sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée ;

Que la même disposition est prévue en matière contraventionnelle par l'article R654-1 du code pénal pour les mauvais traitements à animal ;

Qu'il s'ensuit que les appelantes peuvent invoquer cette immunité, à l'exclusion de toute coutume qui ne répondrait pas aux conditions qu'elle prévoit ;

Attendu que les intéressées soutiennent, préalablement, que les taureaux ne font l'objet d'aucune maltraitance ;

Qu'elles produisent à cet égard plusieurs certificats de vétérinaires attestant du bon état sanitaire des animaux à l'issue de manifestations ;

Mais attendu que ces documents ont une force probante limitée en ce qu'ils comportent, pour certains, la mention d'absence de 'blessure importante', (certificats des 18 juillet 2002 et 17 juillet 2012), ce qui n'exclut pas toute blessure, l'un deux relevant même une blessure à la lèvre inférieure (certificat du 15 janvier 2014) ;

Attendu, surtout, que la preuve contraire des violences infligées aux animaux est rapportée par les témoignages communiqués par les intimées qui décrivent des chutes de taureaux et des saignements, ce que confirment des photographies non contestées et un procès-verbal de constat d'huissier du 26 août 2014 corroborant la tension exercée par la corde sur la tête du taureau et comportant le mention d'une blessure à l'arrière gauche de l'animal laissant apparaître du sang ;

Attendu, d'ailleurs, que les propres pièces des appelantes relatives à la 'bourgino'se réfèrent à un jeu nécessitant un fort taureau 'car il faut de fortes bêtes pour résister à un pareil traitement' ;

Qu'en outre, un professionnel du milieu taurin, président durant plusieurs années de la Fédération française de la course camarguaise, a attesté avoir demandé l'arrêt du taureau à la bourgine, s'agissant selon lui d'une pratique incompatible avec le respect de l'animal et de son intégrité selon la majorité des manadiers et gens de bouvine ;

Qu'enfin, le projet de charte concernant les spectacles de rues, proposé par la fédération précitée, mentionne les encierros mais seulement avec des animaux cornes protégées, sans corde ;

Attendu en conséquence que les mauvais traitements exercés au cours des manifestations en cause ne sont pas sérieusement discutables ;

Attendu que les appelantes se prévalent, d'ailleurs, d'une tradition locale ininterrompue, en vigueur depuis 1850 et tolérée par l'administration depuis 1966 ;

Attendu cependant que, même en admettant qu'il s'agisse en l'espèce d'une course de taureaux, au sens des textes susvisés, force est de constater qu'il n'est aucunement justifié d'une tradition locale, c'est-à-dire applicable à un ensemble démographique dans lequel elle persisterait, alors précisément qu'elle ne concerne que la commune d'[Localité 3], ainsi que l'affirment les appelantes elles-mêmes ;

Qu'au surplus, elles n'établissent pas que ladite tradition ait été suivie sans interruption dans le temps, se bornant à produire un document de 1995 sur l'organisation d'un encierro, les autres pièces étant toutes afférentes à des manifestations organisées au cours des années 2000 ;

Que la déclaration de Monsieur [E], manadier, non assortie de justificatifs, n'atteste d'ailleurs de la fourniture de taureaux à cette fin que depuis 1970 ;

Attendu qu'il suit de ces éléments que l'immunité légale n'est à l'évidence pas opposable en l'espèce, de sorte que l'annonce et l'organisation de l'encierro litigieux sont constitutives d'un trouble manifestement illicite ;

Que les modalités propres à faire cesser le trouble décidées par le premier juge ne sont pas discutées et seront maintenues, sans qu'il y ait lieu à augmentation du montant de l'astreinte, à l'exception de la publication de la décision, par nature provisoire, la mesure requise de ce chef étant sans incidence sur la cessation du trouble ;

Attendu enfin qu'il est équitable d'indemniser les intimées pour leurs frais irrépétibles de procédure, en sus de la somme allouée par le premier juge ;

Qu'en revanche les appelantes, qui succombent, ne peuvent qu'être déboutées de leurs réclamations de ce chef ;

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions, à l'exception de la publication ,

Réformant de ce seul chef,

Dit n'y avoir lieu à publication de la décision,

Ajoutant,

Condamne in solidum les associations comité des fêtes d'[Localité 3] et club taurin Paul Ricard la bourgine à verser à chacune des associations intimées, l'Alliance anticorrida, l'Oeuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs, la Société protectrice des animaux du pays d'Arles et de la Vallée des Baux, la somme de 600,00 €,

Rejette toutes prétentions contraires ou plus amples des parties,

Condamne les associations comité des fêtes d'[Localité 3] et club taurin Paul Ricard la bourgine aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 1re chambre c
Numéro d'arrêt : 15/00227
Date de la décision : 25/06/2015

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 1C, arrêt n°15/00227 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-06-25;15.00227 ?
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